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D'UNE EVACUATION... L'AUTRE.
QUELQUES RECURENCES DE L'HISTOIRE.


Le 21 septembre 2001, le CH G.MARCHANT fut dévasté par une catastrophe industrielle sans équivalent national. Amputé de sa capacité hospitalière, le dispositif public de soins en Psychiatrie ne peut plus rendre, à la population du département, les services qu'elle est en droit d'attendre. Le retour progressif à l'activité initiale s'effectue dans des conditions précaires, souvent inadaptées. Les prestations offertes restent insuffisantes en terme de qualité des soins. Les patients évacués ont réintégré le site, mais ne peuvent à ce jour bénéficier de l'ensemble des activités thérapeutiques et sociales qui leur étaient proposées avant l'explosion de l'usine AZF.
Un sinistre sanitaire unique, à résolution lente, et qui tarde à être qualifié à la mesure du préjudice subi.

A la veille de son 150 ème anniversaire, notre établissement écrit une nouvelle page de son histoire.
Une histoire souvent ignorée, mal traitée, peu transmise. Refoulée par des mécanismes qui nous sont familiers. Evacuée elle aussi ...
Une histoire qui trouve quelques résonances dans notre actualité.

"L' avenir a un long passé" dit le TALMUD.
Puisse la connaissance des événements passés éclairer notre avenir...

La destruction et l'évacuation des malades hospitalisés ne sont pas des situations inédites pour notre institution.
Au cours de la seconde Guerre Mondiale, elle affronta des épreuves similaires, dans un ordre inversé (Evacuation puis destruction). Un précédent beaucoup plus dévastateur, dans le contexte incomparable d'un conflit guerrier généralisé.

-L'USINE ET L'ASILE -
Le site industriel voisin (l'ONIA et la Poudrerie) voué à la production d'armement, sous l'autorité de l'occupant, devient la cible des bombardements alliés. Le rapport de force s'étant inversé depuis la fin 1942, les usines sont directement menacées, ainsi que les installations et populations riveraines. Des instructions invitent la population non active, dans une zone de 500 mètres autour de l'objectif, à évacuer volontairement les habitations.
" L'évacuation ou l'éloignement des orphelinats, asiles, internats, hôpitaux situés dans les secteurs menacés, pourra être éventuellement décidé en accord avec les administrations intéressées qui disposent des crédits nécessaires ( Santé Publique, Education Nationale, ... )". Citation des dispositions prises par les autorités locales ( Compte Rendu de la Commission de Surveillance du 1er juillet 1943 - Présentation de l' Exercice Financier de 1942 ).
L' HP G. MARCHANT tarde à obtenir les moyens de son évacuation. Dans un contexte budgétaire déficitaire, le sort des aliénés et des personnels intéresse peu les autorités de tutelles, malgré les nombreuses sollicitations des responsables administratifs et médicaux de l'établissement.

-L'HP G. MARCHANT ET LA GUERRE-
On sait la sensibilité particulière des institutions psychiatriques aux situations de crise, qu'elles soient générales dans le cadre d'un conflit mondial, ou plus focalisées, comme c'est le cas aujourd'hui.
Les années de guerre exposent les populations civiles à toutes sortes de privations. Les ponctions de l'occupant nazi sur la production industrielle et agricole nationale imposent des rationnements, particulièrement pénibles dans le domaine alimentaire. Les besoins de la population ne peuvent être satisfaits dans le respect du strict cadre réglementaire. La débrouille, le système D, le marché noir améliorent l'ordinaire des moins démunis. Les malades des HP, tous hospitalisés sous la contrainte administrative de l' H.O. ( loi de 1838 ), ne peuvent se soustraires à la légalité de l' Etat français. Les restrictions alimentaires menacent leur survie.
Des suppléments sont accordés aux malades des Hôpitaux Généraux et des Hospices, mais sont refusés aux malades des Hôpitaux Psychiatriques.
Dans une atmosphère idéologique défavorable "aux bouches inutiles", les conditions d'existence des "insensés" s'aggravent, jusqu'à leur élimination par inanition. Les théories de la dégénérescence sont alors dominantes parmi les élites ayant responsabilité, et l'opinion est peu favorable aux aliénés.

-LES CARENCES ALIMENTAIRES -
Les estimations officielles font état de plus de 40 000 morts.
Ils sont morts de faim, de froid et d'abandon, dans les HP sous le régime de VICHY.
L'HP G. MARCHANT compte 1 509 décès du 1er Janvier 1940 au 21 Décembre 1943, date de l'évacuation du dernier contingent de malades.
Ø        Soit presque autant que l'effectif présent en 1940.
Ø        Soit 4 fois la mortalité d'avant guerre sur un période équivalente : 389 malades DCD entre 1936 et 1939.
Les témoignages recueillis évoquent la grande misère de ces temps. Les œdèmes de carence, puis la mort par cachexie deviennent une fatalité.
" Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés " ajouterons, en forme de citation, les Médecins Chefs PERRET et BASTIE dans leur rapport médical d'après guerre.

La mémoire occultée de ces morts s'illustre dans la disparition des sépultures.
" Le carré des fous " a disparu du Cimetière de LAFOURGUETTE, pour cause de concession limitée et de défaillance des familles.

