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La psychiatrie : Quelle histoire !!!

Folie, maladies mentales, animation des lieux de soins.
Le débat concernant folie/maladies mentales dans leurs rapports avec le corps social nous mettait en difficulté, car nous avions peu de recul et encore moins d'arguments de réflexion. Nous étions conscients que toute définition sérieuse des maladies mentales risquait d'être ennuyeuse, longue, trop technique, et nous ne pouvions pas soutenir l'échange.

Synthèse de nos discussions:
- Une définition des maladies mentales ou de " la folie " (remarquez que nous passons du pluriel au singulier et vice versa), comme là ou les conséquences d'un dysfonctionnement localisable dans le cerveau. Dans ce cas l'étiologie serait organique et les symptômes observés seraient secondaires au fonctionnement inadéquat de l'organe en cause. Hypothèse univoque, organiciste, biologique, neuronale, neuroscientifique, qui éloigne ou écarte toute investigation de la subjectivité et de l'intersubjectivité.

- Une définition des maladies mentales ou de " la folie ", comme étant le reflet ou la résonance d'un fonctionnement pathogène du milieu (thèse des anti-psychiatries), l'étiologie des maladies mentales serait socio-genétique, et les traitements consisteraient à modifier le contexte ou le milieu pour améliorer ou guérir les patients, ce qui peut avoir une certaine valeur mais ne peut pas être appliquée à l'ensemble des patients.

- La troisième définition est avancée par la psychanalyse qui cherche à expliquer les causes des maladies mentales par un déséquilibre du fonctionnement de l'appareil psychique et propose des traitements essentiellement psychiques, les psychothérapies d'origine analytique ayant un rapport avec l'œuvre de Freud, surtout la théorie de l'inconscient.

Nous n'avions pas connaissance des travaux et hypothèses cognitivistes.

Notre position était de rechercher les convergences entre ces trois définitions (sont elles définitions d'ailleurs ?), je veux dire, émanent-elles d'un ensemble de professionnels qui se sont auparavant mis " d'accord " sur : qu'est-ce une maladie mentale? Que sont les maladies mentales reconnues comme telles aujourd'hui ? Nous disions que les professionnels de la psychiatrie (que j'écrivais avec un accent circonflexe sur le a), existaient davantage que la psychiatrie elle-même, puisque nous éprouvions les plus grandes difficultés à trouver un accord sur les causes et des traitements crédibles des maladies mentales et du coup, la psychiatrie ne pouvait être considérée comme une discipline à part entière. Les professionnels de la psychiatrie sont des personnes réelles à qui d'autres personnes demandent de manière plus ou moins explicite, des soins. Rappelons toutefois que les psychotiques commencent par ne pas se reconnaître comme des personnes malades, donc pas besoin de soins ! On est d'abord soignés par la volonté des autres en psychiatrie. C'est la question du déni des troubles qui est mise en avant dans le cadre de la rencontre avec les malades mentaux. En ce sens, les professionnels existent davantage que " la psychiatrie ", dans la mesure où nous rencontrons de grandes difficultés à définir notre objet : " Que sont les maladies mentales ? Qui soigne t-on et comment ?" parce que dans le même temps, au fur et mesure que nous essayons de répondre au mieux à ce qui nous est demandé à la fois par la société et les patients, les pathologies évoluent, elles sont particulièrement instables dans leurs modalités d'expression, leur synthèse nous échappe, ne nous permet pas de les fixer ou de les stabiliser, et notre culture médico-sociale exige plus de certitudes, surtout lorsqu'il s'agit de répondre aux questions de la souffrance psychique et aux troubles du comportement.

Sur le mot folie.

Retenons qu'il est un mot différent de maladies mentales, moins technique et plus courant. Le mot " fou " est employé dans des proportions diverses par tout le monde, pour désigner des attitudes sociales " Conduire comme un fou… " " Raconter une histoire de fou… " " Etre fou du roi… de la reine…ou du chocolat Lanvin… " " Ne me regarde pas comme ça, je ne suis pas fou…je sais ce que je dis… " " Il ri comme un fou… " etc. Fou est un terme beaucoup plus ancien que maladies mentales. Il a tantôt désigné une outre gonflée vers l'an 1000, puis un mécanisme déréglé à la fin du 16ème siècle, " Une montre folle… " " Un jardin envahi par des herbes folles… " " Une balance folle… " " De l'avoine folle… ", et prend une valeur superlative au début du 17ème " Etre amoureux fou… ", " Il y avait un monde fou… ", " Avoir un succès fou… ", " Prendre un temps fou… ", et puis chaque dictionnaire de bonne qualité nous apprend que le mot " fou " désigne à partir du latin fagus, également un arbre, le hêtre dont la consistance très dure permet entre autre, de confectionner des jouets pour les enfants.
Un collègue infirmier avait remarqué que le terme " fou " était situé dans le dictionnaire entre fossoyeur et fouace qui vient de focacia, signifiant foyer, et en langage populaire, un biscuit très dur. Il avait donné l'interprétation suivante : en situant le mot fou entre fossoyeur et fouace (denrée à prendre par la bouche), la folie occupe une place intermédiaire dans la langue entre l'oralité et la mort.

