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Une approche thérapeutique de la psychose : LE GROUPE DE LECTURE

Dominique Friard.




Avant-propos

Il y a bien longtemps de cela, un enfant attendait sa mère à la sortie de son travail. Deux vieux papys, chassés par l'ennui de la salle commune musardaient. L'enfant ne voyait, du haut de ses cinq ans, que deux têtes coincées entre les barreaux sinistres de la grille d'entrée de ce petit hôpital de Bretagne. C'est aussi là que çà commence.

Au commencement était le plaisir.
Au commencement, toutes ces heures passées, où plongé dans un livre j'étais Robin des Bois, Tarzan, d'Artagnan, Davy Crockett.
Pas très loin d'un autre commencement, il y avait ces phrases de Proust que j'aurais pu faire miennes: "qui ne se souvient comme moi de ces lectures faites au temps des vacances qu'on allait cacher successivement dans toutes celles des heures du jour qui étaient assez paisibles et assez inviolables pour pouvoir leur donner asile ?" (1)
Chacun, ou presque peut se remémorer ce livre qu'il dévorait jadis " au coin du feu dans la salle à manger, dans sa chambre, au fond du fauteuil revêtu d'un appui-tête au crochet, et pendant les belles heures de l'après-midi sous les noisetiers et les aubépines du parc " (2). Cette "course éperdue des yeux et de la voix qui suivait sans bruit" (3), l'ivresse que ce marathon haletant provoquait, qu'il faisait bon la connaître !
Lectures d'hier, vous m'êtes précieuses comme un écho de mon enfance !
Lectures d'hier, lectures d'aujourd'hui, dès la première phrase, je me sens transporté ailleurs, en un autre univers, régi par d'autres lois: celles édictées par un démiurge inconnu.
Mes lectures ont changé, j'ai grandi.
Tantôt lecteur passif, emporté par le style, par les tribulations des personnages; tantôt lecteur actif, qui analyse, médite, s'attribue le texte, j'établissais ce que Descartes nomme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés.
Par cette fréquentation, j'ai tôt appris que la lecture était une "initiatrice dont les clés magiques nous ouvrent au fond de nous-mêmes la porte de demeures où nous n'aurions su sans elle pénétrer" (4).
Au commencement était le plaisir, puis "j'ai vu d'autres aurores encore. J'ai vu l'attente de la nuit" (5). A l'enfance a succédé l'adolescence. Je m'appelais Nathanaël alors, et Gide m'apprenait la ferveur. Pouvais-je savoir, lorsque j'avais 17 ans et que je me forgeais avec "Les nourritures terrestres" une philosophie de vie, qu'un jour, bien longtemps plus tard, je reviendrais, accompagné d'autres Nathanaël, m'abreuver à cette fontaine de jouvence ?
En ce temps là, la lecture était un plaisir, certes, mais un plaisir solitaire: "le miracle fécond d'une communication reçue au sein de la solitude" (6).

Pouvais-je deviner que la lecture en commun de ces oeuvres qui m'avaient tant fait rêver, qui m'avaient tellement interrogé constituerait dans le cadre d'un atelier d'expression un lieu privilégié où des patients psychotiques pourraient vivre une expérience de "liberté" de parole, de satisfactions réparatrices et d'éveils sensoriels, corporels et psychiques ?
Entre temps, j'étais devenu infirmier de secteur psychiatrique et, bien souvent, je trouvais dans des romans, au détour d'un poème, la petite étincelle qui me permettait de mieux comprendre un symptôme, le petit doute qui favorise la prise de distance, un je ne sais quoi, une petite musique, une ritournelle qui fait entendre un patient délirant autrement que comme un dément. Il est des rêves étranges et pénétrants qui résonnent comme des délires, il est des délires qui s'expriment comme des fragments de poèmes. Délire, poème, il y a toujours cette femme inconnue et que j'aime et qui m'aime et qui n'est chaque fois ni tout à fait la même ... des fragments de poème qui viennent hanter la vie des aimés que la vie exila.
L'animation du groupe Lecture(s) me permit de concilier soins psychiatriques et amour de la lecture.
Si ces échanges autour d'un roman n'avaient pas la richesse des discussions amicales, des échanges enflammés qui embrasent jusqu'au petit matin, je n'en percevais pas moins les oeuvres lues avec davantage d'acuité, je découvrais des terres inexplorées et me débarrassais de préjugés intellectuels. Aurais-je jamais lu "Le palanquin des larmes" ou "Les oiseaux se cachent pour mourir" sans le groupe Lecture(s) ? Mon regard sur les oeuvres, lui-même, s'en est trouvé modifié. Il faut lire en intégrant le point de vue des patients, penser à chaque histoire personnelle, et tenter d'imaginer comment elle pourrait réagir avec le texte.
Pour le lecteur soignant, le groupe lecture(s) constitue une extraordinaire occasion de relire des oeuvres, de les retravailler, d'en proposer une synthèse.
Il pousse à chercher dans chaque texte ce qui pourra stimuler l'intérêt, il ne s'agit plus alors de rejeter un écrit en vertu de goûts littéraires arrêtés, il s'agit de découvrir dans chaque oeuvre un point de vue intéressant à développer, de proposer une rencontre entre une oeuvre et un groupe de patients lecteurs, quitte ensuite, mais ensuite, seulement à adopter un point de vue plus critique. Le plus remarquable est peut-être que quand on cherche on trouve, chaque texte rencontre ses lecteurs.
Tout cela contribue à modifier la relation soignant/soigné. Le soignant n'est plus celui qui sait, il peut être interpellé, et même s'il n'est pas tout à fait un lecteur comme les autres, son interprétation du texte en vaut une autre.
Les soignants interviennent en tant que garants de l'activité, ils rendent la rencontre possible, ils participent au groupe certes avec leur vécu de lecteur, mais aussi, et surtout avec leur connaissance de chacun, avec la qualité de relation établie avec chacun. Ils effectuent également un travail de réflexion et de prise de distance en post-groupe. Mandatés par l'institution de soins, ils doivent lui rendre compte de ce qui se vit dans le groupe.
Il n'en demeure pas moins que le groupe Lecture(s) est un temps d'échange et de découvertes en commun où chacun peut apporter ses réflexions, ses remarques contribuant ainsi à enrichir l'expérience collective.


