Sociologie et profession infirmière - Chapitre 3
L'infirmier qui rencontre la folie
Voir chapitre 1 Voir chapitre 2La prise en charge de la folie par l’infirmier a ceci de particulier qu’il se retrouve sans beaucoup de possibilité d’initiative devant le malade mental. Privé de la possibilité d’agir beaucoup selon sa propre volonté, il est donc obligé d’inventer et de cultiver quelque pratique qui lui soit spécifique. Sa rencontre avec la folie, avec le malade qui en est atteint, lorsqu’elle ne se fait pas autour de la chimiothérapie et de ses multiples formes, peut avoir lieu selon différentes modalités. Confronté aux sollicitations des malades, aux demandes incessantes d’écoute et d’attention qui appartiennent, pour la grande majorité, aux malades du groupe des psychotiques, l’infirmier peut opter pour deux solutions : laisser passer le temps et gérer l’instant, tenter d’occuper les malades et lui-même par l’occasion ainsi créée.
Rapport de confiance ou rapport de violence ?
Dans cette ambiance si particulière que je viens de décrire, il est difficile pour les infirmiers d’instaurer puis d’entretenir avec certains malades un climat de confiance. Propice à la relation, un environnement calme permet à celui dont l’esprit est agité de se reposer, de s’arrêter un instant dans sa vie et de verbaliser son vécu et la souffrance qui peut s’y lier. Personne n’aime la violence, y compris les " sauvageons " des banlieues qui n’ont probablement que ce moyen d’exprimer le mal être qui est le leur. En accord avec ce qui se doit d’être un ensemble d’attitudes sociales acceptable, les infirmiers parlent souvent de la mise en confiance du patient. Comment y parviennent-ils ? Simplement par la discussion banale, celle-ci ne s’apparentant que peu souvent à l’entretien psychothérapeutique. S’arrêter pour parler paraît être un acte important. Même si on ne poursuit pas forcément un objectif particulier, défini selon une stratégie structurée, le simple fait de se mettre en prédisposition d’écouter et de parler avec l’autre suffit souvent à faire baisser les tensions liées à l’hospitalisation et à ce qui l’a provoqué.
Idéalisée, parce qu’on voudrait être reconnu comme un équivalent du psychologue ou du praticien hospitalier, la confiance du patient est convoitée par l’infirmier. Dans cet ordre d’idée s’argumente l’idée d’une spécificité de l’entretien infirmier. Difficile à repérer, en tant qu’il est un acte déjà occupé par la hiérarchie clinique, l’entretien de " mise en confiance " peut s’apparenter à celui qui est cité à l’article 3 du décret des actes infirmiers : entretien d’accueil et d’orientation. Ce type de rencontre peut suffire à créer un climat positif prédisposant à instaurer des sentiments de confiance chez le malade. Mais, fantasmé dans une littérature infirmière en quête de maturation clinique et théorique, l’entretien infirmier tente de s’apparenter à l’entretien à vocation psychothérapeutique. J’ai abordé cette problématique non résiduelle en traitant du rapport existant entre les actes infirmiers et la psychothérapie en général.
Je pense que, dans ce registre de la recherche d’une réassurance narcissique dont l’infirmier psychiatrique a besoin, une quête tout autre s’est constituée : l’identification se propose sous deux angles différents. Le premier angle qui pousse à la formulation diagnostique spécifique fait s’identifier l’infirmier au médecin. Le second angle qui développe l’emploi du signifiant " entretien infirmier " force l’identification au psychologue et aux entretiens psychologiques.
Toujours pris dans une tourmente névrotique, l’énoncé de la vocation infirmière en désir de mener ses propres entretiens nous rappelle à la réalité de l’organisation théorique et topique des services. La confiance pourra ainsi se placer dans la relation furtive de l’infirmier et du malade, l’infirmier étant souvent vécu en tant qu’intermédiaire entre tous les partenaires du système hospitalier. Dans ce contexte problématique de la quête absolue d’une reconnaissance, l’infirmier cherche à s’occuper.
