La chambre d'isolement en psychiatrie
séquestration ou soin ?
L'utilisation de l'isolement et de la contention mécanique comme moyen de maîtrise des malades mentaux agités et violents existe depuis l'origine du traitement des maladies mentales.
Dès l'Antiquité, des écrits font allusion à la nécessité " d'exercer un contrôle physique sur les personnes agitées " ? Ainsi, Celius Aurelien, recommande-t-il, de faire usage de liens si les maniaques sont agités, " mais sans leur faire de mal, en protégeant leurs membres de flocons de laine d'abord, en plaçant le bandage sur eux après. " Celius Aurelien reprenait, ainsi, les idées de son maître Soranos d'Ephèse.
Soranos, surtout connu pour son traité de gynécologie et d'obstétrique, s'opposait à Celse qui estimait qu'un traitement brutal avait pour effet de faire sortir, par la peur, le malade de sa maladie. Dans ce but Celse enchaînait ses malades, les affamait, les isolait dans une obscurité complète et leur administrait des cathartiques. Soranos, lui, recommandait de parler avec le malade de ses occupations ou de tout autre sujet susceptible de l'intéresser.
Cet antagonisme entre Soranos et Celse, entre contrainte et douceur, entre soin et contention a perduré, d'une façon ou d'une autre à travers les siècles, il est toujours actuel ainsi que le montrent les débats sur l'évaluation de la loi du 27 juin 1990. Si Soranos considère la contention comme un mal nécessaire, Celse estime, lui, que cette contrainte est thérapeutique. Cette opposition ne repose pas simplement sur une divergence d'ordre thérapeutique, elle s'étaie sur deux conceptions différentes du malade mental. Le malade apparaît chez Celse comme totalement envahi par sa maladie, au point que seul un traumatisme très violent pourrait l'en sortir. Les tenants des méthodes de choc, au début du siècle, ne pensaient pas autre chose : " Pour bien soigner quelqu'un il faut aller jusqu'à le faire mourir ou accepter de s'approcher de très près de la mort. Les thérapies de choc sont des thérapies qui jouent avec l'idée de la mort et avec la gravité comme déclic d'un dernier sursaut. " Pour Soranos, bien que malade l'individu, n'en reste pas moins un sujet; sa capacité à converser sur des questions qui l'intéressent montre qu'il n'est pas totalement envahi par la folie.
Si au Moyen-Age, le malade mental est le plus souvent " soigné " à domicile, il est en général nécessaire d'attacher le fou furieux. Le recours aux moyens de contention semble alors traduire la sollicitude des proches qui veillent à protéger le fou de lui-même tout en préservant la sécurité de chacun. Les moyens de contention permettent alors non pas d'isoler mais de maintenir le fou dans sa famille ou dans la communauté. Le fol errant, sans communauté, sans famille est le plus souvent isolé à la lisière des villes dans les tours aux fous.
Il en ira différemment lorsque avec le Grand Renfermement il s'agira d'enfermer les errants, les déviants de toutes sortes, dont les fous. Isolement et contention seront alors utilisés non plus pour maintenir à domicile mais pour assigner une place, pour emprisonner, pour exclure.
Au siècle des Lumières, un peu partout en Europe, les furieux sont enfermés, parfois nus, dans d'étroits cachots, et nourris par des guichets au moyen de récipients de cuivre attachés à des chaînes. On utilise des camisoles de force et des chaînes fixées au mur et au lit pour immobiliser les malades en se fondant sur la théorie que plus la contention est douloureuse, meilleurs sont les résultats obtenus.
La Révolution Française et sa remise en cause de l'arbitraire royal va interdire les lettres de cachet et différencier l'insensé du prisonnier ordinaire. Le fou devient un malade qu'il faut traiter par l'art de l'aliéniste. Si Pinel libère les aliénés de leurs chaînes, il n'en supprime pas pour cela l'isolement et la contention. Pinel, et surtout Esquirol, vont, au contraire, faire de l'isolement un des concepts centraux du traitement moral. La loi du 30 juin 1838 va institutionnaliser l'isolement en créant l'asile.
Inspiré par Pinel, Samuel Tuke fonde le York Retreat et jette les bases du traitement moral. Il élabore un code de déontologie où l'on bannit les contentions à moins d'agitation extrême (et on stipule qu'il ne doit pas y avoir plus de deux patients sous contention dans une même unité). L'isolement est utilisé comme moyen alternatif par lequel le malade doit devenir responsable de lui-même. Robert Gardiner Hill va plus loin et abolit la contention à l'asile de Lincoln, John Connoly fait de même à Hanwell. Connolly, père du " no-restreint " démontre ainsi l'efficacité d'un traitement sans contention. Ses idées gagnent le continent et influencent les pratiques.
L'échec du traitement moral remettra ces pratiques au goût du jour. Ni la découverte des neuroleptiques (qui permettent de sédater l'agitation), ni l'utilisation des psychothérapies, ni la place du secteur psychiatrique (qui renvoie à une philosophie de soin rigoureusement inverse) ne permettront d'abolir la contention et l'isolement à tel point qu'il apparaît aujourd'hui impossible de se passer de ces techniques dans les situations de grande violence. Cette nécessité de devoir contenir en attachant ou en enfermant le patient qui fait preuve d'une violence extraordinaire n'implique pas forcément une banalisation de ces mesures, ni qu'elles soient thérapeutiques.
Ce très rapide survol historique montre l'aspect universel de ces techniques de contraintes.
