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Ecriture et qualité des soins

2. Résultats

2.1. Taux de réponses

Nous avons obtenu 294 réponses au questionnaire infirmier. Le taux de réponses est de 20 %, là où il pouvait être mesurable. Il va de soit que le taux de réponses obtenues par Internet n’est pas quantifiable.. Il en va de même pour le CHU de Toulouse où 50 infirmiers sur 60 (83 %) pressentis ont répondu au questionnaire, l’existence d’un pré-tri rend la quantification discutable. Le taux de réponse correspond à celui que nous avons obtenu dans d’autres enquêtes lorsque les soignants de terrain ne sont pas à l’origine de la recherche. Ainsi le taux de retour était-il de 70 % pour les travaux réalisés sur l’isolement au CHS Esquirol mais de 15-20 % dans les autres centres hospitaliers (à l’exception de l’UMD de Sarreguemines où ce taux dépassait les 80 %). Le taux de réponse aurait du être plus important au CHS de Laragne mais les soignants mobilisés par ce travail n’ont logiquement pas répondu au questionnaire.

2.2. La classification retenue

Nous avons défini sur le modèle de Joëlle Bahloul (BAHLOUL (J), Les faibles lecteurs : pratiques et représentations, in Pour une sociologie de la lecture. Coll. Bibliothèques, Ed. du Cercle de la Librairie, Paris 988, pp. 103-125.) cinq types d’écriveurs  les quasi non-écriveurs (QNE), les faibles écriveurs (FE), les moyens écriveurs (ME), les grands écriveurs (GE), les très grands écriveurs (TGE) en prenant en compte le temps quotidien consacré à l’écriture.. Le fait de qualifier tel groupe de faibles ou de grands écriveurs n’implique pas de notre part un jugement de valeur, nous décrivons des catégories sociologiques ainsi que nous y invite Bahloul. La lecture de quarante ans d’observations infirmières montre que les infirmiers écrivent de plus en plus quantitativement. L’étude des cahiers de rapport des années 60 à 80 montre qu’un nombre très restreint d’infirmiers écrivaient (rarement plus de quatre par unités). Les scribes étaient en général les surveillants (de matin ou d’après-midi) et le faisant fonction ou selon les modes d’organisation le chef d’unité (qui remplaçait le surveillant lorsque celui-ci était absent). Le même questionnaire, proposé dans les années 70 aurait montré une majorité de Quasi non-écriveurs et de Faibles écriveurs. Cette façon de catégoriser, outre qu’elle répond aux données recueillies nous permet d’introduire une dynamique (des scénarios croissants ou décroissants) (Par scénario croissant, il faut entendre que les écriveurs considérés écrivaient peu jusqu’à une modification personnelle ou contextuelle (formation, changement de service, etc.) qui les amène à écrire davantage. Par scénario décroissant, il faut entendre linverse..)
Les quasi non-écriveurs déclarent consacrer moins de dix minutes par jour à l’écriture. Ils représentent 7 % de l’échantillon. Dans la réalité, leur nombre est certainement plus conséquent. Des infirmières qui passent si peu de temps à écrire ont peu de raison a priori de répondre à un questionnaire écrit centré sur l’écriture. Il est difficile de mesurer leur nombre. Les dossiers observés et analysés tendraient à montrer que leur nombre est important.
Les
faibles écriveurs déclarent passer moins d’une demie heure par jour à l’écriture. Ils représentent 28 % de notre échantillon. Ce pourcentage nous apparaît comme probablement sous-évalué pour les raisons précédemment décrites..
Les
moyens écriveurs écrivent moins d’une heure par jour. Ils sont 44 %. C’est l’échantillon le plus important. On peut, au contraire, penser qu’il est légèrement surévalué..
Les
grands écriveurs consacrent plus d’une heure par jour à l’écriture. Ils représentent 10 % de notre population. Il est plus que probable que leur nombre est moins important dans la réalité..
Les
très grands écriveurs consacrent au moins deux heures par jour à l’écriture. Il est probable que nous avons fait le plein de réponses. Dans la réalité, leur nombre doit être très faible.
Grands écriveurs et très grands écriveurs sont certainement d’apparition récente. L’observation et l’analyse des cahiers de rapport montre des observations qui dépassent exceptionnellement quelques lignes.. L’existence de ces deux catégories prouve que les infirmiers écrivent de plus en plus. Ils sont la manifestation d’un scénario croissant.
Nous partons de ce que les infirmiers ont déclaré et non de ce que nous avons observé. Certains soignants surévaluent le temps consacré à l’écriture et d’autres le sous-évaluent.
La plupart des soignants remplissent des bons, effectuent des commandes de pharmacie, notent les caractéristiques nécessaires à l’identification du patient sur les prélèvements sanguins, cochent les items des feuilles d’isolement, transmettent des messages reçus au téléphone. Le temps consacré à l’écriture est certainement supérieur à 10 minutes même pour le moins écrivant des infirmiers. Ils ne considèrent cependant pas ce temps comme de l’écriture. Par “ écriture ”, il faut entendre autre chose que ce qui s’inscrit avec un stylo. La notion d’engagement apparaît ici centrale.
Pourquoi caractériser les infirmières par le temps consacré à l’écriture plutôt que par le volume 
Volume et temps ne se superposent pas exactement. Il existe des infirmières qui se contentent de quelques notations succinctes de l’ordre d’une ou deux lignes par patient (pour chaque patient afin de montrer qu’elles se sont occupées de tous les patients), d’autres font des observations complètes (de l’ordre d’une page) pour un nombre restreint de patients, d’autres encore se centrent sur l’événementiel et n’écrivent que lorsqu’il se passe quelque chose pour le patient. L’observation de terrain montre que l’on peut écrire sans avoir un stylo en main; dans certaines unités, les transmissions se font en commun, un écrit sous la dictée des autres. Ce qu’il écrit engage alors toute l’équipe.
Le temps d’écriture déclaré nous est apparu comme l’élément de classification le plus pertinent. Il doit cependant être tempéré par le volume d’écrits. Le grand nombre de supports (de 5 à 18 selon les unités de soins, observation directe) et la redondance des informations implique qu’une grande partie du temps consacré à l’écriture consiste en recopiage d’informations déjà rapportées sur d’autres supports.. Nous pourrions parler de temps non productif.
Les cadres décrivent des volumes conséquents (de l’ordre de plusieurs pages) qui équivalent à la rédaction et à l’élaboration de projets d’unité, de services, de bilans et d’autres très ramassés de l’ordre de quelques mots qui correspondent à différents bons à remplir, au planning, etc. Ils ne différencient pas les différents types d’écrits comme les infirmiers. C’est dans cette catégorie que l’écart entre volume et temps est le plus important. Nous ne retrouvons pas cet écart chez les enseignants qui ne prennent en compte que la préparation des cours comme si cette préparation était un acte quotidien. Si les infirmiers sous-estiment le temps consacré à l’écriture, les enseignants le surestiment visiblement.

