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ETUDE D'UN GROUPE D'AIDES A DOMICILE

PREPARANT LE C.A.F.A.D. MODULAIRE






A) METHODOLOGIE


I) ELEMENTS THEORIQUES

L'étude des représentations est complexe et nécessite, théoriquement, une approche multi-méthodologique. Elle implique deux étapes dans la recherche : d'une part, le recueil des représentations et d'autre part l'analyse des données récoltées.
Dans ''Pratiques sociales et représentations'', Abric rappelle que le choix d'une méthodologie se fait en référence au système théorique qui sous-tend et justifie la recherche.

Dans la partie conceptuelle, nous avons repris la théorie sur les représentations sociales de Serge Moscovici, puis celle de Jean-Claude Abric, selon lesquelles une représentation sociale se définit à la fois par son contenu - c'est-à-dire le noyau central et les éléments périphériques - et par sa structure et par organisation, ou plus précisément par les relations que les éléments entretiennent entre eux.

Nous avons vu également que ces éléments fonctionnent sur la base d'un double système, un système central, stable et rigide, et un système périphérique composé de schèmes capables de décrypter les situations, plus souple que le système central et plus perméable au changement.

L'étude des représentations sociales consistera donc à :
- déterminer leur contenu : recueillir les éléments composant la représentation
- comprendre l'organisation de ces éléments
- et à identifier le noyau structurant.

Il existe plusieurs méthodes de recueil des représentations que nous présentons synthétiquement ci-dessous. Abric établit une distinction entre les méthodes de recueil du contenu des représentations et les méthodes de repérage de leur structure.

1) Le recueil du contenu des représentations

Il s'effectue à l'aide de deux types de méthodes, les méthodes dites ''interrogatives'' et les méthodes appelées ''associatives''.

· Les méthodes interrogatives :
Elles sont basées sur l'expression verbale ou figurative des personnes à propos de l'objet de la représentation étudiée.

- L'entretien : il s'agit d'une technique traditionnellement utilisée par les chercheurs. L'entretien de type semi-directif invite la personne interrogée à s'exprimer spontanément à l'intérieur d'un cadre déterminé par l'interviewer et permet d'accéder au contenu de la représentation : le champ d'information de la personne sur le sujet, ses opinions et ses attitudes. Par contre il a pour inconvénient, d'après Abric, de ne permettre que rarement d'accéder à l'organisation et à la structure interne de la représentation. Par ailleurs, la situation d'entretien suppose une relation duelle et interactive, et il n'est pas exclu que ce contexte particulier influence quelque peu le discours de l'interviewé. Enfin l'analyse du contenu de l'entretien n'est pas exempte d'interprétation subjective de la part du chercheur.

C'est pourquoi, cette méthode doit être complétée par " des techniques visant à contrôler, à recouper ou à approfondir les informations recueillies. "(1) Ces réserves mises à part, l'entretien semi-directif présente l'intérêt de porter sur l'aspect qualitatif et subjectif des discours.

- Le questionnaire : contrairement à l'entretien, cette technique est fondée sur le recueil quantitatif des données. Elle est largement utilisée en raison de son aspect pratique et standardisé. Cependant cette méthode a aussi ses limites, le choix des thèmes abordés et la formulation des questions restreignant la libre expression des individus.

- Les méthodes figuratives et graphiques :
elles font appel à l'expression orale des sujets à partir de dessins qu'on leur présente ou sont basées sur la production graphique produite par les sujets eux-mêmes. Ce type de support a pour but de faciliter l'expression discursive de sujets qui auraient des difficultés à s'extérioriser dans une situation classique d'entretien.

· Les méthodes associatives :
Elles sont au nombre de deux : l'association libre et la carte associative.

- L'association libre " consiste à partir d'un mot inducteur ou d'une proposition, à demander au sujet de produire tous les mots ou expressions qui lui viennent à l'esprit. " (2) Son caractère spontané permet d'accéder plus rapidement que dans un entretien aux éléments sémantiques qui constituent la représentation. Des chercheurs comme Abric, Rouquette et Rateau pensent que cette technique offre l'avantage de réduire les inconvénients mentionnés ci-dessus à propos de la méthode d'entretien traditionnel.

- La carte associative : c'est une nouvelle méthode, inspirée de la technique de la carte mentale d'H. Jaoui (1979). Dans un premier temps, on demande au sujet de produire des associations libres à partir d'un mot inducteur. Dans un deuxième temps, on lui propose de partir d'un couple de mots associés, produits précédemment par celui-ci. On constitue ainsi une série de chaînes associatives composées d'un certain nombre d'éléments (trois, voire plus). Cette technique peut être utilisée individuellement ou dans le cadre d'un groupe.