Chaque soignant s'est investi, ne serait-ce qu'en lisant l'oeuvre élue par le groupe. Cet investissement ne s'est pas arrêté là, il a dû faire une synthèse du récit, présélectionner des passages. Cela a impliqué des rencontres entre les trois soignants référents, des différences d'appréciation, des différences de lectures, qui ont donné lieu à des échanges nombreux et riches. Il n'a pas été rare que le post-groupe se prolonge et que la soirée s'achève fort tard, chacun continuant à défendre son point de vue, à le nuancer. Autour de ces discussions est née une certaine complicité.

Au commencement était l'attente, l'absence.
Au commencement était le plaisir, plaisir de lire, d'écrire, d'échanger autour d'un texte. Plaisir obscur qui renvoie à l'origine, à ce savoir qui ne se découvre que par bribes, entre les lignes.
Tout homme et a fortiori tout soignant ne se frotte-t'il pas à cette question de l'origine ?
Plaisir étrange qui fait qu'en le nommant on suscite l'objet absent, dans l'instant même où on marque son absence.
Il y a de tout cela dans mon appétence pour le texte, texte à écrire, texte à déchiffrer. Il suffirait de se laisser aller à la confidence pour qu'apparaissent les vraies raisons de ce travail. Elles renvoient à mon histoire, à ce que je suis. Il suffirait de se laisser aller et de fermer les yeux pour retrouver les deux vieux papys qui traînaient leur ennui derrière les grilles de l'hôpital hospice où travaillait ma mère. Ils ont su répondre à mes questions par du rêve, par du vent, par des contes. Ma mère débauchait alors beaucoup trop tôt.
N'empèche que c'est avec les bandes dessinées qu'ils m'ont données que j'ai appris à lire.


Introduction

Les Français ne lisent plus.
Alors que les médias déclinent sur tous les tons ce terrible constat, alors que toutes les statistiques font écho à ces cris d'orfraie, alors que le ministère de la culture organise des "Fureur de lire" fugaces pour tenter de lutter contre cette désaffection; à l'hôpital de jour Saint-Eloi, une tribu de patients, psychotiques pour la plupart retrouve le goût de la lecture.
Ce réinvestissement, effectué autour d'un groupe thérapeutique centré sur la lecture d'oeuvres littéraires pose un certain nombre de questions. De toutes les catégories de non-lecteurs répertoriables, celle des psychotiques est bien la dernière à pouvoir être touchée par la grâce. Ils cumulent tous les handicaps.
Si nous nous référons à la clinique psychiatrique, nous repérerons des symptômes tels que dissociation psychique, délire et autisme. Nous évoquerons à l'instar d'Hanna Segal, qui fut une des toutes premières analystes de psychotiques, la diminution ou la destruction de la capacité à former des symboles, à penser et à parler. "La confusion entre l'extérieur et l'intérieur, la fragmentation des relations d'objet et du moi, la détérioration de la perception, la faillite des processus symboliques, le trouble de la pensée, tous ces traits sont des traits de psychose " (7). Si nous considérons que la lecture n'est pas simplement un déchiffrage de symboles graphiques mais la possibilité de comprendre le sens d'un texte, de le maîtriser, d'en jouer, on conviendra que ces symptômes ne favorisent ni une lecture assidue, ni une lecture plaisir.
Et pourtant, ils lisent.
Ils lisent, c'est-à-dire qu'ils se concentrent sur un texte, qu'ils le déchiffrent, qu'ils le lisent à haute voix, qu'ils s'en distancient progressivement en y ajoutant des interprétations, qu'ils peuvent essayer de reconstituer la pensée de l'auteur, y adhérer ou la rejeter. Non seulement, ils jouent avec le texte mais ils s'en servent comme support d'une évocation de moments de vie passés, comme support d'une réflexion sur des sujets les concernant parfois intimement. Ils ne reviennent pas les mains vides de cette excursion en littérature, ils ramènent dans leur valise, une musique, un refrain, une ritournelle, un agglomérat d'images, de sensations qu'ils iront ensuite porter ailleurs. L'improvisation théâtrale, le texte écrit au groupe Ecriture, le dessin exécuté au groupe peinture en porteront trace, jusqu'aux verbalisations du groupe de musicothérapie.
Les barrages ne disparaissent pas miraculeusement, les troubles dissociatifs sont toujours présents mais au fil des séances, nous voyons quelques unes de ces manifestations pathologiques disparaître. Nous pouvons constater un authentique réinvestissement du travail mental.

Si nous, soignants, sommes relativement à l'aise lors des situations aiguës de décompensation psychotique, nous nous trouvons très démunis face au stade "résiduel" de la schizophrénie. La plupart des équipes s'avèrent impuissantes face au ralentissement psychomoteur, à l'hypoactivité, à l'émoussement affectif, au manque d'initiative, à la pauvreté de la communication verbale qui caractérisent cet état résiduel.