En Allemagne, l'attachement des patients est réglementé par la loi concernant les malades mentaux du 20 mars 1985. Le paragraphe 29 a considère les mesures dites de " sécurité particulière " : elles ne sont à mettre en pratique que s'il existe dans l'immédiat un risque considérable que le patient placé ne se tue ou se blesse sérieusement, ou qu'il devienne violent ou bien encore qu'il quitte sans autorisation l'établissement de soins, et si ce risque ne peut être réduit d'une autre manière. Ces mesures de sécurité sont la réduction de la liberté de déplacement, la confiscation d'objets, la séparation dans une chambre spéciale, l'attachement. Chacune de ces mesures de sécurité doit être ordonnée et limitée dans le temps par un médecin et doit être immédiatement levée dès que les conditions de sa mise en vigueur ont disparu. La mise en place d'une telle mesure, ainsi que sa levée doivent être documentées. L'avocat du patient doit être prévenu sans délai. Ce sont des mesures de sécurité " particulière " nécessaires et non des mesures thérapeutiques.
En Grande-Bretagne, l'isolement défini comme " l'isolement d'un malade sous surveillance dans une chambre qui peut être fermée à clé pour protéger les autres du danger ", est un moyen de traitement médical prévu par l'Acte de Santé mentale de 1983. Il doit être employé le moins possible et pour une durée aussi brève que possible. L'utilisation de ces chambres doit être conforme aux directives du Code des Pratiques contenu sur le manuel de l'isolement du département ministériel de la Santé. L'usage de ces chambres et les dossiers des patients dont les soins ont nécessité l'isolement sont contrôlés au moins une fois par an par la Commission de Santé Mentale (corps indépendant qui a la responsabilité statutaire de veiller à défendre les droits, le bien-être et la sécurité des malades). L'isolement est également considéré comme une mesure de sécurité et non comme un moyen thérapeutique.
Il en va de même au Canada où l'on définit la contention comme une intervention de protection. Elle " constitue un moyen de contrôle physique pour empêcher une personne sur qui on n'a plus de contrôle de se blesser ou de blesser d'autres personnes, de l'empêcher de provoquer des dégâts autour d'elle, et d'empêcher une interruption de ses programmes de traitement et de soins. " Les mesures de retrait (appellation canadienne de l'isolement) sont définies comme des " mesures d'intervention visant la prévention d'une désorganisation ou d'un passage à l'acte. Le but essentiel est de permettre au patient de récupérer son auto-contrôle. Il s'agit d'une urgence appréhendée, à savoir un comportement potentiellement dangereux. "
Si aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, au Canada, en Belgique, aux Pays-Bas, en Russie des textes de lois précis réglementent l'utilisation de l'isolement et de la contention, il est en France possible d'isoler et d'attacher un patient sans aucun contrôle, ni a priori, ni a posteriori. On s'étonnera, on ironisera sur ce curieux pays, patrie des Droits de l'homme au sein duquel des médecins, voire des infirmiers peuvent, impunément, selon la durée, les modalités, les prétextes qui leur conviennent isoler et attacher n'importe quel malade mental hospitalisé sous contrainte. Cet absence de contrôle repose sur l'idée pinélienne que l'isolement n'est pas une mesure de sécurité mais un acte thérapeutique. Acte thérapeutique l'isolement ne peut donc être recommandé que par un médecin et en aucun cas être contrôlé par un juge. Il est impossible d'évoquer cette spécificité française sans rappeler que la France est un des seuls états où l'hospitalisation sous contrainte d'une personne souffrant de troubles mentaux dépend du pouvoir administratif et non du pouvoir judiciaire.
Qui s'inspirant des différents textes mentionnés voudrait les importer et les imposer tels quels, à la réalité française courrait un gros risque. Si l'utilisation de l'isolement et de la contention est universelle, leurs modalités particulières renvoient à l'histoire et à la culture de chaque état.
Toute contention est proscrite en Grande-Bretagne, les Allemands préfèrent la contention à l'isolement car plus humaine : " Dans le sens où le patient est tenu physiquement, où il est l'objet d'une attention accrue et parce qu'il reste, malgré l'état de crise aiguë dans lequel il se trouve, au milieu de la communauté que forment patients et soignants dans un service. "
Les pratiques peuvent être différentes dans un même état. Notre enquête, réalisée auprès de 440 infirmiers exerçant dans 29 hôpitaux à Paris et en Province montre que si la contention est extrêmement rare à Paris, elle l'est beaucoup moins en province. Si 70 % des infirmiers n'ont jamais utilisé la contention en région parisienne, seuls 29 % des infirmiers exerçant en province sont dans ce cas.