Les activités : occupation ou thérapie ?
J’ai, à maintes reprises, répété les principes de toute clinique, qu’elle soit psychiatrique, psychologique ou psychanalytique. Elle s’inscrit tout d’abord dans un environnement théorique solide et prédispose d’une capacité à la remise en cause, à la confrontation avec les disciplines autres, à l’enrichissement permanent issu de la recherche menée en son sein.
L’activité thérapeutique, lorsqu’elle existe, s’inscrit donc dans ce cadre particulier ; elle est en lien avec toute une éthique et une philosophie institutionnelle qui en déterminent aussi l’identité. En dehors de ce cadre dont on sort extrêmement facilement, toute activité menée ne l’est que dans l’ordre du divertissement et de l’occupation, c’est d’ailleurs ce qui se réfère à l’article du décret des actes infirmiers qui définit le rôle propre. Une activité ne devient thérapeutique qu’après son inscription dans un référentiel théorico-clinique et, pour les infirmiers, après une prescription médicale écrite, le simple conseil ou acquiescement verbal ne suffisant pas. Pourtant, et cela est d’usage dans le contexte de la formation actuelle, héritée aussi du temps révolu de la psychothérapie institutionnelle, l’infirmier cherche à créer des espaces de temps qui réalisent l’activité. Entre les instants identifiés que sont les applications de prescriptions, en intra ou en extra-hospitalier (1), les infirmiers de secteur psychiatriques ne peuvent justifier l’écoulement horaire qu’en investissant une certaine forme d’initiative.
Activité sortie, activité gâteau, activité lecture, activité sport, activité promenade, activité jeux de société, activité collage et bricolage, autant de qualificatifs, et j’en oublie, dont use le personnel infirmier pour baptiser, selon le principe même du soin à porter à l’autre, pour justifier ces quelques actes qui se disséminent dans un néant thérapeutique, conduisant parfois à des bénéfices positifs. Autour de cela se tisse un verbiage pseudo scientifique qui cherche à prouver le bien qui est dispensé au patient. Certes, tous ces actes proposent une médiation à la relation sociale et à la reconstruction de liens propres plus objectifs. Mais, et c’est l’immense majorité (2), l’absence de référentiel clinique conduit ces activités à n’être qu’occupationnelles et non pas thérapeutiques. L’ambition infirmière s’échoue alors sur le banc sablonneux dans lequel elle peut encore s’enfoncer. Dans cette ambiance si particulière, le médecin, s’il est en position consciente de dominant à l’égard de la corporation infirmière, se dispensera de dispenser tout enseignement théorique susceptible de faire évoluer une telle pratique : l’occupation aux infirmiers, la thérapie aux prescripteurs.
Paroles de débutants
Les étudiants en soins infirmiers, je l’ai toujours affirmé auprès de mes collègues, sont le meilleur indicateur de l’activité clinique d’un service. Leur regard neuf, souvent juvénile et naïf, en font les témoins d’un système qu’ils n’avaient appris nulle part ailleurs. Ils ont souvent été le moteur de ma propre motivation au travail. Etre à leur écoute apprend à être à l’écoute des malades. S’ils veulent bien se livrer, dans un contexte propice à la confidence, ils abondent dans leurs phrases de paroles sensées, souvent d’une remarquable pertinence. Gageant qu’à partir d’eux je pourrai agir, sur une distance qui ne se crée qu’avec le temps, je suis devenu formateur itinérant, allant là où les sollicitations me portaient, au gré de nombreux cours, conférences et autres interventions aux échanges passionnés avec la salle.