2.3. Caractéristiques générales de la population interrogée

Nous pouvons voir une disparition progressive des infirmiers de secteur psychiatrique. Les infirmières interrogées se déclarent infirmières d’abord et avant tout (84 %). Seules 7 % des infirmières se déclarent IDE et 5 % ISP.
Nous avons recueilli 70 % de réponses d’infirmières et 30 % d’infirmiers.. Le pourcentage s’inverse curieusement chez les très grands écriveurs (67 % d’hommes et 33 % de femmes). La petitesse de l’échantillon nous interdit d’en tirer des conclusions mais il est impossible de ne pas faire un lien avec la sur représentation des hommes infirmiers au niveau de la recherche et de l’encadrement.

Années de diplôme 


É

criveurs

0-5 ans 6-10 11-20 21-30 30 et +
QNE 17 % 16 % 25 % 42 % 0
FE 26 % 8 % 31 % 33 % 2 %
ME 26 % 6 % 34 % 33 % 0
GE 30 % 20 % 20 % 15 % 15 %
TGE 33 % 0 67 % 0 0
Total 26 % 8 % 31 % 25 % 8 %

Nous ne retrouvons pas dans notre enquête la pyramide de l’ancienneté professionnelle.. Les 30 ans et plus de carrière sont manifestement sous-représentés, même si nous prenons en compte qu’ils sont nombreux en psychiatrie et moins nombreux à l’hôpital général. Il en va de même pour les jeunes diplômés.. Mas à l’inverse. Si dans les établissements psychiatriques, ils sont nombreux à avoir répondu, leur nombre est plus faible à l’hôpital général.
Les non-écriveurs se recrutent essentiellement chez les soignants qui ont entre vingt et trente ans de carrière (formées donc avant 1980, c’est-à-dire avant la réforme des études de 79). Il est à noter que très peu d’infirmières de plus de 30 ans de carrière (formées avant 73, autre date de réforme des études, donc programme 53) ont répondu au questionnaire. Est-ce là que l’on trouverait le plus grand nombre de quasi non-écriveurs ? Est-ce un effet de programme, la conséquence d’une lassitude professionnelle, ou une réorientation vers la transmission orale  Infirmiers les moins sensibilisées au rôle propre infirmier, les moins formés à l’écriture (au niveau du diplôme, le TFE ou mémoire ou vécu n’apparaît qu’avec le programme 73, on ne leur demandait pas d’analyser leur expérience), ils sont dans un scénario croissant, ils écrivent plus que ce à quoi ils ont été formés.
Un quart des faibles écriveurs est composé d’infirmiers novices (diplôme unique), ce qui ne peut que nous interroger. N’ont-ils pas été formées à la démarche de soins et au diagnostic infirmier  N’ont-ils pas bénéficié plus que tous les autres infirmiers d’une formation axée sur le rôle propre infirmier  Nous serions là dans un scénario décroissant, ils écrivent moins que ce à quoi ils ont été formés.
Les grands écriveurs sont constitués d’infirmiers qui ont moins de dix ans de carrière (50 %) alors que 67 % des très grands ont entre dix et vingt ans de diplôme. La petitesse de l’échantillon rend l’exploitation de ces données difficile. Si les très grands écriveurs se caractérisent par l’acquisition de diplômes universitaires, nous comprendrons qu’il faut le temps d’avoir mené ces études à bien avant de devenir un TGE. C’est en général après cinq ans de diplôme qu’ils commencent ces études, leur durée est en moyenne de quatre ans pour les seconds cycles et de trois ans pour les troisièmes cycles. A supposer qu’il n’y ait pas de temps d’interruption entre deuxième et troisième cycle, nous obtiendrons donc un minimum de 12 ans entre diplôme initial et DEA ou thèse.. Ces formations exceptionnellement prises en charge par la formation continue (pour le deuxième cycle) et jamais pour le troisième impliquent un investissement personnel et financier important qui dissuadent de nombreuses infirmières (femmes), celles-ci attendent souvent que leurs enfants soient autonomes ce qui explique les écarts d’âge.
Cet écart s’explique enfin par le volume des écrits.