Je ne me souviens plus de son nom, je crois qu'il travaillait à Moisselles, c'était un type plus grand que la moyenne, barbu, avec une forte corpulence, qui participait activement à la rédaction des cahiers de l'A.E.R.L.I.P. Il a occupé la place de G. Daumezon lorsqu'une fois entrés dans la salle du congrès à Auxerre, l'électricité fut coupée et les médecins présents à la tribune décidèrent de partir dés la lecture du texte rédigé collectivement à St Bris le Vineux.
Il y a eu des photos, on le reconnaît facilement.

Majastre l'avait repris en se référant à R. Barthe pour qui la langue était fasciste, et qu'il n'y avait aucune raison de tirer des conclusions aussi générales par rapport au terme " fou " en fonction de sa situation dans la langue française, probablement valable pour tel dictionnaire, mais occupant une place très différente dans une autre langue.

Ceci pour illustrer un peu les débats que nous avions. Malgré toutes ces difficultés, nous progression pas à pas, lisant, discutant, écoutant, réfléchissant. Ce n'était pas facile mais on se serrait les coudes.

Cette discussion avait fait l'objet d'une synthèse avec M.Monroy, JP Catonné, Karavokyros et d'autres dont je faisais partie:

Le mot " fou " est un terme moins technique que maladies mentales, il a un sens beaucoup plus large, ce ne sont pas les mêmes qu'on appelle " fous " et de fait, le terme introduit une donnée plus relative que maladies mentales.

Lorsque le mot " fou " est utilisé, c'est en règle générale pour désigner quelqu'un qui a un comportement s'écartant de la norme jusqu'au point d'être désigné comme tel. Ainsi lorsqu'on utilise " fou " ou " folie " plutôt que celui de maladies mentales, on met l'accent sur des rapports sociaux plus que sur une demande de soins et une réponse thérapeutique. Il existe des malades mentaux qui ne démontrent pas de manière patente de troubles des " conduites sociales ".

Ceci est très important car dans nos pratiques, nous sommes aussi des membres et représentants de cette société et nous agissons en son nom, même si cela n'est pas toujours conscient. Nous sommes contraints d'agir à deux niveaux, celui des représentations sociales et des techniques thérapeutiques.
Compte tenu de la réalité sanitaire et sociale dans laquelle était la psychiatrie à la fin des années 60 et au début des années 70, y compris la formation des infirmiers qui n'étaient encore pas des ISP mais des infirmiers des hôpitaux psychiatriques, celle des psychiatres souvent isolés dans leurs responsabilités, du nombre de malades dans les hôpitaux, et des balbutiements des techniques de soins " modernes ", il était évident que nous nous confrontions à d'énormes difficultés tant du côté des soins que des représentations sociales.

Se former pour soigner.

Un autre paramètre viendra compliquer notre démarche avec l'arrivée massive de nouveaux élèves infirmiers, qui vont opter pour la carrière par le biais d'une formation rémunérée, percevant ainsi un " salaire " pendant toute la durée des études, masquant de fait pour beaucoup d'entre eux, leurs réelles motivations à soigner les malades.
Ceci nous a été suffisamment reproché pour ne pas en faire état, néanmoins la généralisation de cet argument ne peut pas être retenue, car nombre de collègues ont été et restent de nos jours, de très bons professionnels après avoir découvert l'intérêt thérapeutique de la réflexion et des pratiques tout en étant rémunérés.

Par ailleurs, ces études d'ISP payées, ont permis le recrutement de futurs professionnels ayant déjà un métier (menuisiers, soudeurs, imprimeurs, aides soignants etc) et d'artistes (peintres, écrivains, sculpteurs etc) qui ont su rapidement allier leur savoir faire ou leur art, aux nouvelles techniques thérapeutiques.

