I- LES SCIENCES SOCIALES
a) Un mot d'histoire
Puis Spinoza propose une explication plus mécaniste des phénomènes sociaux mais c'est surtout Montesquieu, au 18ème siècle, que l'on peut identifier comme le précurseur de la sociologie. Il considère que la recherche des causes est une des étapes initiales nécessaires amenant à la découverte des lois. Il se démarque ainsi du principe de base où c'est la loi divine qui règne au dessus de tout. Il distingue la nature de la société et les principes qui la font agir. Il considère le premier que les hommes ne sont pas conduits uniquement par leur fantaisie mais que l'infinie diversité des lois et des moeurs peut être intelligemment ordonnée. Cela suppose que l'on peut identifier des causes et les classer.
Depuis le 19ème siècle les sciences sociales se sont divisées autour de notions clés: la sociologie s'est séparée de la philosophie, la psychologie sociale de la sociologie, la démographie devenant une spécialité.
La sociologie, étude de la réalité sociale, voit le jour peu à peu dans plusieurs nations.
La sociologie française se développe en regard des travaux de St Simon, de Proudhon (qui étudie les antinomies entre groupes et classes) et Auguste Comte qui crée le terme de sociologie, combat les doctrines empiristes et souhaite la mise en place d'un cadre théorique.
La fin du 19ème siècle voit Emile Durkheim proposer la première méthode scientifique (1) et poser la question de l'existence de la sociologie en tant que science.
Son oeuvre et ses idées (à l'exception du spiritualisme) sont relayées par son neveu Marcel Mauss qui insiste particulièrement sur l'interdépendance de toutes les sciences humaines.
De la sociologie dans les autres pays on retiendra particulièrement l'influence de Marx et Engels qui emploient les premiers de façon cohérente la méthode dialectique.
Max Weber enfin, pour qui l'élaboration des concepts ne doit servir qu'à construire un instrument pour comprendre le réel.
b) Quelques notions et concepts à préciser
Les sciences naissent à un moment donné de l'histoire, utilisant les moyens et réflexions de l'époque et se heurtent aux obstacles philosophiques, religieux, politiques ou sociaux que cette époque leur oppose. (2)
Autrefois découverte de l'essence elles deviennent recherche de l'ordonnancement des phénomènes. Dans les sciences sociales, la particularité de l'objet à observer est qu'il est humain, l'observateur est humain, l'instrument de mesure, la réflexion.
Une investigation dans ce domaine met donc en oeuvre des notions importantes étroitement liées à l'individu lui même:
La psychologie sociale, née de préoccupations concernant à la fois l'individu et la société pose la question suivante: comment l'individu peut-il influencer son environnement pendant que celui-ci le conditionne ? Son évolution est liée au développement des sondages et échelles d'opinions depuis la première guerre mondiale. Ainsi les phénomènes du fascisme et de l'hitlérisme ont conduit des questionnements sur le rôle des partis politiques, de la propagande, de l'antisémitisme.
Il est important ici de signaler que la psychologie a permit de constater à quel point sont complexes les opérations mentales qui nous permettent de projeter et de localiser nos représentations du monde.
Toutes les opérations de déduction, d'induction, de définition ne s'entendaient par le passé que par rapport à la constitution individuelle. Il n'était pas imaginable d'envisager que cela puisse procéder d'un assemblage complexe d'éléments provenant de sources variables et aussi différentes que possible.
Ainsi, toute classification était présentée (particulièrement par les logiciens et les psychologues) comme produit de l'activité individuelle.
