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REPRESENTATIONS DE LA VIEILLESSE CHEZ LES AIDES A DOMICILE
X) LA CONFRONTATION DES RESULTATS AUX HYPOTHESES
Notre première hypothèse portait sur le renforcement des représentations sociales majoritairement négatives sur la vieillesse. Toute formation diffuse des informations nouvelles et nous avions pensé qu’il était possible que le contenu du module sur la personne âgée s’inscrive totalement dans la vision négative du vieillissement qui est celle de notre société.
Nous nous rendons compte à présent que cette hypothèse n’était pas vérifiable. En effet, le projet pédagogique du centre de formation que nous avons contacté, ne nous renseigne pas de façon suffisamment précise sur le contenu théorique de ce module. Il aurait fallu, pour valider ou invalider cette hypothèse, assister aux différents cours du module personne âgée. Par contre, ce que nous avons pu repérer à travers les discours, c’est que les apports théoriques ont contribué à nourrir la réflexion sur la pratique.
La seconde hypothèse posée est par contre plus pertinente et nous pouvons la confirmer en partie. Le fait de n’avoir pu interviewer une deuxième fois que trois personnes sur six limite la portée de nos observations, cependant, pour ce qui concerne les personnes rencontrées à deux reprises, Delphine, Clémentine et Evelyne, nous avons constaté que la formation avait contribué à modifier leurs pratiques professionnelles. Nos observations sont donc formulées à partir de l’analyse de la représentation de leur rôle professionnel.
Il nous apparaît que le changement de regard sur la personne âgée est la conséquence du remaniement des pratiques professionnelles. La personne âgée a repris un statut d’adulte responsable qui a non seulement des droits mais aussi des devoirs. Le respect entre les aides à domicile et leurs clients doit être réciproque et si les vieux n’ont pas à subir l’emprise des professionnels, ceux-ci n’ont pas, en revanche, à tout accepter de leur part.
La notion de dépendance s’efface au profit de celle de la préservation d’une certaine autonomie. La prise en compte des besoins des personnes se fait davantage dans le cadre d’une négociation, c’est pourquoi nous avons intitulé ce mémoire  ’De l’assistance à la reconnaissance de la personne vieillissante.’’
Le sentiment d’identité professionnelle s’est accru et la prise de conscience de l’importance du rôle d’aidant professionnel a introduit de la distance vis à vis des personnes aidées, protégeant ainsi les aides à domicile contre un envahissement excessif sur le plan affectif.
D’après les éléments dont nous disposons, le regard global sur la vieillesse ne s’est pas modifié et les personnes interrogées restent profondément marquées par leur expérience directe du vieillissement, ce que nous avons appelé les figures personnelles de la vieillesse. Cette sphère intime nous paraît aussi influencer très fortement la façon dont elles se projettent dans leur future vieillesse, encore que chez l’une d’elles, Delphine, se manifeste une ambivalence très importante entre sa perception très négative de la vieillesse chez les autres, y compris chez sa propre mère, et ce qu’elle espère pour elle-même.
Le facteur de l’âge des personnes interrogées ne nous a pas semblé déterminant dans leurs représentations de la vieillesse, mais nous disposons d’un trop petit nombre d’entretiens pour l’affirmer. Il est possible que le fait d’être confronté au vieillissement de ses propres parents et de voir l’échéance se rapprocher pour soi-même, joue, selon les circonstances et selon la structure psychologique de chacun, dans le sens d’une image plus ou moins négative de la vieillesse.
Dans le chapitre sur la démarche méthodologique, nous avons justifié le choix d’une seule méthode de recueil du contenu des représentations, ce qui ne nous permettait pas de différencier le noyau central des éléments périphériques. Au cours de l’analyse de contenu, nous avons cependant, à partir des propos de Delphine sur la vieillesse, émis l’idée que sa perception très négative «vieillesse c’est quelque chose d’affreux  » - constituait le noyau central de sa représentation, formé sous l’influence du discours ambiant dans la société. Dans le cas de Delphine, par ailleurs, la sphère de l’expérience personnelle et professionnelle qui constitue le système périphérique de sa représentation, ne font que renforcer sa vision négative au contraire de Clémentine et d’Evelyne. Dans ces conditions, l’intégration de nouveaux éléments par la formation est plus difficile et les éléments périphériques remplissent pleinement leur fonction de protection du noyau central.
La théorie des représentations sociales nous a appris que celui-ci était très résistant au changement. Autour de ce noyau les éléments périphériques ont une fonction de défense, mais ils peuvent aussi être activés sous l’effet d’une modification des pratiques sociales, ce qui a pour conséquence, d’après Flament, d’entraîner soit un changement graduel de la représentation, soit sa désintégration et sa transformation totale.
