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PSY DU BOUT DU MONDE

Humanitaire en santé mentale


Humanitarian Story

Il pleut sur Jérusalem depuis trois jours déjà, elle regarde cette ville si loin de chez elle mais tellement familière. Voilà maintenant huit mois qu'elle vit ici et qu'elle y travaille. Son job ? psychologue sur un projet humanitaire.
Elle sourit et se souvient de la jeune femme, terrorisée qu'elle était à l'idée de partir et elle était loin de s'imaginer que tant d'épreuves allaient l'attendre. Regrette- t - elle son choix ? dieu lui est témoin, dans cette ville mystique, pas un instant elle échangerai sa place.
L'heure du bilan est là, elle rentre en France dans deux semaines. Elle a du mal à réaliser que tout ce qu'elle a pu vivre ici va prendre fin, qu'elle va laisser sa place à une autre, pour d'autres aventures. Elle est un peu perdue, elle ne sait pas trop quel sera son avenir.
Elle repense à cette question que les gens lui posaient avant même qu'elle ne parte : " que vas-tu faire à ton retour ? "
Elle n'en savait rien à l'époque, répondant seulement qu'elle verrait les choses différemment à son retour, que son séjour ici ne la laisserai pas indifférente mais elle ne se doutait pas à quel point elle avait raison.
Lors d'un break en France, son oncle lui a dit qu'une étudiante était partie et qu'une femme était revenue. Peut être…
Elle croit au Karma et repense à la manière dont les événements se sont embriqués les uns dans les autres.
Elle était mal dans sa peau, faisait un boulot qu'elle n'aimait pas trop et qui ne lui offrait aucun avenir, rêvait d'une autre vie, elle fuyait les hommes pour mieux se protéger de la souffrance qu'ils engendrent, qu'ils le veuillent ou non.
Elle menait une vie indépendante sans attache si jamais l'opportunité de partir s'offrait à elle. Ce caractère lui a valu bien des déboires et des désillusions mais comme pour tout le reste, elle sentait qu'il devait en être ainsi et pas autrement. Elle le savait imperceptiblement.
Elle se rappelle de sa lettre, celle qui changea sa vie. Elle l'a écrite d'une traite, en attendant la fin d'une longue journée à l'hôpital.
Elle ne correspondait pas au poste, mais qu'importe, au pire, elle perdait le prix d'un timbre mais aura tenté sa chance.
La réponse de l'organisme, les entretiens, un départ précipité vers cette Palestine tant controversée. Bien qu'elle partait vers une inconnue sans savoir ce qu'il l'attendait, elle ne s'est jamais sentie aussi sûre de son choix.
Les au revoir, le regard incrédule de son entourage et en même temps, cette incroyable vague d'amour qu'ils lui ont offert pour la porter jusqu'ici.
Ça y est, la voilà dans un pays étranger pour remplir une tâche complètement éloignée du doux confort de la maison de ses parents.
Elle découvre tout, ouvre grands les yeux et son cœur et s'en prend plein la figure à sa plus grande stupéfaction. Cette expérience va définitivement au delà de tout ce qu'elle avait imaginé.
Les stocks de nourriture, la situation géopolitique internationale et son impact sur son quotidien. Les passages de check points, conduire sur des longues distances en restant impassible devant les insultes et autres gestes obscènes des colons, vivre sous couvre feu, le gilet pare balle dans le coffre de la voiture, les photos de martyrs l'observant alors qu'elle circule seule sous couvre feu, entre deux chars.
Les chars : elle y voit des bébés et des papas, selon la longueur du canon, se hisse sur la pointe des pieds pour présenter ses papiers. Les soldats, parfois dragueurs, parfois complètement paumés, parfois trop sûrs de leur position, elle s'en amuse, mettant ses petites culottes sur le dessus de son sac, au cas où ils demandent à vérifier ses bagages, quand elle passe les check points. Mais elle n'oubliera jamais ce fossé, cette limite dressée par le check point même lorsqu'elle y rencontra un soldat français. Ils auraient pu peut être boire un café après les cours à la fac, ailleurs, en France qui sait, mais là, ils se regardaient, chacun dans une position opposée, là où le dialogue n'a plus sa place.
Les check points : ils différent dans leur architecture mais se ressemblent dans leur monstruosité. Les palestiniens, femmes enceintes, enfants, personnes âgées, tous parqués derrière des barbelés, qu'il pleuve, qu'il vente ou sous un soleil de plomb, suppliant des gamins de 18 ans de les laisser passer, mettant au placard leur dignité.
Les routes détruites par les passages de chars, les barricades de fortune du côté palestinien. Les immeubles dévastés gardant les stigmates d'une vie d'avant, avec une chaussure qui traîne ou encore le poste de télévision là où se trouvait le salon.
Et les blessés racontant leur histoire, les enfants ayant jeté le caillou de trop, parfois.
Et puis les camps de réfugiés : les odeurs, les enfants l'accompagnant de leur " hello, how are you ? what's your name ? "