2) Le repérage de l'organisation et de la structure d'une représentation sociale

Après avoir recueilli le contenu d'une représentation, il est nécessaire d'accéder à sa structure interne. Cela consiste à organiser les données recueillies en système de catégories qui forment le système d'étayage (la charpente) de la représentation, à repérer les liens, les relations et la hiérarchie entre les éléments et à mettre en évidence le noyau central.

Il existe des méthodes de repérage des liens entre les éléments de la représentation et des méthodes de hiérarchisation des items. Quelle que soit la méthode, le principe est identique : demander au sujet lui-même d'effectuer un travail cognitif d'analyse, de comparaison ou de hiérarchisation à partir d'un corpus qu'il a produit au cours d'entretiens semi-directifs ou d'associations libres.

· Les méthodes de repérage des liens entre éléments de la représentation :

- la constitution de couples de mots : on demande à la personne de regrouper des couples de mots qui lui semblent ''aller ensemble''.

- La comparaison pairée : on propose au sujet toutes les paires possibles d'un corpus de termes en lui demandant de situer chaque paire sur une échelle de similitude (comparaison de deux termes jugés de ''très semblables'' à ''très dissemblables''). - La constitution d'un ensemble de mots : le sujet est invité à regrouper les items qu'il a produits, ou qu'on lui propose, selon le principe des mots ''qui vont bien ensemble''.

· Les méthodes de hiérarchisation des items :
Dans ces méthodes, contrairement aux méthodes de repérage des liens décrites précédemment, c'est le sujet qui fait ressortir l'importance des différents items en les hiérarchisant par série de tris successifs .

- Les tris hiérarchisés successifs : une liste de 32 items fréquemment produits à propos de l'objet de la représentation, est proposée à la personne qui les classera par série d'items les plus ou les moins caractéristiques de cet objet.

- Les choix successifs par blocs : proche de la méthode des tris successifs, cette technique permet une approche quantitative des éléments de la représentation. Le sujet doit, à partir d'une liste de 20 items, choisir les 4 items les plus représentatifs, puis les 4 items les moins représentatifs et ceci jusqu'à ce qu'il ne reste plus que 4 items.

Toutes ces méthodes permettent de repérer la structure et l'organisation de la représentation et parfois de faire émerger les éléments centraux. Ainsi, la saillance des items constitutifs de l'objet de la représentation est un indicateur de la centralité. Il est nécessaire cependant de confirmer l'hypothèse de centralité par ce que Abric appelle des techniques de validation ou de contrôle du noyau central.

3) La vérification de la centralité

· La technique de mise en cause du noyau central :
Cette méthode est proposée par Moliner (1992). A partir d'éléments constitutifs d'une représentation sociale, on établit une liste des éléments dont on suppose qu'ils peuvent former le noyau central. Après avoir présenté au sujet un texte correspondant à sa représentation de l'objet étudié, on lui apporte une nouvelle information qui met en cause l'élément étudié. On lui demande ensuite si cette information modifie sa représentation de l'objet. Les éléments de la représentation dont la remise en cause entraîne un changement sont les éléments du système central ; ceux qui ne conduisent pas à un changement sont les éléments périphériques.

· La méthode d'induction par scénario ambigu (ISA) :
Egalement élaborée par Moliner (1993), cette technique part de l'idée qu'une représentation est un processus actif de construction de la réalité. Moliner a ainsi travaillé sur la représentation de l'entreprise chez des étudiants.

Dans un premier temps, les sujets rédigent un texte concernant l'objet étudié, qui permettra de dégager différents items constitutifs de la représentation. Puis on construit une description ambiguë de l'objet. Le scénario, tel qu'il est présenté, est ambigu parce qu'il peut se référer ou non à l'objet étudié et donner lieu à deux descriptions différentes.

On propose ensuite ce scénario ambigu aux sujets en formulant deux conclusions contradictoires (exemple : ''c'est une '' ou ''ce n'est pas une entreprise'').
Pour finir, on soumet aux sujets les items considérés comme représentatifs de l'objet, en leur demandant si l'objet présenté dans le scénario possède ou non ces caractéristiques. Selon les choix effectués, on conclura que les items sont ou ne sont pas des éléments centraux. Si les items correspondent à des caractéristiques qui peuvent être choisies indifféremment dans les deux modalités du scénario, ce sont des éléments périphériques. Si au contraire, ils ne sont choisis que lorsque la référence à l'objet est évidente, on considère qu'ils constituent le noyau central de la représentation car ils lui donnent son sens.