Age 


É

criveurs

20-30 ans 31-40 41-50 51 et +
QNE 19 % 27 % 33 % 18 %
FE 19 % 33 % 38 % 7 %
ME 18 % 35 % 39 % 4 %
GE 15 % 40 % 35 % 10 %
TGE 17 % 33 % 50 % 0
Total 18 % 32 % 37 % 10 %

Nous ne retrouvons pas non plus les caractéristiques de la pyramide des âges. Cet écart confirme bien que certains professionnels n’ont pas répondu au questionnaire et que ces non-réponses ne sont pas uniquement l’effet du hasard. Rappelons qu’en 1985, 68 % des IDE avaient moins de 35 ans. Les IDE les plus jeunes ont moins répondu au questionnaire que leurs collègues de psychiatrie à jeune âge égal. Il semble bien que les jeunes générations aient des difficultés avec leur écriture à l’hôpital général. Est-ce lié à la profession, à la qualité de l’enseignement ou à un phénomène générationnel ?
Les infirmiers plus âgés qui exercent en psychiatrie ont également moins répondu au questionnaire. Là encore, la question de l’écriture semble problématique. L’effet de génération ne tient plus.

Niveau d’études 


É

criveurs

BEPC BAC 2ème cycle 3ème cycle
QNE 10 % 77 % 8 % 0
FE 9 % 69 % 19 % 2 %
ME 8 % 61 % 23 % 3 %
GE 10 % 70 % 20 % 0
TGE 0 % 17 % 50 % 33 %
Total 8 % 67 % 21 % 3 %

En 1984, 92 % des élèves infirmiers entrant en formation au diplôme d’état avait le bac ou plus contre 71 % pour ceux qui entraient en psychiatrie.. Les chiffres obtenues dans notre échantillon sont conformes aux statistiques « soins généraux », ce qui implique qu’un nombre important d’ISP titulaires de l’unique BEPC n’ont pas répondu au questionnaire (même si les départs en retraite provoquent une diminution du nombre de ces ISP). Nous pouvons tenir pour acquis que le ISP les plus âgés, qui totalisent le plus d’années de diplôme, et qui sont les moins diplômés ont moins répondu au questionnaire que les autres infirmiers. Comme ils constituent une tranche importante de ceux qui écrivent peu ou pas, nous pouvons légitimement penser que ce nombre est sous-évalué.
A l’inverse, nous pouvons remarquer que si les infirmiers titulaires de diplômes du 2
ème et 3ème cycle représentent respectivement 21 et 3 % de la population étudiée, ils représentent 50 et 33 % des TGE, ce qui tendrait à montrer que notre questionnaire a connu un certain succès auprès de ces catégories. Ils sont sur représentés.
Le niveau d’études semble bien faire une différence quant au temps consacré à l’écriture. Nous serons très prudents, l’échantillon est réduit. Quelques infirmiers titulaires de diplômes de 2
ème et de 3ème cycle passent peu de temps à écrire (21 % chez les faibles écriveurs et 26 % chez les moyens écriveurs) . Si nous réincorporons les cadres et les enseignants, la corrélation est plus convaincante. Mieux les soignants sont diplômés plus ils écrivent, la réciproque n’est pas vrai.

Établissements de référence :



Écriveurs

Psy 1

Psy 2 Psy 3 Psy 4 Lycée SG1 SG2 Intern Total




l
InfInf.
QNE 0 % 43 % 8 % 6 % 0 14 % 17 % 0 7 %
FE 10 % 43 % 28 % 41 % 4 % 9 % 16 % 27 % 28 %
ME 67 % 14 % 50 % 43 % 24 % 59 % 43 % 36 % 44 %
GE 17 % 0 2 % 2 % 16 % 18 % 21 % 18 % 10 %
TGE 6 % 0 13 % 8 % 56 % 0 3 % 18 % 10 %

