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Réflexions autour des activités psychosociothérapiques

Première partie : Argumentaire

Seconde Partie : Généralités

Troisième partie : Suite de l'enquête

Quatrième partie : analyses et commentaires

Cinquième partie : L'hôpital de jour, un modèle de référence
- Sixième partie : Conclusion

" Au grand supermarché du soin, tout est thérapeutique : les séjours, les repas, les entretiens, le baby-foot, le tarot, les chambres d'isolement, les bandes de contention, le chien du concierge, les paires de claque et les coups de pied au cul. Et même mon raton laveur ! "
Ainsi débutait l’argumentaire de la première journée serpsy du 17 mars.
" C'est thérapeutique ; vous dis-je ! "
Si M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nous que faisons-nous ?
La définition de thérapeutique est : ce qui est relatif au traitement, propre à guérir. Une thérapeutique c'est un traitement. Mais qu'est-ce qu'un traitement ? Devons-nous prendre modèle sur la médecine, devons-nous proposer des activités curatives, thérapeutiques ? Ne s'agit-il pas de prendre soin, d'accompagner celui qui souffre quelles que soient les origines et les formes de sa souffrance ?
Nous brandissons avec fierté l'étendard du sacro-saint "thérapeutique " en foulant du pied le vilain chiffon de " l'occupationnel ". Et pourquoi donc ne parlons nous pas d'"occupationnel thérapeutique " ? Peut-on soigner sans être forcément thérapeutique ? L'aspect thérapeutique de nos métiers est noyé dans les multiples énergies soignantes (complémentaires) du secteur et se retrouve donc au second plan de nos préoccupations. C'est là un des nombreux paradoxes de notre métiers : soigner sans être thérapeutiques!

Traiter, est-ce "soigner"? Qu'est-ce que "soigner ? Sommes nous donc si démunis ou impuissants à soigner, que nous affublons tous nos actes de l'adjectif "thérapeutique" ? Un soin est-il thérapeutique en soi ou le devient-il ? Par qui ou par quoi ? Quels éléments nous permettent de le qualifier de thérapeutique ? Comment évaluons-nous ces actes ? Quelle théorie sous-tend cette évaluation ?

Si le soin est un "art", que produit-il ? Existe-t-il une esthétique du "soin" ?
S'il est une " science ", quels en sont les présupposés ? Quelles en sont les procédures de validation ? Qu'est-ce qui dans le soin fait science ? Qu'est-ce qui nous permet d'énoncer sa reproductibilité ?

Quelle est la part de la subjectivité du soignant ? Quel est son rôle dans le soin ? Qu'est-ce qui se construit de sens dans le soin ? Le soignant est-il seul porteur de ce sens ? Quelle est la part du patient dans cette construction/reconstruction ? "

Si les propos et les arguments échangés lors de cette journée furent de qualité, il nous semble qu’il est possible d’aller plus loin et autrement. C’est à cette tâche

que nous allons nous livrer dans un feuilleton théorico-pratique au cours et à propos duquel nous invitons les lecteurs à réagir.

Introduction

L’étude de la fonction infirmière à l’hôpital Esquirol effectuée par la Commission du Service de Soins Infirmiers avait pour objectif de définir la fonction infirmière à l’hôpital Esquirol, d’identifier ses spécificités par rapport à la diversité des structures de soins, en dégageant le rôle propre et le rôle sur prescription médicale (à partir du décret de compétences du 15 Mars 1993).

La méthode utilisée, interactive, a mobilisé 32 unités de soins sur 56. Pour chaque type de structure a été rédigé un texte définissant la fonction infirmière à partir des actes infirmiers et des commentaires et remarques des équipes infirmières. Cette rédaction s’est avérée nécessaire car, précisent les auteurs de ce travail, les observations des U.F. ont fait apparaître qu’un listing seul des actes infirmiers ne pouvait définir la fonction infirmière. Ce listing n’a de sens que s’il vient à l’appui d’un commentaire qui met en évidence le soin et son contexte.

Le soin n’a de sens que s’il est placé dans un contexte. De même qu’il est impossible de ne pas communiquer, il n’existe pas de soin qui ne soit inscrit dans un espace relationnel.

Rôle propre et rôle délégué, le désert clinique

Ce travail impliquait de repérer très précisément rôle propre et rôle délégué. Or si le soin n’a de sens que dans un contexte spécifique, le décret de compétences du 15 mars n’en tient aucun compte et définit rôle propre et rôle délégué par un listing d’actes, ce qui peut passer pour légitime en soins généraux (il est permis d’en douter) mais ne l’est en aucun cas en psychiatrie.