Historiquement cette approche classificatrice ne remonte vraisemblablement pas au delà d'Aristote, qui, le premier, a proclame l'existence et la réalité de différences spécifiques.(3)
Mais si l'individu n'avait été éduqué à la pratique de la classification il n'aurait pu, disons d'instinct, établir que des groupements rudimentaires et des distinctions approximatives. Or, classer n'est pas seulement organiser des groupes mais caractériser leur mode de relation. L'important sera alors de déterminer quelles sont les raisons qui ont amené à établir ce type de disposition. "Toute classification implique un ordre hiérarchique dont ni le monde sensible, ni notre conscience ne nous offrent le modèle". (Mauss,1969)
L' attitude qui se caractérise par un état dans lequel l'individu est prêt à répondre d'une certaine manière à une certaine stimulation. Elle suppose toujours une relation avec un objet, faisant intervenir des aspects individuel, psychologique et social. Elle est donc construite à partir des représentations ( Représenter sera entendu dans le sens de redonner, rendre une présence à une chose ou une personne absente.) concernant l'objet en cause. L'attitude est provoquée par un besoin de l'individu, besoin de répondre à un problème d'assimilation ou de différenciation.
Mais cette investigation ne pourra se faire sans recherche et sans méthode.
Concernant la recherche, si les auteurs s'opposent sur les conditions d'observation: procédures inductives d'après les faits (Bacon), procédures déductives à partir d'axiomes certains (Descartes), observation précédant l'hypothèse (Cl. Bernard), ou hypothèse vrai point de départ, tous s'accordent sur la nécessité de faire abstraction des idées préconçues.
Quant à la méthode considérée comme la plus complète pour parvenir à l'explication, beaucoup s'accordent, semble t-il sur la dialectique.
Partant du constat des contradictions qui nous entourent, elle est d'abord une attitude vis à vis de l'objet (empirique et déductive). Elle est ensuite une tentative d'explication des faits sociaux, donc directement liée à la notion de totalité.( Grawitz,1984)
Nous pouvons également remarquer que l'idée de faire des enquêtes est très ancienne puisque la première connue date de 3000 ans avant J.C. Elle est signalée par Hérodote et concerne un recensement de la population et des revenus du peuple Égyptien. En France, le rapport de Villermé, des années 1840, s'intéresse à la situation des travailleurs et l'utilisation des enfants dans les usines.
Enfin l'éducation notion directement liée aux sciences sociales est définie comme la socialisation méthodique de la jeune génération. É. Durkheim (4) indique qu'il existe deux êtres dans l'individu. L'un est fait d'états mentaux se rapportant à nous mêmes (être individuel), l'autre fait de systèmes d'idées, de sentiments et d'habitudes exprimant le ou les groupes dont nous faisons partie. (Par exemple les croyances religieuses, les pratiques morales...).
L'éducation répond donc à des nécessité sociales. Ainsi une époque où l'on suspecte la science verra apparaître l'adage "Heureux les simples d'esprit", au moyen âge la valorisation de l'ascétisme entraînera une diminution de l'intérêt pour l'éducation physique. Nous voyons donc que les règles de la morale sont issues de l'éducation commune.
Pour l'auteur cela a deux conséquences: d'une part la soumission relative de l'individu à la société mais simultanément la participation de celui-ci à cette soumission puisque l'être édifié par la société est considéré comme le meilleur.
dans le milieu social où nous vivons.
L'opinion nous les impose, et l'opinion est une force morale
dont le pouvoir contraignant n'est pas moindre
que celui des forces physiques"
(Durkheim,1966).
L'homme n'est un homme que parce qu'il vit en société
Les hommes ne peuvent garder l'homogénéité indispensable à tout consensus social qu'à condition d'être aussi semblables que possible. La perte de généralité, le particularisme entraîne un risque d'éclatement du groupe.
L'éducation est le moyen par lequel la société renouvelle perpétuellement les conditions de sa propre existence. La société ne peut vivre que s'il existe entre ses membres une certaine homogénéité mais la diversité est nécessaire à toute coopération.
L'individu et la société sont donc deux éléments inséparables. Il est par conséquent impossible d'expliquer tout l'individuel par le social et inversement le social par l'individuel. Les phénomènes sociaux n'ont pas leur cause immédiate dans la nature des individus, car alors, sociologie se confondrait avec psychologie. Néanmoins, les réflexions du chercheur devront porter sur les détails qui, étudiés permettent de vérifier s'il s'agit d'un état mental et lequel.(5 )
Si la vie sociale, ensemble des différents milieux moraux qui entourent l'individu, est formée de manifestations diverses émanant toutes d'un groupe, l'analyse de cette composition ne doit pas être confondue avec la vie sociale qui en est l'émergence.
