Retour à l'accueil

Retour à Psy bout du monde


PSY DU BOUT DU MONDE

Paroles d'enfants n°17


Mohamed, trois ans, se tortille et se gondole sur sa chaise à regarder l'extra-terrestre assise sur la chaise voisine. A chaque fois que la drôle de bonne femme émet quelques sons, il explose de rire, toutes quenottes dehors. Même si le regard de certains enfants est grave, petit à petit l'hilarité devient générale. Quant à l'extra-terrestre …elle est cabotine, alors, elle en rajoute trois tonnes pour séduire son public. C'est que voyez-vous, venue d'une planète très lointaine, celle des grandes personnes, elle a une mission extrêmement sérieuse. Elle est sensée donner la parole aux enfants pour qu'ils lui racontent les choses douloureuses de leur vie quotidienne. Comme si la parole ça se donnait. Puis comme si un charabia pareil, ça signifie quelque chose pour des enfants. Elle le sait et fait exprès de parler charabia. Elle adore ça. Puis, elle a pas le choix. Les grandes personnes vont lui demander des comptes. Alors, " tatata, charabia, tatata …". Elle s'en donne à cœur joie. Mohamed rit à gorge déployée et les autres jouent le jeu. Faut pas croire, les enfants, c'est peut-être petits mais c'est pas cons. Ils savent y faire. Mais quand même, ça devient de plus en plus sérieux. C'est même assez terrible. L'extra-terrestre les laisse venir, regarde, écoute. Son compère (1) traduit simultanément, le souffle court. Lui aussi il a deux toutes petites filles qui se réveillent la nuit. Quand Hamed, Hosama, Aya, Nida, Noor ou Yasmine racontent leurs peurs ou leur cauchemars, Mohamed quitte un moment la salle :
C'est Hamed (11 ans) qui se lance timidement. Il ne tourne pas autour du pot : " Moi, j'ai tout le temps peur. Quand les soldats viennent dans notre maison, quand les chars sont dans la rue, quand ça tire dehors… La nuit je fais des cauchemars… Les soldats viennent me tuer … ". Hosama (13 ans) le suit de près : " Quand je me couche le soir, j'ai peur de ce qui va arriver la nuit. Je ne sais jamais si on va être vivant le lendemain matin… ". Aya poursuit du haut de ses sept ans : " Les soldats, ils sont rentrés chez nous à 3h du matin pour chercher des terroristes. J'ai eu très peur qu'ils tuent mon papa, ma maman et ma grande sœur ". Nida (12 ans), sa sœur, caresse le dos de sa petite sœur : " On habite au-dessus de l'école et une fois, ils ont tout détruit dans notre classe. Le lendemain, quand j'ai vu ça, j'ai eu encore plus peur. Tout était cassé. Il ne restait rien. On a dû aller dans une autre école le temps que tous les parents et les maîtres déblayent ". Yasmine (15 ans), une des plus grandes filles, explique que lorsque le couvre-feu dure plusieurs semaines, il faut bien finir par aller à l'école : " Ces jours-là j'ai très peur et je cours dans la rue ".. Noor (14 ans), clôt la ronde : " Je pleure quand je vois à la télé les morts, les blessés, les mères qui pleurent… J'ai peur quand j'entends les chars dans la rue ou les avions qui tirent…L'autre fois, les soldats ont lancé des bombes lacrymogènes … j'ai senti que j'allais mourir … ". Hadia, Saad, Hamid, Dia, Ada sont restés silencieux. Plus personne ne parle. Mohamed revient. Il fait des grimaces et des cabrioles, brandit une feuille de papier et tourne dans la pièce en riant toujours. L'extra-terrestre lui demande s'il fait une manif' pour dénoncer tout ça. Trop c'est trop.

Décidément cette bonne femme à la drôle d'allure l'amuse beaucoup. Les autres suivent son manège. " En voilà une bonne idée, Mohamed, nous allons faire une manif… Mais faut être sérieux, ça se prépare. Faut d'abord savoir à qui on va envoyer notre plate-forme revendicative ". Ca, c'est un mot charabia. C'est bien, on y revient. On hésite. Ca discute dur les enfants, vous savez ! Si on l'envoie aux parents, ils ne vont rien comprendre ou ça va leur faire peur, ou encore ça va leur faire de la peine. Et puis ça ne servira à rien. Alors, on pourrait l'envoyer aux soldats. Mais ceux-là non plus, ils ne comprendront rien. Ce sont des grandes personnes. Les seuls qui pourraient comprendre ce qu'on a à dire ce sont les enfants. Alors à l'unanimité, on a voté qu'on adresserait une lettre aux enfants israéliens. On s'est quitté drôlement contents. Chacun a un truc à écrire pour la prochaine fois et on mettra en commun. Les grands aideront les petits et les petits feront des dessins. C'est plus chouette une plate-forme charabia avec des couleurs. Et quand on l'aura fini, l'extra-terrestre a dit qu'elle le fera parvenir sur sa planète. Ca sera vraiment chouette !

Marie Rajablat

NOTES :

1 Ayman Abou Zarour, interprète de MDM France à Naplouse.

Vive la famille ! n°18


nous contacter:serpsy@serpsy.org