Comment aider le sujet "guéri (?)" à réinvestir la vie sociale, comment combattre ce fléchissement de l'activité ?
Nos démarches de soins les plus affinées viennent la plupart du temps s'échouer à cette question. Les ressources psychiques du patient psychotique semblent trop friables, les frontières entre dedans et dehors trop mouvantes pour qu'il puisse progresser sans s'enliser dans un éternel présent, dans une répétition ad libitum des mêmes séquences pathologiques. Qu' une activité de groupe centrée sur la lecture permette d'échapper à ce "pot au noir" ne saurait nous laisser indifférents.
Cette question du réinvestissement de l'activité mentale par la "bibliothérapie" est d'autant plus intéressante que si la création d'activités de tous genres connut une certaine vogue dans les années 80, il n'en va plus de même aujourd'hui. L'enseignement prodigué dans les Instituts de Formation en Soins Infirmiers (I.F.S.I.) laisse trop peu de place à la formation à la conduite de réunion et à la dynamique de groupe. Le nouveau diplôme d'infirmier qui unifie les deux filières du soin va accentuer ce mouvement. Cette désaffection est d'autant plus paradoxale qu'il n'a jamais été autant question de groupes d'éducation à la santé que ce soit à l'hôpital général ou à l'hôpital psychiatrique. Par quel miracle les infirmiers vont-ils devenir compétents en animation de groupe ? Combien d'accidents devront-ils se produire avant que cette question ne soit posée?
Le but de cet ouvrage est de permettre aux étudiants en soins infirmiers, aux infirmiers, quel que soit leur secteur d'activité, de découvrir le fonctionnement d'un groupe "thérapeutique", une des façon possible de l'animer. L'expérience que nous relatons a été effectuée auprès de patients psychotiques, rien n'interdit de penser qu'elle peut être reproductible auprès de patients non psychotiques. Qu'il s'agisse par ailleurs, d'animer un groupe d'éducation à la prise de traitement, un atelier peinture ou un groupe lecture chacun doit respecter un certain nombre de contraintes, manifester un minimum de savoir-faire, le lecteur pourra les retrouver tout au long de ce livre.

Le groupe Lecture(s), tel qu'il est défini à l'Hôpital de Jour Saint-Eloi permet à un certain nombre de patients psychotiques de renouer par la lecture en commun d'oeuvres littéraires avec un authentique travail mental. C'est en ce sens que nous affirmons que ce groupe est un groupe thérapeutique, qu'il l'est au même titre que d'autres activités art-thérapiques. Pourquoi ? Comment ? En quoi est-ce surprenant ?
Quelles sont les raisons de ce réinvestissement ? Est-ce le cadre de soins ? La médiation ? Les thérapeutes ?

Que la lecture favorise une réflexion sur soi et sur sa place dans le monde n'a en soi rien de surprenant, de nombreux auteurs qui n'avaient aucun rapport avec la psychiatrie l'ont abondamment décrit au cours des siècles. Que la lecture stimule cette réflexion chez des sujets psychotiques est a priori plus surprenant. L'hôpital de jour Saint-Eloi, cadre de soin dans lequel nous travaillons, accueille 80 à 90% de patients psychotiques souffrant d'apragmatisme, de troubles du langage, de troubles du cours de la pensée.
Il y a là un paradoxe: pourquoi proposer à ces sujets une activité expressive centrée sur ce langage et sur cette pensée que nous décrivons comme déficients ? Comment cette activité ne met-elle pas les patients en situation d'échec, comment peut-elle s'avérer thérapeutique ?

Alors que des activités telles que théâtre, poterie, expression corporelle, musicothérapie sont couramment utilisées et avec un certain succès dans la prise en charge des psychotiques, pourquoi créer une activité utilisant la lecture comme médiation ?

Ce groupe est né d'une réflexion menée par quatre soignants : Marie-Claude l'assistante sociale, Elisabeth l'infirmière, François le psychomotricien et Dominique l'infirmier. Nous montrerons leur trajet au cours du chapître consacré au cadre de soin.
Au cours de cette réflexion, ces quatre soignants rencontrèrent un texte court de Proust préface à "Sésame et les lys" de John Ruskin. Cet ouvrage, "Sur la lecture", publié en 1905, permettait de relier lecture et soins psychologiques.
Si chacun, ainsi que l'écrit Proust, peut évoquer ses lectures d'enfant et retrouver autour de ces livres un peu de ses impressions, de ses souvenirs d'enfance, tous n'abordent pas le livre de la même manière. Certains souffrent de "dépression spirituelle ", " vivent à la surface d'eux-mêmes, dans une sorte de passivité qui les rend le jouet de tous les plaisirs " (8).
Ces esprits que Proust qualifie de malade ne peuvent descendre spontanément dans les régions profondes de l'esprit, " une sorte de paresse ou de frivolité " (9) les en empèche.
Pour les réintroduire dans la vie de l'esprit, il faut "une intervention qui, tout en venant d'un autre se produise au fond d'eux-mêmes ... l'impulsion d'un autre esprit mais reçue au sein de la solitude " (10). La lecture serait la seule discipline susceptible de provoquer cette impulsion. Lire pour renouer un dialogue avec le plus profond de soi.
Si la lecture stimule ceux qui vivent à la périphérie d'eux-mêmes, pourrait-elle ramener à la surface ceux qui comme les psychotiques semblent être immergés dans leurs abysses ?
Proust établit un parallèle entre troubles mentaux et "dépression spirituelle": " on sait que dans certaines affections du système nerveux le malade sans qu'aucun de ses organes soit lui-même atteint, est enlisé dans une sorte d'impossibilité de vouloir, comme dans une ornière profonde d'où il ne se peut tirer et où il finirait par dépérir si une main secourable ne lui était tendue " (11).
Si le livre joue auprès de ceux qui souffrent de dépression spirituelle "un rôle analogue à celui des psychothérapeutes auprès de certains neurasthéniques " (12), ne peut-on concevoir que la lecture "puisse devenir une sorte de discipline curative et être chargée, par des incitations répétées de réintroduire" (13) un sujet psychotique dans la vie de l'esprit ?
L'idée paraît séduisante, mais quelle valeur accorder aux écrits de Proust ? Quelle connaissance a-t'il du psychisme humain?
Freud, lui-même, dès 1907, nous apprend à ne pas rejeter le témoignage des écrivains: " les écrivains sont de précieux alliés et il faut placer bien haut leur témoignage car ils connaissent d'ordinaire une foule de choses entre le ciel et la terre dont notre sagesse d'école n'a pas encore la moindre idée. Ils nous devancent de beaucoup nous autres hommes ordinaires, notamment en matière de psychologie, parce qu'ils puisent à des sources que nous n'avons pas encore explorées pour la science " (14).
Même si la science a aujourd'hui rattrapé son retard, la contribution de Proust n'est pas de celle qu'on peut écarter d'un revers de la main. On le peut d'autant moins que l'idée n'est pas neuve. Caelius Aurelien rapporte dans son ouvrage " Des maladies aiguës et des maladies chroniques" que son maître Soranos d'Ephèse (93-138) recommandait d'utiliser la lecture à haute voix dans le traitement des manies.

