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PSY DU BOUT DU MONDE

Humanitaire en santé mentale


De Qûsin à Jamaïn (suite)


Si Bahia est repartie soulagée, le vieux monsieur que Saber m'a adressé ensuite, ne s'est pas laissé approcher, enfin, sur un plan clinique je veux dire… Parce que par contre, les vieux messieurs d'ici se laissent tout à fait approcher d'une autre manière … Plus exactement, ce sont eux qui approchent …

Abou Azziz explique à Ayman qu'il a travaillé à l'université il y a bien longtemps et qu'il connaissait tous les grands professeurs de Annajah University. Ayman doit me demander si je les connais. Il est un peu déçu et se serait même fâché que le docteur que je suis ne les connaisse pas. Difficile d'expliquer à Abou Azziz que si j'étais docteur ce serait en philosophie. Ayman lui explique donc que je suis diplômée de la faculté de Paris en France. Impressionné, Abou Azziz me regarde pour la première fois. Je croise son regard curieux mais voilé par la cataracte. " Ah oui ? ! … J'ai un ulcère de l'estomac qui me fait souffrir depuis très longtemps et rien n'y fait. Auriez-vous un médicament pour me soulager ? ". Je tente d'expliquer à Abou Azziz que je ne prescris pas de médicament, que c'est le rayon du Dr Saber, mais que souvent les maux d'estomac viennent du soucis qu'on se fait. Saber acquiesce et l'encourage à me dire ce qui lui fait soucis. Si j'avais gagné un point avec mon diplôme académique, je perdais soudain toute crédibilité si je ne pouvais pas prescrire de médicament ! " Laissons tomber tout ça, voulez-vous. Je vous invite chez moi. Je vous présenterai mes enfants et vous montrerai tous mes livres ". Saber et Ayman se tordent évidemment de rire. J'ai moi-même du mal à garder mon sérieux. Je fais mine de me fâcher un peu, tout ceci n'étant pas très convenable. Abou Azziz est un peu dur d'oreille ou fait mine de ne pas entendre et sourit. Il salue Ayman et lui dit qu'il est ravi de m'avoir rencontrée. Je lui dis combien je suis honorée.
Inutile de vous dire qu'il ne m'a rien manqué avec mes deux acolytes, d'autant qu'Ayman s'est empressé de raconter à Saber que j'avais déjà reçu une invitation, celle d'Abdoullah … mais ça, c'est une autre histoire.

La consultation se poursuit tranquillement. Trois mamans viennent m'exposer leur souci par rapport à l'énurésie d'un de leurs enfants. Beaucoup d'enfants en Palestine sont énurétiques, les petits comme les grands, les garçons comme les filles. Les mères sont encore peu rassurée par un entretien, elles préféreraient des médicaments. Souvent elles ont consulté toutes sortes de spécialistes, les résultats sont négatifs et elles continuent d'interpeller la science. Une seule des trois mamans que j'ai reçu ce matin là me semble prête à entendre que son enfant réagit à une suite de situations traumatisantes (ou à un traumatisme précis et repérable). Les enfants, par contre, sont très intéressés par ce que je raconte à leur mère : Montasser (9ans) ouvre ses yeux très grands lorsque j'énonce que la situation ici n'est pas normale et que par contre, il est normal qu'un petit garçon soit terrorisé par l'explosion d'une bombe dans la maison de ses voisins. Delram (5ans) qui regardait le bout de ses pieds et se cachait derrière sa mère pendant le début de l'entretien, penche la tête pour me regarder lorsque je dis que c'est bien la moindre des choses qu'un lionceau ait peur des chars lorsqu'il y en a toujours un qui pointe son canon sur la porte de l'école. Il vient prendre un gâteau lorsque j'ajoute que ça ne l'empêchera pas de devenir plus tard un grand lion fort et valeureux. Shaïma (16 ans), elle, m'utilise pour expliquer à sa mère qu'elle ne se sent pas en âge de marier. Mère et fille tombent d'accord, ce qui soulage l'enfant mais angoisse peut-être la mère. Le père a-t-il un mari en vue pour leur fille ? La mère trouve de toute manière que sa fille est trop jeune et qu'elle doit terminer ses études (le bac).
Nous calculons ensemble que Shaïma a donc quatre ans devant elle. L'entretien se termine gaiement.
De Qûsin à Jamaïn, comme sans doute partout en Palestine, les parents sont extrêmement angoissés, voire sérieusement déprimés et les enfants tâchent de se débrouiller comme ils peuvent du contexte géopolitique et de l'état de leurs parents


Marie Rajablat

Tajawal et dabebé


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