Qu'ils évoquent la contention mécanique ou la Chambre d'Isolement tous les soignants mettent en avant l'aspect thérapeutique de ces techniques. S'agissant de mesures qui remettent en cause le droit à la sûreté, le point de vue des soignants ne peut être le seul à être pris en compte. Si ainsi que le proclame la Déclaration Universelle des droits de l'homme " tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne " ces mesures ne devraient être qu'exceptionnelles et étroitement encadrées. Il ne s'agit pas pour nous d'énoncer que telle pratique est condamnable et telle autre moralement acceptable, mais d'affirmer que s'il doit être nécessaire d'attacher ou d'isoler un malade mental, les conditions d'utilisation de ces techniques doivent être encadrées par des textes réglementaires précis qui offrent au malade des garanties contre tout arbitraire. Notre incursion rapide dans le droit de quelques démocraties étrangères montre que cet encadrement n'est en rien utopique et qu'il n'est pas incompatible avec la notion de soin. Contrairement à la plupart des démocraties occidentales, l'état français n'a pas jugé nécessaire de légiférer en ce domaine, laissant au médecin toute liberté pour gérer ces problèmes. Pour le juriste, tout enfermement d'un individu en dehors des exceptions prévues par la loi est une voie de fait. La seule justification à l'enfermement cellulaire est son effet thérapeutique sur un patient dangereux pour lui-même ou pour son entourage. Il ne suffit donc pas de proclamer que l'isolement est thérapeutique, il faut le démontrer, ou tout au moins se donner les moyens de le faire, et seule cette démonstration permettra d'affirmer le caractère légitime d'une mesure qui même thérapeutique n'en est pas moins une mesure sécuritaire. " L'isolement, fils de l'enfermement, repose sur un paradoxe qui lie autant qu'il les oppose la fonction thérapeutique et la fonction répressive, les attentes de l'individu et les enjeux de la société, le rapprochement et le retranchement, le dialogue et la maîtrise. " Nous laisserons de côté la contention et nous centrerons sur le problème posé par l'isolement pour une raison, à nos yeux, majeure : notre pratique professionnelle ne nous a jamais contraint à attacher un patient.
Alexander et Selesnick racontent qu'un psychiatre américain visitant un hôpital psychiatrique londonien s'étonnait de ne pas voir de barreaux aux fenêtres. Les patients lui semblaient également jouir d'une très grande liberté. " Ne craignez-vous pas que ces malades deviennent violents, se blessent ou blessent d'autres malades ? " demanda-t-il. Son digne collègue britannique lui répondit : " Mon cher monsieur, ces gens-là sont peut-être aliénés, mais souvenez-vous qu'ils sont avant tout des citoyens anglais! " Que le citoyen anglais, même aliéné, reste en toute circonstance un gentleman appartient à l'image que les anglais se font d'eux-mêmes. Le plus important est cette affirmation que même aliéné un Anglais reste d'abord et avant tout un citoyen. Nous aimerions qu'il en aille de même pour tout citoyen français. Nous entendons par " citoyen ", tout individu membre d'un Etat considéré du point de vue de ses devoirs et de ses droits civils et politiques. La maladie mentale ne faisant perdre au malade ni ses droits, ni ses devoirs vis-à-vis de l'état, l'individu souffrant de problèmes mentaux doit donc être considéré, du point de vue de ces droits et de ces devoirs comme n'importe quel autre citoyen. Il ne peut donc être reclus que dans les formes prévus par les lois de l'état.
Cette façon de considérer le problème de l'isolement et de la contention nous conduit à accomplir une rupture par rapport à la manière classique d'aborder le problème. L'isolement ne renverrait pas à une question d'éthique médicale (ainsi que l'énonce la majorité des professionnels) mais à une question de droit, et de droit constitutionnel. Autrement dit, si l'isolement dans une chambre fermée à clé d'un malade mental hospitalisé sous contrainte doit être réglementé ce n'est pas parce qu'il existerait un sujet humain qui posséderait des " droits naturels " qu'il faudrait respecter mais parce que la constitution garantit à tout citoyen le droit de ne pas être détenu, arrêté et reclus arbitrairement.
Décrire la réalité de l'isolement
Lorsqu'en 1971, le Dr. Edith Ross, psychiatre de la Maison Centrale de Toul, relate avec force détails toutes les brimades auxquelles sont exposées les détenus, Michel Foucault souligne, lors de son intervention, l'importance de la description minutieuse des faits, dès qu'il s'agit de réfléchir sur les rapports de pouvoir : " La société prescrit avec soin de détourner les yeux de tous les événements qui trahissent les vrais rapports de pouvoir. L'administration ne parle que par tableaux, statistiques et courbes; les syndicats, en termes de conditions de travail, de budget, de crédits, de recrutement. Ici et là, on ne veut attaquer le mal " qu'à la racine ", c'est-à-dire là où personne ne le voit ni ne l'éprouve - loin de l'événement, loin des forces qui s'affrontent et de l'acte de domination. " C'est en référence à cette nécessité théorique de décrire la réalité de l'isolement comme rapport de pouvoir que nous avons choisi de traiter des pratiques réelles plutôt que d'expliciter leur philosophie.
Notre approche se référera donc essentiellement à un droit positif défini comme un " ensemble de règles destinées à régir les rapports humains à l'intérieur d'un ensemble géopolitique donné. " Notre choix méthodologique repose sur le constat que si de nombreux auteurs (M. Foucault, R. Castel, M. Gauchet, G. Swain, M. Jaeger, etc.) décrivent les sources substantielles du droit à interner les malades mentaux (motifs politiques, économiques, sociologiques, religieux, culturels, moraux, etc.) aucun n'a cherché à montrer pourquoi et selon quelles procédures (explicites ou implicites) les malades mentaux sont aujourd'hui et maintenant reclus en Chambre d'Isolement.
Ces différentes réflexions, celles de sociologues tels que Bourdieu, Touraine, Boudon, celles d'historiens de la médecine ont nourri nos premières approches du thème. Nous avons fait le choix de ne pas les reprendre dans un premier temps parce que l'urgence, au moment où l'on évalue le loi du 27 juin 1990, est de pouvoir décrire la réalité de la Mise en Chambre d'Isolement (MCI).
