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PSY DU BOUT DU MONDE

Humanitaire en santé mentale


Check-point

C'est par un bel et doux après-midi de janvier que Marie-Laure et moi sommes arrivées à Tel-Aviv, laissant derrière nous famille, collègues et amis dans une France paralysée par la neige. Avant de rejoindre nos bases respectives, Gaza et Naplouse, nous avons fait une première escale à Jérusalem. Jéru, c'est pour les expatriés " la maison mère " où l'ensemble de l'équipe se retrouve une fois pas mois pour faire le point sur les différents programmes et où les uns et les autres peuvent venir souffler les week-ends. Pour qui ne connaît pas l'ambiance mission, toute nouvelle arrivée d'expat' s'accompagne de fromage, de charcutaille, de chocolat et de bons vins. Inutile de dire que l'accueil est chaleureux, chacun prenant des nouvelles du pays ou des copains, racontant, bruyants et hilares, des histoires terribles de bébés et de papas chars, de kalach', de M16 et de B40-12 sous les yeux écarquillés des petits nouveaux. La première soirée s'achève souvent tard dans la nuit et la conclusion est toujours la même : " Vous verrez, c'est un pays extraordinaire ! ". Ce soir-là, nous nous sommes couchées la tête pleine d'images, d'odeurs, de saveurs et de mots nouveaux, abasourdies par toutes sortes d'infos, éberluées d'être enfin arrivées en Palestine. Pour l'une comme pour l'autre, il s'agissait du premier voyage au Moyen-Orient et de la première mission humanitaire. Nous avions rêvé cette aventure depuis plusieurs semaines et nous y étions enfin.

Comme promis, je vais essayer de tenir une chronique de ce voyage. Il y a tant de choses à raconter que je ne sais par où commencer. Peut-être par le commencement, c'est à dire le passage d'un check-point car voyez-vous, où que ce soit en Palestine, on ne circule pas librement, surtout si on a une voiture à plaques vertes .

Il y a des check-points qu'on voit à peine, des endroits que nous pourrions prendre pour des déviations ou des zones de chantier s'il n'y avait pas de soldats. A peine plus impressionnant que Paris avec son plan " vigie-pirate " au moment des fêtes. Puis il y a les autres … Les autres comme celui de Ouara, à l'entrée de Naplouse, que nous traversons plusieurs fois par semaine. Un check point c'est avant tout un non lieu de 500 mètres à 1 kilomètre. Aux deux extrémités de ce no man's land, des taxis vomissent ceux qui vont tenter de passer et avalent ceux qui viennent de le faire. Au milieu se croisent à pieds des ombres sombres le long de deux pistes. Une première pour les voitures israéliennes, non soumises au x vérifications, une seconde pour les autres. Les véhicules autorisés à passer sur cette seconde piste sont en priorité les ambulances, puis les ONG, enfin les camions d'avitaillement nourriture et médicaments. Pour le reste, ça dépend du temps, des événements et de l'âge du capitaine …Même si les conventions internationales sont strictes, il faut pourtant parfois patienter des heures pour que les malades puissent accéder aux lieux de soin. De ces heures passées à parlementer et à attendre, je garderai toute ma vie en mémoire des centaines d'images, surtout des regards : celui de cette jeune femme enceinte, fatiguée par une attente interminable en plein soleil de midi. Je revois ses mains posées sur sa longue robe brune, entourant un ventre discrètement rond, scandale de la vie qui pointe au milieu des barbelés ; Le regard grave de ces tout petits enfants agrippés aux basques de leurs mères ; Toutes ces vieilles gens fourbus montrant leur ordonnance ou leur rendez-vous avec Le docteur de l'hôpital de Rafidia. Illusoire laissez-passer aux yeux des soldats ; Tous ces jeunes, ces vieux, ces hommes, ces femmes et ces enfants parqués comme du bétail derrière un grillage, dans la poussière et sous la canicule ou dans la gadoue et le froid d'un jour de pluie. Je garderai aussi en mémoire le regard de ces soldats, tous des mômes, parfois très courtois, curieux même pour certains de notre présence en Palestine, parfois méprisants, la plupart du temps dépassés voire terrorisés, croulants sous les armes, les ordres, les invectives et la haine. Un quart d'heure d'attente à un check-point c'est une éternité. L'indignation, la détresse, la colère ou la honte ravagent les êtres, qu'ils soient d'un côté ou de l'autre du grillage.

Marie Rajablat

Mille et une années de bonheur à Hazem et Chourouk !


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