Pour expliquer les phénomènes sociaux il sera nécessaire de partir de la façon dont est constituée la société et non de la constitution des individus. Car les phénomènes sociaux pénètrent les individus de l'extérieur.
c) Recherche et sciences sociales
Les premiers sociologues considèrent que la société ne peut être soumise à la méthode expérimentale et s'attachent donc à la méthode comparative. Pour de nombreux auteurs elle représente la méthode spécifique des sociologues. Pour Durkheim elle constitue une véritable "expérimentation indirecte" puisque le chercheur tire une relation entre des faits observés.
Pour cet auteur nous sommes trop attachés à trancher les questions d'après le sens commun. Il nous impose ses jugements sans que nous y prenions garde. Le sens commun ne conçoit pas qu'une chose qui répugne puisse avoir quelque raison d'être utile. Nous détestons la souffrance et pourtant celui qui ne la connaitrait pas serait considéré comme un monstre.(6)
Pour Durkheim les faits sociaux doivent être considérés comme des choses (chose étant entendu comme le contraire de l'idée) et comme extérieurs aux individus, car la vie sociale ne peut s'expliquer uniquement par des facteurs purement psychologiques (c'est à dire des états de conscience individuelle). D'autre part, cela évite l'arbitraire individuel.
Les représentations collectives traduisent la façon dont le groupe se pense avec les objets qui l'affectent.
Pour comprendre le fondement d'une société il faut considérer la nature de la société et non celle des particuliers. Le problème réside dans la tendance de l'homme à l'anthropocentrisme et au sentiment de toute puissance et de pouvoir illimité sur l'ordre social.
Durkheim définit un fait social comme un type de conduite ou de pensée reçue de l'éducation, extérieur à l'individu, s'imposant à lui et fonctionnant indépendamment de l'usage que celui-ci pourrait en faire.
Il faut donc considérer les faits sociaux comme des choses et à ce titre, observables, descriptibles, comparables.
"Lorsqu'on conçoit le développement social comme le simple développement de l'idée humaine on est amené à définir la société par l'idée que s'en font les hommes. Procédant ainsi on reste dans l'idéologie, donnant à la sociologie un concept qui n'a rien de sociologique"
L'auteur précise ce qui sont pour lui les règles importantes de la méthode sociologique: Les phénomènes sociaux doivent être considérés comme des choses car ils sont les seuls indicateurs offerts au sociologue en tant qu'observables. Cela permet de passer du stade subjectif au stade objectif.
Ainsi pour réaliser une étude portant sur les phénomènes sociaux il conviendra en premier lieu d'écarter systématiquement toutes les pré-notions, favorisant ainsi l'affranchissement des fausses évidences et situant le recherche au delà des sentiments et des passions.
Il faudra ensuite définir les choses qui sont traitées afin de savoir de quoi il est question. Le groupe de phénomènes devra rassembler tous ceux qui sont définis par les mêmes caractères.
Il conviendra d'observer des règles précises relatives à la distinction du normal et du pathologique. Il est à ce propos possible d'évoquer les droits de la raison sans retomber dans l'idéologie. En effet, pour les sociétés la santé est bonne et désirable, la maladie mauvaise et à éviter. Il s'agira donc de trouver un critère différenciant scientifiquement la santé de la maladie pour que la science puisse éclairer la pratique.
Mais un fait ne peut être qualifié de pathologique que rapporté à une espèce donnée, chaque espèce ayant sa santé, sa pathologie. Cette variation entre les espèces existe aussi à l'intérieur des espèces elles mêmes. Ainsi ce qui serait normal pour une peuplade dite sauvage pourrait être pathologique pour une autre dite civilisée.
Un fait social sera donc dit normal que par rapport à une phase donnée du développement de l'espèce. Il est donc important d'observer un fait mais en situant celui-ci dans son contexte. Ainsi l'intérêt de situer le normal du pathologique aura comme but d'éclairer la pratique et, ces précautions prises, il sera nécessaire de pouvoir classer les faits en normaux et anormaux.
