" L'audit clinique appliqué à l'utilisation des chambres d'isolement en psychiatrie "
" L'audit clinique appliqué à l'utilisation des chambres d'isolement en psychiatrie " est le deuxième guide d'évaluation des pratiques professionnelles publié par l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Évaluation en Santé.
L'ANAES et les pratiques d'évaluation font peur. Dans les unités fonctionnelles, chacun se demande à quelle sauce, il sera mangé, quelles normes seront imposées, quelles formes prendra l'accréditation. L'inconnu fait peur.
Ce guide devrait contribuer à nous rassurer, à nous rassurer mais pas à baisser notre garde. Ce n'est pas parce qu'un guide est respectueux de l'autonomie des professionnels que tous le seront. Il est même de bonne politique de commencer petit. L'exemple récent du guide consacré à l'ECT est là pour nous maintenir en éveil.
Le premier effet de cette publication est qu'il n'est plus possible de dire aujourd'hui que l'isolement est un sujet tabou. La psychiatrie parvient enfin à l'âge adulte. Il est ainsi possible d'écrire qu'il nous arrive d'enfermer des patients dans des chambres d'isolement, que cet enfermement n'a parfois d'autre but que de punir un patient difficile ou pour réduire l'anxiété de l'équipe de soins.
Ainsi, il ne sera plus possible de dire qu'on ne savait pas. On peut toujours isoler à la tête du " client ", ne pas voir que des patients sont enfermés sans prescription médicale, sans formalisation écrite d'éléments de surveillance. Mais, ainsi que le stipule l'amendement Mercier, les soins doivent être consciencieux, attentifs et " conformes aux données acquises de la science ". Aujourd'hui, grâce à cette publication, les données de la science énoncent qu'on ne doit pas isoler un patient sans prescription médicale écrite, datée et signée, sans réévaluer la situation clinique quotidiennement, sans écrire et renseigner les données relatives aux soins et à la surveillance du patient. Psychiatres, infirmiers doivent savoir que le temps de l'isolement arbitraire est derrière eux. Les associations de patients vont s'emparer de ce texte et faire pression, y compris auprès des tribunaux. Il est dommage qu'il faille la peur du gendarme juridique ou économique pour modifier des pratiques qu'un simple souci éthique et clinique aurait permis de rectifier.
Ce guide n'est pas l'œuvre d'un petit nombre d'experts plus ou moins inconnus, dont l'éloignement de la pratique garantit la parfaite inefficacité. Quatre ans de travail, de réajustements, de discussions avec les soignants de 26 établissements ont permis d'élaborer ce guide. C'est dire le sérieux de la démarche. Cet audit part de la pratique pour aller à la pratique. Les auteurs ont isolé " l'isolement " pour mieux le décrire. Il s'agit là d'une démarche résolument pinélienne.
La méthode d'évaluation choisie : l'audit clinique, fondée sur la mesure de la pratique réelle par comparaison avec une pratique de référence en utilisant un ensemble de critères explicites, représentatifs de la qualité des soins semble être tout à fait adaptée à son objet. Nous avons montré ailleurs (1) la pertinence des 23 critères retenus par les experts de l'ANDEM, puis de l'ANAES. Chaque équipe motivée par l'analyse de ses pratiques est invitée à s'y confronter. Elle peut ensuite mesurer l'écart existant entre sa pratique et ces normes. L'analyse des causes devrait ensuite les conduire à la mise en œuvre de mesures correctives pour améliorer le niveau de qualité.
Prenons comme exemple le critère 5 : " Le trouble présenté par le patient correspond aux indications de Mise en Chambre d'Isolement et il n'y a pas d'utilisation à titre non thérapeutique ". L'équipe chargée de l'enquête va vérifier sur les documents écrits rédigés par le psychiatre que l'isolement est justifié par l'état clinique du patient. Soit l'isolement est justifié par au moins une des indications, soit il ne l'est pas. L'écart est facile à mesurer. En faisant retour sur dix isolements, on peut ainsi mesurer si les MCI sont conformes ou non. En supposant que certains isolements ne correspondent pas à une utilisation thérapeutique, l'équipe peut soit considérer que cela est une limite acceptable, et dans ce cas, nul ne viendra les obliger à modifier leur pratique; soit analyser les raisons de cette non-conformité (contre-transfert négatif pour un patient perturbateur de service, pression de l'équipe, absence du médecin, etc.), et apporter ses propres solutions au problème (mise en place d'une supervision, appel systématique du médecin de garde, changement d'unité, etc.). Dans un premier temps, nul ne viendra l'obliger à se conformer à ces normes. Il n'est cependant pas interdit de réfléchir un peu plus loin. D'ici à 2001, tous les établissement devront avoir reçu une visite d'accréditation. Comment imaginer que les pratiques d'isolement pourraient ne pas faire partie des critères retenus par l'ANAES ?