Il s'agit d'une révolution au sens où nous devions réaliser des efforts d'adaptation très intenses, mettant fréquemment un nombre important de professionnels en difficultés tant du côté des risques physiques que psychiques. Les stratégies d'adaptation vont être différentes, je les résume sans doute en schématisant:
- Celle qui consiste à investir personnellement la fonction thérapeutique du rôle infirmier en psychiatrie, en étayant le contenu des soins psychiques par le biais des séminaires cliniques et leurs conséquences sur les démarches thérapeutiques, prenant en compte l'analyse institutionnelle dans l'engagement personnel et professionnel.

- Celle qui consiste à orienter sa carrière vers une activité de moniteur ou d'enseignant dans les centres de formation, donc à s'éloigner des soins directs.

- Celle qui consiste à désinvestir l'engagement dans les soins en recherchant dans un ailleurs échappatoire, des sujets de discussion (la maison… vacances…repas de fêtes… bricolage…travail en double…), pour éviter le plus possible la confrontation aux difficultés. On reconnaît ceux qui ne disaient jamais rien, en réunion de soignants, avec les malades, seuls, en duo, rien, ils ne disent jamais rien, seulement des moues, grimaces, regards ou éclats de rires, parlent de tout autre chose, en résumé ils s'en foutent.

Mais combien de collègues doux, calmes, brillants, d'une dextérité relationnelle enviée par beaucoup de médecins et de psychologues, une façon de faire et de dire qui relève de l'art, s'autorisaient à tutoyer quelques patients schizophrènes : " Salut…comment tu vas ? ", le patient regardait de manière attentionnée en direction du collègue, le contact chaleureux était établi.
" Tu sais que nous avons atelier peinture…cette après midi…tu as pensé à ramené des objets… ? ". Le patient tournait les talons en murmurant " Je vais les chercher… ". Le collègue : " Je reste là…j'attends… ". Le patient revenait avec une chopine, une vieille lampe, et un journal : " Bon…on va bien voir c'qu'on va en va en tirer de tout ça ! J'aimerai bien peindre les lettres du journal…le titre… ". Mon collègue écoutait tout en regardant le titre du quotidien sans commenter, il allume sa pipe… " Pourquoi pas…y a un pinceau assez fin ? Faut aller chercher la clé…en route… on y va…" Trois patients, un infirmier, de la musique, des pinceaux, des couteaux à peindre, des portraits, des poèmes écrits aux murs :

Quartier Latin de Léo Ferré
Ce quartier
Qui résonne
Dans ma tête

Ce passé
Qui me sonne
Et me guette

Ce Boul'Mich'
Qu'a d'la ligne
En automne

Ces sandwichs
Qui s'alignent
Monotones

Quartier latin…Quartier latin…Quartier Latin

Chez Dupont
Ca traînait
La journée

C'était l'pont
Qui durait
Tout' l'année

L'examen
Ca tombait
Comme un'tête

Au matin
Sans chiqué
Ni trompettes

Quartier latin…

Cett' frangine
Qui vendait
Sa bohême
Et ce spleen
Qui traînait
Dans sa traîne

J'avais rien
Ni regrets
Ni principes
Les putains
Ca m'prenait
Comm' la grippe

Quartier latin…

Ce vieux prof
Qui parlait
A son aise

Très bien, sauf
Que c'était
Pour des chaises

Aujourd'hui
Un diplôme
Ca s'rupine

Aux amphis
Tu point's comme
A l'usine

Quartier latin…

Les années
Ca dépasse
Comme une ombre

Le passé
Ca repasse
Et tu sombres

Rue Soufflot
Les vitrines
Font la gueule

Sans un mot
J'me débine
J'ferm'ma gueule

Je r'trouv'plus rien
Tell'ment c'est loin

Quartier Latin… Quartier Latin… Quartier Latin…
"
Trois mille six cents fois par heure, la seconde
Chuchote : souviens-toi…je suis autrefois "
Ch. Baudelaire


Le patient en peignant : " t'es autrefois, toi… ? "
C'est-à-dire, qu'est-ce que tu veux me dire… ?
" Si t'es autrefois… ? "
Je suis comme les autres, j'ai un passé, une histoire…autrefois, ça veut dire il y a longtemps, et longtemps ça veut dire plus ancien que moi, ça concerne mes ancêtres….

Ah ! Ces ISP, les meilleurs sont des soixante-huitards, doux rêveurs, nostalgiques, sympas quand y sont propres mais…pas scientifiques ! Y z'on pas la raison.

A suivre, millénaire attardé !!

Chronique d'Auxerre 1 : Où l'histoire commence
Chronique d'Auxerre 2 : Café noir et ordinaire jaune
Chronique d'Auxerre 3 : Bédé Rouge et chu tanné d’moé
Chronique d'Auxerre 5 : A mes copains et amis de l'AERLIP

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