Il y a aussi des règles relatives à la constitution de types sociaux. Ainsi pour étudier l'espèce sociale il convient d'en étudier les différents éléments, les différentes sociétés. Car il est impossible de généraliser, tant chacune d'entre elle à sa propre constitution, sa propre organisation, sa propre physionomie. La classification sera alors basée sur des critères essentiels. Une autre règle concerne l'explication des faits sociaux où l'auteur précise: "quand on entreprend d'expliquer un phénomène social il faut rechercher séparément la cause efficiente qui le produit et la fonction qu'il remplit". Il faudra donc déterminer s'il y a correspondance entre le fait considéré et les besoins généraux de l'organisme social. Car les causes de phénomènes sociaux reposent sur l'anticipation mentale de la fonction qu'ils sont amenés à remplir ou au contraire sur le maintien de la cause dont ils dérivent.
C'est dans la nature de la société elle même qu'il faut aller chercher l'explication de la vie sociale. "La cause déterminante d'un fait social doit être cherché parmi les faits sociaux antécédents et non parmi les états de la conscience individuelle". Sa fonction doit toujours être recherchée dans le rapport qu'il soutient avec quelque fin sociale. Il y a donc nécessité de rattacher le présent au passé, ce qui représente l'effort du sociologue.
Mais il existe une contrainte commune à tout fait social. L'homme social est plus riche, plus complexe, plus durable que l'homme individuel; il y a donc des raisons intelligibles de la subordination nécessaire.
Enfin la règle de l'administration de la preuve nécessitera pour comparer d'admettre qu'à un même effet correspond toujours une même cause. Ainsi quand des variations seront constatées il faudra chercher l'élément commun.
La méthode de recherche devra donc être, le plus possible, indépendante de toute philosophie, objective, exclusivement sociologique.
II- REPRÉSENTATIONS ET SOCIÉTÉ
..
La représentation est sociale quand le langage qui permet son expression est symbolique et social, quand également elle utilise des concepts propres au champ social.
Les représentations sont une sorte d'interface entre l'extérieur et l'intérieur, entre la réalité physique et la réalité psychique ( Moscovici montre,en 1961,que l'affirmation fondamentale des représentations sociales consiste en l'absence de coupure entre l'univers extérieur et l'univers intérieur de l'individu et du groupe..) Elle sont non pas une
simple image de la réalité mais une organisation qui a une signification précise.
Au carrefour de la psychologie et de la sociologie la représentation sociale entretient avec son objet des rapports de symbolisation (Jodelet,1991). Le sujet procède alors à un "remodelage mental" de l'objet (Moscovici,1976).
Leur processus d'élaboration est ainsi orienté par la fantasmatique et l'idéologie portant sur les relations de l'individu avec le monde et sur la conception globale du monde. En ce sens elles peuvent conduire à la modification des systèmes idéologiques et fantasmatiques du sujet.
Le concept de représentation sociale proposé pour la première fois par S. Moscovici (7), est depuis utilisé par nombre de professionnels comme les psychologues sociaux, les anthropologues, les historiens, philosophes ou sociologues. De tradition européenne et surtout française il s'impose désormais dans les sciences sociales.
Mais il est difficile d'en donner une définition commune à tous les auteurs en raison de sa situation de carrefour dense où les voies pour y parvenir sont multiples. La variété d'approches de ce concept en fait aussi sa complexité et sa difficulté d'utilisation en tant qu'outil de travail (car l'étude des représentations sociales est un domaine où là aussi il s'agit pour comprendre d'organiser, de hiérarchiser, de classifier).
La conséquence de cette situation est la grande polysémie de la notion de représentation sociale. Elle désigne ainsi un grand nombre de phénomènes et de processus.