Claude Louzoun notait en 1989 (avec humeur) que les réactions conservatrices au projet Evin (qui allait devenir la loi du 27 juin 1990) étaient signifiantes :
"- d'une identité professionnelle qui ne se conçoit que dans la référence à l'hôpital psychiatrique et à la loi de 1838;
- d'une conception du rôle professionnel et de la fonction thérapeutique qui ne se départit pas du paradigme asilaire, et y compris se satisfait dans les faits que l'hôpital psychiatrique phagocyte le secteur;
- d'une volonté de préserver une position de pouvoir, une position de despote éclairé dans la lignée des conceptions de Pinel du " petit gouvernement de l'asile. "
Six mois de réflexion dans un des groupes d'évaluation de la loi de juin 1990 nous ont montré que ces lignes restaient toujours d'actualité et que ce n'est pas avec des citations de Foucault ou de Castel qu'on peut éclairer certains despotes mais avec des faits (qui décrivent parfois la réalité de leurs propres services).
Qu'entend-on par " chambre d'isolement " ?
La chambre d'isolement est une pièce fermée à clé conçue pour contenir les pulsions auto ou hétéro-destructrices de personnes souffrant de troubles mentaux hospitalisées en psychiatrie.
Le mot " isolement " vient de l'italien " isolato ", c'est un terme d'architecture qui signifie " séparé comme une île ", il décrit un groupe de bâtiments séparés, un pâté de maison. Selon Littré, isoler c'est " rendre comme une île, séparer de tous côtés ", au sens figuré c'est " ôter à quelqu'un ses relations ". Le mot " isolement " cache en fait deux séparations différentes. La première forme d'isolement correspond à la volonté sociale de mettre à part, dans un lieu séparé le malade mental. Cette volonté sociale, manifestée par la loi du 30 juin 1838, est également celle de médecins tels que Pinel et Esquirol qui énonçaient qu'il est nécessaire d'ôter toutes ses relations sociales et affectives à l'aliéné afin de le rééduquer grâce à la discipline parfaite de l'asile. La seconde forme de séparation, que nous pourrions nommer isolement thérapeutique ou cellulaire consiste en un enfermement simple dans une chambre close de l'aliéné agité ou violent, qui ne se plie pas à la discipline parfaite de l'asile. Cet isolement ne répond pas directement à une demande sociale. Il est un mode de gestion des problèmes disciplinaires et ou thérapeutiques à l'intérieur de l'asile. Si la loi définit dans quelles conditions il est licite d'enfermer, d'interner, d'hospitaliser un individu contre son gré, elle est en revanche muette sur l'isolement cellulaire. L'équipe médicale et notamment le médecin décide quand cette séquestration est nécessaire. C'est à cet isolement et à ses rapports avec la loi que nous nous intéresserons.
La chambre d'isolement est la forme " moderne " de l'isolement cellulaire. Le mot cellule vient du latin " cellula " de " cella " chambre, c'est une petite chambre isolée où l'on est seul. Esquirol a proposé de substituer aux mots " cachots ", " geôle " celui de " cellule " qui lui semblait plus chaleureux, moins marqué péjorativement. Le mot a mal vieilli et ne décrit plus l'intimité, l'aspect protecteur qu'Esquirol souhaitait y mettre. L'isolement cellulaire est d'une certaine façon un pléonasme qui décrit bien l'isolement au carré, l'isolement dans l'isolement que représente la chambre d'isolement.
Le mot " chambre ", plus ancien vient du grec " kamara " (chambre voûtée, toit) devenu " camera " en latin. Il commence par décrire une pièce quelconque d'habitation puis la pièce où l'on couche. Comble du progrès mais également saturation de sens : les chambres d'isolement " modernes " sont équipées, à des fins de surveillance, d'une caméra vidéo. Le panopticon cher à Foucault a de beaux jours devant lui.
Une enquête réalisée par la Direction du Service de Soins Infirmiers (DSSI) du CH Esquirol recense plus de 240 états d'agitation entre novembre 1993 et avril 1994 dont 111 de nuit. Parmi ces patients agités, un certain nombre ont été isolés. Entre septembre et novembre 1994, 36 patients ont été isolés. Difficile de considérer cette pratique comme marginale : 4 états d'agitation par jour, un patient isolé tous les trois jours pour un établissement de 350 lits.
Pour illustrer dans quelles conditions une personne souffrant de troubles mentaux peut être conduit en chambre d'isolement, prenons l'exemple de M. Manset, adressé en hospitalisation d'office. Il a 25 ans. Sa famille a remarqué depuis plusieurs mois différents troubles du comportement de type agressif mais les a reliés à une fatigue due à son travail (il est dépanneur en ascenseur). M. Manset a récemment agressé physiquement son employeur l'accusant de le faire suivre afin de dépister une faute pour le licencier. Il pense que tout le monde l'observe, est " de mèche avec le patron ". Quiconque lui adresse la parole est complice d'une organisation chargée de lui nuire personnellement. Il ne reconnaît évidemment pas la caractère pathologique des voix qui lui " parlent dans la tête " et refuse énergiquement l'hospitalisation. Lors de l'entretien d'accueil, il s'emporte rapidement, devenant insultant et menaçant. Devant ce " tableau ", les soignants prennent les devants et appellent des collègues en supplément, au cas où. Au sortir de l'entretien, M. Manset refuse catégoriquement le soin prescrit (une injection de psychotropes), écarte violemment l'infirmière qui lui barre le passage devant la porte d'entrée qu'il se met à marteler fortement du pied. Deux infirmiers interviennent alors pour tenter d'établir un ultime dialogue. En vain. Monsieur Manset s'énerve de plus en plus. Il est alors avisé que devant son état d'agitation et de violence le médecin a prescrit une mise en chambre d'isolement. Monsieur Manset refuse toute négociation et s'énerve de plus belle. Les infirmiers arrivés en renfort (et qui avaient su rester discrets jusque là) ont permis de le conduire de force en Chambre d'Isolement.