Le partage entre rôle propre et rôle sur prescription médicale paraît très simple, écrivent les auteurs de l’étude. D’un côté, tout ce qui n’est pas prescrit fait partie du rôle propre (il suffit alors de se référer à l’article 3 du décret pour repérer les actes accomplis dans le cadre du rôle propre). De l’autre, au contraire, tout ce qui est prescrit fait partie du rôle délégué (et il suffit alors de se reporter aux articles 4, 5 et 6 du décret). Cela suppose bien évidemment que médecin et infirmier connaissent cette distinction. La pratique montre qu’il s’en faut de beaucoup pour que chacun repère les contours de sa fonction. Cela suppose également que cette distinction soit systématiquement repérable.

A qui doit-on ce découpage ? A quelle image des soins et des soignants se réfère-t-il ? Sur quels arguments théoriques ou politiques s’étaie-t-il ?

Tout ce qui serait " thérapeutique " serait prescrit, et tout ce qui serait de la surveillance ou du nursing serait d’initiative infirmière.
Et la relation dans tout ça ?

Un infirmier qui dispense un traitement médicamenteux agit sur prescription médicale (rôle délégué). Mais, cet infirmier ne se contente pas de distribuer simplement le traitement, il donne toujours de l’information (même s’il ne dit rien, dans ce cas il signifie au patient que le médicament ne le concerne pas, que l’action pharmacologique suffit à soigner, etc.). Lors de cette distribution, il s’agit aussi de parler avec le patient de sa maladie, d’en évoquer les symptômes, d’expliquer les effets thérapeutiques de telle gélule, les inconvénients, les peurs qu’elle suscite. La nature de la relation établie avec le patient préexiste à cette distribution.

Certains soignants seront vécus comme contenants, rassurants, inquiétants, angoissants. L’acte sera différent selon qu’il est effectué par l’infirmier référent auquel le patient voudra faire le récit de sa journée de permission, par une infirmière lambda ou par un infirmier avec lequel le patient a un " transfert " négatif. Cette relation, que le soignant établit avec le patient, n’est pas prescrite (absente des articles 4, 5 et 6) mais pourrait prendre place dans la notion vague de soutien psychologique (article 3)

Tout soin, poursuivent les auteurs, au même titre que la distribution des médicaments, relève à la fois des deux rôles. On pourrait considérer qu’il y a là deux actes : un acte technique corporel et un acte relationnel ; un acte technique sur prescription médicale et un acte relationnel inscrit dans le rôle propre.
Et le travail de groupe ?

Nous retrouverions cette même association de rôles dans le travail de groupe, qui implique à la fois la prescription et la maîtrise de l’activité proposée (acte technique) et une part relationnelle essentielle laissée, elle, à l’imagination créatrice de l’infirmier, à l’investissement du patient et à la capacité du duo soignant/soigné de travailler ensemble cette relation, sans oublier la capacité qu’à l’infirmier de réguler un groupe, c’est-à-dire de lui permettre d’atteindre ses objectifs tout en gérant ses mouvements affectifs.

C’est bien là qu’est le problème.

L’organisation et l’animation d’activités à visée sociothérapique relèvent du rôle propre infirmier et ne demandent donc aucune prescription médicale. L’infirmier est totalement responsable de ce type d’activités, sur le plan technique comme sur le plan relationnel.

L’infirmier est par ailleurs habilité sur prescription médicale à mener un entretien individuel à visée psychothérapique et à participer, au sein d’une équipe pluridisciplinaire aux techniques de médiation à visée psychothérapique.

Dans ce second cas de figure, ce qui est prescrit ne porte pas sur l’aspect technique mais sur l’aspect relationnel.

Repérer rôle propre et rôle délégué suppose dans ce cas de figure de différencier à tout coup psychothérapie et sociothérapie. Ainsi que le notent les auteurs, à propos des hôpitaux de jour, le partage entre les deux rôles est moins simple qu’il n’y paraît. Il n’est pas forcément évident de différencier sociothérapie et psychothérapie.

