Isabelle Von Bueltzingsloewen est maitre de conférences en histoire contemporaine à l'université lumière Lyon 2

"Entre 1940 et 1945, 40 000 malades mentaux moururent en France. Plusieurs psychiatres rendirent responsable le gouvernement de Vichy, accusé d'avoir accompagné la politique nazie en matière d'eugénisme. L'auteur récuse cette thèse de «l'extermination douce» et offre un panorama poignant de la famine dans les hôpitaux psychiatriques français sous l'Occupation."
Que deux personnages célèbres - Antonin Artaud, qui survécut, et Camille Claudel, qui compte au nombre des victimes - aient été parties à cette tragédie ne soulèvera pas la chape d'indifférence qui pesa sur elle.

Dès la libération, les services du ministère de la Santé ont eu connaissance de la famine qui a frappé les hôpitaux psychiatriques sous l'occupation. Dès 1946, ils ont pu avoir une estimation chiffrée du nombre de décès. On ne saurait donc dire que les faits aient été occultés. Même si personne ne s'émeut, ils sont sus. A la Libération, François Billoux, ministre communiste de la Santé dans le gouvernement provisoire, déclare : «Le nombre des aliénés a diminué depuis 1939. Il est certain que la réduction de l'alcoolisme y est pour quelque chose. Il faut tenir compte aussi que beaucoup des internés sont morts littéralement de faim.»
Lucien Bonnafé et Georges Daumézon au congrès des médecins aliénistes estiment à 40 000 le nombre de morts par dénutrition dans les HP pendant ces années d'occupation. Les chiffres sont encore parfois contextés mais pas revu à la baisse.

Il faut se rappeler et relire un texte de Daumézon paru en 1956, la faim des malades mentaux internés a été parfaitement tolérée par la société française. Ce drame pose alors la question de l'attitude des français face au sort des aliénés internés. Sans contexte, indifférence !! insensibilité !!
On peut se demander dans quelle mesure la perception négative des malades mentaux qui prévaut à la veille de la guerre n'a pas contribué à l'hécatombe ?

Le discours sur la défense et l'amélioration de la race, très répandu à l'époque, relayé par des aliénistes engagé dans un combat pour l'hygiène mentale, à renforcé les préjugés envers les "dégénérés" !

Dans un contexte de sous alimentation, ou il fallait répartir la pénurie, on peut faire l'hypothèse que la stigmatisation des malades mentaux, les infirmes, les vieux, les tarés, a joué dans les choix de répartition de l'alimentation.
le paradigme dominant est : l'inutilité sociale des aliénés....

Certains aliénistes ont alors abandonné les positions humanistes et ont commencé à envisager des possibles éliminations des infirmes et aliénés.
D'autres se sont lancés dans la lutte pour affirmer qu'un aliéné peut tout à fait revivre dans des conditions normales à la sortie de l'HP. Ceux ci, conscients que les thèses eugénistes allaient l'emporter, ont contribué inlassablement à faire valoir que tous les acteurs de la société étaient égaux.

L'expérience de l'HP de La Charité sur Loire a ouvert les yeux des aliénistes sur la capacité de certains patients à vivre "dehors". On voit alors la bascule qui se fait dans la tête des médecins autour de la prise en charge de la folie. Entre ceux qui vont à la facilité des thérapeutiques du type sakel, cardiazol et autre électrochoc et ceux qui vont oeuvrer pour des thérapeutiques de l'humain, psychothérapie et travail sur l'institution.

Un gros travail historique, des références en nombre, des liens, une bibliographie importante. Un livre historique à lire pour éviter qu'un drame pareil ne se reproduise...

Il est important de lire également les différents et excellents livres écrits sur cette période noire, livres qui sont plus à charge de la période Vichyste de la France : L'Extermination douce Max Lafont, Le train des fous Pierre Durand