Sur le plan du temps consacré à l’écriture, au niveau de la population interrogée, les disparités entre établissements sont très importantes. La comparaison de l’écart entre les réponses obtenues en Psy 1 et en Psy 2 est à cet égard très éclairante  10 % de QNE et de FE pour l’un contre 86 % pour l’autre. Si les réponses obtenues en Psy 1 sont représentatives de l’établissement, il n’en va pas de même des réponses de Psy 2 qui ne correspondent qu’à deux secteurs. L’écart est tout de même parlant. Si nous regardons d’un peu plus près encore, nous verrons que les différences s’apprécient à l’échelle d’un secteur. Il semble exister des secteurs qui favorisent l’écriture et d’autres non.
Les plus grands écriveurs de SG 1 travaillent tous en Chirurgie, et ont tous suivi une formation à la Transmission Ciblée. Les réponses des autres unités sont conformes à celles de l’échantillon.
Les réponses obtenues par Internet proviennent de toute la France, de Suisse Romande et de Belgique.. Les infirmiers qui utilisent Internet sont plus souvent universitaires. Les ME, GE et TGE sont plus âgés en moyenne, plus investis professionnellement, et écrivent plus facilement dans des revues. Les Faibles Écriveurs sont plus jeunes et utilisent majoritairement Internet à des fins non professionnelles.. Ce sont plus souvent des hommes.
Les enseignants de Sisteron se situent en général dans la catégorie des GE et TGE, les quelques ME et FE sont secrétaires, professeurs de gymnastique ou emploi jeune.
La variable “ établissement ” apparaît ainsi comme importante mais doit être tempérée par les habitudes ou les pratiques de chaque secteur. Il apparaît ainsi nettement que seule la prise en compte du contexte peut nous éclairer sur le rapport des infirmiers à l’écriture. L’approche uniquement sociologique ne saurait être la seule pertinente.









2.4. La place de l’écriture dans la pratique professionnelle

Quelle place tient l’écriture dans la pratique professionnelle 


É

criveurs

Très importante Importante Peu importante Pas importante
QNE 17 % 50 % 25 % 8 %
FE 21,50 % 59,50 % 19 % 0
ME 45 % 47 % 6 % 0
GE 52 % 47 % 0 0
TGE 83 % 17 % 0 0
Total infirmier 38,50 % 49,50 % 10 % 1 %
Total général 38 % 52 % 8 % 1 %

Cette question relativement sans intérêt en raison du caractère vague du terme “ ” était une façon de commencer le questionnaire en douceur. Elle n’engageait à rien. Elle confirme cependant l’intérêt de notre classification  plus les infirmiers écrivent, plus ils sont nombreux à considérer que l’écriture occupe une place importante dans leur pratique. Et réciproquement. Le contraire eût été étonnant. La meilleure façon de montrer que l’écriture n’était pas importante dans la pratique était de ne pas répondre au questionnaire. Nous avons vu qu’il était plus que probable que telle avait été l’attitude de nombreux soignants.
On peut également considérer que la question telle qu’elle était posée induisait la réponse.
Il est intéressant de noter le peu d’écart entre les réponses infirmières et les non-infirmières  les réponses des TGE sont conformes à celles des enseignants et des cadres.

Quelle place devrait-elle tenir 


É

criveurs

Très importante Importante Peu importante Pas importante
QNE 42 % 50 % 0 8 %
FE 57 % 41 % 2 % 0
ME 57 % 43 % 0 0
GE 52 % 47 % 0 0
TGE 83 % 17 % 0 0
Total infirmier 53 % 42 % 3 % 1 %
Total général  50 % 46 % 3 % 1 %

Cette deuxième question par l’importance du mouvement qu’elle implique est tout à fait intéressante  25 % des QNE estiment que l’écriture jugée par eux comme peu importante devrait être plus importante, et 25 % de ceux qui la jugeaient comme importante estiment qu’elles devraient être considérée comme très importante.. Chez les Faibles écriveurs le mouvement est encore plus fort, ils sont 36 % à considérer qu’elle devrait avoir une place très importante dans la pratique. Ce mouvement est particulièrement perceptible chez les infirmiers les plus jeunes. Soucieux d’améliorer l’écriture clinique infirmière, nous avons là un premier espace d’action. QNE et FE représentent 35 % de la population étudiée et certainement beaucoup plus dans la réalité. Si nous parvenons à comprendre sur quoi repose cette désaffection vis-à-vis de l’écriture professionnelle peut-être pourrons-nous agir efficacement pour améliorer leurs écrits et les aider à leur accorder la place que l’écriture leur semble “ériter ”. Rien ne nous permet cependant d’affirmer que ce mouvement est possible chez ceux qui n’ont pas répondu au questionnaire.
Les QNE et les faibles écriveurs n’ont pas une position simple vis-à-vis de l’écriture. Ils ne la rejettent pas en tant que telle, ce qui aurait pu être le cas. Ils estiment que l’écriture devrait avoir une place plus importante. Faut-il en conclure que s’ils écrivent peu, c’est parce que l’écriture n’est pas suffisamment considérée ? Nous sommes tentés de le faire. Ils seraient ainsi des “
éçus de l’écriture ”.

2.5. La nature des écrits professionnels


É

criveurs

Transmissions Observations Organisation du Travail Notes de synthèse Comptes-rendus divers Recherche
QNE 75 % 75 % 25 % 33 % 25 % 0
FE 83 % 88 % 28 % 43 % 33 % 9 %
ME 92 % 89 % 32 % 42 % 34 % 5 %
GE 86 % 81 % 52 % 29 % 38 % 10 %
TGE 83 % 100 % 17 % 67 % 17 % 25 %
Total 83 % 81 % 44 % 42 % 32 % 9 %

Transmission d’informations et observations sont les maîtres mots de l’écriture professionnelle infirmière. Tout type d’écriveurs confondus, ces deux items recueillent plus de 80 % des suffrages. Ces réponses sont conformes à ce que l’on peut percevoir sur le terrain et sur les dossiers de soins infirmiers. L’importance donnée à l’organisation du travail par les grands écriveurs tient à l’influence des formations sur la démarche de soins (plan de soin qui organise le travail) et à la transmission ciblée. Les TGE ont davantage insisté sur l’aspect clinique manifesté par la rédaction de synthèses d’hospitalisation à la sortie de chaque patient et la préparation écrite de synthèses longitudinales.