Dans le souci du malade, que moi-même je pourrais être, je me suis ainsi toujours attaché à la transmission d’un message de qualité empli de paroles vraies et appuyées sur un bagage clinique régulièrement remis en cause et reconstitué. A travers les étudiants que je forme, en parallèle des soins qu’ailleurs je dispense, j’en suis venu aussi à " toucher " le malade, à transmettre les valeurs qui me paraissaient importantes, essentielles. Les étudiants les plus désemparés, expriment leur incompréhension du système psychiatrique en une souffrance invisible tant elle est discrète : confrontation avec la psychose dès le premier stage, confrontation avec un système infirmier souvent fort différent de celui de l’hôpital général. " Mais que font les infirmiers en psychiatrie ? " me demande-t-on très souvent. Ils travaillent, mais la nature de ce qu’ils font n’est pas la même que celle des infirmiers de l’hôpital général : pas ou peu de soins médico-chirurgicaux à l’aspect technique, beaucoup d’échanges avec la parole, parfois des instants de vide d’action, comme suspendus dans l’infinité d’une suspension temporelle qu’il faut, pour les étudiants, absolument remplir. Angoissés devant le " non-faire " institué, réponse en écho à l’apragmatisme de la psychose chronique, combien d’étudiants n’en sortent pas quelque part meurtris de n’avoir pu ou su faire des choses pour les patients.
L’invisibilité des actes et leur non-perception peut aussi attirer voire passionner. Certains étudiants se sentent, sans qu’ils puissent dire pourquoi, attirés par ce monde si particulier. La psychose provoque certains échos. Tous ceux qui l’ont approchée, appréhendée, presque touchée du " bout des doigts ", en parlent. Délire de l’autre qui confronte au délire (3) et à la problématique personnelle, certes inconsciente, du soignant.
La situation de l’étudiant en soins infirmiers oscille selon les orientations cliniques du service, avec les facteurs de motivation du personnel, avec le fait que ce soit une institution privée ou publique, avec sa propre motivation à accepter les conditions du stage déjà même avant qu’il pénètre en ses lieux. Parfois bien accueilli, parfois oublié, il peut vivre son stage comme très formateur ou comme une épreuve dont le seul écoulement du temps, le rapprochant de l’inéluctable fin du stage, le soulagera de ce fardeau psychologique.
Je le disais en introduction, l’étudiant questionne, me questionne, moi parce que je suis là, en face de lui, en tant que formateur, questionne ceux de mes collègues infirmiers qui veulent bien lui répondre (4). Parfois, trop souvent même, l’infirmier se trouve dans l’incapacité de répondre à l’étudiant : la culture infirmière non cumulative d’informations récentes place les infirmiers diplômés depuis plusieurs années dans une situation théorique en décalage avec l’actuel de la formation en cours. Dans ce contexte, ce qui s’appelle l’encadrement (5) ne permet pas l’instauration d’un accompagnement de l’étudiant, par l’infirmier, qui soit un enseignement clinique spécifique. La plupart des explications fournies laissent aux auditeurs novices une sensation de faim ; l’interrogation suscitée en retour développe un modèle de l’image de l’infirmier de secteur psychiatrique, selon le type du personnel hébété, quasi incompétent.
Anna, étudiante en troisième année qui effectuait un stage en CATTP (6) a posé beaucoup de questions aux infirmiers sur leur pratique. La restitution des réponses et de ses impressions sur le professionnalisme proposé, en regard des ambitions actuelles de la profession infirmière, prouvèrent, lors des supervisions que j’anime, que ces personnels ne parvenaient ni à conceptualiser leur pratique, encore moins à la définir. Est-ce là un signe d’incompétence ? Pas forcément. Il n’empêche que l’infirmier en psychiatrie, dans l’ordre de sa situation actuelle, prouve au quotidien son incapacité au raisonnement clinique, un raisonnement qui lui fait défaut et qui, à terme et les événements de ces dernières années l’ont prouvé, ne parfait que le confinement dans lequel il s’est installé. Si le stage se passe sans accroc notoire avec l’équipe, le stagiaire a le temps d’investir affectivement le groupe. Alors, en fin de stage, il dira regretter l’ambiance, les soignants et les soignés. Il aura un éprouvé en lien avec l’ordre de la perte, un sentiment général d’insatisfaction venant souvent se greffer là-dessus. L’étudiant, malhabile dans ses relations sociales particulières que sont les relations psychothérapeutiques pourra rester, aussi, fasciné des aptitudes faciles des infirmiers à répondre du tac au tac aux propos et à l’éventuelle agressivité du patient. Forme de corps abstrait qui se construit dans l’instant qui dure une journée de travail, l’équipe infirmière agit souvent de corps à corps avec l’équipe des patients, corporation en annexe dominée par l’excellence médicale et le pouvoir infirmier qui se réfugie derrière le symbole de l’injection punition " en cas de " (7).