· La méthode des schèmes cognitifs de base (SCB) :
Guimelli et Rouquette (1992) sont les concepteurs de cette méthode dont Abric rappelle le principe : " à partir d'un couple d'items issus d'une association libre, on va étudier les types de relations que ces mots entretiennent entre eux, en utilisant une liste d'opérateurs de relations définie et formalisable, ces opérateurs étant organisés en familles appelées schèmes cognitifs de base. "

Le type de relations et leur fréquence qu'un item entretient avec les autres éléments de la représentation, permettent de calculer la valence de cet item, mettant ainsi en évidence sa centralité.

II) DEMARCHE METHODOLOGIQUE

1) Le choix d'une méthode de recueil du contenu des représentations sociales

Afin de déterminer le champ d'information des personnes interrogées sur la vieillesse, ainsi que leurs opinions et leurs attitudes, nous avons opté pour la méthode de l'entretien semi-directif.
En l'état actuel de nos connaissances, nous nous sommes limitée au recueil du contenu des représentations sociales, sans différencier le noyau central et les éléments périphériques. Le choix d'une seule méthode est lié également à un critère de faisabilité. D'une part, nous ne travaillons pas au sein d'une équipe de chercheurs expérimentés ou dans un laboratoire de recherche, d'autre part, cette étude se situe dans le cadre d'une maîtrise universitaire avec les contraintes de temps et les moyens limités que cela suppose.
Il nous semble que l'essentiel est d'adopter une démarche de recherche et nous savons d'avance que nos modestes résultats n'auront qu'une valeur toute relative. Nous l'acceptons même si nous ne pouvons nous empêcher de ressentir une certaine frustration à l'idée d'un travail incomplet.

2) Le choix du terrain

Pour des raisons pratiques, nous avons contacté une association d'aide à domicile de Melun (Seine et Marne), à proximité de notre domicile et de notre lieu de travail. Par l'intermédiaire de la directrice, nous avons obtenu les coordonnées de l'IFRAD (3) à Malakoff qui a une expérience et une compétence reconnues dans le domaine de la formation des aides à domicile.
Nous avons rencontré la responsable de la formation au CAFAD qui nous a remis le projet pédagogique de son organisme et nous a mise en relation avec un groupe d'aides à domicile devant préparer un CAFAD modulaire. Le premier jour de formation, nous sommes allée voir les 18 personnes inscrites parmi lesquelles se trouvaient Aline et Blandine que nous avions déjà rencontrées pour un entretien préliminaire.
Nous nous sommes alors présentée et nous avons expliqué que nous préparions un mémoire de recherche sur les aides à domicile auprès des personnes âgées et que, par ailleurs, nous nous intéressions à leur formation. Enfin nous leur avons dit que nous cherchions huit personnes à interviewer en rappelant les conditions d'anonymat des entretiens.

Toutes les personnes présentes ne suivaient pas le module ''personne âgée'', celui-ci ayant été validé au moment de leur inscription en formation, ce qui a limité le nombre de personnes susceptibles d'être entendues. Finalement nous avons obtenu un rendez-vous avec quatre autres personnes préparant ce module. Nous les avons rencontrées en décembre 1999 et en janvier 2000. En ajoutant les entretiens que nous avions déjà eus avec Blandine et Aline en octobre 1999, nous avons donc réalisé six interviews au total pour la première série d'entretiens de recherche. Nous avons revu trois de ces personnes pour un deuxième entretien quelques mois après la fin de leur formation.

3) Les entretiens préliminaires et la première série d'entretiens de recherche

Dans un premier temps, nous avons effectué quatre entretiens préliminaires auprès de deux directrices de services d'aide à domicile et de deux aides à domicile qui devaient partir en formation CAFAD (Aline et Blandine). Les entretiens se sont déroulés autour de cinq questions :
- Pour vous, qu'est-ce que vieillir ?
- Quels sont d'après vous les besoins des personnes âgées ?
- Qu'est-ce qu'être dépendant ?
- Comment aider les personnes âgées ?
- Comment imaginez-vous votre vieillesse ?
Ces premiers entretiens nous ont permis de vérifier la pertinence de nos questions, auxquelles nous avons ajouté une question supplémentaire :
- Quelle est la personne âgée qui vous a le plus marqué dans votre entourage personnel ?