2.6. Le moment où les infirmiers écrivent

A cette question, 95 % des infirmiers ont répondu. Leurs réponses sont très variées. Certains ont insisté sur la fréquence (combien de fois ils écrivent par poste), d’autres sur le moment de la journée où ils écrivent et d’autres enfin sur les circonstances qui obligent ou favorisent l’écriture.
- Près d’un infirmier sur cinq (19 %) a répondu en terme de fréquence d’écriture. Sur cet échantillon, ils sont ainsi 50 % à écrire quotidiennement (QNE,FE et ME), 35 % à le faire plusieurs fois par jour (essentiellement les ME,GE et TGE), 7 % à écrire à un rythme hebdomadaire (essentiellement des soignant qui exercent en CMP ou en hôpital de jour et des QNE), et enfin 2 % à écrire mensuellement.
- Plus d’un infirmier sur deux (58 %) a précisé les circonstances d’écriture. Parmi ceux-ci, un peu plus d’un quart (27 %) privilégient les moments institutionnels. Ils écrivent avant les transmissions orales, en fin de journée de travail, avant de quitter le service. Cela correspond en général à un moment plus calme, après la dernière ronde la nuit, au moment où les patients regardent les informations en soirée, après le repas au moment de la sieste en début d’après-midi. Les soignants qui ont répondu de cette façon sont essentiellement des QNE, des FE et des ME. En psychiatrie, près d’un tiers des soignants évoquent la difficulté de pouvoir se poser sans patients ou sans enfants (en pédopsychiatrie) pour pouvoir rédiger leurs observations.
Près d’un tiers des soignants de cette catégorie (32 %) écrivent chaque fois qu’un élément nouveau intervient qu’il s’agisse du résultat d’une consultation médicale, d’une sortie vers un autre établissement, d’un appel téléphonique, d’un accompagnement à prévoir, d
une agitation. Tout événement qui trouble ou modifie la routine (au sens sociologique du terme) est noté pour que l’on s’en souvienne. On trouve essentiellement dans cette catégorie des FE, des ME et des GE.
- Les autres soignants (41 %) écrivent immédiatement après ou pendant un soin (direct ou indirect). Ils rédigent leurs observations après l’entrée d’un patient, à l’issue d’un accompagnement ou d
une sortie thérapeutique, après avoir fait un soin important, à la fin d’une activité individuelle ou de groupe (dans ce cas lors d’un post-groupe), après ou pendant un entretien infirmier (selon la façon dont est pensé le recueil de données), après ou pendant une réunion (il s’agit alors de remettre au propre des notes prises à la va vite). On retrouve dans cette catégorie un petit pourcentage de FE, mais surtout des ME, des GE et des TGE.
Enfin, 41 % des infirmiers ont détaillé les écrits produits : administratifs (commandes, bon de repas, courriers divers), soignants (observations toujours), et relatifs à la recherche ou aux groupes Qualité (10 % de cette catégorie).

2.7. Le volume écrit

98 % de réponses à cette question.
8 % des infirmiers déclarent écrire moins de deux lignes par transmissions, 36 % moins de cinq lignes, 32 % moins de 10 lignes, 17 % autour d’une page, et 5 % plus d’une page. L’analyse des dossiers montre que les infirmiers surestiment largement le volume de leurs observations.


2 lignes

5 10 1 page + 1 page
QNE 43 % 50 % 7% 0 0
FE 14 % 51 % 29 % 6 % 0
ME 4 % 40 % 42 % 5 % 9 %
GE 4 % 13 % 13 % 26 % 43 %
TGE 3 % 21 % 7 % 24 % 45 %
Total 8 % 36 % 32 % 17 % 5 %



2.8. Les écrits sont signés

Plus de 85 % des infirmiers déclarent signer leurs écrits, les 15 % restants n’en signent que certains. Ils font une différence entre ce qui les implique (observations, synthèse) et le reste (démarche de soins, plan de soins, bon de commande, etc.). Nous n’avons pas observé de différence selon la nature des écriveurs. L’observation des dossiers réels confirme ces chiffres.