Marc Muret (15) rappelle qu'avant la découverte de l'anesthésie, il était courant, lors d'opérations, de lire des passages de l'Evangile ou du Coran en pays musulman.

Beaucoup plus près de nous, la création en 1934 d'une bibliothèque des hôpitaux dont le dépôt central était installé à la Pitié permit d'offrir à tous les patients une nourriture intellectuelle dont on espérait un certain profit thérapeutique. En juin 1947, le Dr. Royer notait que la lecture devait avoir un but plus élevé que celui de simplement occuper des patients désoeuvrés: "c'est un moyen d'étudier les réactions du malade et d'entrer en rapport avec lui. Elle devrait être considérée comme un agent essentiel de la guérison des malades de l'esprit " (16).

On peut noter, plus intéressant encore, que s'est développée aux Etats-Unis une pratique soignante nommée "bibliothérapie". Marc Muret rapporte qu'une des premières études sérieuses sur le sujet, oeuvre de Carolin Shrodes date de 1949. Depuis plus de mille titres ont été publiés, de nouvelles dénominations sont apparues: " Poetry Therapy" (thérapie par la poésie), "Bibliocouseling" (conseil de livres). En 1969, une association for Poetry therapy a été créée à New-York. En 1973 le Poetry Therapy Institute voit le jour à Los Angeles, enfin 1977 voit la création à Colombus (Georgie) du Bibliotherapy Research Institute. "La bibliothérapie est définie comme un adjuvant aux soins médicaux et psychiatriques par des lectures dirigées, choisies par une personne compétente " (17). La formation est proche de celle des musicothérapeutes américains.
Ces quelques références suffiront à démontrer que notre démarche n'a rien de fantaisiste.

Ne nous y trompons pas, ce n'est pas parce qu'autour du livre lu flottent des impressions du passé enfouies dans l'inconscient, ce n'est pas parce que telle ou telle lecture peut stimuler la réflexion, favoriser une prise de conscience ou un retour sur soi que la lecture par elle-même peut être considérée comme une psychothérapie; pas plus que le théâtre, la sculpture ou la peinture sur soie. Il y manque le thérapeute, l'autre auquel le discours s'adresse.
Sans thérapeute, sans cadre défini, il se produit ce que Freud décrit dans "L'analyse avec fin et l'analyse sans fin" : " Le patient entend bien le message, mais l'écho fait défaut ... Peut-être pense-t'il: c'est bien sûr très intéressant, mais je ne ressens rien de cela ... Le cas est à peu près le même que pour la lecture d'écrits psychanalytiques. Le lecteur n'est "excité" que par les passages où il se sent atteint, ceux donc qui concernent les conflits à l'oeuvre en lui. Tout le reste le laisse froid " (18). Sans thérapeute, on ne rencontre que ce qu'on a sur le bout le langue, que ce qui crève les yeux.
Si la lecture avait un si grand pouvoir thérapeutique, ne seraient malades que les non-lecteurs, ce n'est pas parce qu'on ne lit pas qu'on est psychotique. La lecture, "cet acte psychologique original " (19) permet une rencontre entre le texte d'un écrivain et un lecteur, mais cette rencontre est à sens unique. La lecture est un acte solitaire, c'est une situation de communication tronquée; le lecteur quoi qu'en dise Descartes ne peut dialoguer avec l'écrivain, et c'est parce que ce dialogue est impossible que le lecteur ne se contente pas de consommer du texte, mais qu'il se crée sa propre lecture du texte. C'est dans cet incommunicable, dans cet écart qu'est l'enjeu de la lecture.

Si çà n'est pas parce qu'on ne lit pas qu'on est psychotique, il existe peut-être une façon "psychotique" de lire, de s'approprier ou de ne pas s'approprier le texte, de laisser vagabonder son imaginaire ou de ne se référer qu'au code. Nous examinerons ce qu'il en est dans notre quatrième chapître. Quoi qu'il en soit, si le champ du langage et de la pensée est atteint, si dans la psychose toute distanciation imaginaire et symbolique s'avère extrêmement difficile, si les pulsions tendent à s'exprimer directement, si une pseudo-réalité remplace "le caractère aléatoire et véritablement représentatif de ce qui serait une activité imaginaire véritable, évocatrice de l'absent" (20) il sera nécessaire afin d'éviter au sujet une errance destructrice dans les méandres d'un texte qui lui parlerait de trop près, de structurer un cadre susceptible d'étayer la fonction imaginaire en étant suffisamment contenant. L'oeuvre de fiction, le texte permettrait alors de fournir un contenant provisoire où des pensées inimaginables pourraient s'ordonner dans un temps et dans un espace selon le principe de causalité déterminé par le cadre.