La démarche de l'ANAES consiste à dire : Il faut isoler le moins possible. Et s'il faut absolument isoler un patient, faisons le le mieux possible, en prenant le moins de risques possibles pour le patient et pour l'équipe de telle sorte qu'il y ait le moins d'arbitraire et le plus de soins possibles. Cette démarche apparaîtra inattaquable à de nombreux professionnels.
Pourtant.
Le travail réalisé par l'ANAES est comparable par son ampleur et sa durée à celui que nous avons nous-mêmes réalisés (26 hôpitaux mobilisés par l'ANAES, 29 pour le nôtre). Autrement dit, c'est près de la moitié des hôpitaux français qui se sont mobilisés autour de l'isolement. Le lecteur cherchera en vain une trace de ces travaux complémentaires dans la bibliographie réalisée par l'ANAES. Tout s'est passé comme si leur recherche bibliographique n'avait pas été réactualisée depuis 1994 (textes élaborés par l'ANAES mis à part). Pourquoi l'ANAES ne cite-t-elle pas les travaux réalisés par des infirmiers. L'ANAES a également " oublié " de citer une journée entièrement consacrée à " La chambre d'isolement "(2), journée à laquelle le Pr. Terra, responsable de cet audit avait pourtant participé. Quatre cent cinquante participants, pas moins de douze équipes françaises et étrangères avaient pourtant réfléchi sur le sujet. Faut-il en conclure que seuls les écrits réalisés par les experts de l'ANAES sont dignes d'intérêt ? Que l'Agence ignore les réflexions d'autres chercheurs ? S'agit-il d'installer une position de domination ? Nous savons déjà que pour l'agence ne sont considérés comme soignants que les cadres et les cadres infirmiers supérieurs. S'agit-il de niveler, d'uniformiser la réflexion ? Il serait dangereux de se laisser aller à de telles extrémités, la crédibilité de l'agence elle-même serait en jeu.
On ne peut travailler un objet particulier s'il n'est en même temps travaillé dans l'ensemble auquel il appartient et à l'activité duquel il participe. Ainsi, quand on travaille un objet, il y a en fait toujours deux objets à travailler : l'objet qui est l'objet même de notre travail et l'ensemble dans lequel cet objet se situe, ensemble qui à la fois, est déterminé par l'objet et détermine celui-ci.
L'isolement n'existe pas en tant que tel, il ne peut être " isolé " des autres pratiques de gestion de la violence (contention, neuroleptiques, ECT, relation d'aide, etc.). Il ne peut être isolé du fonctionnement institutionnel. Cet isolement de l'isolement est une des limites de ce guide. C'est l'institution psychiatrique qui isole, c'est elle qui mesure la qualité de l'isolement. Çà ne sort pas de la famille ! Aucun œil extérieur ne viendra nous renvoyer que nos pratiques sont parfois arbitraires. L'isolement n'est perçu que comme une pratique thérapeutique (et donc laissé à la seule appréciation médicale), ce que nul n'a jamais démontré. Si l'isolement est un enfermement, il doit y avoir des contrôles, des garde-fous. Il est intéressant de noter qu'à aucun moment le vécu des patients isolés n'a été pris en compte. Pourquoi n'y a-t-il aucun représentant d'association de patients dans le comité d'experts ? Pourquoi l'UNAFAM en est-elle absente ?
Reprenons l'exemple du critère 5. Supposons que M.X ait été isolé parce qu'il perturbe le service. Sera-t-il noté sur les documents : " isolé parce que nous ne le supportons pas ", évidemment, non. Les documents porteront " dangerosité, risque de passage à l'acte hétéro-agressif ". Comme ce patient a des antécédents de passage à l'acte, je défie quiconque d'affirmer que son isolement n'est pas une mesure thérapeutique. Qui veut isoler son chien l'accuse de la rage.
Sous couvert de qualité, le risque est grand de pérenniser et de légitimer des pratiques discutables. Pour améliorer les conditions d'isolement, il n'est qu'une seule méthode et ce n'est pas l'audit clinique. C'est d'ouvrir les portes des hôpitaux. Tout isolement d'une durée supérieure à 24 heures doit être signalée à la direction de l'établissement, au delà de 72 heures la Commission Départementale des Hospitalisations Psychiatriques doit être avertie et prendre contact avec la personne isolée si l'isolement se prolonge encore. Il est évident que la composition des CDHP devrait être alors élargie aux Travailleurs Sociaux. L'autre façon d'avancer cette question de l'isolement est de commencer une recherche clinique portant sur son éventuel aspect thérapeutique, travail en cours au CH Esquirol. (3)
Dominique Friard.
Bibliographie:
1- FRIARD D., La chambre d'isolement en psychiatrie : séquestration ou soins ?, Éditions Hospitalières, Paris 1998.
2- Journée " L'isolement thérapeutique en psychiatrie ", février 1996, CH. Esquirol.
3- LAVOINE P.L, FRIARD D., La chambre d'isolement en psychiatrie : séquestration ou soins ? in Psychiatrie, mai 1998, n° 210, pp. 3706-3708.