Notre intérêt pour le concept de représentation sociale remonte à la préparation du DUSHA de gérontologie et au cours de Jacqueline Trincaz sur ce thème. L'éclairage de cette notion nous a permis de concevoir les conduites humaines sous un autre angle et de mieux les comprendre.
A la fois riches et complexes, les représentations sociales sont constituées d'un ensemble d'informations, d'opinions, d'attitudes et de comportements. Elles ont des fonctions cognitives, communicationnelles et pratiques.
Toute représentation met en jeu un sujet et un objet social et s'appuie sur des valeurs. Largement diffusées par certaines catégories d'individus - journalistes, enseignants, scientifiques ou politiques - les représentations sociales dominantes influencent les représentations individuelles.
Par le biais de ce mémoire de recherche, nous avons souhaité approfondir notre connaissance de la théorie des représentations sociales. En nous appuyant sur ce concept, nous avons voulu explorer un peu plus le champ de la gérontologie en nous intéressant aux représentations de la vieillesse chez les aides à domicile.
S'agissant d'un travail de recherche effectué dans le cadre d'une maîtrise de Sciences de l'Education, nous avons choisi d'orienter nos investigations vers le domaine de la formation professionnelle des aides à domicile, en l'occurrence le CAFAD (Certificat d'Aptitude aux Fonctions d'Aide à Domicile).
INTRODUCTION
"
La vieillesse a toujours engendré des réactions tranchées et opposées. Quel que soit le discours dominant d'une époque, il repose sur deux thèmes antinomiques, mais sans doute complémentaires - sagesse et folie, joies et tristesse, beauté et laideur, vertus et corruption de l'âge et des personnes âgées - qui expriment deux aspirations, la tentation d'une vie longue et le refus des faiblesses de l'âge. " (1)
L'histoire de l'humanité est marquée par des représentations de la vieillesse qui oscillent, selon les périodes, entre l'exaltation des vertus morales des vieux et la répulsion devant l'action du temps sur leurs corps, entre la figure du vieux sage et celle du vieux fou repoussant.
Au sein d'une même société, il n'est pas rare que des représentations contradictoires coexistent. Ainsi dans la Grèce antique, Sparte est dirigée par un pouvoir gérontocratique fort, alors que les comédies raillent les vieillards et que le culte de la jeunesse est prépondérant.
La peinture, la littérature, le pouvoir politique ou économique accordé aux vieux ou encore les définitions des dictionnaires reflètent les représentations de la vieillesse. Une distinction est généralement faite entre les sexes. La vieille femme est rejetée pour ses caractéristiques physiques tandis que les défauts moraux du vieil homme sont sévèrement critiqués. En 1680, le dictionnaire Richelet décrit ainsi les vieux : "
On appelle vieillard un homme depuis quarante jusqu'à soixante-dix ans. Les vieillards sont d'ordinaire soupçonneux, jaloux, avares, chagrins, causeurs, se plaignent toujours, les vieillards ne sont pas capables d'amitié. " "
On appelle une femme vieille depuis quarante jusqu'à soixante-dix ans. Les vieilles sont fort dégoûtantes. Vieille décrépite, vieille ratatinée, vieille roupieuse. (2)"
Bien que le désir de longévité soit inscrit dans les mythes d'origine de la plupart des civilisations, la vieillesse a paradoxalement toujours suscité des sentiments contradictoires dans les sociétés occidentales. Globalement, c'est une vision négative qui domine à travers les siècles et le vieux n'est toléré qu'à condition de se conformer au modèle qui lui est imparti.
En outre, la vieillesse est une construction sociale qui s'est peu à peu imposée comme catégorie spécifique avec l'évolution du contexte historique, démographique, économique et social de chaque époque. Selon l'historien J-P Bois,
" l'homme médiéval est défini par son aptitude à pourvoir à sa propre subsistance dans le cadre de la communauté dans laquelle il évolue. Ni jeune, ni vieux, l'homme est jugé utile ou inutile. " (3)
Au début du XVIe siècle, apparaît un nouveau type social, le stropiat, qui se distingue du mendiant ou de l'errant. C'est un pauvre soldat handicapé ou âgé qui ne peut plus combattre.
Au cours du XVIIe siècle, le pouvoir royal s'engage dans une politique de prise en charge de ses anciens soldats qui deviennent alors des invalides placés à l'Hôtel Royal des Invalides. Au XVIIe puis au XVIIIe siècle s'ouvrent de nombreux hôpitaux généraux qui accueillent non seulement les malades mais aussi les vieillards démunis qui viennent y finir leur vie. Les premières pensions d'invalides militaires sont créées dans le courant du XVIIIe siècle. Malgré tout, la définition de la vieillesse reste floue, seuls les vieux dépendants sont pris en considération, les autres se fondent dans la catégorie de l'âge adulte.
