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REFLEXIONS AUTOUR DES REUNIONS DITES INSTITUTIONNELLES


- Deuxième partie :

" La sociologie est la science des institutions. "

Putain, j'avais commencé fort le mois dernier.
Difficile d'enchaîner.
J'avouais que j'étais un criminel. Pas un de ces criminels honteux, bouffé d'angoisse à l'idée d'être découvert et châtié, non. Je me décrivais comme un criminel qui revendique son crime. Une sorte de terroriste.
Les lecteurs, ceux qui lisent entre les lignes pouvaient savourer. Il y allait y avoir du croustillant, du savoureux, du sexe peut-être. J'ai repéré que sur le net, les forums sur le sexe ne désemplissent pas, je me suis dit qu'il faudrait en coller partout pour attirer les connexions. Ecrivons le mot " sadomasochiste ". Le mot sera répertorié sur les moteurs de recherche et quelques sadomasochistes devraient ainsi venir se perdre sur le site. Aucun rapport avec l'institution, me direz-vous. Etes-vous sûr ?
Je connais quelques Saint Sébastien dont le corps percé de flèches décochées en réunion institutionnelle auxquelles ils assistent semaines après semaines témoigne que le masochisme en institution a de beaux jours devant lui.
Mais laissons là, les provocations.

" La sociologie est la science des institutions. "

Tranquille, cool. On peut botter en touche. La notion d'institution n'aurait rien à voir avec la clinique. Passons à autre chose. Circulons ...
Lapassade attribue cette définition à l'école de Durkheim. Il note que depuis que cette définition a été produite, l'histoire des doctrines sociologiques est faite de tentatives pour confirmer, réviser, et plus récemment abolir, cette définition, jusqu'à exclure la notion d'institution du vocabulaire de la sociologie. (4)
" Sont sociales toutes les manières d'agir et de penser que l'individu trouve pré-établies et dont la transmission se fait le plus généralement par le voie de l'éducation. " Fauconnet et Mauss, disciples de Durkheim, précisent dans l'article " Institution " de la Grande Encyclopédie : " Il serait bon qu'un mot spécial désignât ces faits spéciaux, et il semble que le mot " institutions " serait le mieux approprié ".
Ainsi, nous noterons avec Lapassade que cette définition met l'accent sur un certain nombre de points : · L'institution se manifeste par des comportements et des modes de pensée (et non par l'aménagement des rapports de production) ;
· Ces comportements et ces modes de pensée n'ont pas pour source la personnalité, la psychologie individuelle, mais sont au contraire impersonnels, collectifs ;
· Comportements et modes de pensée collectifs constituent un héritage du passé, un gouvernement des morts sur les vivants ;
· Cet héritage de modèles culturels est sinon l'objet, du moins un des effets de l'éducation (et non de la lutte des classes).
Nous retrouvons là, les principales leçons que nous avons tirées de notre parcours étymologique.
Ainsi donc, les comportements et les modes de pensée propres à l'institution dans laquelle je travaille ne sont pas essentiellement le fruit de pensées individuelles mais sont au contraire impersonnels et collectifs. Ils sont un héritage du passé, un des effets de l'éducation à entendre comme reproduction du même.
Si je prends par exemple, la plainte des infirmiers de ne pouvoir exercer pleinement leur rôle propre, et de n'être perçu par les médecins que comme des exécutants. Si je prends dans le même temps le discours des psychiatres qui décrit les infirmiers comme des chroniques asilaires, violents, je me dis que tout cela est un héritage du passé et le fruit d'une éducation reçue par les uns, transmises par les autres.
Mais à entendre ces plaintes si rigoureusement symétriques, je pourrais me demander comment et pourquoi cette institution se reproduit pérenne, inchangée alors que les acteurs ne cessent de critiquer ce fonctionnement. Il ne devrait tenir qu'à eux qu'elle change.
Les uns et les autres évoqueront la contrainte qu'ils subissent et l'absence de consensus institutionnel sur ces points.
Lapassade revient sur ce point et relève en cet endroit une insuffisance théorique. " Si la contrainte est indispensable à la survie des institutions, quel besoin, en effet d'un accord général des usagers de ces institutions ? " (4) Du fait seul qu'elles changent, les institutions ne dépendent-elles pas, dans une certaine mesure, des " services " qu'elles sont susceptibles de rendre aux yeux des individus ? Pour évoluer, les institutions devraient mettre l'usager au cœur du système ainsi que les différents ministères ne cessent de le seriner avec une inefficacité notoire, qu'il s'agisse de l'école, de l'hôpital, de la justice ou de l'armée.
La diminution du nombre de psychiatre et la nécessité de cibler leurs interventions devraient favoriser une autonomie infirmière, comme cela s'est produit dans de nombreux pays étrangers. Le psychiatre ne serait plus la plaque tournante de l'institution mais une sorte de chef d'équipe qui orienterait les actions thérapeutiques. Il régulerait les soins plutôt que les ordonner. Cela rejoindrait d'une certaine façon la demande sociale. Que les psychiatres soient réticents n'empêcherait en rien les infirmiers de se positionner en professionnels autonomes. Or, non seulement, les psychiatres résistent, mais les infirmiers se refusent à occuper cet espace pourtant vacant.