Fallait-il utiliser la force ? Existait-il un autre moyen de contenir M. Manset ? L'utilisation de la chambre d'isolement était-elle légitime ? Les renforts infirmiers n'ont-ils pas induit l'épreuve de force ? N'était-ce pas au médecin de signifier la MCI ? Questions " banales " pour MCI " banale ".
L'audit clinique réalisé par l'ANDEM
Un certain nombre de médecins, de directeurs d'hôpitaux, de cadres-infirmiers, peu satisfaits des procédures de Mises en Chambre d'Isolement ont effectué, sous l'égide de l'Agence Nationale pour le Développement de l'évaluation Médicale (ANDEM), un audit clinique sur ce thème. Parmi ceux-ci J.P. Vignat, médecin-chef à l'Hôpital Saint Jean de Dieu (Lyon), a élaboré un certain nombre de règles de conduites à tenir pour la MCI.
* L'isolement est une mesure thérapeutique relevant de la compétence et de la responsabilité médicale.
* L'isolement représente la définition et la mise en place d'un cadre thérapeutique dans lequel le rôle et l'attitude des soignants et des médecins, les procédures de surveillance et de soins ont plus d'importance que le cadre matériel lui-même.
* L'isolement a un effet protecteur. L'effet contenant réduit la dispersion des contenus psychiques et le morcellement paranoïde.
* La baisse des stimulations liées à l'environnement, l'interposition des soignants assure la fonction de pare-excitation.
* A l'inverse, le séjour en C.I. en tant qu'expérience d'isolement sensoriel peut entraîner une intensification massive de l'angoisse et la manifestation de phénomènes de morcellement ou de phénomènes de sidération.
* Le terme " isolement " se rapporte à la situation du patient vis à vis des autres patients hospitalisés mais d'aucune façon et en aucun cas vis à vis de l'équipe soignante.
* Toute MCI doit s'accompagner d'une chimiothérapie qui permette de réduire l'état d'excitation et d'angoisse qui ont motivé a mesure.
* L'information du patient doit être claire et précise, quel que soit son état clinique et son statut administratif du point de vue de l'hospitalisation.
* Le patient et ses proches ne peuvent intégrer qu'il s'agit d'une mesure thérapeutique que si le personnel chargé de la mise en œuvre en est lui même convaincu et est donc à peu près clair quant à sa contre-attitude vis à vis du patient et son attitude vis à vis de l'isolement.
Ces règles nous serviront de fil conducteur afin d'apprécier l'aspect thérapeutique de l'isolement. Quel que soit cet effet thérapeutique, nous pouvons légitimement énoncer que les malades mentaux sont isolés, mais certains, les " agités " semblent l'être doublement.
Pourquoi prendre la chambre d'isolement comme sujet d'étude ?
Le groupe de travail dont nous faisons partie a été un des premiers à publier sur le concept de Chambre d'Isolement. Le médecin-chef de notre secteur, rendu sensible à cet objet par le décès d'une jeune anorexique en chambre d'isolement, avait proposé de remplacer le terme " chambre d'isolement " par celui moins connoté péjorativement de " chambre de soins intensifs ". Nous n'avons eu de cesse de soutenir qu'il ne servait à rien de changer le nom de la Chambre d'Isolement (C.I.) si les pratiques n'évoluaient pas.
Après avoir évalué la qualité de l'information donnée au patient psychotique sur son traitement, le Groupe de Recherche en Soins au sein duquel nous travaillons, a souhaité, en novembre 1993, explorer d'autres pistes de travail. Si tous les soignants s'accordent globalement sur la nécessité d'informer les patients psychotiques sur leur traitement, de nombreux soignants s'interrogent sur le déni de la pathologie et sur le refus des soins. Comment informer le patient agité qui refuse les soins ?
Ces remarques nous ont conduit à nous interroger sur l'agitation et sur sa prise en charge, donc sur l'isolement.
Seul infirmier homme du groupe, je suis souvent appelé en renfort pour contenir des patients agités et pour les accompagner dans la chambre d'isolement (CI). J'ai parfois été témoin, pour ne pas écrire complice de pratiques qui n'avaient rien à voir avec une quelconque éthique professionnelle.
Nous nous sommes très vite rendus compte que ne participaient au groupe de travail que les soignants dont la pratique permettaient une distance avec la MCI (Hôpital de Jour, Dispensaire, Accueil Familial Thérapeutique) comme si, sans cette distance, il n'était pas concevable de réfléchir sur ce thème. Nous avons pu également repérer que si nous avions une certaine distance par rapport à la MCI, nous étions nous-mêmes isolés par rapport à nos collègues.