Il nous est apparu en effet qu'il était important de disposer d'éléments d'information sur l'existence ou non de relations personnelles avec de vieilles personnes, alors que les questions portant sur les besoins, la dépendance et l'aide aux personnes âgées, renvoyaient immédiatement les personnes interrogées à leur rôle professionnel.

Avec l'accord de notre directeur de mémoire, nous avons conservé les entretiens d'Aline et de Blandine pour notre recherche. Au cours des entretiens, nous nous sommes efforcée de mettre en pratique les recommandations du psychologue américain Carl Rogers :
- attitude non-directive
- disponibilité et écoute
- empathie
- neutralité bienveillante.

Nous avons essayé de favoriser l'expression des personnes par des encouragements à approfondir tel ou tel point de leur pensée, ou par des relances. En règle générale, nous avons posé les questions dans le même ordre, la question sur les personnes dans l'entourage personnel venant en seconde position, mais pas toujours. Nous n'avons d'ailleurs pas sollicité Blandine sur ce point lors du premier entretien et nous n'avons malheureusement pas eu la possibilité de le faire lors d'un deuxième entretien.

4) La deuxième série d'entretiens de recherche

Nous avions évidemment le projet de rencontrer de nouveau toutes les personnes interrogées lors du premier entretien. Notre intention était de laisser s'écouler quelques mois entre la fin de la formation - juin 2000 - et le deuxième entretien, ceci d'une part afin de permettre aux effets de la formation de ''décanter'' dans les esprits et de se concrétiser dans la pratique professionnelle et, d'autre part, de nous laisser le temps d'analyser et de nous ''imprégner'' des éléments d'observation dégagés au cours des premiers entretiens.

Pour ce deuxième entretien, nous avons choisi de poser des questions différentes de celles du premier entretien. Nous voulions en effet éviter le risque que les personnes, face à des questions identiques, répondent qu'elles avaient déjà exprimé leur sentiment ou leur opinion précédemment. Par ailleurs, il nous paraissait intéressant de construire la grille d'entretien de façon à établir des liens entre les caractéristiques ressorties lors de l'analyse du premier entretien et les réponses à la seconde série de questions.

Nous avons donc conduit ce deuxième entretien semi-directif autour de quatre questions :
- Comment s'est passée la formation ?
- Est-ce que cette formation a changé certains aspects de votre pratique professionnelle ?
- Vos relations avec les personnes chez lesquelles vous travaillez sont-elles différentes depuis la formation ?
- Le regard que vous portez sur la vieillesse est-il différent ?


Les questions ont été posées dans l'ordre énoncé ci-dessus. La première question très générale sur la formation était suivie de deux questions appelant des réponses plus précises sur les changements dans la pratique professionnelle et les relations avec les personnes aidées. En arrière plan de la dernière question, nous avions en tête trois axes d'analyse :
- le regard porté sur le vieillissement physique et psychique
- le regard sur ce que représente le fait de vieillir dans notre société
- le regard sur leur future vieillesse.

5) Les difficultés rencontrées - réflexion sur la conduite des entretiens

Nous avons constaté deux types de difficultés dans la mise en œuvre de la partie concrète de notre travail de recherche, les unes d'ordre matériel et pratique les autres liées au recueil du matériau.

· Difficultés matérielles et pratiques
Il serait vain de nier l'importance des aspects pragmatiques de la recherche auxquels nous avons été confrontée comme l'est certainement tout étudiant ou même tout chercheur confirmé. Le premier point à régler est celui de trouver des personnes qui acceptent de nous consacrer un peu de leur temps à titre gracieux.

Notre projet de recherche portant sur l'évolution des représentations sur la vieillesse après une formation, une première difficulté s'est présentée car la formation continue chez les aides à domicile est rare, en particulier la préparation du CAFAD qui reste une formation longue et coûteuse. De plus c'est un public peu disponible dont les emplois du temps personnels et professionnels sont très serrés.

Dans le paragraphe sur le choix du terrain, nous avons expliqué comment nous avions procédé pour rechercher ces précieuses personnes. S'agissant d'un mémoire de maîtrise, nous avons interviewé les six personnes qui acceptaient de nous rencontrer sans poser d'autres exigences que de suivre le module ''personne âgée''. Dans le cadre d'une recherche plus approfondie, il aurait fallu interroger davantage d'aides à domicile et constituer préalablement un échantillonnage selon certains critères déterminés en fonction de l'objet de la recherche : âge, niveau scolaire initial, durée d'exercice de la profession, etc. De plus il aurait été nécessaire d'utiliser plusieurs méthodes de recueil du contenu des représentations.