" Même si les individus les " trouvent devant eux " à leur naissance, ne sont-elles pas aussi, d'une certaine façon, en eux, dès l'instant qu'elles ne sont pas un spectacle ou un matériau ethnographique étranger, mais leurs institutions, acceptées, transmises par l'éducation, considérées comme des évidences rationnelles, voire naturelles ? " (4)
Autrement dit, si les institutions survivent inchangées, c'est qu'elles nous satisfont telles qu'elles sont, et que nos critiques ne sont que des incantations destinées à favoriser la reproduction de ce qui a toujours été. Il serait dans la nature des choses que les psychiatres ordonnent, commandent et que les infirmiers exécutent.
Comment intériorisons-nous donc ces normes ? " Si les institutions sont des invariants, elles participent peu ou prou d'une nature humaine, rebaptisée à l'aide de notions psychanalytiques ou philosophiques : " angoisse originelle ", " besoin de sécurité ", " protection contre l'anxiété ".(4) Dans cette hypothèse, les comportements, la pérennité du fonctionnement viendrait rassurer notre angoisse originelle, notre besoin de sécurité. Pour vivre heureux, vivons dépendants, cadrés mais surtout pas responsables de nos actes.
Dans cette hypothèse, je ne saurais être un criminel, et encore moins un terroriste. Tout acte, tout comportement au sein de l'institution serait inscrit dans le retour du même. Je ne peux être un criminel, que si l'on se réfère à une vision politique de l'institution.
" Si l'on met l'accent sur le changement institutionnel, sur le dépérissement et la destruction des formes instituées et, par voie de conséquence, sur la violence symbolique et parfois policière exercée par les institutions, la question de savoir si ces faits sociaux sont " intériorisés " devient très secondaire. " (4)

Ainsi, ce n'est pas parce que l'institution " dure " qu'elle est légitime. Ce n'est pas parce que cela a toujours été, partout et en tous lieux que l'organisation de fait qui régit les pratiques se justifie. " Les révolutions bouleversent le système institutionnel, qui apparaissait comme immuable et rationnel. L'extériorité ou l'intériorité des institutions ne constituent pas le problème central pour la sociologie. Plus pertinente est la question de savoir comment l'ensemble des déterminations sociales traverse l'institution, et, réciproquement, comment les institutions agissent sur l'ensemble des déterminations sociales. " (4)

Trois pages de réflexion théorique, cela commence à faire beaucoup. Je ne sais s'il me reste encore un lecteur. D'autant qu'il me faut parler de Marx.
Du côté de Ribiers, on respire.

(A suivre !)

Dominique Friard.

2000

4 – LAPASSADE (G), L’analyse institutionnelle, in La sociologie.



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