" Cadre-infirmier à l'Accueil Familial Thérapeutique, seul membre permanent d'une équipe composée d'infirmiers détachés de leur unité pour les Visites à domicile, j'avais la sensation d'être isolée au sein de mon institution. L'audit clinique de l'ANDEM, présenté comme une formation à la prise en charge de l'agressivité et de la violence a été une occasion de m'interroger sur l'agressivité qui régnait dans cette équipe. La mission ANDEM m'a a donné l'occasion de rejoindre le Groupe Recherche et donc de participer à un travail d'équipe. Parallèlement, un magnifique bureau, totalement perdu au bout du couloir m'était attribué. Je me suis alors sentie totalement isolée. L'obligation de passer devant le bureau de la surveillante-chef empêchait les infirmiers, et donc les patients de me rejoindre, et interdisait tout travail de liaison contribuant à augmenter les tensions déjà existantes. Cette cage dorée m'a permis de comprendre ce que pouvait être l'isolement dans une chambre fermée. "
Ces mots écrits par l'une d'entre nous traduisent assez fidèlement le ressenti des différents membres du groupe. Il nous semblait également qu'autour de l'isolement se résumait toutes les questions relatives à la psychiatrie et à sa place dans la société. Nous pouvons bien disserter sur le soin communautaire, sur le retour à domicile, sur la création de nouvelles structures, si nous ne sommes pas capables d'affronter les questions soulevées par l'isolement, tout cela ne sera que du bruit fait avec la bouche.
Les principes qui guident notre réflexion
Un certain nombre de principes guident notre réflexion. Soins et mise à l'index s'excluent mutuellement, ce n'est qu'en rompant l'isolement, qu'en établissant un dialogue avec un patient considéré comme sujet qu'on peut lui permettre de se soigner. La mise en chambre d'Isolement ne saurait donc être considérée comme une mesure thérapeutique. Elle est la manifestation d'une limite, d'un intolérable, d'un insupportable. Elle est une privation de liberté rendue nécessaire par l'état du patient et par la sécurité de l'environnement humain. Cet isolement ne deviendra thérapeutique que si nous mettons en place un dispositif d'accompagnement qui permette au patient et à l'équipe de faire retour sur ce qui s'est passé, sur ce qui a motivé l'isolement, que si nous substituons à un acte imposé par la situation une parole qui permette à chacun d'exprimer sa vérité, son ressenti.
Rappelons nous que c'est lors de leur retour des camps de prisonniers en 1945 qu'infirmiers et psychiatres ont pris conscience des conditions d'hospitalisation des malades mentaux, réalisant qu'il n'y avait pas tant d'écart que cela entre le quotidien des patients dont 40 000 étaient morts de malnutrition pendant la guerre et ce qu'ils venaient de vivre.
Je n'ai pas fait la guerre, je n'ai pas connu les camps de prisonniers. Non. J'ai travaillé comme élève infirmier dans une de ces unités d'agités où sont parqués les patients susceptibles d'être dangereux. Cela fera bientôt vingt ans que j'ai quitté cette unité, je ne sais toujours pas si les patients étaient réellement dangereux. Les infirmiers, eux, l'étaient. Livrés à eux-mêmes par l'incompétence d'un psychiatre plus féru d'architecture que de clinique, les infirmiers se comportaient en despotes, en tortionnaires. Agacer un patient chronique pour qu'il s'agite n'était pas leur jeu le moins pervers. Brutaliser un patient réticent, en traîner un autre sur plusieurs mètres, enfermer des patients, nus, dans des chambres sans rideau par lesquels on entrait par deux portes, laisser des situations dégénérer pour pouvoir intervenir énergiquement, étaient des incidents quasi quotidiens. Tout cela et ma relative passivité m'a appris qu'il était trop facile de considérer qu'il fallait être nazi pour être gardien de camps. Il suffit de donner à des hommes un pouvoir sans contrôle pour qu'ils s'en servent au mépris de tout respect humain, qu'ils soient militaires, gardiens de prison ou gardiens de fous. Résister à cette pression d'un groupe " malade " implique un effort de tous les instants.
Tout cela a été le moteur d'une révolte qui n'a cessé de me stimuler tout au long de ma carrière d'infirmier. Cette révolte, apaisée, mais toujours présente, s'exprime dans le choix de ce sujet de réflexion.
Mais les raisons profondes de ce choix sont ailleurs. Je ne crois pas au désintéressement absolu, à la vocation. A travers l'autre, on ne soigne que soi. Et mieux on le sait, moins on emprisonne l'autre dans nos fantasmes de toute puissance.
A l'origine de cette réflexion, un enfant de six ans et son père. L'enfant quitte ses parents pour séjourner dans un orphelinat qui s'appelle " La providence ". Les raisons de ce placement importent peu. C'est une histoire de bûcheron qui abandonne ses enfants parce qu'il ne peut plus les nourrir. Il ne les perd pas en forêt mais les laisse en dépôt, en attendant. L'enfant qui passe chaque jour devant la maison de ses parents pour se rendre à l'école avec le groupe d'enfants de l'orphelinat n'y comprend rien. Il a des parents mais vit avec des enfants sans parents. C'est comme s'il n'avait plus de parents. Alors, la révolte gronde. Une révolte d'enfant. Elle se ponctue par des séjours de plus en plus fréquents dans le " cabinet noir ", pour le punir. Son père, tout aussi malheureux, guette son fils et ne supporte pas son regard de chien battu. C'est comme une histoire de petit Poucet, çà finit bien. La famille va être de nouveau réunie et on oubliera bien vite cette période de disette.