Je ne peux ici proposer plus qui soit issu des paroles des étudiants que je vois en supervision sans trahir la dimension du secret lié à ma fonction, à ce moment là, et sans trahir la confiance qu’ils m’accordent et qui se prouve par la sincérité de leurs propos, donnés comme autant de mots (et de maux) que je suis, à ce moment, à recueillir (8).
Ce que disent les infirmiers
Les infirmiers, selon le profil classique qu’on aura pu se faire en lisant jusqu’ici ce mémoire, peuvent apparaître comme des gens sympathiques. C’est sous cet angle de la sympathie, plus que selon celui de l’empathie ou de l’analyse du processus transférentiel qui fait référence à la psychanalyse (9), qu’il faut saisir la nature de la construction du rapport entre malades et infirmiers. Se protégeant par les moyens qui sont à leur disposition, moyens que j’ai évoqués ici à maintes reprises, les infirmiers, tel un groupe soudé, développent un sentiment naturel de sympathie à l’égard de la souffrance psychique des malades qui leur sont confiés. A partir de stratégies de défenses ils peuvent parfois se montrer brutaux ou agressifs mais, en général, ils conservent ce souci particulier qui est celui de prendre soin de l’autre.
Plus que le mot " traitement ", le mot " soin " est le signifiant même de l’éthique infirmière, où qu’elle se retrouve placée, en service de soins médico-chirurgicaux ou en psychiatrie (10). Prendre soin est l’essentiel de toute démarche infirmière qui entend développer son discours sur l’humain, avant tout, et non pas selon l’angle de la maladie (11). Les infirmiers ont intégré cela, ce discours qui apparente sa " scientificité " à l’anthropologie. Pourtant, dès même, encore, qu’il s’agisse de définir et conceptualiser, on se retrouve dans la situation de téléphoner à l’abonné absent. Moi-même, au cours des différentes rencontres avec des infirmiers, n’en ai rencontré qu’une demi-douzaine qui sache définir leur pratique et surtout l’inscrire dans un contexte culturel clinique précis. Ces infirmiers avaient, il faut le signaler, tous suivis un cursus universitaire au moins égal à la Maîtrise.
Ecueil une nouvelle fois prouvé par elle-même, la formation infirmière n’a pas laissé chez les infirmiers une empreinte suffisamment profonde en ce qui concerne les capacités d’élaboration intellectuelle ? Non qu’ils en soient incapables, ce qui n’est nullement le cas. Seulement parce que cela ne fait pas partie de la culture infirmière. Culture développée en parallèle, dans sa lignée historique, que celle qui fut affectée aux guérisseuses (identifiée en tant que sorcières) qui durent confiner au silence leur savoir sous peine d’accusation par l’Eglise d’hérésie ou de blasphème (12). La parole fut donc pendant longtemps le véhicule du savoir chez les femmes soignantes. Les hommes, de leur côté, au sein de l’asile et parce qu’ils n’avaient pas eu accès en masse à la connaissance de l’écriture, n’ont pu aussi que développer une logique de transmission orale. Une culture qui est par tradition orale enferme tout nouveau venu dans sa logique centenaire si celui-ci ne prend pas conscience de ces caractéristiques. Ainsi, en dehors d’une perlaboration qui n’a fait que trop tarder et tarde encore tant les résistances sont grandes, la profession infirmière boucle sans cesse sa boucle. Dans un cercle dont on ne peut pas s’éloigner du centre, pour conquérir de nouveaux espaces de savoirs et de compétences, l’infirmier des services psychiatriques n’a pu se contenter que du parcours du même chemin. Tel un cycliste qui tourne sur une piste vélodrome ovale l’infirmier repasse sans cesse devant les mêmes paysages, les spectateurs étant, avec les saisons et les modes, les seuls changements dans cet horizon périphérique immuable.