Psychothérapie ou sociothérapie : l’insuffisance des définitions

Selon Jacques Postel (1) on entend par psychothérapie : " Toute utilisation de moyens psychologiques pour traiter une maladie mentale, une inadaptation ou un trouble psychosomatique. Cette définition très large quant aux techniques susceptibles d’être utilisées . correspond à la très grande diversité des pratiques psychothérapiques et de leurs théorisations. " Toutes les formes de psychothérapie peuvent cependant être ramenées selon F. Guattari à une " gestion savante, et si possible, améliorée de la relation interhumaine ". Elles vont donc " impliquer trois termes essentiels :

le patient porteur de symptômes ou inadapté;

l’opérateur thérapeutique à la fois dépositaire de connaissances et d’un savoir-faire spécialisé;

un moyen privilégié de communication. " (1)

Le guide infirmier n°11 précise que n’étant pas de simples relations interpersonnelles, les psychothérapies nécessitent un apprentissage. Comme toute technique, elles devront aussi être contrôlées dans leur méthodologie et leur application. Il s’agit d’interventions calculées pour lesquelles une formation particulière est indispensable. Parmi les caractéristiques communes des 400 méthodes recensées, les rédacteurs du guide citent l’unité de lieu, de temps et d’action. (2)

A la lecture de ces définitions, il est difficile de repérer en quoi la psychothérapie est un mode de soin spécifique.

D’autant plus que les activités à visée sociothérapique définies comme basées sur la vie quotidienne recouvrent deux registres :
- l’un axé en priorité sur l’aspect de socialisation.

- l’autre axé sur la thérapeutique.

Il est précisé que ces activités peuvent permettre l’émergence des conflits psychologiques. (2)

La plupart de ces activités respectant la règle des trois unités, il est de plus en plus difficile de se repérer.

Parmi les activités psychosociothérapiques, on cite la relaxation (il existe des modes de relaxation d’inspiration analytique), la musicothérapie (considérée comme une psychothérapie par de nombreux auteurs), la terre et le modelage (utilisée comme support psychothérapique par G. Pankow), la peinture (utilisée par les arts-thérapeutes), les jeux de rôles (où finit le jeu de rôle, où commence le psychodrame?).

Que ces activités soient déterminées en fonction d’objectifs qui relèvent de la sphère motrice, cognitive ou socio-affective n’aide pas vraiment à les différencier des psychothérapies. Qui imaginerait animer des séances de relaxation ou de musicothérapie sans avoir eu une formation spécifique ?

Ainsi que le notent les rédacteurs de l’enquête à propos de l’entretien infirmier, tant que l’activité est à visée sociothérapique, nous sommes dans le rôle propre infirmier. Mais se peut-il qu’un soin en reste toujours là ? Que cette relation devienne d’apparence fusionnelle, que le patient transfère massivement sur le soignant (transfert positif ou négatif), aussitôt c’est le branle bas de combat dans l’institution. L’infirmier ne sait pas poser de limites, il se laisse déborder, etc.

Ce n’est pas l’activité quelle qu’elle soit qui déclenche le transfert. Le transfert est un phénomène universel, omniprésent dans les relations, que ce soient des relations professionnelles, hiérarchiques, amoureuses, etc. qui survient constamment, chez chacun : sur une enseignante, un collègue de travail, un contremaître, une boulangère, etc. et donc aussi sur l’infirmier dans le cadre de la relation soignant/soigné. Il n’est possible de parler de psychothérapie qu’à partir du moment où ce transfert est travaillé, analysé aussi bien chez le patient que chez le soignant. Autrement dit, si quelque chose doit être prescrit ce n’est pas l’activité en tant que telle mais une certaine densité relationnelle (équivalente à la notion de transfert) et son analyse (y compris en mettant en place une supervision). En définissant la psychothérapie de cette façon nous limitons considérablement la notion de psychothérapie. Ce faisant nous sommes de toute façon plus cohérent que les rédacteurs du décret de compétence.

Dans le mystère des cabinets ministériels

Pourquoi chercher à dépasser le texte du décret ? Il serait après tout concevable de mettre en évidence ses impasses et de s’en satisfaire. Cette ambiguïté peut constituer un espace de liberté pour l’infirmier, lui permettre de mener les actions qu’il souhaite quand il le souhaite en rendant un minimum de comptes.

Nous pensons que cette liberté serait illusoire, que la meilleure façon de faire reconnaître la qualité de son travail, sa spécificité c’est de rendre des comptes, que nous ne sommes libres qu’à l’intérieur de limites claires. Nous pensons que derrière l’ambiguïté mise en évidence se cache une volonté de ne pas prendre en compte l’aspect relationnel de tout soin et les enjeux psychoaffectifs de toute prise en charge.

Nous ne saurions non plus nous satisfaire du décret du 15 mars, celui-ci ne stipule-t-il pas que l’infirmier identifie les besoins du patient, pose un diagnostic infirmier, formule des objectifs de soins, met en œuvre les actions appropriées et les évalue ? Or, vingt-deux ans après la publication des Critères de soins infirmiers de l’ANA (Association des Infirmières Américaines) les facteurs d’étiologie (ou facteurs favorisants) et les caractéristiques de la plupart des diagnostics infirmiers utilisés en psychiatrie n’ont toujours pas été validés.

