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La psychiatrie : Quelle histoire !!!

Bédé Rouge et chu tanné d’moé.

 

Nous préparions le premier rassemblement organisé par l’A.E.R.L.I.P. à Bédé.

Bédé, « le gratin de la psy » en Ile de France reconnaît Barthélémy Durand, un C.H.S. à Etampes dans l’Essonne, là où en 1952 G. Perec étudiait au collège Geoffroy-Saint-Hilaire (cf. Correspondance Georges Perec et Jacques Lederer, Ed. Flammarion).

Bédé était un nouvel hosto qui provoquait bien des réactions : « …anachronique d’ouvrir un si grand nombre de lits de psychiatrie à Etampes, alors que…la politique de secteur préconisait des réponses thérapeutiques de proximité et…d’une certaine manière un dépassement de l’hôpital psychiatrique… ». Il faudra revenir sans aucun doute sur ce que nous voulions signifier par « dépassement de l’hôpital psychiatrique », en aucun cas nous ne demandions la suppression de l’hospitalisation en psychiatrie, surtout pour les patients psychotiques. Il s’agissait, pour nous, de donner un autre contenu au cadre thérapeutique, mais nous en reparlerons.

 

Plusieurs agglomérations : Juvisy, Ste Geneviève des bois, Savigny sur orge, Corbeil… se trouvent à 30 ou 40 km de Bédé, ce qui ne facilite pas les rencontres…(certains médecins dénonçant haut et fort cette contradiction,  postulaient portant à Bédé !!).

B.D était un fief rouge, le P.C.F. y régnait, le terme est un peu faible parce que le contrôle d’un établissement quel qu’il soit, par un parti politique via le syndicat, faut voir c’que c’est ! La carte, l’ancienneté, les luttes, les tracts, l’entrée de l’hôpital, les panneaux, la grève, le directeur, ce « mal aimé » tant recherché pour s’le faire en réunion, les grosses rigolades autour d’un barbecue, le rouge, la bidoche, les sardines, documents sur le front populaire, Jean Ferrat, la résistance, le parti, « les murs résonnaient de paix en Indochine… ». Adolescent, j’ai vu « Paix en Algérie ! », je l’ai vu écrit, j’ai vu des gars peindre « Paix en Algérie » sur des wagons de chemin de fer, et même que ça dégoulinait.

« Paix en Indochine », j’étais trop jeune, je ne sortais pas le soir.

 

Y paraît qu’c’est partout pareil, je veux dire dans n’importe quel parti, c’est comme ça, le pouvoir, ça s’prend de n’importe quelle manière et ça s’exerce par tous les moyens possible imaginables et inimaginables. C’qui compte c’est la fin, c’est à dire qui faut l’exercer, et pour l’exercer il faut le conserver, y compris avec des stratégies les plus viles, peu importe la casse de la classe, ceux qui l’ont fait diront, c’est pas nous, pouvaient-on faire autrement ? Ou ne seront plus de ce monde.

 

H. Bieser, infirmier, a été l’un des principaux organisateurs du premier regroupement de l’A.E.R.L.I.P. à Bédé, préparant le terrain par de multiples contacts avec la direction.

Auparavant, nous nous étions réunis chez lui pour travailler sur un questionnaire dont les résultats et analyses doivent figurer dans le document que nous avons publié.

Lors du dépouillement, une réponse à la question : Conseillerez-vous à votre fils d’être infirmier en psychiatrie ? m’avait beaucoup amusée, car, si mes souvenirs sont exacts, la réponse était : Plutôt à un infirmier d’être mon fils !

 

H. Bieser m’avait fait visiter Bédé, je me souviens d’un hôpital « vide », je ne rencontrai presque pas de malades, mais des pavillons de plain pieds, pas un Asile, mais un p’tit camp, propret, ambiance scout, « new-psy », un je ne parle pas, je cause ! Des blouses, des bureaux, salles de réunions, matériel administratif. J’avais froid, pourtant c’était l’été, j’éprouvais un malaise, je ne me sentais pas en confiance. Le bouquet étant cette salle qui ressemblait à une salle d’op. pour je ne sais quelle intervention chirurgicale. Bieser disait ne pas comprendre non plus, sans doute en prévision d’éventuelles lobos.

La visite est terminée.

 

Lorsque nous sommes arrivés au matin du rassemblement, je devais me tenir à l’accueil, derrière une table recouverte de doc.diverse. Bieser m’avait dit que les gens étaient accueillis avec le matériel de l’hosto : café, couverts, petits pains etc, de l’hosto, comme ça, ça leur faisait voir ce que c’est qu’ l’hosto.

