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PSY DU BOUT DU MONDE

Humanitaire en santé mentale


Kifl Hârith : un dispensaire au bout du monde

Aujourd'hui, je vais commencer à vous raconter ma " tournée des popottes " parce que tout de même, je suis en Palestine pour une raison très sérieuse et pas pour la rigolade ! Médecins Du Monde a ouvert un programme Santé Mentale dont un des objectifs est de préparer le terrain à la création d'un secteur pilote sur le district de Naplouse, en collaboration avec le Ministère de la Santé et le Ministère des Affaires Etrangères de l'Autorité Palestinienne et le Consulat de France.
Je me balade donc d'une structure de soin à une autre en prenant parfois des chemins magnifiques qui sentent la poudre plutôt que la noisette. Avant toute chose, il faut savoir qu'en Palestine, beaucoups villages sont des prisons à ciel ouvert, tous les accès ayant été démollis ou coupés (destruction des ponts et blocage des routes par de gros blocs de pierres, de béton des tombereaux de terre ou des chars). La Cisjordanie est donc parsemée d'une multitudes de petits ghettos à l'intérieur du grand ghetto palestinien. En cas d'urgence, les villageois procèdent au " back to back ", c'est à dire qu'ils transportent leurs blessés ou leurs malades à bras, grimpant par dessus les monticules pour atteindre les ambulances palestiniennes qui attendent de l'autre côté. Kifl Hârith fait partie de ces villages coupés du monde et ce matin là, même avec l'aide de Tawani, l'infirmière du centre venue à notre rescousse, le Dr Anwar (1) , Ayman (2) et moi avons mis plus d'une heure pour trouver un chemin de terre praticable (en 4X4 !), soit un tout petit détour d'environ une dizaine de kilomètres. Remarquez bien que le détour en valait la peine car sachez qu'ici en février, c'est le début du printemps et le spectacle est somptueux : les amandiers sont en fleurs, les sols se tapissent de mille couleurs, les petites prairies verdissent tendrement, les brebis paissent ici et là, les paysans labourent leurs champs et sèment à tous vents… et contre ça, la guerre ne peut rien.

Dans ce dispensaire du bout du monde, nous rejoignons le Dr Yehia, un de ces médecins de campagne comme on en fait plus, très joli garçon, aussi élégant qu'intelligent. Il nous présente ses collègues : Heba, laborantine, Anam, infirmière, Zora, la femme de service et le Dr Ramé, généraliste lui aussi, qui travaille au village et vient leur donner un coup de main lorsqu'ils en ont besoin. C'est le Dr Yehia et Tawani qui me racontent leur travail : une soixantaine de personnes défilent au centre chaque jour. Quelques unes viennent pour une consultation (environ 15 à 20), les autres viennent pour des soins, des conseils, une formation ou simplement pour être écouté (3).

D'entrée de jeu, le Dr Yehia m'énonce que l'ensemble de la population est profondémment perturbé sur un plan psychologique : " Moi qui vous parle, je suis souffre de troubles dépressifs comme l'ensemble de mes collègues ici ". Tous acquiessent sans honte. Les troubles psychiques sont souvent cachés par une série de troubles somatiques et de fait c'est le généraliste qui est en première ligne pour écouter et évaluer. Le Dr Yehia me raconte avec beaucoup d'émotion et d'humanité quelques histoires de vie ou quelques consultations douloureuses pour illustrer la souffrance psychique de ses patients et compatriotes. Tawani me raconte à son tour avec humour et tendresse des histoires proches de celles que nous connaissons dans nos CMP, de ces échanges avec des patients chroniques qui viennent s'assurer que nous sommes toujours là et qu'ils ont toujours un espace pour être accueilli. Ceux-là, même Zora les connaît bien et sourie lorsqu'on évoque leurs passages. Tiens, Zora, parlons un peu d'elle. Elle porte une robe et un foulard sombre. Elle fait partie de ces femmes effacées dont la présence ne se révèle que par la multitude de petites attentions qu'elles portent aux autres. Ainsi, pendant tout le temps de l'entretien, le café, les jus de fruits et les gâteaux apparaissaient comme par enchantement sur la petite table au milieu de nous tous puis disparaissaient de la même manière pour laisser place au thé, aux fruits et à d'autres gâteaux. Voyant que je ne me servais pas assez à son goût, Zora s'est placée discrètement à côté de moi, m'a pelé bananes, oranges et kakis et m'a donné la becquée. Stupéfaite mais ravie je me suis pliée au rituel pour le plus grand plaisir de tout le monde. C'est ainsi qu'on accueille l'étranger en Palestine. Dans ce tout petit dispensaire, tous pansent les petits les gros bobos du corps comme de l'âme.


Marie Rajablat

Notes :

1 Le Dr Anwar Dweikat est responsable des dispensaires du Palestinian Red Crescent Society (PRCS)

2 Ayman Abu Zarour, interprète de la mission MDM

3 Les programmes du dispensaire sont les suivants : Santé maternelle et infantile, santé à l’école, soins à domicile, formation santé primaire à la population, conseil du service psychosocial et éducatif.

De Qûsin à Jamaïn


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