LES PSYS DANS L'ENTREPRISE
Dr Serge HEFEZ
Psychiatre. ESPAS
La performance des entreprises ne se réduit plus à une addition de chiffres d'affaires, de clients ou de parts de marché.
Les sentiments individuels, à la frontière de la vie intime, deviennent aujourd'hui un baromètre de leur vitalité. On s'en préoccupe d'autant plus que recruter des cadres et des jeunes diplômés est plus délicat.
Ainsi, la présence de psychologues du travail dans les métiers du recrutement, de la formation et dans l'insertion professionnelle ne surprend plus personne.
Mais les psys peuvent aussi être sollicités par l'entreprise pour soigner les crises de croissance ou d'identité, les traumatismes ou les bobos de l'âme que peut engendrer l'actualité souvent mouvementée du management et de la productivité.
A côté de cela, sous la dénomination de coachs, de formateurs ou de consultants, les psys tentent de permettre aux managers de s'arrêter un instant sur leurs stratégies et leur relation aux autres.
Fusions, violences, performances, les entreprises et les administrations ont tendance à penser qu'un problème simple à énoncer peut se régler rapidement : c'est mal évaluer la complexité des individus dans une organisation ; elles finissent ainsi à faire appel à un spécialiste pour éteindre le feu. En se mettant à l'écoute des employés et en leur proposant des outils de changement, les psys se retrouvent souvent en place de médiateur entre plusieurs points de vue.
Les tests de recrutement sont de nouveau à la mode. Très prisés dans les années 50, puis diabolisés dans les années 70, ils sont revenus en force au début des années 90 et sont utilisés dans environ 25% des recrutements des cadres. Dans certains groupes, tout le monde y passe, de l'ouvrier spécialisé au cadre supérieur.
Une fusion prend souvent des allures de big bang, avec la naissance de multiples galaxies : filiales, départements, regroupements de services. Plus personne ne s'y retrouve, les salariés vont peut-être devoir changer de service ou de métier ; des symptômes apparaissent ; le psychologue peut alors aider à analyser l'évolution de l'organisation, jouer les médiateurs pour faciliter le dialogue entre managers et collaborateurs, entre différents services, différentes entités.
Ils peuvent aussi adopter une position plus soignante pour résoudre le stress et la souffrance psychique des employés : comme l'évoque le Dr X, des groupes de parole, des méthodes de relaxation vont viser à les aider à prendre du recul pour les rendre plus performants.
L'accompagnement psychologique peut aussi se centrer sur des employés ayant subi des actes de violence ; à la RATP par exemple, des psychologues peuvent intervenir 24 h sur 24, 7 jours sur 7, pour soulager la souffrance psychologique du personnel victime d'agression en appliquant des techniques de débriffing.
Pour ce qui concerne le recrutement, 150 tests d'évaluation intellectuelle et 40 questionnaires de personnalité sont actuellement sur le marché.
Leur valeur prédictive est loin d'être parfaite mais ils visent à éclairer les candidats et l'employeur sur l'orientation professionnelle la plus adéquate.
Différents outils sont ainsi employés:
· Les tests psychotechniques : ils mesurent la mémoire visuelle, le sens spatial, la capacité à comprendre un problème mécanique ; ils sont utilisés pour certains métiers techniques (dessinateur-projeteur, conducteur de travaux etc..)
· Les tests de logique et de raisonnement : ils prennent de multiples formes, suites logiques, dominos, tests mathématiques et verbaux
· Les tests de personnalité : ce sont les plus utilisés pour évaluer les cadres. Les test dits " projectifs " comme le Rorschach dans lequel on décrit des dessins faits à partir de taches d'encre, sont censés révéler la nature inconsciente et la vraie personnalité des candidats à l'embauche. Ils ont moins la cote actuellement mais les entreprises leur préfèrent la graphologie qui poursuit les mêmes objectifs.
· Les questionnaires de personnalité ont le vent en poupe : GZ, MBTI, 16PF, Sosie ou Performanse, ils sont informatisés, ludiques et faciles à interpréter.
Point important, la loi contraint les recruteurs à restituer oralement aux candidats leur résultat aux tests.
Selon le syndicat national des psychologues, 3000 à 4000 psychologues spécialisés travaillent dans le champ de l'entreprise. Il existe également des psychiatres, spécialisés notamment dans le stress et l'anxiété ainsi que dans la prise en charge post-traumatique, qui exercent dans ce cadre.
L'Institut français de l'anxiété et du stress (IFAS) travaille par exemple à la question de la gestion des émotions au sein de l'entreprise.
30% des consultants exerçant dans les cabinets de recrutement ont une formation initiale en psychologie. Les cabinets de recrutement exerçant dans des conditions éthiques sérieuses sont agréés par le SYNTEC.
La RATP et GMF (garantie mutuelle des fonctionnaires) financent l'IAPR, un Institut d'accompagnement psychologique de prévention et de recherche
Au bénéfice de qui les psys exercent-ils au sein de l'entreprise ?
Pris entre le marteau et l'enclume, ils ont souvent du mal à se situer. En utilisant le concept de " démarche participative ", en organisant des " consultations " au cours desquelles chacun est invité à exprimer ses projets mais aussi sa souffrance et son malaise, il ne leur est pas toujours facile de ne pas être considérés comme de simples auxiliaires de la direction pour faire entériner tel ou tel projet. Ou pire, de rendre les salariés plus résistants pour supporter des modalités de travail de plus en plus génératrices de stress.
Qui plus est, la frontière peut paraître ténue entre ce qui se rapporte au contexte professionnel, par exemple la difficulté à prendre la parole en public, et ce qui ressort de la psychologie intime comme la timidité ou les blocages psychologiques.
Autant dire que les soucis éthiques et déontologiques de ces professionnels se doivent d'être au premier plan : se centrer sur l'augmentation des capacités professionnelles en respectant l'intimité et la vie privée, se garder de tout abus d'influence, ne rendre compte de son action au donneur d'ordre que dans les limites établies avec les employés. Et surtout s'engager comme interlocuteur actif de transformations des conditions de travail allant dans le sens du bien être des individus.
Document écrit tiré de l'émission de télévision PSYCHE