Il nous semble que c’est un phénomène d’évolution progressive qui s’est produit lors de cette formation CAFAD. Le noyau structurant des représentations n’a pas été touché mais les éléments périphériques ont pu intégrer des informations nouvelles et surtout envisager des attitudes et des comportements différents envers les personnes âgées.
CONCLUSION
Nous avons mené cette recherche à partir d’un questionnement sur l’impact que peut avoir une formation sur les représentations d’un objet social. Dans le cas présent, il s’agissait des représentations de la vieillesse chez les aides à domicile qui interviennent auprès des personnes âgées et de la formation au CAFAD.
Notre premier travail a donc consisté à formuler une question de départ pouvant constituer un fil conducteur de la recherche  : En quoi la formation professionnelle des aides à domicile, dans le cadre du CAFAD, transforme-t-elle leurs représentations de la vieillesse  Ainsi rédigée, cette question suggérait l’idée que les effets d’une formation pouvaient, au-delà d’un simple phénomène d’influence, se situer dans le champ du changement des représentations sociales.
Dans une première partie, nous avons tout d’abord approfondi le concept de vieillesse en distinguant la vieillesse - construction sociale -, du vieillissement - processus biologique - et en apportant des éléments d’information et d’analyse d’ordre démographique, économique et social sur la catégorie des plus de 60 ans, dite ’personnes âgées’’ et sur la sous catégorie des personnes âgées dépendantes.
Ces dernières sont devenues objet d’études et de soins de la part du corps médical, sujet de préoccupations des pouvoirs publics et source d’angoisse pour la plupart de nos concitoyens. Dans une représentation sociale dominante, la dépendance symbolise maintenant la vieillesse, occultant ainsi les multiples formes du vieillir.
Dans le deuxième chapitre de cette première partie, nous nous sommes intéressée à l’évolution des politiques de la vieillesse concernant notamment le maintien à domicile et la création de la Prestation Spécifique Dépendance. Il est indéniable que certaines mesures prises ’en faveur’’ des personnes âgées contribuent à étayer les représentations négatives de la vieillesse. Ainsi la façon dont est traité le problème de la dépendance est-il à la fois une conséquence de ces représentations la vieillesse catégorisée et objectivée est prise en charge au lieu d’être prise en compte et une cause du renforcement de cette vision dévalorisée d’une tranche de vie de plus en plus longue qui est paradoxalement considérée comme un progrès médical et social.
Le rapport du comité de pilotage de l’année internationale des personnes âgées n’hésite pas à qualifier la notion de dépendance comme «véritable vecteur d’exclusion de la société  »  «ne justifie sur le plan conceptuel d’avoir remplacé la notion de handicap par celle de dépendance, que les Français sont les seuls à utiliser, entraînant des incompréhensions dans les échanges internationaux professionnels et scientifiques, une réglementation fondée sur la segmentation des politiques et contribuant à la renforcer, la ségrégation des populations, l’inefficacité et l’inéquité des prises en charge sur le plan des personnels, des financements et des allocations.  »
Le troisième et le quatrième chapitres ont été consacrés à la question de l’aide à domicile et, plus précisément, aux aides ménagères. Nous avons cherché à connaître un peu mieux cette profession ainsi que le CAFAD, seule formation réellement qualifiante pour les aides à domicile, mais dont le coût représente un des obstacles à son extension.
Après avoir porté ces regards sur la vieillesse, ses politiques et ses acteurs, nous avons largement développé le concept de représentation sociale. Nous nous sommes efforcée de montrer toute la richesse de ce concept et son intérêt dans le domaine des sciences humaines. Nous avons ensuite exposé les caractéristiques et les fonctions des représentations sociales avant d’expliciter leur mode de fonctionnement.
Nous appuyant sur ce concept, nous avons pu formuler deux hypothèses de recherche  la première sur le renforcement des représentations négatives de la vieillesse par la formation, la deuxième sur la transformation possible de ces représentations sous l’effet d’un changement des pratiques professionnelles dû à la formation dispensée.
Dans la deuxième partie du mémoire, nous avons exposé notre méthodologie de recherche en apportant d’une part des éléments théoriques sur le recueil du contenu des représentations sociales et sur leur analyse et d’autre part, en décrivant la démarche suivie. Nous avons rencontré une première fois six aides à domicile de différents services, Aline, Blandine, Clémentine, Delphine, Evelyne et Francine, et nous avons pu revoir trois d’entre elles quelques mois après l’obtention de leur diplôme.
Nous les avons interrogées dans le cadre d’entretiens semi-directifs et nous avons analysé le corpus en utilisant une méthode de classification catégorielle. Nous avons dégagé huit catégories d’analyse à l’intérieur desquelles nous nous sommes efforcée de repérer les différents niveaux d’expression de la parole  : informations, opinions, attitudes et comportements.
