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PSY DU BOUT DU MONDE

Chapeau bas, les Nanas ! n° 16


Faut tout de même que je vous parle de certaines vedettes de Naplouse et le Dr Randa Abou Rabie en fait partie. Randa est avant tout une femme. Grande, mince, toujours sobrement habillée, elle n'en a pas moins une élégance naturelle. Elle n'oublie jamais le petit détail auquel, nous les nanas, nous accordons parfois tant d'importance, celui que la plupart du temps personne ne remarque. Cet hiver, nous avons fait quelques visites à domicile ensemble pendant les invasions de la Vieille Ville. Je vous en ai raconté certaines. Il fallait voir Randa, perchée sur ses hauts talons, son stéthoscope autour du cou. Elle courait plus vite que nous, allant d'une maison à l'autre, même dans les endroits les plus exposés, pour soigner ses patients, malades ou blessés. Terrés dans leurs maisons, des hommes et des femmes aux visages crispés par l'inquiétude ou la peur l'interpellaient derrière les ferronneries de leurs balcons. Les uns pour lui indiquer la progression des soldats dans la ville, les autres tout simplement pour garder un lien avec le monde des vivants. Les bénédictions angoissées de tous accompagnaient ses pas : " Alan wa salan ! Deir balak ala ha'laq ! Bad ilak Allah yahmiq ! (1) ". Dans chaque famille, tout en évaluant l'état de tel ou tel, elle s'assurait de l'état physique et psychique des uns et des autres. Même si, comme à chaque invasion, elle était bouleversée, elle n'en était pas moins efficace. Partout, elle distribuait des prescriptions médicales et humaines, contenant ainsi les angoisses de ses compatriotes. Car, c'est bien au secours de ses compatriotes que le Docteur de la Vieille Ville se porte ces jours-là, avec une rage de panser les blessures innombrables, celles du corps comme celles du cœur. Les tirs et les explosions ne l'ont jamais empêchée d'arpenter son fief et de faire son métier auprès de ceux dont elle se sent responsable, armée de sa seule détermination. Elle est un de ces médecins de famille qui tentent de ne jamais faire défaut, qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il fasse guerre.

Elevée dans une famille libérale et aisée, Randa a fait ses études au Pakistan. Là-bas, elle vivait seule, dans un petit appartement, ce qui pour une jeune fille du Moyen-Orient était (et reste aujourd'hui encore) très rare. Son père, médecin lui aussi, l'a élevée avec autant de liberté que ses fils. Aussi a-t-elle gardé de son enfance une conception libertaire de l'Homme tout en intégrant les principes religieux qui lui ont été transmis. " Vous savez, en dehors de la médecine, j'ai étudié la philosophie et la théologie et si je suis musulmane c'est parce que je l'ai choisi. Je suis fière d'être musulmane. C'est une foi que je porte au plus profond de moi. La religion, quelle qu'elle soit, c'est avant tout une affaire de valeurs humaines. Ces valeurs là, elles fondent tout mon être et je suis profondément blessée lorsqu'on me dit que je suis une mauvaise musulmane ". Chaque jour, Randa se bagarre pour créer des espaces d'information, d'éducation et de réflexion pour les femmes. Elle s'érige contre toutes les interprétations restrictives des textes sacrés, contre toutes les hypocrisies, notamment celles qui concernent les droits des femmes. Dans son dispensaire de la Vieille Ville, outre ses consultations, elle organise des groupes d'éducation à la santé. Elle anime également sur une chaîne de télévision locale des émissions sur les mêmes thèmes dont certaines ont fait scandale. En tant que médecin, il faut bien qu'elle parle de sexe car les jeunes filles ne sont pas préparées à devenir des femmes. Souvent, elles vivent les premiers rapports sexuels sans comprendre ce qui leur arrive parce que chez elles, on ne parle pas de ces choses là. De très jeunes filles sont parfois mariées avec de très vieux messieurs simplement parce que les familles en ont décidé ainsi avec la bénédiction d'un soi-disant discours religieux. Que ces petites filles passent de l'univers de l'enfance à celui du monde adulte d'une manière extrêmement violente importe peu et pourtant, explique Randa, " le Coran parle d'amour et ça, on oublie de le dire ".

