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REFLEXIONS AUTOUR DES REUNIONS DITES INSTITUTIONNELLES

- Première partie : ENTREE EN MATIERE

Il me faut bien l'avouer, et tant pis pour l'opinion que se forgera à mon sujet le lecteur, je suis un criminel. Pas un de ces criminels honteux, bouffé d'angoisse à l'idée d'être découvert et châtié, non. Je suis un criminel qui revendique son crime. Une sorte de terroriste.
Premier paragraphe et déjà, ça sursaute dans les chalets. Du côté de Barré le Bas, de Ribiers ou de Châteauneuf de Chabre, on se demande où je veux en venir. On s'échauffe, on révise son répertoire d'injures, on se prépare à l'affrontement. Bien personnelles les attaques s'il vous plaît ! Que l'on ne puisse pas réfléchir. Que l'on ne puisse pas remettre en cause LE FONCTIONNEMENT !

Patience !

C'est un feuilleton.

Il faut ménager du suspens. Que le lecteur en ait pour son argent. Qu'il attende le mois prochain.

Au-dessus, c'est écrit " Réflexions autour des réunions dites institutionnelles ". C'est donc autour de cela que l'on va réfléchir. Il faudrait d'abord définir les termes, les travailler, les faire parler. C'est plus facile de faire parler des termes que des infirmiers à une réunion. Encore que les termes, il ne soit pas nécessaire de les écouter. Bref. Il faudrait présenter l'institution.

Et là, ça se gâte.

L'institution, ce serait pour certains un synonyme de structure, de structure de soins évidemment. Equipe, institution, pavillon ce serait au fond synonyme. Ainsi, pas besoin de s'interroger, de remettre en cause les fondements du pouvoir, de l'organisation.

Pour d'autres, ce serait leur objet, leur Royaume ou leur Baronnie selon leur grade, leur place dans la hiérarchie. Ils s'y réfèrent beaucoup. Il est vrai qu'il est préférable de passer pour un réformateur que pour un réactionnaire qui s'arc-boute sur son pouvoir de telle sorte que rien ne bouge, ne change réellement.

Certains emploieront le mot pour organisation. C'est limpide une organisation, ça fait propre. On oublie les enjeux de pouvoir, les aspects inconscients de notre rapport à l'institution.

Ouvrons le dictionnaire alors :
" Institution : nom féminin. Action d'instituer, d'établir ". Le mot apparaît au 13ème siècle. Ca vient du latin instituere : mettre sur pied, fonder, organiser. Il faudrait se faire historien pour se rendre compte que le mot n'apparaît pas n'importe quand, ni dans n'importe quelle circonstances. L'institution, c'est donc d'abord un acte : une fondation et une organisation. Le dictionnaire nous propose ensuite : " Etablissement d'enseignement privé : institution de jeunes filles ". Ce sens est une survivance. En 1870, le mot avait pour sens : action d'instruire et de former. L'instituteur avant d'être un enseignant était celui qui institue, qui établit, qui dirige l'institution. Il s'agit bien de reproduire, de fabriquer du même, que les choses restent en l'état.

Fondation, organisation, reproduction, l'étymologie nous fait progresser. Poursuivons.

En 1870, en 1920, l'institution est la chose elle-même. Elle est l'acte fondateur et ce qui est fondé, comme s'il fallait oublier qu'il y avait eu un acte, une origine, donc une histoire, comme si l'institution devait être éternelle.