A titre d'exemple, pour son ouvrage sur les pratiques ménagères (4), Jean-Claude Kaufmann a rencontré 27 personnes. En outre, l'analyse de ces entretiens a été croisée avec des observations directes des personnes dans leur logement et complétée par un troisième matériau constitué par 22 lettres envoyées à l'auteur à la suite d'articles de presse.

Un autre problème à résoudre a été celui du lieu. Les aides à domicile exercent, comme leur nom l'indique, aux domicile des personnes aidées. Il a donc fallu les voir en dehors de leur lieu de travail ce qui a impliqué la recherche d'un local. Pour le premier entretien, nous avons rencontré Aline, Blandine et Evelyne dans un bureau prêté par leur association, et Clémentine, Delphine et Francine sur le lieu de formation dans un local malheureusement assez bruyant. Le second entretien a été effectué au bureau de leur association pour Clémentine et Evelyne, et à son domicile pour Delphine. Les temps de rencontre étaient pris sur leur temps libre ce qui a représenté pour elles des efforts afin de se rendre disponibles.

Peut-être ces contraintes de temps et d'espace ont-elles joué dans le fait que nous n'avons revu que trois des six aides à domicile interviewées avant leur formation. Sur les trois personnes que nous n'avons pas pu interroger de nouveau, l'une a donné une réponse négative à notre proposition de deuxième entretien, la seconde n'a pas répondu et la troisième était en congé maternité. Il est certain que le fait de baser cette recherche sur la nécessité de revoir les personnes à un an d'intervalle comportait une part de risque inévitable.

· Réflexion sur la conduite des entretiens
S'il ne faut pas faire abstraction des conditions dans lesquelles un entretien se déroule : lieu de rencontre plus ou moins neutre, bruits parasites, moment de la journée…, d'autres facteurs influencent également son déroulement, liés aux interlocuteurs en présence et au contexte de cet entretien :

- Le contexte de l'entretien et son enjeu :
Il s'agit d'un entretien de recherche et l'objectif poursuivi n'est pas le même pour l'interviewer et l'interviewé. Nous souhaitions recueillir du matériau permettant de mettre à jour les représentations de la vieillesse chez des aides à domicile et leurs évolutions éventuelles sous l'influence d'une formation. En ce qui concerne les personnes rencontrées, nous ignorons pourquoi elles ont accepté ces entretiens, mais nous pensons que leurs motivations ont pu agir sur leur discours, notamment pour les personnes que nous avons rencontrées par l'intermédiaire de leur responsable d'association.

- Le statut des interlocuteurs :
Le statut des deux personnes en présence n'est pas le même et il entraîne donc des représentations réciproques différentes. Tout en nous présentant comme étudiante en maîtrise de Sciences de l'Education (ce qui induit déjà des représentations), nous avons mentionné notre profession d'assistante sociale. Il est possible que cela ait eu des incidences sur le contenu des discours. Les assistantes sociales interviennent dans le champ de l'action sociale vieillesse, notamment pour évaluer la dépendance et le nombre d'heures d'aide à domicile nécessaires. Assistantes sociales et aides à domicile se croisent au domicile de la personne âgée. Nous pensons que la représentation du statut et du rôle des assistantes sociales a pu induire certaines réponses d'ordre professionnel.

- La dimension culturelle et la dimension psychologique :
Les aides à domicile ont souvent un niveau scolaire modeste et n'ont pas l'habitude de s'exprimer à propos de leur profession qui est mal reconnue et dévalorisée. Dans l'échelle des professions médico-sociales, elles se situent en bas, derrière les travailleuses familiales et les aides-soignantes. Nous avons cherché à mettre à l'aise et en confiance les personnes interrogées afin de favoriser leur expression.

La prise en compte de ces différents facteurs amène à considérer que la situation d'un entretien n'est jamais neutre et que derrière les mots circulent des affects, des normes et des valeurs, des représentations et des non-dit.

- la situation d'interaction :
L'attitude non-directive et la neutralité bienveillante doivent amener la personne à parler librement devant un interviewer qui se manifeste cependant par des relances, des encouragements et des reformulations, afin de circonscrire les propos à la grille d'entretien qu'il a toujours en tête. Nous avons dû parfois rester vigilante pour ne pas entrer, en tant que professionnelle, dans un débat d'idées avec nos interlocutrices. Il était aussi difficile de reformuler sans interpréter (et déformer) la pensée de l'interviewé.
Enfin, clore un entretien n'est pas toujours aisé. L'échéance du temps initialement prévu - entre ¾ d'heure et 1 heure - amène à proposer la fin de l'entretien, mais il existe toujours l'arrière-pensée de se demander si la personne a pu exprimer l'essentiel de ce qu'elle avait à dire et la tentation de remettre en marche le magnétophone si elle se remet à parler.