C'est au XVIIIe siècle qu'apparaît véritablement la notion de vieillesse, en lien avec l'évolution démographique. En effet, la mortalité diminue tandis que l'espérance de vie augmente. Au siècle des Lumières, les philosophes exaltent la vieillesse-sagesse, garante de l'ordre et de la vertu. Les vieux doivent être respectés car ils ont une utilité sociale. De plus, la nécessité d'une solidarité entre les générations est affirmée notamment par Mirabeau. Après avoir été choyé par son père, le fils a le devoir de s'en occuper à son tour alors que ses forces diminuent.
Les premières retraites sont instituées signifiant le "
passage de la charité à la prévoyance ".(4) L'âge de 60 ans est retenu comme seuil d'entrée dans la vieillesse. Il s'impose, écrit Bourdelais, comme une évidence et comme une norme.
Au XIXe siècle, le romantisme magnifie la jeunesse. Cependant, Victor Hugo fait l'apologie de l'art d'être grand-père. Marquée par l'industrialisation et l'exode rural, la société s'individualise. Abandonnée ou entourée, la condition des vieux est alors multiforme. Les grands romans sociaux dénoncent avec Zola ou Gogol la misère issue de la révolution économique.
Les études statistiques de population se développent au XIXe puis au XXe siècle. En 1928, Alfred Sauvy dresse un constat alarmiste de l'état de la population française et emploie l'expression ''vieillissement de la population''. Une image négative de la vieillesse s'impose : elle est devenue un danger pour la nation. Parallèlement, les progrès techniques s'accélèrent ; expérience personnelle et savoir-faire sont rapidement dépassés. La course à la productivité nécessite toujours plus de vitesse et de performance. Les travailleurs doivent être capables de s'adapter à l'évolution du monde du travail.
Dans ce contexte, les personnes vieillissantes sont considérées comme insuffisamment productives. La généralisation de l'assurance vieillesse dans le cadre des accords de 1945 sur la Sécurité Sociale peut s'interpréter de différentes manières : "
Si la retraite peut être analysée comme la reconnaissance d'un droit au repos rétribué résultant des luttes syndicales et des volontés humanistes de certains entrepreneurs, elle est également conçue dans une logique de gestion de la main d'œuvre salariée. " (5)
Avec la crise économique de la seconde moitié du XXe siècle, cette tendance s'accentue. L'extension des systèmes de préretraite a pour objectif de lutter contre le chômage mais ne favorise pas forcément l'intégration des jeunes générations dans des emplois stables. Par contre, elle a pour effet de renforcer le sentiment de '
'mort sociale'', expression utilisée par Anne-Marie Guillemard, des plus de 50 ans contraints à une inactivité prématurée. L'âge d'entrée dans la vieillesse devient de plus en plus relatif puisque, sur le plan professionnel, on est considéré de plus en plus jeune (40-45 ans) comme étant âgé.
En même temps se propage le modèle de la
''retraite-loisirs'' qui correspond à une aspiration sociale, celle de profiter des meilleures années de la retraite pendant que l'état de santé est encore satisfaisant. Largement diffusé par les médias et les publicitaires, ce modèle suppose des revenus confortables ce qui est loin d'être le cas d'une bonne partie de la population âgée.
A partir des années 60 se succèdent rapports et mesures sociales en faveur des personnes âgées. Les politiques de la vieillesse reflètent la place accordée aux vieux dans la société. Les données démographiques et économiques de la fin du siècle ont pour conséquence de remettre en question le système des retraites par répartition. Plus que jamais l'allongement de la durée de la vie est considéré comme un phénomène social majeur qui s'accompagne de l'augmentation prévisible du nombre de personnes dépendantes. Corrélativement à la représentation positive d'une vieillesse active libérée des contraintes du travail et souhaitée par une majorité de citoyens qui revendiquent le maintien du droit à la retraite à 60 ans, perdure une vision négative du grand âge, porteur de maux multiples et vecteur d'exclusion sociale. Cette vieillesse-là n'est envisagée que sous l'angle médical et économique. Elle coûte cher à la collectivité et fait peur.
Un des grands axes des politiques de la vieillesse est le maintien à domicile. Il répond à la fois aux vœux des personnes âgées - finir sa vie chez soi - et à des motifs économiques : le financement des dispositifs d'aide à domicile est censé coûter moins cher à la collectivité que le développement des structures d'hébergement. Par ailleurs, le secteur de l'aide à domicile est porteur d'emplois.