2.9. Le support utilisé

Une première lecture du questionnaire montre que 84 % des infirmiers se réfèrent au dossier de soins infirmiers et que 8 % d’entre eux utilisent l’expression “du patient ” (essentiellement les infirmiers exerçant en Psy 1). Une lecture plus attentive nous montre que 26 % des infirmiers écrivent encore sur un cahier de rapport. On note que ce sont certains infirmiers de Psy 3 et 4, essentiellement ceux qui exercent en intra hospitalier.. Ils semblent être rassemblés au sein d’un petit nombre de secteurs.
Il existe ainsi une double écriture pour 26 % des infirmiers  à la fois sur le cahier de rapport, de liaison et sur le dossier de soins du patient. Il est à craindre une perte de pertinence des informations et surtout un moindre intérêt à l’écriture.
On pourrait donc s’attendre à ce qu’un petit nombre de supports soit utilisé par les soignants. Il n’en est rien : tableaux pharmacie, commande pharmacie, intercalaires, classeur infirmier, brouillon, post-it, feuilles volantes, feuilles d’entretien, cahier de transmissions journalières, de transmission infirmières, cahier de transmission.
Une des grandes surprises de ce questionnaire est le constat que le dossier de soin, loin de décrire un espace qui rassemble différentes informations, apparaît comme un lieu de morcellement de renseignements. Le dossier de soin n’est pas perçu comme un tout mais comme le rassemblement de différentes feuilles.
En Psy 1, il n’existe pas de dossier de soins infirmiers spécifique. Un espace est réservé aux notes infirmières dans le dossier du patient constitué des contributions des différents membres de l’équipe pluridisciplinaire. Dans la majorité des unités, l’espace infirmier est composé d’une feuille d’observation. Des unités mobilisées par un cadre particulièrement sensibilisé à la démarche de soin, et par un petit groupe de chercheur ont élaboré des supports spécifiques pour l’entretien d’accueil, les entretiens infirmiers, la démarche de soins, la synthèse de soins infirmiers et une fiche de liaison..
Il en va de même en SG1 et 2, où si la transmission ciblée rassemble les différents infirmiers, nous retrouvons des énoncés de support très différents  papier quadrillé, feuilles de transmission, cahier infirmier, cahier de salles d’op, cahier de salle, cahier de soin, cahier de banque, fiche de liaison, feuille de transmission, fiche de température, fiche de traitement, dossier de soin dans lequel figure une fiche de transmission, diagramme, bons divers, cahier de surveillance de dialyse, feuilles de transmissions de sortie, planification murale, bloc-note.
C’est en Psy 2 que le plus petit nombre de supports a été cité. On trouve essentiellement des fiches ou feuilles d’observation ou de synthèses journalières. Il est à noter que c’est dans cet établissement que nous avons le plus grand nombre de petits écriveurs.
En Psy 3et 4, l
éparpillement est également la règle, une multitude de feuilles sont décrites comme peu utilisées par les soignants.
D’une façon générale, les G.E. et les T.G.E. ont une perception plus globale du dossier de soins et des différents supports d’écriture. Dans la variable établissement, nous ne retrouvons une conception globale du dossier que chez les répondeurs Internet, comme si l’habitude de l’outil informatique impliquait une perception plus fine d’un rangement en dossier et sous-dossier.

2.10. Des écrits individuels rédigés en commun

Du côté des enseignants la réponse est simple, les écrits sont essentiellement individuels. Les travaux collectifs apparaissent extrêmement rares et la notion d’équipe quasi inexistante.
Du côté des infirmiers, une première approche montre qu’il est moins simple qu’il n’y paraît de répondre à cette question  un infirmier sur deux estime qu’il rédige des écrits individuels et un autre des écrits individuels et collectifs.. Des soignants d’une même unité répondent des choses différentes à propos d’une réalité qui devrait être a priori la même.


Individuels

Collectifs Les deux
QNE 66 % 16 % 16 %
FE 56 % 0 40 %
ME 38 % 4 % 53 %
GE 60 % 3 % 35 %
TGE 25 % 0 75 %
Total 50 % 4 % 45 %

Si nous observons les établissements, nous verrons que les soignants de SG 1 et 2 sont les plus nombreux (86 %) à estimer que leurs écrits sont individuels.. Nous pouvons voir là l’effet de la formation mais peut-être également la conséquence d’un exercice en soins généraux où l’on rencontre le patient essentiellement dans sa chambre, ce qui permet une planification des soins davantage individualisée.
Le tiers des soignants qui ont répondu que les écrits étaient collectifs et individuels ont éprouvé le besoin de préciser leur réponse. Comme pour la signature, les soignants différencient leurs écrits.. La démarche de soin est décrite comme élaborée collectivement alors que les observations seraient davantage un écrit individuel.. D’autres, essentiellement en Psy 3 décrivent pour les mêmes observations un temps de partage des informations, mis au propre par un infirmier scribe ou secrétaire de l
équipe qui prépare la relève. Il s’avère dans ce cas de figure bien difficile de définir s’il s’agit d’un écrit individuel ou collectif.