La parole infirmière est donc de première importance pour qui veut se mettre à son écoute. Mais il faut alors se rendre compte qu’en l’absence d’un fondement culturel associé à l’écriture et à la lecture, cette parole ne vaut que le vent qu’elle est. Parole qui s’envole et écrit qui reste. Parce que J. B. Pussin a écrit sur sa pratique, dans ses rapports à l’administration et à ses supérieurs (13), il est resté une trace de lui. La seule que l’on conserve de M. Bottard reste ce portrait discret caché derrière l’immensité de la prestance de Charcot et de ses disciples. Ailleurs, les infirmières anglaises ou américaines de bonne famille qui savaient écrire ont proposé plus rapidement une évolution de la pensée liée au contexte spécifique de la pratique des soins infirmiers. Seulement le développement de cette pensée s’est réalisé, je l’ai exposé à partir de l’exemple du rapport de stage de tout à l’heure, dans une culture anglo-saxonne qui n’apparente pas l’ensemble de ses fondements aux identifications profondes des latins que nous sommes.
La parole infirmière s’efface aussi derrière le discours ex-cathedra, universitaire et savant, du docteur en médecine. Infirmier dont le savoir se structure sur l’aumône de disciplines reconnues plus élevées, l’acteur des soins dispensés sur prescription est en lutte avec sa frustration et le versant narcissique qu’il peut trouver en sa pratique. Peu plébiscité par la population, l’image du gardien des fous et donc des infirmiers psychiatriques est en lutte avec celle des homologues discrètes, dévouées, aimables et autrement plus séduisantes que sont les infirmières hospitalières traditionnelles. L’actualité nous a livré ces derniers mois de nombreux exemples en passant par celui de la restitution de l’information par les médias des luttes infirmières psychiatriques pour une reconnaissance qui n’est jamais venue. Un soir, au journal de vingt heures on fit allusion à une manifestation d’infirmiers psychiatriques qui avaient bloqué le départ des trains dans une gare en s’installant sur les voies ferroviaires. Un espace de quelque huit secondes servit à la restitution de cet appel au secours quand, en parallèle, les internes en médecine monopolisaient l’actualité en prenant près de cinquante pour cent du temps total de télédiffusion. A savoir si on n’oublie pas, finalement, que sans un " plus petit que soi " on n’est jamais grand chose. Toute fonction a son importance, fût-elle subalterne et ingrate. Tout individu est important, fut-il psychotique, fou, aliéné, dément, débile… Marqué par le refus de l’ordre subjectif le discours totalitaire enferme encore et encore l’infirmier de psychiatrie et ses fous aux confins des limites de l’acceptation de la différence de l’autre. Et cela se ressent dans la dichotomie faite entre les psy et les D.E.
Parler de l’infirmier de secteur psychiatrique, c’est dire son extinction progressive et inéluctable. Alors que nous sommes peut-être à la veille de voir attribuer à ceux-ci un diplôme d’Etat d’infirmier de secteur psychiatrique, diplôme posthume puisque la formation qui y conduirait n’existe plus depuis mars 1992, les infirmiers psychiatriques prennent sans doute conscience que leur statut n'a jamais bénéficié réellement de l’inscription symbolique si vitale pour se sentir exister (14). En outre le silence de l’administration et des politiques, têtes pensantes d’un système qui n’est pas le leur, n’a fait que contribuer à l’effet d’anéantissement de cette profession.