Elle fait référence aux processus individuels, inter-individuels, intergroupes, idéologiques. Générée collectivement et donc partagée par les individus d'un même groupe elle marque la spécificité de ce groupe et contribue à le différencier des autres (Pénochet,1995). Sur un plan symbolique le groupe véhicule ainsi de l'interdit, des normes, des codes et comportements. Il se forge des contrats explicites et implicites qui l'entainent à toujours produire de l'imaginaire. (8)
Les individus ou les groupes d'individus vont percevoir la réalité à partir des représentations qu'ils ont, construites elles mêmes à partir des interactions entre ces groupes. Cette réalité ainsi constituée pourra alors être adaptée aux normes et aux valeurs admises par ce groupe. Une nouvelle représentation, élaborée à partir des croyances, sera intégrée dans les valeurs communes anciennes, transformant alors ces valeurs, comme la représentation elle même.
Tout ceci s'élabore en regard des rapports de communication où il sera nécessaire de clarifier plusieurs problèmes centraux posés par le développement des phénomènes de communication:
-quels sont les processus psychologiques qui interviennent dans ces phénomènes?
-dans quelles conditions objectives se produisent des phénomènes de communication et quels sont les éléments de leur constance et de leur transformation?
-comment ces processus sont-ils liés à ces conditions?
Ainsi, l'articulation de ces dynamiques relationnelles et représentatives peuvent amener à proposer les définitions suivantes:
Pour Guimelli, Merahihi et Pénochet la représentation sociale est "le produit et le processus d'une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstruit le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique" (9)
Pour Doise et Palmonari (10) les représentations sociales sont "des principes générateurs de prises de position liées à des intentions spécifiques dans un ensemble de rapports sociaux et organisent les processus symboliques intervenants dans ces rapports . (11) Cette double origine nous amène à évoquer une notion clé chez Bourdieu, la notion de champ, champ étant entendu en tant qu'ensemble d'objets sociaux ayant entre eux des relations de hiérarchie et d'opposition, qui structurent "la répartition d'un capital spécifique de valeur sociale".
La hiérarchie des valeurs, enjeu de lutte dans ces champs, entraîne des oppositions de même nature que celles qui existe entre les classes d'une société.
Ainsi, certains agents d'un champ déterminé vont défendre des positions de classe de façon méconnue ou censurée mais obéissent aux lois qui déterminent les valeurs de leur champ.
On peut noter que l'étude des représentations sociales est abordée de façon parfois sensiblement différente par les psychologues sociaux et les sociologues. En effet les psychologues sociaux étudient les processus de différenciation catégorielle, d'équilibre cognitif souvent de manière abstraite, c'est à dire en dehors d'un contexte social bien défini, et des rapports qui s'y développe.
Les sociologues s'attachent à l'environnement social et aux rapports de communication établis entre les différentes catégories d'acteurs mais faisant souvent abstraction des fonctionnements psychologiques nécessaires à la participation de l'individu à une dynamique sociale.
Cette opposition n'entraine pas pour autant de volonté de séparation, l'étude des représentations sociales semble nécessiter cette double approche.
Les représentations sociales auront ainsi une double fonction: rendre l'étrange familier et l'invisible perceptible (Farr,1984), en aidant les individus à s'orienter dans leur univers matériel et social. Mais tenter de pénétrer la cognition sociale se heurte à la difficulté de lier une information objective à un schème causal approprié car d'une part diverses expériences montrent que nous recherchons les informations qui confirment nos vues (donc les preuves d'étayage de nos stéréotypes), et d'autre part nous avons tendance à conserver les opinions que nous nous sommes formées.
Moscovici prend l'exemple d'une personne à qui l'on dit qu'une de ses connaissances a émis à son encontre des propos déloyaux. Cette personne va considérer l'auteur de ces propos sous un jour différent. Et si on lui précise qu'en fait c'était un mensonge et que ces propos n'ont pas été tenus, et bien le jugement aura tendance à persister sur la base des informations fournies (même fausses), car l'on aura entre temps bâti une explication qui s'accorde avec elles.
Ceci montre que nous avons tendance à établir des corrélations entre des événements qui, en réalité n'en ont pas.