En effet, il y a avait des nappes de l’hosto, beurre et confiture hosto, et tous les etc de l’hosto.

Les gens arrivaient, un à un, par petits groupes. Inconnus, solitudes, attentes, croisements, je cochais sur la liste en fonction de leurs noms, prénoms, et l’hosto d’origine.

Beaucoup avaient dormi dans le train, je découvrais silencieusement des visages un peu fatigués, ils cherchaient à poser leur sac, première cigarette, café, debout, assis, quelques-uns regardaient au loin, à travers les fenêtres. J.P. Catonné allait et venait tranquillement comme d’habitude, prenait le temps d’échanger avec des gens,  avec la main gauche dans la poche arrière de son blue-jean, caressant sa barbe avec la droite.

C’était la première fois que j’entendais parler anglais si prés de moi, j’entendais des gens qui utilisaient des termes anglais dans leur discours. Une jeep, je savais ce que c’était, le jerk aussi, une danse qui permet d’avancer par saccade y paraît, mais j’apprenais aussi que cela pouvait signifier « stupide » « andouille » « conard » ou « abruti ».

Les interventions commencèrent. Je n’étais pas assez assidu puisque j’allais et venais de l’accueil à la salle, assit au plus près de la sortie pour rester disponible sans déranger les autres.

Nos positions étaient contestées surtout dans la forme, on nous reprochait d’utiliser un langage souvent inacceptable, indigne de soignants.

Quelqu’un s’était levé pour dire que les révolutions salutaires, celles qui tiennent, sont celles qui ont été préalablement préfigurées par des petits groupes.

Un autre : A quoi bon la quantité si la qualité n’y est pas ?

Et puis, nous étions également critiqués parce que nous dénoncions des situations qui allaient s’étioler d’elles-mêmes avec la mise en place du secteur. D’autres bondissaient pour dire que le secteur n’était qu’un maillage de flichiatres !

 

Nous voulions que les gens viennent simplement d’eux mêmes consulter les soignants, peu importe à l’hôpital, au C.M.P. ou H.D.J., que les visites à domicile n’avaient pas besoin de policiers, sans filet, les mains nues, le dos au mur…nous demandions une formation adéquate pour tous les soignants qui veulent travailler en psychiatrie, et comme la psychiatrie touche à l’essence de la liberté, nous options pour un fonctionnement démocratique des groupes. La référence à Kurt Lewin était explicite, mais le psychodrame tel que le concevait Moreno, Lébovici, Diatkine était également important. Nous voulions une psychiatrie plus douce et plus ouverte, la communauté thérapeutique pouvait être un projet réel à condition que l’esprit sectaire ne noyaute pas le fonctionnement. Comment faire ? D’abord soigner sur le terrain d’origine en tenant compte des différentes interactions, rechercher et proposer une assistance spécifique aux patients en terme de moyens financiers et utiliser de manière privilégiée des petits groupes de vie, favorisant les relations informelles et les activités, ce que les établissements ne peuvent pas penser et bien moins mettre en place.

Chimère, chimère…l’image du Don Quichotte libérateur des « fous » est une représentation combattue par L. Bonnafé qui n’était pas au regroupement ce jour là, du moins pas à ma connaissance, mais quelqu’un avait repris sa position.

Je ne savais pas que le programme de 73, celui qui allait donner la première génération des I.S.P. était sur le point d’entrer en application si cela n’était déjà fait.

Quelqu’un d’autre faisait remarquer qu’il était ennuyeux de traiter des principes de la psychiatrie de secteur de manière conventionnelle et qu’il fallait chercher les aspects paradoxaux de cette mise en place pour trouver des espaces de parole, donc de soins, permettant de personnaliser les réponses.

La présence de l’équipe où quelle soit, devait être désaliénante et dépsychiatrisante. Nous voulions nous désaliéner, il fallait se démarquer des murs, des barreaux, de la hiérarchie verticale, des horaires, bref, de la standardisation des réponses ou des réflexes archaïques. L’architecture des lieux de soins, la manière de les habiter c'est-à-dire d’organiser et d’animer la vie sociale à l’intérieur et à l’extérieur de l’hôpital, participait à la désaliénation des malades dans la mesure où les équipes se désaliénaient elles-mêmes. En schématisant un peu, nous devions nous approprier le dispositif de soins et ne pas laisser le processus décisionnel à une minorité politico-médico-sociale-administrative. On se foutait pas mal de ce que pouvait dire Bonnafé.

