II) LES POLITIQUES DE LA VIEILLESSE
1) Les rapports successifs et les plans quinquennaux
Depuis près de quarante ans, la vieillesse est devenue une préoccupation majeure des pouvoirs publics qui s'est traduite par la publication de nombreux rapports et par la définition d'un certain nombre de principes inscrits dans les VIe et VIIe plans, dont nous dresserons un rapide panorama.
Plusieurs facteurs ont influé sur l'évolution des politiques en direction des personnes âgées : le vieillissement de la population et l'augmentation des personnes dites du ''4ème âge'', la fin de l'Etat providence s'accompagnant de la recherche de la maîtrise des dépenses sociales, enfin la crise de l'emploi et le développement de mesures de lutte contre le chômage et l'exclusion.
A travers les différents rapports, se profile la question de la place des vieux dans notre société ; par ailleurs, un glissement s'opère peu à peu du souci de prendre en compte la personne âgée vers une notion de prise en charge des vieux dépendants avec toutes les conséquences que cela implique en terme d'objectivation de la vieillesse et de coût de la dépendance.
Nous reprendrons largement l'analyse de Bernadette Puijalon et de Jacqueline Trincaz (40) dans notre présentation de ces rapports et de ces plans.
· Les rapports successifs
- 1962 - Le rapport Laroque, Politique de la vieillesse, pose les bases de la politique en faveur des personnes âgées pour les vingt ans à venir. Il délivre un message en direction des vieux : " Restez jeunes ! ". A partir d'une vision négative de la vieillesse et du constat de l'augmentation des personnes âgées dans la société française, les rapporteurs préconisent de combattre le vieillissement par le maintien de l'activité. En ces années d'expansion économique, les vieux ont encore droit à l'emploi.
- 1979 - Le rapport de Maurice Arreks, L'amélioration de la qualité de vie des personnes âgées dépendantes, introduit le terme de dépendance.
- 1981- Le rapport dirigé par Robert Lion dans le cadre du VIIe plan, Vieillir demain, porte un autre regard sur la vieillesse. Les vieux ont le droit d'être différents des jeunes, mais une injonction leur est faite : " Devenez sages ! ". Du fait d'un changement de gouvernement, ce rapport restera lettre morte.
- 1988 - Le
rapport Théo Braun, Les personnes âgées dépendantes, marque un tournant dans les politiques de la vieillesse : la question de l'intégration des personnes âgées dans la société n'est plus à l'ordre du jour. Le problème de la dépendance prédomine et est examiné sous l'angle des financements.
- 1991 - Les rapports Schopflin, Dépendance des personnes âgées, et Boulard, Dépendance et solidarité, s'inscrivent dans une même perspective gestionnaire. Remettant en cause l'Allocation Compensatrice pour l'Aide d'une Tierce Personne (ACTP)(41) , dont le bénéfice était étendu aux personnes âgées, les rapport Braun, Schopflin et Boulard recommandent l'un après l'autre la création d'une nouvelle allocation pour les personnes âgées dépendantes. Nous y reviendrons ultérieurement.
· Les plans quinquennaux
- Le VIe Plan (1971-1975) organise un Programme finalisé pour le maintien à domicile des personnes âgées qui repose sur trois types d'action : les services d'aide ménagère et de soins à domicile, les équipements légers de quartier (clubs et foyers-restaurants) et les centres de jour. Par ailleurs, il développe l'idée de la coordination, clef de voûte de l'organisation du secteur.
- Le Programme d'Action Prioritaire (PAP) n°15 du VIIe Plan (1976-1980) est consacré aux mesures destinées à favoriser le maintien des personnes âgées dans leur cadre de vie habituel. Le document présentant le PAP 15 précise, dans son introduction, qu'il n'est pas un simple prolongement du VIe Plan, mais qu'il vise à préserver et à développer l'autonomie des personnes âgées et leur participation à la vie sociale.
