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PSY DU BOUT DU MONDE
Vive la famille ! n°18
Azmut, Deir el Hatab, Doma, Qriut, quelques villages palestiniens et d'autres encore où l'équipe de choc, Mère Henriette, comme m'a surnommée Marie, Noor, notre Shéhérazade interprète, et Farid, le chauffeur de ces dames, sévissent auprès de ces dames.
Chaque matin à 8h, notre départ de la base ressemble à un mini déménagement. D'abord, mon sac, avec le matériel médical (tensiomètre, doppler, boîte d'instruments, etc…), puis le matériel d'éducation, c'est à dire les posters, les brochures et surtout mon " bébé ", toujours accroché à son cordon et à sa poche des eaux. Mais aussi mon petit utérus plastifié où des filtres tressés remplacent les trompes et de beaux boutons blancs, les ovaires. Mais il ne faut pas oublier l'escabeau, le pèse-personne, la glacière pour stocker les prélèvements que nous rapportons au labo de Naplouse l'après-midi, et les petits gâteaux. Je vous l'ai dit, un vrai déménagement ! Très important les petits gâteaux pour calmer les pleurs des enfants qui se demandent quelles misères vais-je infliger à leur mère. Ah ! J'allais oublier les dossiers faits ou à faire, une montagne de papiers.
Ouf, ça y est, nous voilà prêts à partir ! Armons-nous de patience pour passer les check-points. Mais je sais que je dispose d'un atout de choc lorsque les soldats commencent à fouiller nos sacs. Noor et moi retenons nos sourires en voyant la tête des jeunes militaires lorsque j'extirpe mon " bébé ". Un vrai Sésame : " OK, c'est bon, vous pouvez passer ! … ".
Rustique, tout cela, me direz-vous. Mais très pratique et très utile pour expliquer bien des situations à certaines patientes qui ont pourtant eu de multiples grossesses et qui parfois me déclarent naïvement : " Alors, c'est comme ça que j'ai fait mes enfants ? ! ". Ou à d'autres, plus jeunes, très jeunes parfois, ravies de leur grossesse, qui les élèvent dans leur statut de " femme " mais qui sont souvent perplexes et inquiètes des informations de leur entourage familial et en particulier de ce que les belles-mères peuvent leur raconter.
Ah, ces belles-mères !
Dans chaque village, la consultation est programmée à l'avance, mais, la population connaissant les aléas des passages aux check-points, il n'est pas rare de n'avoir aucune patiente à notre arrivée. C'est alors qu'un responsable du village part à la mosquée et du haut du minaret, clame à tous les échos : " Henriette, la sage-femme française est arrivée ! ".
Dans le quart d'heure qui suit, nous voyons arriver ces dames, les plus jeunes flanquées de leur opulente belle-mère, d'autres accompagnées de leurs plus jeunes enfants.
Commence alors la consultation.
Toutes ces dames, regroupées dans de minuscules salles d'attente, papotent allègrement. Les enfants s'agitent, pleurent. Bref, un joyeux chahut.
Nous appelons la première patiente. Si celle-ci vient pour la deuxième ou troisième fois, elle est très détendue. Nous l'examinons, lui faisons entendre les battements du cœur de son bébé, la rassurons sur les differents problèmes qu'elle ressent ou appréhende.
Et voici qu'entre une nouvelle patiente, une petite jeunette de seize ou dix-huit ans, tout émue, toute timide et rougissante, accompagnée de l'imposante belle-mère, emmitouflée dans ses châles et foulards.
Dès la première question, c'est la belle-mère qui répond, donnant tous les détails de la vie intime de la jeunette et voici bien souvent, le dialogue qui s'instaure : " Elle est mariée depuis x mois, je n'ai rien vu de " spécifique " ce mois-ci. Je voudrais savoir si elle est enceinte ". La jeunette est encore plus rouge, mais ne peut ouvrir le bec.
Vient alors la séance du test de grossesse. Comment repasser devant tout le monde ? On cache le petit pot à urine dans du papier, sous le châle, dans la manche … Et voilà le moment crucial. Belle-Maman attend mon verdict : " Mais oui, ma petite, tu es bien enceinte ! ". Ouf ! de soulagement des deux, mais surtout de Belle-Maman, fière d'avoir fait la bonne pioche pour son fils.
Maintenant, il reste à passer le deuxième test, la connaissance du sexe du futur bébé. Si c'est un garçon, le choix aura été encore meilleur ! Nous finissons par la prise de sang et les pages d'écriture du dossier de suivi prénatal.
A la suivante ! …
De neuf heures du matin à quatorze heures, nous voyons ainsi défiler une quinzaine de patientes. Nous examinons, écoutons, réconfortons mais devons aussi parfois demander aux belles-mères, de laisser s'exprimer librement ces jeunes femmes, leur conseillant gentiment de les laisser venir seules aux prochaines visites … et alors parfois, que de confidences ! Il faut bien savoir que si jeunes, leurs grossesses ne sont pas désirées. Elles se trouvent sous l'autorité et parfois l'exploitation de la belle-famille, obligées d'arrêter leurs études n'ayant pu profiter de leur jeunesse. Combien d'entre elles se retrouvent avec deux ou trois enfants à vingt-deux ans, vieilles femmes à trente ans.
Malgré la fatigue de ces longues heures de consultation, heureusement entrecoupées de pauses où l'on déguste un délicieux thé à la sauge, même après presque un demi-siècle de pratique, c'est toujours pour moi le même bonheur devant cet espoir en l'avenir.
Henriette Duvinage
Sage-femme,
Médecins du Monde
Tempête du désert