6) L'analyse de contenu

" La place de l'analyse de contenu est de plus en plus grande dans la recherche sociale, notamment parce qu'elle offre la possibilité de traiter de manière méthodique des informations et des témoignages qui présentent un certain degré de profondeur et de complexité, comme par exemple les entretiens semi-directifs. Mieux que tout autre méthode de travail, l'analyse de contenu (ou du moins certaines de ses variantes) permet, lorsqu'elle porte sur un matériau riche et pénétrant, de satisfaire harmonieusement aux exigences de la rigueur méthodologique et de la profondeur inventive qui ne sont pas toujours facilement conciliables. (5)"

La compréhension et l'interprétation des discours nécessitent une analyse rigoureuse, menée avec minutie. Nous avons commencé par repérer les différents thèmes abordés par les aides à domicile au cours du premier entretien et par effectuer une classification en catégories d'analyse et en sous catégories. La difficulté principale a été la construction de ces catégories. Rappelons brièvement qu'elles doivent être :
- exhaustives : tout le discours, sauf le hors sujet, doit y entrer
- exclusives : les différentes parties du discours doivent entrer dans une et non pas dans deux catégories
- objectives : deux personnes classant le même corpus doivent avoir des catégories identiques
- pertinentes : elles doivent être en rapport avec la recherche
- et posséder un cadre de référence : les éléments doivent être liés entre eux et l'ensemble doit présenter une cohérence.

Le classement en catégories exhaustives offre l'avantage de mettre en exergue les différents points du discours mais il a pour inconvénient de le faire éclater. Cette démarche est cependant indispensable afin de décrypter son contenu. S'il existe du ''hors sujet'', il est important de repérer s'il est possible de lui donner un sens. Ainsi, lorsqu'Aline évoque son expérience professionnelle en maison de retraite, son témoignage est intéressant à titre de comparaison avec son travail actuel.

En pratique, nous avons parfois hésité à mettre telle ou telle partie d'un discours dans une catégorie et pas dans une autre. Au final, le choix se faisait en fonction de la problématique. Par exemple, quand Blandine dit que les personnes âgées deviennent plus exigeantes, son propos fait référence à une représentation du caractère des vieux, issue de situations professionnelles vécues. Cependant ces situations ne sont pas expressément mentionnées et Blandine ne fait pas part de ses propres réactions face ces exigences. Nous avons donc rangé sa phrase dans la catégorie du vieillissement psychique et non dans celle du rôle professionnel.

Après avoir classé l'ensemble du corpus de la première série d'entretiens, puis celui de la deuxième série selon les mêmes catégories, nous avons analysé ces différentes catégories les unes après les autres en comparant les discours des premières et des deuxièmes interviews. Nous nous sommes efforcée de conserver un fil conducteur (les hypothèses de la recherche) et d'établir des liens entre les différentes catégories.

En nous référant au concept de représentation sociale, nous avons repéré les différents registres des discours : celui de l'information, celui de l'opinion et celui des attitudes et des comportements. Il n'a pas été trop difficile de distinguer le champ d'information (personnelle, culturelle et sociale) sur la vieillesse de celui des opinions, attitudes et comportements. Il a été parfois moins évident de différencier opinions et attitudes.

Nous nous sommes reportée aux définitions du Petit Robert qui précise qu'une attitude est " une disposition, un état d'esprit (à l'égard de quelque chose ou de quelqu'un) ; un ensemble de jugements et de tendances qui pousse à un comportement ". Le mot comportement renvoie à se comporter, c'est-à-dire se conduire, agir d'une certaine manière. Quand à l'opinion, c'est une façon de penser, de juger, une " attitude de l'esprit qui tient pour vraie une assertion ". Dans le mot attitude, on perçoit donc une intention de se conduire, mais on se rend compte aussi combien l'attitude et l'opinion sont liées. Ceci explique les difficultés que nous avons pu rencontrer.

L'usage du style indirect sous forme d'injonction il faut ou il ne faut pas nous a particulièrement posé problème : s'agissait-il d'une opinion ou d'une attitude ?
Aline : " … on peut pas trop s'investir. Par exemple, en dehors de notre travail, moi je dis que faut pas trop… Faut pas… les inviter quelque part ou aller avec eux quelque part. " La phrase " on peut pas trop s'investir " nous semble bien être l'expression d'une opinion générale, encore que le on soit assez ambigu (il fait aussi référence à sa propre attitude). Par contre, les phrases suivantes précisent plutôt une attitude personnelle.