Çà l'a tellement marqué cet enfant qu'il s'en souvient à peine. Les images de ce séjour se confondent avec celles de " Chiens perdus sans collier " qu'il a lu beaucoup plus tard. Il n'identifie pas ce qu'il a vécu, ressenti et les images qu'il a tissées à partir de sa lecture.
C'est cet enfant et son père en moi qui ne supportent pas l'isolement. Ils sont indirectement à l'origine de cette réflexion. Même après élaboration, il en reste toujours le " cabinet noir ", et cette perception d'un temps sans limite qui est le temps de l'abandon.
Les questions soulevées par l'isolement des malades mentaux ne s'adressent pas seulement aux soignants. Elles ne se résument pas à une interrogation portant sur l'intérêt thérapeutique d'une technique aux dépens d'une autre. Avant d'être un soin, l'isolement est d'abord et avant tout un enfermement. C'est donc une question de droit.
Ainsi que le proclame l'article 7 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, " nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites ". Si la loi de 1838 puis celle du 27 juin 1990 ont énoncé dans quelles conditions un sujet souffrant de troubles mentaux devait être " détenu " contre sa volonté dans un établissement de soin, elles ont toutes deux, en revanche été muettes sur les conditions dans lesquelles ce même sujet devait être " détenu " dans une chambre fermée à clé.
Si nul ne peut être accusé, arrêté, détenu que dans les formes prévues par la loi, toute Mise en Chambre d'Isolement devrait donc être considérée comme illégale sauf si nous assimilons placement, hospitalisation sous contrainte et isolement cellulaire.
Qui visite un Centre Hospitalier Spécialisé témoignera de la beauté du cadre. Un parc ombragé peuplé d'arbres parfois centenaires incite le promeneur à la déambulation voire à la méditation. Certains parcs offrent au rêveur bucolique une surface de plusieurs hectares. Les bâtiments plus ou moins bien entretenus sont souvent classés monuments historiques. Un programme d'humanisation a transformé les dortoirs encombrés en chambres seules ou à deux lits. Dès que son état le permet, en fait très rapidement, le patient hospitalisé peut aller prendre un pot à la cafétéria de l'hôpital. Certes, même dorée une prison reste une prison et un hôpital un hôpital. Mais comment peut-on comparer ce cadre, la relative liberté qui y règne et ces pièces vides ne contenant qu'un lit rivé au sol, voire un simple matelas posé à terre ? Comment comparer ces quatre murs sales, plus ou moins recouverts de graffitis et le reste des locaux hospitaliers ?
Soyons clairs, il y a moins de différences entre une cellule des ex-Quartiers de Haute Sécurité et une cellule " normale " de Maison d'Arrêt qu'entre une chambre normale d'hôpital et une chambre d'isolement. Les QHS ont été abolis pas les chambres d'isolement.
Cette comparaison fera hurler la plupart des psychiatres, et pourtant ... La psychiatrie s'est construite sur l'affirmation que l'isolement de l'aliéné n'était pas une séquestration mais un authentique acte thérapeutique : le premier. La création des services libres puis la sectorisation sont heureusement venues remettre en cause un tour de passe-passe que Robert Castel a longuement décrit. Il n'empêche que la même loi de 1838 a continué à structurer les pratiques psychiatriques, secteur ou pas. La Mise en Chambre d'Isolement est restée enfouie dans les limbes de l'asile, jamais revendiquée mais toujours présente. Le discours psychiatrique courant affirme toujours de la même façon que la MCI n'est pas une séquestration mais une pratique thérapeutique.
Acte thérapeutique, la MCI doit être prescrite par un médecin. Elle doit donc avoir des indications, des contre-indications, des effets secondaires et thérapeutiques. Ses vertus thérapeutiques doivent avoir été démontrées. Dans quel ouvrage, dans quelles publications l'ont-elles été ? Selon quelle méthodologie scientifique ? " L'observation, en général, a été de type " impressionniste " plutôt que systématiquement contrôlée, et c'est l'intuition plus qu'une logique explicite qui a présidé à leur élaboration. Leur validité a été vérifiée de manière informelle et indirectement, du fait de leur apport heuristique à l'orientation de la pratique clinique, plus qu'elle ne l'a été suivant une procédure codifiée de vérifications d'hypothèses et d'évaluation de résultats. "
Ce qui est vrai pour les psychothérapies l'est encore davantage pour les chambres d'isolement. S'il n'a jamais été démontré que l'isolement et la contention étaient thérapeutiques, Connoly a, par contre, montré que le no-restreint l'était.
Qu'il soit parfois nécessaire d'enfermer un patient agité, pour des raisons tenant à sa sécurité ou à celle de son environnement n'implique en rien que cette mesure soit thérapeutique. Simple mesure sécuritaire, la MCI n'en serait pas moins tout aussi légitime. Considérée comme une détention, la MCI devrait être prévue par la loi. Elle impliquerait des recours, l'intervention possible d'un juge, etc. Elle ne pourrait alors être simplement décidée par un médecin. L'ensemble du dispositif psychiatrique s'en trouverait-il menacé ?
On nous objectera, à juste titre, que la MCI intervient toujours dans l'urgence, que s'il faut attendre l'intervention d'un juge pour isoler un patient auto ou hétéro-agressif, le patient aura eu le temps de se tuer dix fois ou de tuer deux ou trois personnes avant que l'autorisation parvienne à l'équipe. Nous n'en remarquerons pas moins que seuls 30 % des isolements sont consécutifs à des passages à l'acte, que l'immense majorité des MCI sont justifiées par une dangerosité potentielle quasiment impossible à apprécier. Autrement dit, si le critère de dangerosité est le seul, de nombreuses mises en chambre d'isolement sont tout à fait arbitraires.