Randa ne porte pas le voile. Il ne s'agit ni d'un défit ni d'un refus idéologique. " Aujourd'hui, le port du voile n'a plus la même signification. Vous verrez des jeunes filles voilées, fardées et habillées très à la mode, avec des jeans et des tee-shirts moulants. Le voile n'est plus un indice de religiosité mais un signe d'appartenance culturelle. Pour ma part, je ne l'ai jamais porté mais je n'ai rien contre celles qui choisissent de le faire ". Beaucoup de femmes ne le portent pas et c'est plus ou moins bien toléré, à condition, bien entendu, qu'elles restent discrètes. Si Randa doit faire une garde à l'hôpital, bien qu'elle ne soit pas voilée, elle est un médecin qui fait son métier. Si par contre, elle fait une émission d'information sur les maladies sexuellement transmissibles ou autre sujet sensible, elle devient une impie dévoyée qui pousse les femmes à la luxure. On repasse du registre culturel au registre religieux. Quoi qu'en dise Randa, toutes ces femmes qui ne portent pas le voile mènent, qu'elles le veuillent ou non, un vrai combat, parfois sans même le savoir. Beaucoup d'entre elles d'ailleurs, ne résistent pas à la pression et préfèrent se retirer dessous cette petite pièce de tissus pour se faire oublier. Afaf (2) , qui est coiffeuse, en sait quelque chose. Comme dans tous les salons de coiffure du monde, les femmes viennent se faire pomponner et papotent gaiement entre elles. Celles qui portent le voile se permettent toutes les fantaisies et Afaf, aidée par Noor et Khaloud, leur concoctent des coupes hyper mode, des couleurs, des mèches, etc. Celles qui choisissent d'aller tête nue restent plutôt sobres.

Afaf approche de la cinquantaine et ne porte pas le voile, comme sa mère et sa grand-mère avant elle. Racha (3), sa fille, ne le porte pas non plus. Et oui, ça n'est pas d'hier que les femmes cherchent à s'émanciper m'explique-t-elle en riant : " Dans les années 1920, les femmes ont défilé tête nue dans les rues de Jérusalem et de Naplouse. En 1960, ma mère portait des minijupes et des débardeurs à grands décolletés ! C'est dans les années 1980 qu'un discours intégriste a remis bon ordre dans la société. Aujourd'hui, les femmes qui ne rentrent pas dans le rang sont souvent mises à l'index et prennent le risque de se faire prendre à partie ou de se faire rudoyer, et souvent par leurs consœurs …".
Afaf pas plus que Randa ne sont des révolutionnaires. Elles essaient juste, chacune à leur mesure, d'occuper la place qu'elles estiment être la leur : celle de femmes libres. Dire que la plupart du temps, Randa est volubile est un euphémisme ! Pourtant parfois elle est silencieuse, triste, parfois même désespérée. Comme cette race de personnes intègres et généreuses, elle se sent parfois très seule et le doute s'installe.: " Souvent, je me demande à quoi ça sert tout ça …". Surtout lorsque sa propre famille lui tourne le dos ou lorsque ses propres enfants subissent les conséquences de ses engagements…

Nous sommes quelques-uns, Randa, à tenir ces positions de principe et c'est sans doute pour cette raison que le monde n'est pas aussi barbare qu'il pourrait l'être. Chapeau bas, Docteur Randa !


Marie Rajablat
Naplouse le 12 mai 2003



NOTES :

1 Sois la bienvenue ! Fais attention à toi ! Qu'Allah te protège !

2 Afaf Khayat tient un salon de coiffure à Naplouse. C'est elle qui prend soin, entre autres, des cheveux de toutes l'équipe MDM France !

3 Racha Khayat est une des interprètes intérimaires de MDM France à Naplouse.

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