-SURMORTALITE ET DESEQUILIBRE BUDGETAIRE-
La dépopulation place l' HP G. MARCHANT dans une situation financière déficitaire.
Moins de prix de journée au crédit, face à des dépenses de fonctionnement qui restent à peu près identiques.
Les responsables administratifs et médicaux cherchent des solutions pour garnir la capacité hospitalière vacante. Ils demandent entre autre le transfert de la population des HP périphériques vers la capitale régionale.
Cette réclamation, d'une logique toute comptable, sera abandonnée début 1943. Les évènements se précipitent, les menaces de bombardements alliés se précisent, les énergies se mobilisent pour organiser l'évacuation des malades avec l'appui des Tutelles.
Un soutien hésitant qui place l'établissement dans une longue période de flottement.

-L'EVACUATION-
Le Rapport Administratif et Médical de l' HPM, publié en 1947, fournit les statistiques suivantes sur les transferts de malades :

Ø        le 30 novembre 1943 : ------------------146 ( 120 à RODEZ et 26 à LEYME)
Ø        le 7 décembre 1943 : ------------------70 à AGEN ( 27 H. et 43 F. )
Ø        le 10 décembre 1943 : ---------------- -94 à ST-LIZIERS ( 24 H. et 7O F )
Ø        le 21 décembre 1943 : --------------- 469 à LANNEMEZAN ( 212 H. et 257 F. )

Soit un total de 779 personnes évacuées.

Le site de BRAQUEVILLE conservera une activité administrative réduite, et l'aumônerie.
Une partie du personnel sera déplacée à LANNEMEZAN, le restant affecté à de nouvelles fonctions au service des collectivités locales ou de l'administration préfectorale.

-LA DESTRUCTION-
Dans la nuit de 1er au 2 mai 1944, l' HPM subissait de sérieux dégâts au cours d'un bombardement aérien. Deux quartiers furent complètement détruits.
Le 26 mai 1944, les FFI font exploser la Poudrerie Nationale. Le souffle complète l'œuvre de dévastation.

-LA RECONSTRUCTION-
Dans l' après guerre, le sort de l' HP G. MARCHANT n'est pas une préoccupation prioritaire.
Les anciens responsables médicaux, les Médecins Chefs PERRET et BASTIE
" Espèrent obtenir des améliorations lors de la réouverture prochaine de l'établissement restauré " ( Rapport Médical du 12 Novembre 1946 ).
Les débats opposent les partisans de la restauration-réhabilitation du site historique, et à ceux favorables à la construction d'un dispositif nouveau, rompant avec les pratiques asilaires.
BONNAFE, alors Conseiller Technique auprès de Ministère de la Santé, a charge de ce dossier. Il souhaite soustraire l' HPM à son déplorable environnement industriel, et le rapprocher de l' Hôpital PURPAN, dans le respect des principes de Proximité et d' Indépendance. Le domaine de La Flambelle, voisin de PURPAN est disponible pour cette opération immobilière.
Une nouvelle donne politique internationale, le début de la guerre froide en 1947, et le départ des ministres communistes du gouvernement, mettent un terme à ce projet innovant.
BONNAFE quitte ses fonctions au moment où les premiers crédits sont affectés à la reconstruction de l' HPM.
En mars 1949, deux pavillons rénovés réintègrent les malades évacués cinq ans plutôt vers LANNEMEZAN. Du moins ceux qui restent ...
Les travaux seront quasi suspendus jusqu'au début des années 50, faute de financements.
Un nouveau Règlement Intérieur, rédigé en 1953, apportera peu de modifications par rapport au précédent. Si ce n'est l'abandon des différents régimes d' hospitalisation ( le pensionnat disparaît ), de timides tentatives de démocratisation et d'ouverture sur l'extérieur.


C'est dire si le temps d'une reconstruction est un temps long et aléatoire.
Et les processus décisionnels opaques et sinueux ...


Pour conclure cette contribution, laissons le mot de la fin au Rapporteur de la Commission de Surveillance de l' HPM.
Le 30 juin 43, il adresse une supplique à ses autorités de Tutelles, pour soustraire les malades et le personnel au danger des bombardements.
Il conclut ainsi :
"... Vous penserez sans doute, alors qu'est encouragée, facilitée, recommandée, l'évacuation des personnes capables, en cas de sinistres, d'utiliser tous les moyens de protection mis à leur disposition, on ne procède pas au déplacement des malades que l'on est dans l'impossibilité, en raison de leur état mental, de garantir contre les terribles effets des bombardements.
Vous noterez que le Département a pris en charge ces malades, non pour en débarrasser la société, mais surtout pour les soigner et les guérir.
Vous vous demanderez en conséquence, qu'il serait logique, prudent, conforme au bon sens et tout simplement humain, de maintenir dans une zone particulièrement menacée, des malades et un personnel dont vous avez l'obligation d'assurer la sécurité.
Il serait à mon avis opportun que vous vous prononciez ".





Philippe FONTANAUD, le 20 septembre 2002

Marie : Histoire du centre hospitalier G. Marchant

Jean : Cinquante sept ans de la libération à nos jours


Les sources sont aux Archives Départementales - Liasse X 363 - X 364 -
Compte Rendu de la Commission de Surveillance - Compte de gestion du receveur.