Il existe ainsi une certaine imperméabilité à l'information et par voie de conséquence une tendance à résister aux faits et connaissances qui ne résistent pas à nos croyances. Nous cherchons donc à confirmer par tous moyens la représentation ou l'idée que nous avons d'une personne ou d'un groupe de personnes. Les rapports de communication dans l'environnement social sont canalisés dans le but de confirmer les croyances concernant tel ou tel groupe d'individus.
De plus les gens (considérés comme "savants naïfs" par Moscovici, en opposition aux "savants professionnels") peuvent choisir d'attribuer la cause d'un comportement à l'individu lui même ou bien aux circonstances. Toutes les études effectuées à ce propos montrent qu'en général on préfère s'en prendre aux individus plutôt qu'aux circonstances, surestimant ainsi la part que prennent les personnes à l'action.
Ce personnalisme entraîne ainsi des erreurs de jugement et se coupe de la réalité objective. Les "savants naïfs", "Monsieur tout le monde" sont donc des mauvais savants qui se bornent à confirmer des théories, sans remise en question et expliquent leurs observations par des causes personnelles. Il faut préciser que les "savants professionnels" ne sont pas immunisés contre ce type d'erreurs.
Si nous considérons que toute information provenant du monde extérieur est elle-même façonnée par des stéréotypes, des préconceptions nous ne pouvons plus admettre que l'objet du chercheur soit l'unique exploration de la nature de l'information. Il nous faut également concentrer nos recherches sur ces mêmes stéréotypes, sur ces théories implicites, ces images.
Les représentations revêtent alors deux traits principaux qui les caractérisent: d'une part elles sont collectives (et à ce titre concernent essentiellement le social) et ne peuvent rendre compte des différences individuelles. D'autre part elles sont des mélanges de concepts, d'images et de perceptions.
Nous pouvons donc admettre que chaque fois que nous acquérons ou modifions une représentation sociale nous entraînons la modification de comportements en direction des autres et de nous mêmes. Les conditions de développement des représentations concernant la maladie et plus particulièrement le cancer et le sida sont à ce titre éloquentes.
Les représentations sociales erronées sont alors à considérer non en regard de la logique et de la psychologie mais de l'histoire et de l'interprétation de notre culture. À ce titre les représentations sociales doivent être considérées comme les données de point de départ de la recherche scientifique.
Ne les rapportant plus aux individus et explicitant leur mécanisme dans leur cadre culturel il semble plus aisé d'en comprendre leurs lois.
Il s'agit donc de bâtir de nouveaux modèles prenant en compte ces dimensions (au delà de la simple cognition sociale), s'interessant à l'étude des modes de culture, des relations entre les groupes sociaux, entre les groupes sociaux et les individus.
Les représentations sociales sont à considérer d'un point de vue non pas seulement logique mais anthropologique, car au coeur de la culture et de nos pratiques. Leur analyse doit être comparative par définition, comparaison des groupes des cultures des idéologies et centrée sur la réalité.
"Il n'y a rien dans la représentation qui n'est pas dans la réalité, excepté la représentation elle-même"(Moscovici,1986).
Marc Livet. (à suivre)
Bibliographie :
(1) Durkheim E.,Les règles de la méthode sociologique, PUF,Paris,1967
(2) Grawitz M., Méthodes des sciences sociales, Dalloz,1984
(3) Mauss M.,Oeuvres.2. Représentations collectives et diversité des civilisations, Ed. Minuit, 1969
(4) Durkheim É., Éducation et sociologie, PUF, Paris, 1966
(5) Durkheim É.,Textes. 1 Éléments d'une théorie sociale,Ed. Minuit, 1975
(6) Durkheim É., Les règles de la méthode sociologique, PUF, Paris, 1967
(7) Moscovici S., La psychanalyse, son image et son public,Paris, PUF, 1961
(8) Bretin-Naquet M., cours de psychologie sociale, Maitrise de gestion hospitalière, 1994
(9) Guimelli Ch, Merahihi N, Pénochet JC, Représentations sociales et image de la psychiatrie
(10) W. Doise et A. Palmonari. L'étude des représentations sociales, Delachaux et Niestlé, 1986
(11) Ibid