2.11. Ce que les infirmiers nécrivent pas

Le taux de non-réponse à cette question (38 %) témoigne des difficultés que les soignants rencontrent avec l’écriture. Tous les établissements psychiatriques ne sont pas également concernés, c’est en Psy 3 que le phénomène est le plus perceptible (60 % ) mais il est important dans tous les établissements (40 % en Psy 4, 25 % en Psy 2, 15 % en Psy 1). Les infirmiers qui exercent à l’hôpital général n’éprouvent, eux, pas de difficultés particulières à répondre à cette question, le taux de non-réponse est bas (5 %).
Moins on écrit, moins on répond à cette question. C’est parmi les QNE et les FE que le taux de réponse est le plus bas.
Si le taux de non-réponse est important, les réponses lorsqu’il y en a sont très documentées.
Un tout petit nombre d’infirmiers (7,5 %) déclarent qu’il n’y a pas de choses qu’ils n’écrivent pas. Parmi eux, des QNE et des GE. Ils n’ont pas explicité leur réponse.
Plus d’un infirmier sur deux (54,5 %) n’écrit pas certaines informations.. Les réponses sont tellement nombreuses que nous avons regroupé les réponses sous cinq grandes catégories : le ressenti, l’intime, le médico-légal, le quotidien et l
institutionnel..
Les infirmiers des soins généraux, notamment ceux qui ont bénéficié d’une formation à la transmission ciblée n’écrivent que ce qui relève de leur rôle propre. Ils ne recopient pas les prescriptions médicales, ni ce qui émane d’autres professionnels. Aucun infirmier exerçant en psychiatrie n’a fait ce type de réponse. Les soignants des soins généraux, formés à la transmission ciblée tendent à n’écrire que ce qui relève des cibles repérées, tout ce qui est étranger au problème amenant à l’hospitalisation n’est pas écrit. Concernant les questions relatives à l’intimité et à la confidentialité, s’ils estiment que cela ne doit pas être noté, car n’ayant pas de rapport avec la démarche de soins, ils semblent éprouver les mêmes difficultés que les autres infirmiers..
Un peu plus de 10 % des infirmiers déclarent de ne pas écrire certaines informations qui peuvent avoir des répercussions médico-légales. Les infirmiers qui exercent en SMPR évitent d’écrire les paroles du patient détenu qui pourraient avoir des répercussions sur ses modalités de peine, les remises en cause d’autres prisonniers, les heurs avec les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, etc. Les infirmiers qui exercent en pédopsychiatrie évitent également de noter certaines informations. L’observation du comportement d’un enfant peut amener les soignants à faire l’hypothèse qu’il est victime de sévices. Il ne s’agit que d’une hypothèse. L’écrire reviendrait à lui donner de la réalité, du poids. Dans la perspective où les familles auraient un jour accès au dossier de leur enfant, l’écrit pourrait blesser gravement et inutilement des parents en souffrance.. Notons que les questionnaires ont été remplis avant la loi du 4 mars 2002. Les soignants de psychiatrie générale ont acquis que le dossier de soins infirmiers pouvait être saisi et constituer une preuve à charge. Ils évitent donc d’y noter tout ce qui pourrait nuire au patient ou à l’équipe. Les éléments susceptibles d’avoir des répercussions médico-légales (propos suicidaires, menaces contre un tiers, etc.) sont partagées oralement. QNE, FE et ME se retrouvent à parts égales dans cette réticence.
Dans un souci proche, un même pourcentage de soignants évite de noter tout ce qui renvoie à des conflits institutionnels qui sont soit tus, soit travaillés au cours de réunions institutionnelles. Ils taisent également les critiques des patients concernant tel ou tel membre de l’équipe infirmière ou médicale, comme si les rapporter par écrit valait acquiescement aux propos du patient. On peut se demander comment les éléments transférentiels de la relation se travaillent dans ces équipes. Certains modes d’organisation favorisent par contre, un partage oral des informations. Les infirmiers ne notent alors que ce qui n’est pas élaboré en réunion. Leurs écrits sont décrits comme des énoncés de faits bruts, comme des traces qui sont actualisées lors des transmissions infirmières. Tous les types d’écriveurs se retrouvent dans cette réponse.
Près de 15 % des infirmiers évoque leur difficulté à traduire le quotidien sur le dossier. Chez les patients chroniques (schizophrènes essentiellement, alcooliques qui multiplient les alcoolisations), le quotidien n’est qu’une répétition des mêmes séquences que les soignants répugnent à écrire au jour le jour. Les évolutions lorsqu’il s’en produit ne peuvent s’apprécier qu’à moyen ou à long terme. Entre le RAS (Rien à signaler), aujourd’hui abandonné et le «
identique », les soignants éprouvent une vraie difficulté à décrire le comportement de ces patients. Ce temps arrêté, ces répétitions des mêmes séquences ont un côté désespérant pour l’équipe. C’est probablement autour des patients alcooliques et toxicomanes qui multiplient les prises de toxiques que cet effet démobilisant apparaît le plus. D’une façon générale, les soignants ne voient pas l’intérêt d’écrire le presque rien, le banal. Un soignant appelle cela du « ». Il faut des réunions d’analyse des pratiques ou de régulation pour qu’ils en perçoivent l’importance. QNE, FE et ME ont davantage de difficultés avec cette écriture de l’infime, du presque rien.
Le quart des soignants déclarent ne pas écrire leur ressenti, leurs interprétations, leur jugement vis-à-vis des patients. Ils l’abordent éventuellement oralement en réunion mais tendent à une écriture qui vise l’objectivité, qui s’intéresse aux faits et rien qu’aux faits. QNE, FE, ME, et un petit pourcentage de GE sont dans ce registre. Il apparaît ainsi difficile d’élaborer autour de ces ressentis qui constituent une part importante du travail en psychiatrie..
Enfin, près de 40 % déclare ne pas noter les confidences des patients, tout ce qui est du registre de l’intimité (vie affective et sexuelle essentiellement mais également récits de vie), ce que les patients leur confient à eux et tout élément pour lesquels les patients exigent le secret. Les soignants des soins généraux semblent particulièrement démunis vis-à-vis de ces confidences des patients. Si en psychiatrie, un bon tiers des soignants choissent d’en parler oralement en réunion, la plupart n’abordent ces contenus ni oralement, ni par écrit. Il nous semble que derrière cette réticence se cache une difficulté à se situer professionnellement. On ne peut soigner en psychiatrie qu’en suscitant ces confidences, cette évocation de l’intimité. Comment pourrait-on mener des entretiens infirmiers, travailler le transfert si les paroles du patient sont appréhendées comme des confidences faites à soi qui ne regardent pas l’équipe ?