Je ne peux, à ce jour, gager de son avenir, des éventuelles batailles syndicales ou associatives à venir. Je peux seulement formuler l’hypothèse de l’extinction, à bas bruit, progressive de tout un corps professionnel qui n’avait, et pour cause, pas su inscrire dans le réel la nature des actes de son quotidien. Ordre de la subjectivité opposé à celui du discours objectif, qui ne montre pas le concret est rejeté dans l’inexistant dont il est supposé faire partie. A partir de cela, de ces constatations malheureuses, on peut dire qu’un jour, sans doute, il existera une spécialisation infirmière en psychiatrie. Mais, celle-ci, avec la vitesse à laquelle se forment les idées et se concrétisent les actes politiques, verra le jour après le départ à la retraite du dernier des infirmiers diplômés de secteur psychiatrique.
Frédéric Masseix
Infirmier, EPS de Ville-Evrard (93)
Etudiant en DEA de sociologie, EHESS-Paris
Notes
1 - Cette remarque s’applique dans le cadre des hôpitaux de jour, les CATTPP, les CMP (centre médico-psychologique). En l’absence, toujours, d’un référentiel clinique, ce qui s’applique n’est, même si je risque de choquer, qu’un déplacement du gardiennage asilaire vers des structures extérieures. C'est une des aberrations du système actuel, fondé sur le principe de la sectorisation et appuyé sur la dernière réforme hospitalière psychiatrique, que de déplacer personnel et patients vers un ailleurs, extérieur à l’institution principale, qui risque de n’être qu’un équivalent du précédent environnement s’il ne s’appuie pas sur de solides apports en matière de clinique (cela même si les médicaments et leur insuffisance, parce qu’ils n’inversent jamais aucun processus psychique pathologique, permettent et aident au maintien à l’extérieur).
2 - Gérard (J. L.), Infirmier en psychiatrie : nouvelle génération, Lamarre, 1993.
3 - Prenons ici ce terme dans le sens de l’idéation fantasmatique du névrosé. Le délire est, en lui-même, une des caractéristiques principales des psychoses notamment du groupe des schizophrénies. Question adressée au soignant infirmier, le délire l’oblige à fantasmer un possible retour à la réalité qu’il exprime ainsi : " remettre le patient dans la réalité est l’essentiel du travail infirmier ". Cela faisant fi d’un travail sur la subjectivité des processus à l’œuvre, l’ensemble des attitudes infirmières qui omettent la question du désir et de ses liens avec ce qu’on appelle la relation sociale ne permettent pas la constitution d’un travail transférentiel, ni positif, ni négatif, du patient envers l’infirmier et vice et versa.
4 - Masseix (F.), Les panseurs de la folie, extrait d’une recherche sociologique en cours,
www.serpsy.org, 1998.5 - Masseix (F.), Quel encadrement à l’hôpital, Ibid.
6 - Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel. Voir à ce sujet l’article de Bernard Anizan dans mon ouvrage Guide des soins infirmiers en Santé Mentale, Editions Hospitalières, 1998.
7 - Goffman (E.), Ibid ; Friard (D.), Ibid.
8 - Bien entendu cela ne concerne pas les étudiants que je côtoie ailleurs, dans des cours généraux sur la fonction infirmière en psychiatrie. Ayant instauré un cadre précis à l’IFSI Louise Couvé, ce qui fut donné, dans l’ordre de la confidentialité, restera non reconnaissable. On comprendra, je pense, ma position éthique à ce sujet.
9 - Discipline que ne maîtrise nullement l’immense majorité des infirmiers psychiatriques.
10 - Aït Abdelmalek (A.) et Gérard (J. L), Sciences humaines et soins, InterEditions, 1995.
11 - Aït Abdelmalek (A.) et Gérard (J. L), Ibid.
12 - Collière (M. F.), Promouvoir la vie, De la pratique des femmes soignantes aux soins infirmiers, InterEditions, 1996..
13 - Postel (J.) et Quétel (C.) et ali, Nouvelle histoire de la psychiatrie, Privat, 1983.
14 - Davoine (F.), d’après des notes prises au séminaire, année universitaire 1998-1999.