En début d’après midi, quelqu’un a quitté la salle pour faire quelques pas dehors. Il portait un veston de velours et, de sa poche, dépassait le titre d’un bouquin dont nous avons tous entendus parlé : Sur la route de J. Kérouac. Spontanément nous avons sympathisé, je ne me souviens plus de son nom, il était psychologue au CHS de St Egrève. Je lui posai des questions au sujet de Sur la route, il m’a répondu qu’il avait du mal à le finir, et que ça le barbais un peu.

Après avoir lu ce livre et d’autres ouvrages de J. Kérouac, je partage son avis, j’ai eu des difficultés à finir Sur la route, je pense que ce bouquin n’a rien de la Beat Génération. Visions de Gérard m’a beaucoup ému par contre. Par la suite, j’ai pu écouter l’enregistrement sur cassette d’un entretien sur Radio Canada de J. Kérouac. La première fois, je n’ai quasiment rein compris, cela me semblait inaudible en partie à cause de son accent, je saisissais malgré tout quelques bribes : Je suis né à Lowell, well, well, well, canadien, bien, bien, bien…Mon père est né dans le Témiscouata…il était imprimeur…la rue Beaulieu, la rue Boisvert (rien à voir avec le club Cécile j’espère !!). Lorsqu’il voulait ajouter quelque chose, il disait toujours « pis »… pis le club, pis dans la neige, pis les chiens, pis y a des machines et des Pontiacs à c’t’heure…Je riais, tout en ayant conscience que je ne comprenais pas grand-chose. Même lorsque je croyais comprendre, je doutais. Par exemple, un journaliste lui pose la question : Vous aviez des frères et sœurs ? Kérouac répond : J’avais une sœur, Caroline, pis un frère, Gérard. Sont tous les deux morts ! Le public s’est mis à rire. Kérouac pose la question : Qu’est-ce qu’ils ont à rire, c’est lui qui demande des questions ?

J’avoue ne pas avoir compris les rires de l’assistance, cela me paraît discordant, irrespectueux et violent.

J’ai essayé de prendre des notes à partir de l’enregistrement, c’est intransmissible à mon niveau. J’ai bien noté : pis à c’t’heure, pis ça a donné un musique, pis à c’t’heure ils s’appellent new génération, action génération, love génération, LSD génération, …Il disait que beatnik est un mot péjoratif, inventé après spoutnik, pour avoir l’air idéaliste comme ceux de l’Amérique qui ont de l’indépendance…nik…vietnik…beatnik…peacenik… chu tanné…chu tanné d’moé même…chu pas un homme de courage, la seule chose que j’sais faire, c’est d’écrire de histoires. C’est toute.

La plupart des textes de J Kérouac sont, à mon avis, des textes erratiques, ce sont des écrits vagabonds qui relatent l’intensité émotionnelle vécue dans la rencontre instantanée. Ils n’ont pas grand-chose de la « Beat Génération » si ce n’est le côté anti-élitiste et contre doctrinaire. C’est François Ricard qui utilise le néologisme de « vécriture » pour désigner le texte de vie représentant l’existence de J.Kérouac (cf. La littérature contre elle-même, Ed. Boréal Express, Montréal, 1985 p. 93-98). Lorsque j’utilise le terme vagabond pour qualifier d’une certaine manière, les écrits de J. Kérouac, j’écarte d’emblée l’implicite péjoratif. C’est l’image de la mobilité transmise par ses textes qui m’oriente vers ce mot. Il y a probablement,  comme cela a été dit à maintes reprises à son sujet, une quête métaphysique dans ses déplacements par ailleurs rarement solitaires. Il n’est ni un flâneur, ni promeneur, plus un quêteur de Paradis, sacré Sal Paradise. Par moment, il s’ensauvage, 5 dollars en poche c’est pour acheter de l’alcool ou d’autres choses qui donne le feu. Ce n’est pas en termes du mal à le finir  que je parlerai de ses textes vagabonds. J’ai le sentiment que quelque chose le pousse à partir sans qu’il parvienne réellement à s’en éloigner.

Errer = to wander en anglais et to wonder = s’émerveiller en français. A suivre ses écrits vagabonds, je suis tenter de faire un rapprochement. Comment peuvent s’articuler ces deux termes chez J. Kérouac ? Ce sera sans doute l’occasion d’y revenir un peu plus tard. Restons en psychiatrie, si toutefois nous nous en étions éloignés.

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