2) Les deux aspects de la prise en charge : les soins et l'aide à la personne - principales mesures législatives
Nous nous intéresserons uniquement aux mesures favorisant le maintien à domicile, en délaissant tout ce qui concerne les établissements pour personnes âgées. La prise en charge des personnes âgées au domicile se répartit en deux pôles principaux, le pôle médical et curatif et le pôle de l'aide à la personne qui prend en compte son environnement et devrait avoir une dimension préventive afin, en particulier, d'éviter l'hospitalisation et le placement.
Nous distinguerons les mesures relatives aux soins, celles touchant à la prise en charge des frais d'aide à domicile et les mesures incitatrices à l'embauche de particuliers.
· Les mesures concernant les soins
- Le 19 octobre 1974, une circulaire de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM) s'inscrit dans la loi hospitalière du 31 décembre 1970, article 4, qui instaure l'hospitalisation à domicile (HAD).
- Le décret du 22 avril 1977 complète le décret du 9 mars 1956, relatif aux conditions d'agrément des Centres de Soins Infirmiers.
- La loi du 4 janvier 1978 introduit le ''maintien à domicile'' au nombre des institutions sociales et médico-sociales et prévoit le financement des dépenses de soins paramédicaux par les organismes de sécurité sociale.
- Le décret du 8 mai 1981 et la circulaire du 1er octobre 1981 fixent le cadre des Services de Soins à Domicile pour les personnes âgées.
- La circulaire du 26 août 1986 précise ce que sont les soins d'accompagnement ou soins palliatifs.
· Les mesures relatives au financement de l'aide à domicile
- L'article 158 du Code de la Famille et de l'Aide Sociale et le décret du 15 novembre 1954 prévoient l'attribution d'une prestation d'aide sociale, à la charge de l'Etat, attribuée sous condition de ressources aux personnes âgées qui nécessitent un soutien pour rester à leur domicile.
- Le décret du 27 juillet 1977 supprime le mécanisme de l'obligation alimentaire, puis la circulaire du 20 mai 1980 abroge l'inscription d'hypothèque sur les biens de la personne âgée, facilitant ainsi l'accès à la prestation.
- Sous l'effet des lois de décentralisation, la compétence en matière d'aide ménagère revient ensuite aux Conseils généraux. Les personnes ne relevant pas de l'aide sociale, peuvent bénéficier d'une participation de leur principale caisse de retraite. Diverses mesures d'amélioration du logement sont également mises en place par l'Etat, les Conseils généraux et les caisses de retraite.
- La loi du 24 janvier 1997 instituant la Prestation Spécifique Dépendance (PSD), voit enfin le jour après plusieurs années de débats. Compte tenu de son importance, nous en présentons les grands principes dans le troisième point de notre exposé sur les politiques sociales.
· Les mesures en faveur de la création d'emplois familiaux
- 1987 : exonération des cotisations URSSAF pour les personnes âgées de plus de 70 ans.
- 1991 : la loi de finances rectificative du 30 décembre instaure une réduction fiscale ''emplois familiaux''.
- 1993 : à partir du 1er juillet, les associations de services aux personnes agréées, organismes habilités ou conventionnés, peuvent bénéficier de l'exonération de certaines cotisations patronales à hauteur de 30%.
- La loi quinquennale du 29 janvier 1993 crée le ''chèque emploi service'' à titre expérimental.
- La loi du 29 janvier 1996 pérennise le ''chèque emploi service'' et développe, par diverses mesures, le secteur marchand des services aux particuliers. Pour N. Babin et R. Vercauteren (42) , il devient évident que les aides aux personnes âgées sont des aides à l'emploi.
3) La Prestation Spécifique Dépendance
· L'historique de la loi du 24 janvier 1997
Initialement créée pour les personnes handicapées, l'ACTP a été attribuée, sous conditions de ressources aux personnes âgées reconnues dépendantes par les COTOREP (43) , jusqu'à l'instauration de la PSD. Considérant que l'ACTP était détournée de son objectif premier et, dans un souci de maîtrise du coût de la dépendance, les pouvoirs publics ont réfléchi à la mise en place d'une allocation réservée aux personnes âgées dépendantes.