A l'intérieur de chaque catégorie, nous avons repéré les aspects prescriptifs et les aspects descriptifs des discours et nous avons tenté de mettre en évidence les liens entre les opinions et les attitudes, les mots clés, les points de ressemblance et les points de divergence entre les six entretiens. Nous avons aussi été attentive aux aspects formels du corpus : le vocabulaire utilisé, le passage du je au on (ou vice versa), les répétitions significatives de mots, d'adjectifs ou de verbes.

III) CARACTERISTIQUES ET PORTRAITS DES PERSONNES INTERROGEES






Age


Etudes et diplômes


Expérience professionnelle


Public aidé


Modules préparés


Avant d’être aide à domicile Comme aide à domicile

Aline

33 ans
3ème
auxiliaire de vie

Caissière 6 ans ½, aux. de vie en maison de retraite 2 ans 1/2


2 ans 1/2

Pers. malades
Malades
Familles


1  ; 2  ; 3  ; 4  ;
5  ; 6  ; 7


Blandine

36 ans
3ème
certificat d’études

Aide médico-psychologique,
aux. de vie


4 ans


Pers. âgées


1  ; 2  ; 3  ;
5  ; 6  ; 7


Clémentine

34 ans
BEPC, BEP sanitaire et social, BAFA

Monitrice éduc. (hand. Moteurs)
2 ans


9 ans ½

Pers. âgées
Femmes enceintes


1  ; 2  ; 5
6  ; 7


Delphine

52 ans
Primaire
CAP de banque

Employée de banque, gérante de magasin 3 mois


2 ans


Pers. âgées
Handicapés


1  ; 5  ; 6  ; 7


Evelyne

29 ans
5ème, CAP comptabilité
+ bureau

Caissière


2 ans

Pers. âgées
Handicapés
Familles


1  ; 3  ; 4  ; 5  ;
6  ; 7


Francine

42 ans

BEPC

Opératrice de saisie
15 ans


3 ans ½


Pers. âgées


1  ; 3  ; 4  ; 5  ;
6  ; 7

Modules 
n°1  alimentation - repas  ; n°2  logement habillement  ; n°3  hygiène santé  ; n°4  famille enfants  ; n°5  personne handicapée et malade  ; n°6  personne âgée  ; n°7  rôle professionnel.


1) Le profil général

Agées de 33 à 52 ans, ce sont toutes des femmes, salariées de trois associations de Melun, l'A.S.S.A.D R.M. (Association de Soins et Services à Domicile de la Région Melunaise), la F.A.S.S.A.D (Fédération des Associations de Soins A Domicile) et A.S.S.A.D.77 (ASsociation et Soutien A Domicile 77) et d'un service municipal, l'A.M.S.S.D (Association Municipale de Soins et Services à Domicile).

Elles travaillent à domicile depuis plusieurs années (entre deux ans et neuf ans et demi). Auparavant, elles ont eu une expérience professionnelle dans le secteur de l'aide aux personnes pour trois d'entre elles, ou dans un domaine différent pour les trois autres. Aline a connu les deux types d'expériences (elle a été caissière puis auxiliaire de vie dans une maison de retraite).

Leur niveau scolaire initial est relativement homogène, allant du certificat d'études pour Francine la plus âgée, au B.E.P. sanitaire et social pour Clémentine.

Elles exercent toutes principalement auprès de personnes âgées, mais il leur arrive d'intervenir aussi chez des personnes handicapées, malades ou dans des familles (par exemple en cas de grossesse de la mère). Le public aidé dépend de l'orientation des services employeurs.

Aline, Blandine, Clémentine, Delphine, Evelyne et Francine sont inscrites à la plupart des modules de la formation (entre quatre et sept). Pour chacune d'entre elles, nous allons donner, de manière synthétique, notre impression d'ensemble.

2) ALINE (un entretien)

Les aspects positifs et négatifs du vieillissement :
Agée de 33 ans, Aline paraît de nature réservée. Elle n'a pas l'habitude de s'exprimer et a besoin d'être mise en confiance. Elle a travaillé en maison de retraite et pour elle, l'aide à domicile " c'est le paradis par rapport aux maisons de retraite. " Ceci ne l'empêche pas d'avoir conscience de la nécessité de poser des limites dans la relation professionnelle qu'elle établit avec les personnes âgées.