La première séance du groupe Lecture(s) eut lieu le 10 octobre 1989. L'effet mobilisateur de cette nouvelle activité sur les patients nous surprit.
En janvier 1990, je commençais à préparer une Maîtrise en Science et Technique (M.S.T.), option Santé Mentale, et lorsque la direction du Service de Soins Infirmiers me demanda de montrer l'intérêt institutionnel de la M.S.T, j'entrepris, avec l'assentiment et l'appui de mes collègues, d'élaborer une réflexion à partir de l'expérience acquise lors de l'animation du groupe Lecture(s).
C'est ainsi que nous fîmes une première évaluation de cette activité. Celle-ci mit en évidence que les patients suivis à l'hôpital de jour s'étaient remis à lire, certains lisant même plus que jamais. Elle montra que les façons de percevoir un texte s'étaient modifiées. Il semblait également que certains patients gardaient en mémoire des fragments de texte et exportaient ces fragments vers d'autres activités telles que le théâtre ou le journal, ces bribes de texte colorant les improvisations, les descriptions. De cette première évaluation, de cette ébauche est né cet ouvrage.
Si les patients emmènent avec eux des morceaux de texte, des images qu'ils vont travailler dans d'autres groupes, avec les moyens offerts par d'autres médiations, s'ils vont confronter ces scénarios à d'autres soignants, à d'autres patients, c'est que ce groupe de "bibliothérapie" existe au sein d'un ensemble plus vaste que nous nommons institution.
S'il est possible de montrer qu'une psychothérapie individuelle induit un certain nombre d'effets et lesquels, il est moins évident de le faire lorsqu'il s'agit d'un groupe qui s'inscrit au sein d'une institution qui a une visée thérapeutique, et qui propose d'autres activités qui sont aussi, bien que d'une façon différente, estimées comme thérapeutiques. Les plans s'interfèrent, il est difficile en ne s'intéressant qu'à l'évolution clinique d'un patient d'illustrer ce qui est dû à une médiation ou à une autre, ce qui est dû au groupe, ce qui est dû aux thérapeutes et à leur relation avec le patient, il faut de plus évaluer ce qui est induit par l'institution elle-même. Rajoutons que l'institution existe au sein d'une réalité plus vaste, qu'elle n'est ouverte que la journée et que ce patient n'est pas en dormition pendant le reste du temps.

Notre postulat est qu'on ne peut être soignant que dans et par l'institution. C'est elle qui nous assigne une place, c'est elle qui nous mandate pour accomplir une tâche donnée, c'est d'elle et des réunions de synthèse que nous viennent les différentes informations que nous possédons concernant les patients, c'est à elle que nous rendons des comptes.

C'est ainsi que nous avons réalisé un projet de groupe Lecture(s), projet que nous avons présenté à l'équipe et çà n'est que parce que ce projet a été retenu que l'activité existe.
Qu'entendons-nous par institution ?
L'institution est un élément de la culture, une réalité mentale collective avec des aspects conscients et des aspects inconscients. Nous considérons que l'hôpital de jour, d'une façon plus évidente qu'une unité de soin est une institution. L'hôpital de jour a été ouvert en juin 1977, la date de fondation des unités d'hospitalisation à temps complet se perd dans la nuit des temps.
Une institution, écrit Achaintre "c'est la forme que prend un groupe pour durer lorsqu'il est numériquement important et/ou qu'il organise un lieu de vie (total ou partiel) " (21). Nous entendons par institution, énonce-t'il en se référant à Rolland et Laffon "une organisation humaine qui possède les caractères sociologiques d'une organisation: existence d'un objectif, division des tâches et des rôles, division de l'autorité, hiérarchie, système de communication, contrôle des résultats et de l'orientation générale " (22). L'hôpital de jour est donc bien une institution.
Toute étude concernant une activité quelconque inscrite dans le projet institutionnel doit donc prendre en compte l'histoire et le vécu de cette institution.

C'est pour cette raison que nous présenterons le cadre de soin, sa vie, son organisation, ses membres, ses objectifs, son histoire, tout en sachant bien qu'il est difficile de tenir un discours sur une institution quand on a été et quand on est acteur de son histoire.

Si comme le proclame l'argument du N° 37 de "La nouvelle revue de psychanalyse" la lecture est " ce qui met en mouvement sa mémoire, son imaginaire, sa mémoire imaginaire " (23); si la lecture est " ce qui nous porte ailleurs, au plus intime et au plus étranger de soi, ce qui réveille des désirs secrets, en fait naître d'inattendus, ce qui donne à désirer" (24), il nous sera possible d'affirmer que le groupe Lecture(s) retentit d'une manière spécifique sur les patients et que ce retentissement tient à la nature même de la médiation proposée.
Qu'entendons-nous exactement par médiation ?
Les médiateurs ou médiations sont souvent utilisés par les thérapeutes dans des situations différentes, pour certains comme Pankow, le médiateur est un outil qui permet de dynamiser la relation, pour Winnicott, ce sera un moyen d'entrer en contact avec l'enfant. Nous reprendrons la définition proposée par Hrissula Lagiu dans son mémoire de C.E.S de psychiatrie. Le médiateur fonctionne comme support et médiatise l'espace de la relation thérapeutique. Dans la psychose "le médiateur, par la réalité qu'il montre et offre, remplace l'assise symbolique et sert à une reconstruction par et dans le langage. Ce qu'il nous appartient de réaliser par l'intermédiaire du médiateur, c'est de relier une image de mot et une image de chose qui fasse sens pour l'ensemble. C'est un va-et-vient constant entre le ressenti de chacun de sa propre histoire et l'histoire inscrite dans le temps" (25).