En l'espace de quelques années, plusieurs modalités de cette prestation ont été envisagées : allocation soumise ou pas à des conditions de ressources, mise en jeu ou non de l'obligation alimentaire, éventuelle récupération sur la succession. Les questions de l'évaluation de l'état de dépendance, du financement et de la gestion de la prestation, ont été largement débattues, avant d'aboutir à la création de la PSD, " dans l'attente du vote de la loi instituant une prestation autonomie pour les personnes âgées dépendantes.(44) "
· Les grandes lignes de la loi
La PSD peut être versée aux personnes âgées, de plus de 60 ans, nécessitant une aide pour l'accomplissement des actes essentiels de la vie quotidienne qui vivent à leur domicile ou en établissement.
C'est une prestation d'aide sociale gérée par les Conseils généraux. Pour les étrangers, une condition de résidence de 15 ans en France est exigée. Il n'y a pas d'obligation alimentaire, mais le principe de la récupération sur la succession des sommes versées, est appliqué. Cette dernière disposition amène parfois des personnes âgées (ou leurs enfants) à renoncer à la PSD pour conserver, dans la famille, un pavillon ou un appartement qui représentent le plus souvent leur seul bien immobilier.
La PSD est attribuée après évaluation de la dépendance par une équipe médico-sociale à l'aide d'un outil, la grille AGGIR (Autonomie Gérontologique Groupe Iso-Ressources). Cette grille a été imaginée par des gériatres qui se sont inspirés de la Classification Internationale des Handicaps (CIH), issue du modèle élaboré par Philippe Wood.(45) Si cette nomenclature des déficiences, incapacités et désavantages a permis aux professionnels d'avoir un langage commun, elle a aussi eu pour effet d'aider au développement d'outils d'évaluation des soins et donc de maîtrise des dépenses, qui ont été étendus à l'ensemble du système de santé français.
La dépendance ne pouvait échapper à cette conception gestionnaire, d'où la mise en place de la grille AGGIR qui permet de classer les personnes âgées en six groupes iso-ressources (GIR). Si les personnes sont ''girées'' (expression couramment employée) IV, V ou VI, leurs caisses de retraite continueront à prendre en charge l'intervention de l'aide à domicile ; mais si elles sont en GIR III, II ou I, obligation leur est faite de solliciter la PSD.
A ce stade intervient alors la question du plafond de ressources fixé par décret pour ouvrir droit à la PSD. Si la personne dépasse ce plafond, la PSD sera dégressive. (46) Dans ce cas, la PSD accordée est parfois inférieure au montant de la participation des caisses de retraite fixé alors que la personne était encore en GIR IV. Il arrive donc que certaines personnes qui ont ''basculé'' dans le système PSD du fait d'un passage de GIR IV à GIR III, sont contraintes de réduire le nombre d'heures de l'aide à domicile ou d'augmenter leur propre participation.
· Les perspectives de réforme de la PSD :
Prévue initialement pour 700 000 personnes âgées considérées comme très dépendantes, la PSD est loin d'avoir atteint ses objectifs. Selon une étude des services statistiques du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, 97 000 personnes bénéficiaient de cette prestation au 31 mars 1999 dont 48% vivant en établissement.
Les Conseils généraux sont toutefois satisfaits des résultats obtenus, alors qu'un Comité de vigilance de la PSD, émanant du Comité National des Retraités et Personnes Agées et des organisations représentatives de l'aide à domicile et de l'accueil en établissement, dénonce dans un livre noir (juin 1998) les inégalités d'attribution de la PSD d'un département à l'autre et les effets pervers de la loi, en particulier le recours aux emplois dits de gré à gré ou au mandataire (47) qui fragilise les personnel de l'aide à domicile.
Après le livre noir, c'est autour d'un livre blanc pour une prestation autonomie que se sont rassemblés les tenants d'une réforme en profondeur de la PSD. Cependant, lors de la clôture de l'année internationale des personnes âgées (30 novembre 1999), la ministre Martine Aubry confirmait son opposition à la création d'un " cinquième risque " géré dans le cadre de la protection sociale : la PSD restera une prestation d'aide sociale et la possibilité de son extension à tous les niveaux de dépendance sera examinée. S'inspirant du rapport de la députée Paulette Guinchard-Kunstler (48) , Martine Aubry revenait par ailleurs sur la nécessaire coordination de l'action gérontologique, régulièrement évoquée depuis le VIe Plan mais jamais mise en œuvre à quelques rares exceptions près.
