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LA MAUVAISE RÉPUTATION

(ou l'influence des représentations sociales de la folie sur la pratique des infirmiers en psychiatrie)

Marc LIVET

Maitrise de gestion des organisations sanitaires et sociales Option: gestion hospitalière

Université Paris Dauphine Institut d'Enseignement Supérieur des Cadres Hospitaliers

Promotion 1994-1995

"Au village, sans prétention,
J'ai mauvaise réputation;
Qu' je m' démène ou qu' je reste coi,
Je pass' pour un je-ne-sais-quoi.
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En suivant mon ch'min de petit bonhomme,
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux...
Non les brav's gens n'aiment pas qu'eux
L'on suive une autre route qu'eux...

Georges Brassens
La mauvaise réputation



INTRODUCTION

L'objectif de ce travail est de tenter d'analyser l'influence des représentations sociales de la folie et de la maladie mentale sur la pratique professionnelle des infirmiers (1) qui travaillent en psychiatrie.

Les préoccupations en matière de santé mentale traversent le corps social depuis de nombreuses années et sous des aspects historiques divers la folie a toujours nourri les représentations collectives.

Qu'il soit de droit divin ou diaboliquement mandaté, le fou intégré ou écarté par le groupe social, est depuis toujours considéré en dehors des normes (2) et la maladie mentale comme différente des autres maladies.

Le mental malade, objet de mystère incontrôlable a donc favorisé la construction de stéréotypes nombreux, complexes, imbriqués, dont les volutes occultes flottent depuis toujours dans l'air de toute société.

Il convient, ici, de s'arrêter un instant. En effet, parle-t-on de la même chose losqu'on évoque psychiatrie et santé mentale, folie et maladie mentale? L'identification, la caractérisation, l'articulation de ces notions est complexe et fait toujours l'objet de nombreux débats chez les professionnels. De même, les différences de perception sont sensibles dans la population. Ainsi, dans une recherche concernant les raisons des résistances aux tentatives d'intégration des malades mentaux dans la communauté, JP Brouat (3) insiste sur la comparaison folie et dépression: dans les représentations collectives la folie est affaire de nature, alors que la dépression est passagère. Le dépressif est fréquentable, le fou jamais. Le fou n'est pas fréquentable car dangereux contrairement au dépressif.

La fréquentation du malade peut changer le système de représentation mais peut aussi modifier l'inscription de l'individu d'une catégorie de représentation dans une autre.

La folie est associée à la notion de calamité, souvent héréditaire alors que la dépression est associée à un événement de l'histoire.

Quant à santé mentale et psychiatrie on admet que le premier terme se réfère plus particulièrement à une dominante thérapeutique et le second à une dominante plus sociale prenant en compte des aspects tels la santé publique, la prévention, la réinsertion, la réadaptation.

On pourrait se questionner sur l'opportunité de ce travail de fin d'études dans le cadre de la gestion hospitalière. Sur ce point, nous considérons que le premier fondement de la gestion hospitalière est de s'appuyer sur la cohésion des hommes. L'hôpital est un des rares lieux où se côtoient autant de métiers différents, donc de groupes professionnels et par voie de conséquence de classes sociales différentes. Et pourtant il est demandé à tous ces groupes de partager les mêmes valeurs concernant le soin, le malade, la maladie, l'institution et de construire ou d'accepter des normes reconnues par tous. Il est donc important, de ce point de vue, de prendre en considération les références culturelles et les représentations de l'univers de la maladie de ces différents groupes. La gestion hospitalière est dépendante de la gestion des ressources humaines et la reconnaissance de l'individu par le groupe et du groupe par l'individu favorisent toujours l'appropriation des notions et outils quantitatifs développés dans cette discipline.

Le fonctionnement d'un service hospitalier et les relations de celui-ci avec l'environnement sont fortement influencés par les représentations sociales des différentes équipes, et des membres de chacune d'entre elles. Il est alors important, de savoir qu'elles existent, de les identifier afin de pouvoir en tenir compte dans la mise en oeuvre des procédures de gestion, et de renforcer ainsi la cohérence générale de la démarche du ou des groupes.

Deux motivations principales sont à l'origine de cette recherche.
D'une part un intérêt particulier pour le fonctionnement des groupes et donc la volonté d'approfondir ce champ sachant que les représentations agissent sur tous les groupes sociaux. Dans cet esprit il convenait donc de tenter d'identifier quelle était la nature des interactions en jeu dans cette dynamique.

D'autre part le souhait de caractériser le lien de ces représentations avec la pratique infirmière en santé mentale.

En fonction de 18 ans d'expérience professionnelle dans ce domaine et de l'observation attentive de la pratique des différents acteurs en psychiatrie, notre hypothèse était que les représentations sociales de la folie et de la maladie mentale agissent et ont des incidences signifiantes sur le travail infirmier.

L'hypothèse de ce lien peut à cet égard se référer aux nombreux écrits retraçant jusqu'à une époque récente l'histoire des infirmiers psychiatriques. En effet, celle-ci et d'autre part le travail de D. Jodelet à la colonie familiale d'Ainay le Château, montrent que la société considère que l'aliéné, l'étranger doit à des degrés divers être maintenu à l'écart du groupe social pour ne pas mettre celui-ci en péril, l'environnement mettant en oeuvre un système d'interactions complexe pour atteindre cet objectif.

Pour approfondir ce questionnement nous avons choisi deux méthodes d'investigation.
D'une part nous avons tenté, dans le cadre d'une réflexion théorique alimentée par les écrits d'auteurs importants sur ce plan, d'identifier la nature des représentations de la folie et du malade mental.
A cette fin,une première partie sera consacrée aux représentations sociales:
Après avoir situé les sciences sociales d'un point de vue historique, et la méthode de recherche en la matière, nous aborderons le cadre général des représentations sociales. Puis nous nous attacherons aux représentations de la santé et de la maladie et enfin à celles de la folie et de la psychiatrie, tant sur le plan du concept lui même qu' à propos des institutions et des acteurs.

D'autre part nous avons confronté une partie de ces représentations aux professionnels eux-mêmes. Cette confrontation fût permise grâce à l'envoi d'un questionnaire destiné aux infirmiers et cadres infirmiers travaillant en psychiatrie.(4)

La deuxième partie sera donc consacrée à l'enquête réalisée:
Nous présenterons les conception, méthodologie et élaboration du questionnaire puis l'organisation de la diffusion et du retour de celui-ci.

Nous proposerons ensuite les résultats et l'analyse de ceux-ci permettra une confrontation à l'hypothèse de départ et la mesure de l'influence des divers stéréotypes sur le quotidien des soignants.

Cette recherche devant se poursuivre ultérieurement, au delà de ce mémoire, nous concluerons tout à fait provisoirement, si tant est que cela soit possible en ce domaine.

à suivre...

BIBLIOGRAPHIE ET NOTES :

(1) Lire partout infirmier, infirmière

(2) Nous entendrons la norme au sens proposé par E. Zarifian dans son dernier ouvrage," Des paradis plein la tête", c'est à dire uniquement comme la convention d'un groupe social en un lieu donné, à un moment donné.

(3) Boiral P., Brouat JP., "Les représentations sociales de la folie"

(4) Pour ce faire, 24 établissements psychiatriques répartis sur le territoire national ont été sollicités. La distribution et la récupération des questionnaires fût facilitée par la collaboration très efficace d'un réseau de correspondants identifiés.

Chapitre 2 : Les représentations sociales


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