La lecture fonctionne ainsi comme médiateur de la relation thérapeutique, elle fonctionne comme support et lien du groupe et favorise l'aspect collectif. Le collectif permet une identification à l'image du semblable, il permet de partager la réalité d'un espace en se confrontant à la réalité des besoins du corps propre de chacun. Au sein d'un groupe, il existe une relation qui s'inscrit dans un champ transférentiel, mais cette relation est plus souple, plus diffuse que celle observée dans la relation duelle et dans la cure analytique type.
Le groupe Lecture(s) permet un mouvement à partir du contenu d'un texte de fiction qui vient, par la médiation de la voix du soignant qui raconte et qui lie l'histoire contenir, capter l'attention du sujet; protégé par le contenant groupe le sujet peut ainsi se laisser aller à faire siens l'espace d'un instant des émotions, des ressentis qui ailleurs auraient été intolérables. Le sujet devient après ce premier temps qui est aussi un temps d'apprivoisement de la lecture, un Lecteur qui fait vivre le texte, qui en joue, propose des interprétations, s'attribue le texte, le rejette, bref en joue. Le troisième temps de ce groupe est la mise en mémoire de scénarios, de fragments de texte dont le sujet va pouvoir se servir pour investir d'autres lieux thérapeutiques, ressentir des affects et renouer les fils de sa propre histoire. Nous énoncerons notre hypothèse ainsi :

" L'augmentation du rythme de lecture, constatée à l'H.D.J Saint- Eloi, depuis la création du groupe Lecture(s) n'est qu'un effet indirect de la confrontation de patients psychotiques à l'écrit, que cette médiation organise.
Dans ce cadre défini, grâce à la lecture à voix haute de textes littéraires, ces patients passent d'une réception passive à une lecture active qui les amène à jouer avec le texte. Ce jeu, loin d'être gratuit, affirme la possibilité d'un sens : sens des mots lus ou entendus, sens des situations décrites mais aussi et surtout sens à retrouver de sa propre vie. "

Le groupe Lecture (s) fonctionnait encore lorsque le mémoire dont est tiré cet ouvrage a été écrit, la recherche chiffrée a été limitée à la période comprise entre le 10/10 1989 et le 31/07/1991.
Nous avons fait ce choix pour différentes raisons : la première était d'éviter que le mémoire de maîtrise ne fasse interférence avec l'ici et le maintenant du groupe, qu'il modifie les résultats observés, qu'il permette de prendre plus de distance avec le quotidien du groupe. Il s'agissait bien sûr d'une illusion. Le travail d'élaboration a modifié le groupe, (comment pouvait-il en être autrement ?) et le groupe a modifié le contenu du mémoire.

La seconde raison découle de l'interruption du groupe de juillet à octobre 1991. François a quitté l'hôpital de jour pour des raisons de santé, l'institution a donc dû se prononcer sur le maintien de l'activité.. Le recrutement d'Aline, une psychomotricienne, a permis ce maintien. Avec cette modification, le groupe n'était plus tout à fait le même : un fondateur était parti, l'institution avait clairement pris position, un nouvel équilibre entre les soignants s'est instauré. Cet équilibre a de nouveau été rompu par le départ de Marie-Claude, l'assistante sociale, en octobre 1992. Celle-ci a été remplacée par Brigitte, une infirmière qui arrivait, elle aussi, à l'hôpital de jour. La gageure devenait alors impossible à tenir. Ces départs se sont produits au moment où la recherche s'effectuait. Maintenir la limite de temps, envers et contre tout, c'était se référer à un passé, dont j'étais devenu le seul garant, c'était se comporter en membre fondateur, jaloux de ses prérogatives et désireux d'immobiliser le fonctionnement du groupe. Prendre en compte le présent, c'était penser à l'avenir, contribuer à l'ouverture du groupe, c'était laisser Aline et Brigitte trouver leur place et leurs marques. C'est pour cette raison que tout travail d'élaboration a été interrompu pendant trois mois. La partie statistique respecte la limite temporelle, la partie clinique ne la respecte pas. Chaque fois que le choix était possible, l'illustration clinique récente a été préférée.

A partir de quels éléments, avons-nous validé notre hypothèse?
Nous avons utilisé des sources très diverses, non pas par volonté déclarée d'éclectisme, mais parce que s'il existe de nombreux écrits sur la lecture tant sur le plan littéraire, que sur le plan éducatif, sociologique, psychanalytique il en existe peu ou pas sur la lecture utilisée comme médiation thérapeutique. Pour la plupart des auteurs, écrire c'est produire le texte, lire c'est le recevoir d'autrui sans y marquer sa place.