Il est même permis de se demander à partir de quels éléments réels, de quels procédés de validation, ces diagnostics infirmiers se sont retrouvés caractériser une certaine compétence infirmière. Qui est responsable ? Qui a publié les travaux de validation ? Et où ? Comment pourrions-nous sérieusement poser des diagnostics infirmiers aujourd’hui, alors que rien n’a été publié concernant les dossiers cliniques à partir desquels ceux-ci ont été élaborés ?

Alors que certains diagnostics infirmiers semblent émaner directement de l’église de scientologie, qui est chargé au ministère d’évaluer la pertinence clinique des écrits de la NANDA, de l’AFFEDI ? Quels professionnels français, quels cliniciens irréprochables, incontestables portent ces diagnostics ?

Que l’application aveugle de ces diagnostics (perturbation du champ énergétique, par exemple) mènent des patients au suicide, que des familles portent plainte, qui sera considéré comme responsable ? L’infirmière qui n’a fait qu’appliquer des textes dont nul n’a vérifié la pertinence ? Les infirmiers généraux qui n’ont pas su alerter les infirmières des aberrations contenues dans certains diagnostics ? Les personnes qui étaient au ministère chargées de vérifier, d’examiner leur pertinence ?

Les textes publiés par les " chercheurs " infirmiers français sont disponibles, ils peuvent être commentés, critiqués, dépassés. Ils ne sont pas réservés à un Olympe improbable, déposés dans des coffres-forts. A la différences des écrits relatifs aux diagnostics infirmiers.

S’il nous appartient de faire connaître et d’étudier les textes et les écrits les plus récents, il nous appartient également de les critiquer, de les dépasser, de telle sorte que les textes de demain naissent des réflexions et des travaux d’aujourd’hui.

Chercheurs, nous ne nous satisfaisons pas de l’existant mais nous situons un tout petit peu au delà, un tout petit peu en deçà de la réalité, nous pensons que cet écart est dynamique, qu’il nous permet d’évoluer collectivement.

A partir du travail accompli par les soignants du CH de Rouffach

Nous en étions là de nos réflexions, lorsque la lecture d’un article de la revue " Recherche en soins infirmiers " de Juin 1996 (3), nous a fourni l’occasion de rebondir sur cette question.

Cet article exposait les résultats d'une étude effectuée par le groupe de recherche en soins infirmiers du Centre Hospitalier de Rouffach. Le groupe a élaboré un questionnaire composé de 22 questions à choix multiples. Adressé aux infirmiers, il devait mettre en évidence l'existence des activités, leur organisation, et leur pérennité. Il s'agissait également de repérer la manière dont les activités sont perçues et les difficultés rencontrées lors de leur réalisation. L'enquête a été adressée à 102 établissements psychiatriques français et d’Outre-mer.

Douze questionnaires avaient été prévus par établissement avec les règles suivantes : 3 questionnaires en Unité d'Admission, 3 questionnaires en unité de patients chroniques, 3 questionnaires en unité de géronto-psychiatrie, 3 questionnaires à répartir en fonction de leur existence dans les unités d'hôpital de Jour, d'équipe extra-hospitalière et d'équipe spécifique d'activités. 1174 infirmiers et cadres-infirmiers ont répondu à ce questionnaire dont 254 réponses obtenues à Rouffach.

Co-référents des activités de réinsertion et de resocialisation au sein du 14ème secteur de Paris, la question de la place des activités, de leur utilisation dans le soin fait évidemment partie de nos préoccupations. Nous avons donc saisi l’occasion de faire le point sur les activités psychosociothérapiques au sein du quatorzième secteur. Nous avions bien évidemment également le souhait de faire avancer la réflexion sur le rôle propre et sur la place des activités psychosociothérapiques au sein de ce rôle propre.

Nous avons donc envoyé, en Août 1996, 70 exemplaires de ce questionnaire (légèrement remanié) aux infirmiers et cadres-infirmiers des différentes unités de notre secteur. Le taux de retour élevé (70 %) montre combien cette question des activités leur semble importante.

(A Suivre !)

Dominique Friard.

BIBLIOGRAPHIE 1-POSTEL (J), Grand Dictionnaire de la psychologie, Larousse, Paris 1991, p.631-632. 2- L'évolution des orientations en santé mentale et la fonction infirmière, Guide du Service Infirmier, n°11, B.O. n°91.11 bis, p.47-48. 3- GUETH (B), SIRY (B), TROUCHE (J), Les activités psycho-sociothérapeutiques en psychiatrie, in Recherche en Soins Infirmiers, n°45, Juin 1996, pp.8-54.


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