Cette coiffeuse qui lui en veut gentiment de s'être fait couper les cheveux en France plutôt qu'au centre de femmes.
Les salamaleks et les cafés, les gâteaux de ramadan, encore brûlant, donnés en avance, parce qu'elle sort de sa base pour l'Ahid. L'enfant qui ramasse le drapeau de sa voiture pour ne pas qu'il lui soit volé et le lui rend fièrement comme s'il partageait un trésor. Et puis, la population tellement surprise de la voir ici dans leur galère et ce, de son plein gré, la porte d'un élan de respect. Et enfin, l'équipe locale avec laquelle elle a partagé son quotidien. Leur force de caractère, leur désir d'aller toujours plus loin l'impressionnent. mais au delà de tout ça, c'est leur capacité à trouver une ressource nécessaire pour être heureux là où elle aurait vite baissé les bras. Les chants a capela improvisés pour des fiançailles tant attendues sous couvre feu, l'arak pour réchauffer le cœur et la dabqué (danse traditionnelle) pour célébrer l'accomplissement de cette union.
Gaza, Naplouse, au delà de l'horreur elle y a trouvé du bonheur. Shawy, le chauffeur de Gaza, s'époumonant de joie quand elle le bipe, ses collègues la chouchoutant plus qu'elle ne le mérite. Et puis, la sortie de ses collègues, sous la couverture de l'ONG, pour un week-end, ils sont là tels des enfants, avec leurs petits sacs et ce sourire incroyable qui illumine leur visage. Cette petite larme, témoin d'un trop d'émotion, qu'elle verse en les regardant savourer une liberté temporaire.
Elle ne se reconnaît plus dans le miroir, elle s'est épanouie au milieu de la guerre.
Elle se sent toujours aussi terrorisée face à la vie mais paradoxalement, elle a gagné de l'assurance. Elle s'est ouverte au monde qui l'entoure et pourtant elle sait que c'est le cœur gros qu'elle montera dans l'avion qui la ramènera chez elle.
Elle laisse derrière un morceau de sa vie mais elle part sereine de ce qu'elle est parvenue à faire, à devenir.
Elle est partie dans l'optique de venir en aide aux populations les plus en difficultés et c'est elle qui a été aidée. Aidée à s'ouvrir, à prendre le risque de vivre intensément, de vivre tout simplement. Elle ne pense pas avoir fait quelque chose d'extraordinaire, juste son travail. Mais déjà, elle sent que son retour va être un moment de flottement, un temps de réadaptation. Elle va changer de rythme mais garde la certitude qu'elle a fait le bon choix et ne regrette rien, si ce n'est de ne pas avoir pu le faire plus tôt.
Elle a envie de revivre l'expérience, ailleurs, avec d'autres populations, d'autres besoins, un autre contexte.
Elle songe parfois à se poser et à mener une vie plus sage mais pas tout de suite.
Elle se demande comment elle pourra partager avec ceux qu'elle aime ce qu'elle a vécu et pourquoi elle va leur paraître différente dans un premier temps.
Enfin, elle songe à l'autre, celui qui pourrait traverser et se poser dans sa vie, comprendrait-il son parcours, ses choix ?

Il pleut sur Jérusalem depuis trois jours déjà, comme si le temps même l'aidait à préparer son départ. Elle sait qu'elle aura le sentiment de laisser une histoire en route, mais elle réalise que cette dernière s'écrivait déjà avant qu'elle n'arrive et qu'elle continuera après son départ. Elle a juste été temporairement l'actrice d'un épisode à part dans ce grand feuilleton qu'est la vie.
Elle soupire, elle se sent sereine, enfin.


Audrey Bollier

La cueillette des olives


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