Concevoir que la lecture puisse faire partie des arts-thérapies suppose qu'on assigne une place créative au lecteur. Si quelques esprits éclairés ont, à l'exemple de Proust, proposé d'utiliser la lecture comme médiation, le problème n'a jamais été de soigner par la lecture. Pour la grande masse des individus, pendant des milliers d'années, le problème a été d'apprendre à lire et à écrire. Il a été pour la minorité qui détenait le pouvoir de limiter les conditions de cet apprentissage. La question n'a jamais été : les fous doivent-ils lire ? Elle s'est définie comme : le peuple doit-il avoir accès aux Ecritures ? Les ouvriers doivent-ils apprendre à lire? puis Peuvent-ils lire des romans sans chercher à sortir de leur condition ? Les femmes peuvent-elles lire sans devenir des Mme Bovary? etc., etc. L'apprentissage de la lecture et de l'écriture ne s'est généralisé que lorsque les possédants y eurent intérêt.
Pourquoi des gardiens de fous auraient-ils favorisé la lecture de malades alors qu'eux-mêmes ne savaient souvent ni lire, ni écrire ? Pourquoi des médecins auraient-ils incité leurs patients à lire, alors que la plupart de leurs auxiliaires étaient analphabètes ? Pourquoi enfin l'auraient-ils fait, eux, dont le pouvoir reposait également sur les certificats de 24 heures, de quinzaine qu'ils remplissaient ? Le pouvoir médical, c'était aussi le pouvoir de maîtriser les mots (maux?). Ne dit-on pas d'ailleurs que l'écriture des médecins est illisible ? Les textes américains étant pour la plupart introuvables, Marc Muret, lui-même, auquel nous avons écrit n'a pas gardé ses références, nous avons donc dû forger nous-mêmes nos concepts.

Nous avons utilisé une approche sociologique. La lecture est d'autant plus un acte solitaire qu'elle n'est pas acquise pour tout le monde, mais elle est également un fait sociologique. Les livres sont écrits, édités, publiés, achetés, ils ont un coût. Les patients sont confrontés dans leur quotidien à ce coût; pour trouver un livre, il faut soit l'emprunter à une bibliothèque, ce qui implique d'y être inscrit, de la fréquenter, soit se le faire prêter, ce qui implique d'avoir noué des relations amicales, soit l'acheter, ce qui suppose beaucoup de frais pour qui n'a pour tout revenu qu'une A.A.H.

Lire implique un apprentissage qui s'effectue à l'école, c'est à la réussite de cet apprentissage qu'est mesuré en première analyse l'efficacité d'un système éducatif. Pendant longtemps, aller à l'école c'était apprendre à lire, écrire et compter puis aller au travail. Première mission de l'école, l'apprentissage de la lecture est la condition et le moyen d'accès à l'ensemble des matières enseignées. L'analphabète est de fait un paria dans une société qui fait la part belle à l'écrit.
Nous ferons dans ce cadre appel à des données chiffrées. Notre but étant d'amener les patients à lire davantage, il nous fallait mesurer le nombre de livres lus, qui lisait et comment.
Nous avons lu avec intérêt la littérature psychanalytique, et nous nous sommes rendus compte que les lecteurs, lecteurs d'inconscient, interprètes des songes, interprètes des oeuvres, etc., c'était plutôt les analystes. Nous n'avons trouvé que très peu d'écrits concernant la lecture des analysants, le domaine de l'analysant, c'est le conte pas la littérature. Les évocations de la lecture renvoient essentiellement aux ratés, lapsus, etc. du lecteur, vulgaire ou non. Tout cela n'a pas manqué de nous étonner, d'autant plus qu'il nous semblait qu'autour de la lecture, autour de la psychose se posait le problème de la représentation, des liens entre imaginaire et symbolique.

Nous nous reporterons aux notes de post-groupe pour évaluer le fonctionnement de l'activité. Ces notes, prises semaines après semaines mentionnent la date des séances, l'oeuvre évoquée, le nom des participants, la durée de leur présence, la qualité de leur lecture (rythme, respect des ponctuations, ton, difficultés, lapsus, etc.). Nous avons également reporté la nature des interventions, les questions soulevées par l'oeuvre, les associations, l'intérêt manifesté, les postures, les mouvements qui nous paraissaient intéressants, nos suppositions et ce que nous percevions de l'ambiance du groupe. Comme ces notes ont été prises après coup, dans des conditions parfois difficiles (pour les premières séances), elles ne sont pas exhaustives, il y a nécessairement eu perte d'information.
L'auteur de cet ouvrage n'est pas le rédacteur exclusif de ces écrits; absent une semaine par mois, il n'a participé qu'à trois séances sur quatre. Ces notes permettent de pointer l'évolution individuelle des patients qui fréquentèrent régulièrement le groupe, elles permettent également de repérer un certains nombre de facteurs propres à l'expliquer.
Nous avons cherché à savoir si l'évolution observée dans le cadre de l'activité était perceptible avec d'autres médiations, si telle thématique se retrouvait ailleurs, si les patients évoquaient leurs lectures en entretien. Nous avons donc parcouru les comptes-rendus d'entretiens médicaux, consulté les notes de post-groupe de différentes activités (Ecriture, Théâtre, Petit groupe poterie, peinture, journal). A l'exception de l'activité Journal dont nous sommes l'animateur référent, nous n'avons participé directement à aucune de ces activités.
Pour vérifier notre hypothèse, nous emprunterons d'abord à notre pratique. Nous nous sommes d'une certaine façon livrés à une lecture du fonctionnement de la structure de soin, et ce mémoire est sous l'angle de l'activité Lecture(s), le résultat de cette lecture. Nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer l'équipe de l'hôpital de jour "Le presbytère", situé à Bondy (93). Leur expérience proche de la notre a confirmé certaines de nos hypothèses. Nous avons pu avoir des échanges de qualité qui nous ont aidé à formaliser ce travail. Leurs observations ont été publiées dans "Espace du dire de créativité", compte-rendu d'une journée de réflexion menée par l'association Iris-Formation en décembre 1988.