Si les différentes lois ont déterminés les cas dans lesquels il était licite d'arrêter et de détenir un homme souffrant de maladie mentale, elle a, en revanche, été muette sur les formes que devait revêtir cette détention. Ainsi l'article 8 de l'Ordonnance du 18 décembre 1839, relative aux établissements publics et privés consacrés aux aliénés énonce que " Le service médical, en tout ce qui concerne le régime physique et moral, ainsi que la police médicale et personnelle des aliénés, est placé sous l'autorité du médecin, dans les limites du règlement de service intérieur mentionné à l'article précédent. " Le médecin décide ainsi sans en référer à quiconque de l'isolement " cellulaire " des malades mentaux. Le règlement intérieur mentionné ne verra le jour qu'en 1856 et ne changera rien quant à ses pouvoirs.
S'il paraît difficile d'effectuer un contrôle a priori, rien n'interdit de mettre en place un contrôle a posteriori. Toute MCI d'une durée supérieure à 48 heures devrait être signalée à la Commission Départementale des Hospitalisations Psychiatriques. Tout patient isolé depuis plus de sept jours pourrait voir son dossier être étudié par les membres de la commission qui valideraient ou non l'isolement. Rien n'interdit d'exiger une transparence totale des différents écrits concernant l'isolement. A pratique exceptionnelle, exigences exceptionnelles.
Nous commencerons par décrire les différents textes de lois relatifs à l'isolement tels qu'ils existent aujourd'hui. Nous examinerons ensuite les modalités pratiques d'isolement et montrerons que la MCI n'a les critères d'une pratique thérapeutique que dans un lieu de soin sur quatre. Nous verrons que l'utilisation de protocoles (document écrit) permet à l'isolement de posséder ces critères. Pour séparer soin et isolement et pour repérer l'état des pratiques, nous avons élaboré un questionnaire adressé aux soignants. Après avoir dépouillé et analysé ce questionnaire, conscients que cette question de l'enfermement des malades mentaux à des fins " thérapeutiques " ne pouvait concerner les seuls soignants, nous avons élaboré un questionnaire destiné aux patients isolés. Nous décrirons donc leur perception de l'isolement. Nous verrons qu'ils n'en perçoivent que l'enfermement, même si à l'arrivée ils estiment que cette période leur a été bénéfique. Nous verrons également qu'un certain nombre d'isolements ne sont pas thérapeutiques, qu'ils induisent l'apparition d'un éprouvé de morcellement qui n'était pas présent lorsque le patient est entré en chambre d'isolement.
Comment concilier nécessités thérapeutiques et droit à la sûreté ? Comment s'assurer que seules les nécessités de prise en charge sont à l'origine de l'isolement? Comment être sûr que l'isolement est à tout coup thérapeutique ? Nous allons tenter de répondre à ces différentes questions en donnant la parole à ceux qui sont isolés, c'est-à-dire aux patients.
Ecouter les patients soit, mais qu'auraient-ils à dire que nous soignants ne sachions déjà ? Leur vérité qui n'est certainement pas la nôtre. Revenir sur ce qui s'est passé, sur leur ressenti à ce moment là, c'est d'abord leur redonner une position de sujet et non plus d'objet contenu, d'aliéné incapable de faire des choix. C'est ensuite, si nous sommes capables de supporter cette vérité sans chercher à les convaincre à tout prix que notre point de vue est le seul viable, de travailler autour de la maladie, autour de leur façon particulière de la vivre et non pas seulement autour de la répression d'un comportement jugé dangereux ou susceptible de l'être. Ils ont donc à nous dire qu'ils sont des sujets qui pensent et agissent au mieux en fonction des forces psychiques qui les assaillent, qu'ils sont des sujets qui ressentent parfois douloureusement ce que nous leur imposons, qu'ils sont des sujets malades dont le comportement a un sens qu'il nous faut découvrir ensemble. Ils ont aussi à nous dire ce que nous leur faisons subir malgré toutes les précautions que nous pouvons prendre. Ils nous apprennent ce faisant que nous ne sommes pas tous puissants, que nous avons des limites qu'il nous faut supporter, pour pouvoir les dépasser. Ils ont également à nous dire que ce n'est pas parce qu'ils sont malades, que ce n'est pas parce que nous les estimons susceptibles d'être dangereux qu'il nous faut les isoler dans des chambres inadaptées, en oubliant que ce sont des citoyens, des autres nous-mêmes que nous enfermons. Ils nous disent enfin que tout conformisme intellectuel nous est interdit : l'aspect thérapeutique de la MCI n'est pas un acquis, il est constamment à remettre en cause et à démontrer, au cas par cas. En se battant pour que leur droit à la sûreté soit mieux entendu, ce n'est pas seulement pour leur liberté que nous militons, c'est aussi pour la nôtre.
Ecouter les patients, entendre leur vérité pour des raisons éthiques (parce que, là, nous sommes dans notre rôle de soignants), et cliniques car éthique et clinique ne sont pas antagonistes. C'est ce qu'il nous appartient de démontrer.
Dominique Friard.
Le lecteur désireux d'en savoir plus pourra lire : " L'isolement en psychiatrie séquestration ou soin ? " publié aux Editions Hospitalières.
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