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PSY DU BOUT DU MONDE

P'tits bonheurs n° 11


Avant d'arriver en Palestine, je n'avais aucune idée de la manière dont fonctionnait une mission. Enfin, ce n'est pas tout à fait exact. J'avais des préjugés. Ce devait être un repère de grenouilles de bénitiers ou de frustrés. Nul n'est parfait, je fais mon mea culpa et c'est précisément cette bande de frustrés que je vais vous raconter.

Une mission, c'est d'abord une maison et qui dit maison, dit cuisine et intendance. Lorsqu'on a fini une journée pénible, qu'il est doux de se mettre les pieds sous la table puis de se glisser dans des draps propres et frais. Jamais plus depuis l'enfance, il ne m'était arrivé qu'on prenne soin de moi comme ça. A Naplouse, Myasar (1) est aux petits soins pour nous. Chaque jour elle met les petits plats dans les grands et nous chouchoute à grands renforts d'Abdulillah !(2) Chaque jour pour nous plaire, elle met bout à bout tous les mots anglais et français qu'elle connaît et nous-mêmes, pour lui répondre, accommodons quelques rudiments d'arabe, une cuillère de français, une pincée de belge, un soupçon de canadien et une bonne louche d'anglais. Parfois nous dessinons, parfois nous mimons. Par une alchimie extraordinaire la sauce finit toujours par prendre et même si nous déjeunons à pas d'heure, c'est si bon de se retrouver tous ensemble autour de la grande table du séjour. C'est là plus qu'ailleurs que nous croyons à un monde meilleur. C'est là plus qu'ailleurs que le mot fraternité prend tout son sens.

Grand'mère Henriette (3), qui comme son nom l'indique est la doyenne de l'équipe, a une technique imparable pour passer les check-points sans attendre et vous allez le voir, ce n'est pas vraiment à cause de son âge. C'est plutôt à cause de son art et croyez-moi, à Ben Gourion(4) , sûr, ils en parlent encore. Faut vous dire que lorsque Henriette part en mission, elle emporte toujours avec elle son poupon et un plein sac de préservatifs, qu'elle rapporte vide, bien entendu. Elle ne fait jamais de difficulté lorsqu'un soldat lui demande d'ouvrir son sac pour vérifier son contenu. Bien au contraire, elle aime ça. Elle prend alors son temps, sort le baigneur et explique au jeune recrue la manière dont les bébés viennent au monde. Malicieuse, elle en rajoute, en lui expliquant comment on procède pour une césarienne. Elle installe alors le " bébé " dans son " ventre ", une manche de pull dans laquelle elle a cousu une fermeture éclair, ouvre celle-ci et met au monde le beau petit sous l'œil éberlué du môme en treillis. Des fois même, elle pousse la provocation à sortir son "placenta ". Là, les plus tatillons craquent et la laissent passer dès qu'ils l'aperçoivent sur un check-point !

Cela dit, la voiture d'Henriette est parfois vérifiée sous tous les angles et si certains soldats sont prêts à subir son training, ce n'est pas pour ses beaux yeux mais bien pour ceux de Noor (5).

Pour vous présenter Noor, je ne dirais qu'un nom : Schéhérazade. Belle, intelligente, vive, douce et facétieuse, elle est l'objet de toutes les convoitises. Les hommes la rêvent ou la dévorent des yeux, les belles-mères la tâtent ou la soupèsent. Les expats' se l'arrachent pour traduire. Mais bien plus que sa beauté, c'est son âme qui nous touche. Jeune fille de son temps, elle refuse de se cacher et de subir un sort imposé par des traditions d'un autre âge. Elle milite à sa façon pour la cause des femmes. Inutile de vous dire que tous, nous couvons notre petite perle comme un joyau très rare.

Le troisième larron de cette petite bande là, c'est Farid (6). Plutôt beau mec, lunettes de pop star, négligemment accrochées autour du cou, il chauffe ses dames, Henriette et Noor, dans leurs consultations mobiles à travers les villages. Autant les filles sont expansives, autant lui est laconique mais, faut pas se fier à son air froid car il n'en a pas la chanson. Toujours prêt à faciliter le travail de l'un ou l'autre, il veille farouchement par ailleurs sur le chef de tribu. Comme tous les silencieux il a l'œil et le bon.