Dans la réalité, le maintien à domicile est une notion complexe. L'aide à domicile représente une charge importante pour le budget des personnes âgées et des familles, bien que moindre que le placement en institution. De plus, l'aide ne peut se limiter au portage des repas, aux courses et au ménage. Les vieux s'ennuient et souffrent psychologiquement dans la solitude de leur logement. Les dépressions ne sont pas rares et le suicide existe. Il y a 10 fois plus de suicides chez les plus de 65 ans que chez les 15-25 ans ; 4,4 fois plus de suicides chez les vieillards de 85 ans et plus et 3 fois plus de suicides chez les personnes âgées de 75 à 84 ans que chez les jeunes de 25 à 34 ans. (6)
L'espérance de vie sans incapacité physique lourde augmente mais les pathologies mentales se développent notamment la maladie d'Alzheimer qui débute en moyenne vers 60-65 ans. Inévitablement la vieillesse s'accompagne de pertes et de deuils qui nécessitent, sans doute encore plus qu'à d'autres périodes de la vie, des ressources d'adaptabilité chez la personne âgée. Cependant réduire le vieillissement à ces pertes conduit à stigmatiser toute une partie de la population et à assimiler l'avancée en âge au déclin et à la chute.
La diffusion massive de l'équation vieillesse = dépendance (sous entendu dans le grand âge), à l'exclusion de toute autre image, ne peut manquer d'influencer la représentation que les professionnels de l'aide à domicile ont de la vieillesse. Vidée de sens, la grande vieillesse n'est plus qu'un objet de soins et d'études.
Peu formées, mal payées et mal reconnues, les aides ménagères, parmi lesquelles certaines revendiquent maintenant l'appellation d'aide à domicile, sont des acteurs incontournables de la politique de maintien à domicile. Celles que nous avons rencontrées se sont engagées dans une démarche de formation qui a débouché sur l'obtention d'un CAFAD. Outre des apports théoriques basés sur la vie quotidienne des personnes aidées, la formation au CAFAD comprend des unités de formation qui permettent d'approfondir la connaissance des différentes catégories de population (groupe familial, personnes âgées et personnes handicapées) et de réfléchir à la pratique professionnelle.
Nous nous sommes demandé quelle pouvait être l'influence de cette formation sur les représentations de la vieillesse chez les aides à domicile et nous avons conduit notre recherche à partir de cette question de départ :
''En quoi la formation professionnelle des aides à domicile, dans le cadre du CAFAD, transforme-t-elle leurs représentations de la vieillesse ?''
Dans une première partie, nous nous intéresserons au concept de vieillesse, à l'évolution des politiques sociales et à la notion d'aide à domicile. Nous apporterons également des données d'information sur la formation professionnelle des aides à domicile, en particulier sur le CAFAD.
Le concept de représentation sociale sera l'objet du deuxième grand point de cette problématique. Nous conclurons ensuite la problématique en posant deux hypothèses de recherche.
La démarche de recherche et ses résultats sont présentés dans la seconde partie du mémoire. Après avoir exposé quelques éléments théoriques sur le recueil et l'analyse des représentations sociales, nous décrirons les différentes étapes de la recherche, puis nous analyserons avec précision le corpus des entretiens. Nous mettrons ensuite en relation les hypothèses de départ et l'analyse de contenu.
Enfin, dans la conclusion, nous nous efforcerons de poser un regard critique sur ce travail de recherche.
- Première partie : Regards sur la vieillesse, ses politiques et ses acteurs
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Bibliographie :
(1) Jean-Pierre
BOIS, Histoire de la vieillesse, Que sais-je ? Paris, PUF, 1994, p. 4.
(2) Cité par Jacqueline
TRINCAZ dans Les fondements imaginaires de la vieillesse, in Revue de l'homme, n°174, 1998.
(3) Jean-Pierre
BOIS, Du pauvre stropiat à la personne âgée dépendante, in Dossier Réadaptation, La vie des personnes âgées devenues dépendantes, n° 40, décembre 1996.
(4) Patrice
BOURDELAIS, L'âge de la vieillesse, Paris, Odile Jacob, 1993, p. 47.
(5) Monique
LEGRAND, Vieillesse et vieillissement : évolution des représentations ?, in 30 ans de politiques vieillesse, Gérontologie et société, n° 81, 1997, p. 164.
(6) Union Nationale des Offices de Personnes Agées, 100 idées reçues sur la vieillesse, 1ère édition, p. 121.