Nous avons mis en évidence les éléments principaux de chaque catégorie en comparant l’avant à l’après de la formation. Nous avons ainsi constaté que certains changements dans les représentations étaient intervenus entre le premier et le deuxième entretiens et que, par contre, d’autres éléments n’avaient pas bougé. Ce qui a changé en fait à travers les discours des aides à domicile lors du second entretien, c’est moins leurs opinions par rapport à la vieillesse que leurs attitudes et leurs comportements, engendrant un regard nouveau sur les personnes vieillissantes chez lesquelles elles interviennent.
Il semble que le noyau dur de la représentation n’ait pas bougé, ce qui n’est pas étonnant étant donné sa stabilité et sa résistance au changement, mais que, par contre, le système périphérique ait intégré de nouvelles données sur les vieux (en particulier la reconnaissance d’un statut d’adulte responsable pouvant conserver une part d’autonomie), notamment sous l’influence du changement des pratiques professionnelles. En nous référant aux recherches de Flament sur le processus de transformation des représentations sociales, nous pouvons penser que si ces nouvelles pratiques perdurent, la structure du noyau central se modifiera à son tour progressivement.
Ainsi que nous l’avons justifié dans la partie sur la méthodologie de la recherche, nous n’avons procédé qu’au recueil du contenu des représentations, sans étudier leur structure interne, faute de connaissances et de moyens dans le domaine de la recherche sur les représentations. Les réflexions que nous formulons sur le noyau central des représentations des aides à domicile et sur les éléments périphériques nous sont venues à l’analyse des entretiens mais elles demanderaient par conséquent à être vérifiées.
Nous terminerons par deux remarques. La première porte sur la pertinence de nos hypothèses. Nous avons maintenant conscience que si la deuxième hypothèse avait une valeur supérieure à la première, c’est d’une part, parce qu’elle s’appuyait sur des travaux de recherche sur l’évolution des représentations sociales et d’autre part, parce qu’elle répondait à un critère de faisabilité, ce qui n’était pas le cas de la première.
La deuxième réflexion concerne la formation professionnelle. Nous n’avons pas pu déterminer la part d’influence respective des apports théoriques et celle des interactions au sein du groupe des participantes sur le changement des pratiques mais il est probable que les échanges entre les unes et les autres ont contribué à faire évoluer leurs opinions et leurs attitudes vis à vis des personnes aidées, comme l’a démontré Kurt Lewin.
Les trois personnes que nous avons revues pour un deuxième entretien ont toutes souligné l’intérêt de la confrontation des points de vue respectifs pendant la formation. Evelyne estime que ce sont surtout les échanges avec ses collègues qui l’ont aidée à réfléchir sur sa pratique et elle reconnaît que cela lui manque à présent. Quant à Clémentine, évoquant la question des limites, elle affirme  «  dans certaines situations des aides à domicile qui n’avaient pas mis justement de limite, je pense qu’en discutant ensemble elles ont vu aussi d’une autre façon l’aide à domicile, donc qu’elles n’étaient pas dans leur rôle, qu’elles étaient complètement en-dehors de leur rôle professionnel.  »
Respecter les vieux, les accompagner tout au long du difficile parcours des dernières années de la vie implique de former aussi les professionnels qui sont à leur côté. Aider, écouter, soutenir ne s’improvise pas. Valoriser l’action des professionnels de l’aide à domicile en leur offrant la possibilité de se former et de réfléchir à leur pratique, c’est considérer les besoins des personnes vieillissantes autrement que comme un gisement d’emplois et c’est les reconnaître 
«L’autre est un autre-que-moi parce qu’il est relativement le même, parce qu’il est à la fois semblable et différent.  »
Vladimir JANKELEVITCH.
Avant propos et Introduction
Regards sur la vieillesse, ses politiques et ses acteurs
Le vieillissement, la vieillesse et les vieux
Les politiques de la vieillesse
Dans les méandres de l'aide à domicile
Une formation encore trop rare
Concept de représentation sociale
Hypothèse de travail
Etude d'un groupe d'aides à domicile préparant le C.A.F.A.D. modulaire -
Eléments théoriques, démarche méthodologique, caractéristiques et portraits des personnes interrogées
Représentations de la vieillesse chez les aides à domiciles
- Les appellations -
Le vieillissement physique -
Le vieillissement psychique -
Les aspects sociaux du vieillissementx-
La mort -
Les figures personnelles de la vieillesse chez les aides à domicile -
Leur propre vieillesse -
Le rôle professionnel des aides à domicile
La confrontations des résultats aux hypothèses
Conclusion