Autre vedette et je vous assure pas des moindres, notre psychologue. Le rythme de Christine (7) est celui de la caravane qui traverse le désert de Flandres. Flegmatique et rêveuse, elle va dans la ville comme sur un nuage. Des tanks, des chars, peut-être même des soldats, elle a décidé qu'il n'y en aurait pas et du coup, elle ne les croise pas. Ou si elle les croise, elle ne les voit pas. Elle est aussi discrète qu'Henriette et moi sommes bruyantes. Elle est aussi calme que nous sommes agitées. Cela dit, nous nous retrouvons souvent hilares autour des bonnes choses, puisqu'elle accepte avec bonne grâce nos chahutages à son égard et que, comme nous, elle aime les " crasses (8)", le bon vin, l'amour et la vie et exècre la violence et l'injustice.

Comme chacune d'entre nous, elle est accompagnée d'un traducteur. Mazuz (9) est le plus discret d'entre eux. Il faut dire que ses collègues sont très remarquables, Noor, vous l'avez vu, par son éclat et sa jeunesse, et Ayman (10), dont je vous parle régulièrement, par son goût pour les blagues.
Ayman, justement, parlons-en. C'est un grand gaillard, bavard et joyeux, qui, s'il respecte Allah, n'oublie pas les douceurs de la vie. Puisque c'est moi qu'il supporte (ou moi qui le supporte !) et que c'est à lui que reviendra cette traduction en arabe, je glisse ici un petit message pour lui : " Pour tous ces soirs où nous sommes rentrés chez nous la tête et le cœur à l'envers mais aussi pour tous ces moments où tu m'as fait découvrir paysages et radis, Ayman, je te remercie ! "

Que vous l'appeliez logisticien ou régisseur, c'est un homme précieux, voire essentiel sur une base. C'est lui qui répare la fuite d'eau, fait le plein des voitures, glane toutes sortes d'infos, trouve l'introuvable et j'en passe. Chez nous, il s'appelle Fahmi (11) . Il s'est imposé à l'équipe par son ingéniosité mais aussi par sa bonne humeur car il ne perd jamais une occasion de rire et de profiter d'un joli moment qui passe et Dieu sait qu'ici c'est important. Juste au passage, sachez que sa jeune femme fait des gâteaux divins …

Reste maintenant à clore cette galerie de portraits en vous présentant le chef de cette belle tribu. Quand je l'ai vu pour la première fois, allez savoir pourquoi, j'ai aussitôt pensé aux récits de Jack Kerouak et à la poésie d'Alan Ginsberg. Peut-être à cause du pays d'où il vient et de ses grandes plaines d'Amérique du Nord. Si je vous disais qu'il est à peu près tout ce que j'aime chez un homme, vous me diriez : Marie rentre vite en France, tu es très mal partie ! Pourtant j'vous jure qu'chuis pas la seule à être tombée en amour avec lui(12) . A Naplouse, il a séduit tout le monde, de l'adjoint au maire aux toubibs des villages, des responsables de la Santé Maternelle aux commerçants du quartier, du staff local à tous nos partenaires, qu'ils soient expat' ou palestiniens …Partout y'en a plus que pour Monsieur Ronald (13) !


Vous voyez comme on a bien d'la misère en Palestine !
Une équipe pareille, chaque jour que Dieu fait, faut la supporter :
Henriette, j'aime la délicieuse matrone que tu caches sous un costume d'adjudant-chef
Christine, j'aime la révolte qui gronde dessous ton apparente innocence.
Quant à toi, Ronald, j'aime le regard que poses sur le monde et sur les hommes.
Je tiens à vous dire aussi, Myasar, Noor, Farid, Mazuz, Ayman et Fahmi
combien j'admire votre courage et la force de votre résistance pour rester debout.


Marie Rajablat

Notes :

1 Myasar Wassef Youssouf Khabbas.

2 Grâce à Dieu !

3 Henriette Duvinage, infirmière et sage-femme

4 Aéroport de Tel Aviv

5 Noor Zohair Suifan, interprète

6 Farid Abu Ghanem, chauffeur

7 Christine Delannay, psychologue

8 Expression Belge pour parler des confiseries et autres douceurs.

9 Mazuz Alawneh, interprète.

10 Ayman Abou Zarour, interprète.

11 Fahmi Rajab El-Masri, logisticien.

12 Vous l'aurez compris, Ronald est canadien !

13 Ronald Brault, coordonateur de terrain.

- Inch Allah ! n°12




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