Nous avions en commun le même étonnement face à la richesse des échanges, face à la réapparition d'acquis culturels qui semblaient inexistants chez certains patients. Nous avons noté le même effet stimulant de la lecture sur la mémoire.
Nous avons traduit le seul ouvrage de l'école américaine que nous avons trouvé, il est consacré à la Poetry therapy, c'est un ouvrage collectif publié en 1968, les articles relatent des expériences concernant un très petit nombre de patients. Ils ne nous ont guère permis d'avancer.
Revenons à notre question centrale : pourquoi et comment des sujets psychotiques, alors que tout devrait les en dissuader investissent-ils une activité comme la lecture ? Comment peuvent-ils tirer autant de bénéfices de ce groupe ?
Si la lecture comme toute autre médiation peut être un moyen d'entrer en relation avec un patient donné, si elle peut être un facteur dynamisant, elle n'en constitue pas moins une médiation particulière. Elle ne renvoie pas vraiment à la réalité mais plutôt à un discours sur la réalité. Le livre est certes un élément réel, les mots imprimés également, mais leur sens, non. La lecture se réfère bien évidemment à l'assise symbolique, elle suppose la capacité de comprendre le langage et de décrypter le texte.


Entre le soignant et le soigné il y a le texte à lire, texte qui est totalement indépendant des lecteurs, aussi indépendant que peut l'être un signifiant. Nous pourrions dire que le texte est un signifiant, car chaque texte de la littérature renvoie à un autre texte, c'est ce qui nous permet d'employer le terme de littérature. Ce qu'il y a de commun entre soignants et soignés est alors de l'ordre du signifiant. Lorsque les patients nous proposent un livre en nous disant qu'ils n'y comprennent rien, c'est un peu comme s'il nous amenaient un symptôme dont ils ne comprennent rien, sinon qu'il les agit. Nous allons, alors, substituer à ce signifiant massif d'autres signifiants. Certains s'inscrivent dans la culture, dans ce qui est source des vocables, d'autres rencontrent l'histoire individuelle. La lecture va donc permettre un va-et-vient entre l'histoire inscrite dans le temps, qui est histoire de l'humanité et inscription de cette histoire, la vision particulière de l'écrivain, la façon dont lui-même s'inscrit dans cette histoire collective et les schémas qu'il propose et enfin le ressenti de chacun sur la problématique développée par l'écrivain, qui renvoie à l'histoire biographique de l'écrivain mais aussi à l'histoire biographique du sujet. A la différence des autres médiations souvent muettes, la lecture se définit comme une médiation parlante. En fin de compte le groupe Lecture(s) pourrait se définir comme la médiation d'une médiation, il rend possible la rencontre entre soignants et soignés, il rend possible la rencontre entre écrivain et lecteurs, il rend possible la rencontre entre lecteurs et culture. Il permet également, mais sur un autre plan, la naissance d'une culture qui est culture de groupe. Il permet une rencontre non vécue comme persécutive entre des patients psychotiques lecteurs et le symbolique.
La lecture propose un espace à trois dimensions, une dimension culturelle, une dimension intersubjective et une dimension intrapsychique. Pourquoi écrire sinon pour inviter, pour inciter d'autres équipes, d'autres soignants à investir cette médiation ?
Il importe pour cela de bien préciser le cadre de soins, de donner au lecteur les moyens de reproduire l'expérience tout en sachant qu'il s'agira alors d'un chemin autre qui lui appartiendra, à lui, et aux lecteurs qui le suivront dans cette aventure.



CHAPITRE 1 : Introduction


Bibliographie

1- PROUST (M), Sur la lecture, Acte Sud, Hubert Nyssen ed., Paris 1988,62 pages,p.10.

2- Ibid.,p.30.

3- Ibid.,p.24.

4- Ibid.,p.37.

5- GIDE (A), Les nourritures terrestres, 1er Livre III, Gallimard, Paris 1969,p.30.

6- PROUST (M), Sur la lecture, op.cit.,p.36.

7-SEGAL (H), Délire et créativité, Essai de psychanalyse clinique et théorique. Trad. CHAMBRIER, VINCENT, Ed. Des femmes, Paris 1987, 406 pages, p.226.

8- PROUST (M), Sur la lecture, op.cit.,p.35.

9- Ibid;,p.36.

10-Ibid., p.35.

11- Ibid.,p.35.

12- Ibid.,p.35.

13- Ibid.,p.35.

14- FREUD (S), Le délire et le rêve dans la "Gradiva" de Jensen, trad. BELLEMIN-NOEL.Gallimard Paris 1986.270 pages,p.241.

15- MURET (M), Les arts-thérapies, La psychologie dynamique, Retz,Paris 1983, 192 pages,pp. 163-165.

16- ROYER (P), La lecture à l'H.P, Revue médicale de Nancy,N° 1/15 mai 1947.

17- MURET (M), Les arts-thérapies, op.cit.,p.164.

18- FREUD (S), L'analyse avec fin et l'analyse sans fin, in Résultats, idées, problèmes,t.II,Paris 1987,pp.231-269,p.249.

19- PROUST (M), Sur la lecture,op.cit.,p.24.

20- DUBOR (P), Structure psychotique, in Psychologie pathologique,théorie et clinique, Masson, Paris 1990,pp. 167-185,P.170.

21- ACHAINTRE (A), Institutions et pratiques de groupe, in Psychologie pathologique,op.cit.,p.320.

22- ROLLANT (M), LAFFON (R), Finalités et fonctions institutionnelles, in Revue française de psychiatrie, N°7, octobre 1984,pp. 13-15.

23- La lecture, Nouvelle Revue de psychanalyse,N°37,Printemps 1988. Gallimard.Argument.

24- Ibid.

25- LAGIU (H), In-terre-relations dans un atelier d'enfants psychotiques, mémoire de C.E.S de psychiatrie,Université Paris XII Val de Marne,Année 1991,214 pages,p. 94.




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