La remplaçante de M. Aubry, E. Guigou a repris le dossier et les perspectives d'une réforme de la PSD se précisent.
4) Le maintien à domicile
Nous considérons que la notion d'aide à domicile implique l'intervention d'un tiers et nous exclurons par conséquent les emplois de gré à gré dans lesquels la personne âgée est l'employeur direct.
· Les différents services d'aide à domicile
- Les services prestataires : ce sont les traditionnels services d'aide ménagère, appellation souvent encore utilisée. Ils sont gérés par les collectivités territoriales, principalement les mairies, ou par des associations privées. Ces services sont habilités par l'aide sociale et par les caisses de retraite. Pour intervenir auprès de publics dits fragilisés (dont font partie les personnes âgées de plus de 70 ans et les personnes dépendantes), ils doivent obtenir un agrément qualité délivré par le préfet du département.
Les aides à domicile sont salariées de ces services et bénéficient d'un meilleur statut qu'en service mandataire ou intermédiaire. (49)
- Les services mandataires : soumis également à l'agrément qualité, ces services ne sont pas les employeurs des aides ménagères, mais ils servent d'intermédiaire entre la personne âgée (employeur) et sa salariée. Généralement les services mandataires se chargent d'un certain nombre de formalités administratives telles que l'établissement des bulletins de salaire et les déclarations à l'URSSAF.
- Les associations intermédiaires : elles ont pour vocation prioritaire de développer l'emploi des personnes en difficultés d'insertion. Pour assurer des services à domicile, elles doivent solliciter l'agrément qualité. Elles effectuent le prêt de main-d'œuvre et sont donc employeurs des personnes qu'elles mettent à disposition des personnes âgées.
· Les autres services de proximité :
Ils se sont multipliés depuis le VIe Plan et le PAP 15 sous l'initiative des centres communaux d'action sociale et des associations. Il s'agit des foyers-restaurants, des services de portage à domicile, des réseaux collectifs de téléalarme et des services de petits travaux et de dépannage.
· Le financement de l'intervention d'une aide à domicile :
En fonction des ressources et selon le degré de dépendance évalué avec la grille AGGIR, les heures d'aide ménagère sont prises en charge, pour partie, par les conseils généraux ou par les caisses de retraite, la principale étant la CNAVTS.(50) Cependant, hormis les personnes à très faible revenu, il ne faut pas oublier que le coût de la dépendance est assumé, pour une part non négligeable, par les bénéficiaires eux-mêmes.
En 1992, près de 81 millions d'heures d'aide ménagère étaient réalisées dont 41 % financées par la CNAVTS, 19 % par les départements et 10 % par la MSA (51), le reste étant pris en charge par des caisses de retraite moins importantes (52).
Par ailleurs, en 1994, les dépenses d'aide ménagères étaient estimées à environ 5 milliards de francs et concernaient plus de 500 000 personnes âgées (53) . En 1998, le nombre de bénéficiaires était évalué à 600 000 personnes âgées pour environ 80 millions d'heures (54) : malgré une augmentation conséquente du nombre de personnes aidées, le nombre d'heures financées reste stable, voire inférieur par rapport à 1992.
Ces quelques chiffres montrent bien l'enjeu à la fois en terme de coût financier et en terme d'emploi, que représente, pour la collectivité, le problème de la dépendance des personnes âgées. Mais si on s'intéresse à cette question non plus seulement sous l'angle de l'économie et du traitement du chômage, mais en prenant en compte les vieux et celles qui les aident à rester chez eux, on comprend alors l'importance de valoriser le secteur de l'aide à domicile par le biais de la formation professionnelle.
Dans le chapitre suivant, après avoir défini le concept de l'aide à domicile et présenté ses différents acteurs, nous aborderons plus spécifiquement la profession d'aide à domicile, encore couramment appelée aide ménagère.
Marie-Odile MARTIN SANCHEZ
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