De par son contact avec les vieilles personnes, Aline entrevoit les aspects négatifs de la vieillesse, comme la solitude, mais elle en dégage aussi les aspects positifs : les souvenirs qui se sont accumulés ou le partage de l'expérience par exemple.

3) BLANDINE (un entretien)

Un vision très négative de la vieillesse tirée de son expérience professionnelle :
Blandine a 36 ans. Depuis 4 ans, elle est aide à domicile auprès de personnes âgées. Son discours met l'accent sur les pertes et les dégradations subies au cours du vieillissement, en particulier sur le plan physique et esthétique.
Par voie de conséquence, elle refuse d'envisager sa propre vieillesse : " Moi personnellement je me dis : qu'est-ce que je ferai si j'arrive à cet âge-là, qu'est-ce que je ferai ? Comment je serai ? "

4) CLEMENTINE (deux entretiens)

Un discours livresque et marqué par l'identité professionnelle :
Vive et enjouée, Clémentine est une jeune femme de 34 ans. Titulaire d'un BEP Sanitaire et Social, c'est la plus diplômée des six personnes interrogées. C'est aussi la plus ancienne dans le domaine de l'aide à domicile.

Les actes professionnels qu'elle pose sont réfléchis et elle possède une grande conscience de ses responsabilités. La formation CAFAD l'a confortée dans l'exercice de son rôle tout en lui permettant d'approfondir sa réflexion : " C'est un enrichissement personnel et puis un autre regard sur les personnes, et puis une remise en compte de soi-même, une remise en question je dirais par rapport à l'aide apportée. "

5) DELPHINE (deux entretiens)

La vieillesse est d'abord dans la tête :
Delphine, 52 ans, ne travaille que depuis 2 ans comme aide à domicile, mais elle a déjà beaucoup réfléchi à propos de la vieillesse et de la mort.
Bien qu'elle exprime une opinion très négative sur la vieillesse dont elle est témoin chez sa mère et chez ses clientes, elle ne la redoute pas pour elle-même car elle est persuadée qu'on peut s'y préparer : " Je pense que c'est une réflexion qui arrive, c'est une réflexion. Je vous dis, ça part de la vie, c'est de la vie active qu'on peut préparer sa vieillesse dans sa tête. Ca je le crois très fort. "

6) EVELYNE (deux entretiens)

La plus protectrice à l'égard des personnes chez qui elle intervient :
Douce et sensible, Evelyne est la plus jeune des personnes rencontrées (29 ans). Elle semble avoir une attitude très maternelle vis à vis des personnes âgées qu'elle entoure de sollicitude. Est-ce parce qu'elle rêve pour elle-même d'une " vieillesse rose ", entourée de ses petits-enfants ou en raison de son histoire personnelle qu'elle est si attentive à ses ''petits grands-pères'' ou à ses ''petites grands-mères'' ?

7) FRANCINE (un entretien)

Vieillir, c'est transmettre :
La famille pour Francine, 42 ans, est importante et les personne âgées y ont leur place. D'elles on apprend beaucoup sur les origines, le passé et la vie. Les grands-parents transmettent un " patrimoine psychologique " à leurs descendants et Francine dit conserver ses souvenirs pour " la continuité de la lignée ".





Marie-Odile MARTIN SANCHEZ

BIBLIOGRAPHIE

1 Jean-Claude ABRIC, op. cité, p. 62.

2 Michel-Louis ROUQUETTE et Patrick RATEAU, op. cité, p. 38.

3 IFRAD : Institut Régional de Formation et de Recherche en Aide à Domicile.

4 Jean-Claude KAUFMANN, Le cœur à l'ouvrage, Théorie de l'action ménagère, Paris, Pocket, 2000.

5 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT, Manuel de recherche en sciences sociales, Paris, Dunod, 1995, p. 230.


Avant propos et Introduction Regards sur la vieillesse, ses politiques et ses acteurs

Le vieillissement, la vieillesse et les vieux
Les politiques de la vieillesse
Dans les méandres de l'aide à domicile
Une formation encore trop rare
Concept de représentation sociale
Hypothèse de travail Etude d'un groupe d'aides à domicile préparant le C.A.F.A.D. modulaire -
Eléments théoriques, démarche méthodologique, caractéristiques et portraits des personnes interrogées
Représentations de la vieillesse chez les aides à domiciles - Les appellations - Le vieillissement physique - Le vieillissement psychique - Les aspects sociaux du vieillissementx-
La mort - Les figures personnelles de la vieillesse chez les aides à domicile - Leur propre vieillesse - Le rôle professionnel des aides à domicile
La confrontations des résultats aux hypothèses Conclusion