On considère en 1870 que tout ce qui est inventé et établi par les hommes est une institution. Ainsi l'institution serait en quelque sorte le propre de l'homme. Elle s'opposerait à l'animalité, à la nature.
Le Larousse moderne nous propose : ensemble des règles établies en vue de la satisfaction d'intérêts collectifs ; organisme visant à les maintenir. Il s'agit là encore que l'institution survive, inchangée, pérenne et pour cela il faut créer des règles et des moyens de les faire respecter. N'oublions pas le mot institutes aujourd'hui disparu décrivait un recueil qui renfermait les principes du droit. Particulièrement célèbres étaient les Institutes de Justinien qui inspirèrent l'histoire civile et politique de l'Europe et notamment le code napoléonien. Il s'agissait d'un écrit. Toutes les règles institutionnelles ne le sont pas.
En 1870, en 1920 : on institue un héritier, c'est-à-dire on le nomme, on assure la pérennité. Ce sens a également disparu. Les règles ont pour but d'assurer la transmission, il n'est donc plus besoin de préciser ses modalités.
Fondation, organisation, reproduction, transmission, pouvoir. Nous sommes bien face à une notion complexe.

C'est ce que nous confirme le dictionnaire de sociologie (1) en insistant sur l'aspect polysémique du terme, " employé à la fois par les juristes, les économistes et les sociologues. " (1) Il s'agit de " l'ensemble de règles, organisant la société ou certaines de ses instances. " (1) L'institution aurait une triple fonction : socialisation, contrôle, régulation. Elle renverrait aux notions de code, de contrainte, et de sanction. Elle serait dotée d'une composante symbolique ou " imaginaire ".

Il faudrait là, poursuivre, se promener dans la philosophie, la littérature, la sociologie, l'économie, peut-être même la psychanalyse mais le lecteur va se lasser. Ca va zapper. Les surfeurs n'aiment pas la théorie, et les infirmiers non plus. Il faut des respirations. Des digressions.

" Je jure de soutenir, de défendre nos institutions et au besoin de les combattre. " (2)

" La réforme des institutions vient trop tard, lorsque le cœur des peuples est brisé. " (3)

Toute réflexion sur l'institution se heurte à une " difficulté fondamentale " : celle des enjeux psychiques de notre rapport à la dite institution. Ni la formation infirmière ou médicale, ni la pratique quotidienne ne nous permettent de penser ce qui d'une certaine façon nous pense.
Il faudra l'opportunité d'un séminaire intitulé : " Dix ans d'évolution à l'hôpital de jour " pour épaneler ce rêve de pierre qui trône dans l'azur comme un sphinx incompris. Il faudra quelques mois de réflexion autour de l'élaboration d'un projet de service pour que se remettent en branle quelques connexions laissées en dormition.

L'institution n'est pas un matériau docile, il n'est pas facile de s'en extraire, de s'en extirper. Ca pègue !

Il suffit d'écouter. Les infirmiers de telle unité se plaignent : " Les médecins ne sont jamais là. On est seuls, abandonnés. Ils ne voient même pas les patients. " L'institution, vous dis-je. Rien à voir avec le souhait de ne plus se coltiner la souffrance psychique, de fuir la rencontre avec ces infirmiers qui veulent toujours plus de sécurité, d'éviter la sensation d'être englué, aspiré dans un quotidien pas suffisamment narcissisant, d'exister en tant que baron toujours plus égal que le confrère qui ne vient pas davantage. L'institution. Le médecin-chef râle contre la chronicité de ses infirmiers qui passent leur temps sur le planning, qui veulent enfermer ses patients, dont les pratiques sont asilaires. L'institution vous dis-je. Aucun rapport avec l'absentéisme médical, le manque d'écoute, le ras le bol de se faire agonir d'injures, la sensation d'avoir toujours tort et d'être des moins que rien. L'institution. Toujours l'institution.

Il faudrait penser l'institution.

On la pensera, mais le mois prochain.

Il faut que je retourne dans ma cellule.

Dominique Friard.

2000

1 - FERREOL (G), Dictionnaire de sociologie, Paris, 1991, Armand Colin, Cursus.

2 - MONNIER (H), Grandeur et décadence de M. Prudhomme, II, 13.

3 - BERNANOS (G), La France contre les robots, Robert Laffont.

- Deuxième partie : sociologie est la science des institutions


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