2.12. Les destinataires des écrits infirmiers



QNE

FE ME GE TGE Total
Équipe 53 % 62 % 60 % 75 % 50 % 65
Médecins 53 % 50 % 31 % 30 % 33 % 38,50 %
Collègues 27 % 26 % 22,50 % 15 % 33 % 24 %
Cadres 13 % 9,50 % 11 % 0 0 9 %
Administration 7 % 5 % 8 % 10 % 17 % 7,50 %
Soi-même 0 2 % 1,5 % 15 % 33 % 4 %
Assistante Sociale 7 % 5 % 8 % 5 % 0 6 %
Psycho 0 7 % 3 % 0 0 3,50 %
Justice 0 5 % 5 % 5 % 17 % 5 %


En première lecture, les destinataires des écrits infirmiers apparaissent très divers et difficiles à appréhender. Nous en avons recensé plus de 25.
Ce constat est en soi intéressant.
Si nous prenons comme exemple l’ordonnance rédigée par un médecin (cas de figure apparemment le plus simple), nous aurons comme destinataires possibles  le patient lui-même, sa famille selon les cas de figure, le pharmacien qui distribue le traitement, les infirmiers qui vont l’administrer, un confrère que le patient ira consulter en dépannage, un dentiste pour une extraction avec anesthésie locale, un expert s’il s’agit d’un patient médico-légal, les employés de la sécurité sociale pour le remboursement, éventuellement un juge en cas de plainte contre le médecin, donc les avocats des différentes parties concernées, etc.
Plus nous déplions, plus nous nous rendons compte que les lecteurs potentiels des écrits rédigés par les soignants sont nombreux, même dans le cas d’espèce le plus simple (l’ordonnance). Le secret médical ressemble de plus en plus à un secret de «
 » même si chacun des professionnels engagés dans le soin y tient fermement.
Contrôler le devenir de ce que l’on écrit apparaît alors être une incroyable gageure. La tentation peut être grande de les réduire, de les densifier de telle sorte qu’ils soient incompréhensibles à un lecteur non-initié.
Nous avons divisé les destinataires potentiels en deux catégories  les soignants et les non-soignants. L’écrit infirmier étant couplé avec une transmission et une régulation orale, nous prendrons en compte les destinataires avec lesquels existent des échanges verbaux institutionnalisés ou non, et ceux avec lesquels, il n’en existe pas.
Les écrits infirmiers s’adressent donc essentiellement à l’équipe, au médecin et aux collègues. Ces trois types de destinataires sont soignants (ou font partie de la galaxie soignante), et participent à des réunions formelles ou informelles qui permettent de préciser les éléments que l’écrit ne contient pas ou ne fait qu’esquisser. Une analyse simple montrerait que nous retrouvons là les destinataires classiques de ces écrits, leur importance allant jusqu’à pré formater certaines feuilles du dossier de soins infirmiers.
Un internaute sur deux répond que ses écrits sont destinés au
dossier de soin, et 15 % des soignants de SG 1 déclare que leurs écrits sont destinés aux archives. Faut-il évoquer à cette occasion la notion de destinataire “ ”  Ce serait aller un peu vite. Il n’empêche que ceux qui écrivent beaucoup tendent à privilégier les supports concrets de l’écriture (papier, ordinateur, nom du traitement de texte utilisé, etc.), et semblent entretenir avec le destinataire des relations que n’ont pas les autres types d’écriveurs, comme s’ils passaient à cette occasion à un type d’écriture qui suppose un autre type de lecteur que le lecteur soignant. L’oral, la relation directe semblent avoir moins de place pour eux. On pourrait presque parler “’écrit pour l’écrit ”. Ces soignants internautes ou formés à la transmission ciblée ont une vision globale du dossier contrairement aux autres soignants qui n’en ont qu’une vision parcellaire, à l’échelle de la feuille.
La nécessité de rendre des comptes est de plus en plus perceptible dans le discours des soignants, notre enquête n’échappe pas à ce constat  5 % des soignants interrogés déclarent que leurs écrits sont destinés au
juge, à la justice, au tribunal. Que la justice ait à prendre en compte les écrits rédigés par les soignants en cas de plainte, n’en fait pas une destinataire normale de ces écrits. Nous voyons là, l’émergence d’une inquiétude de plus en plus présente chez les soignants.. Cette anxiété s’est constamment exprimée dans les formations écritures. A la limite, les soignants auraient souhaité être formé spécifiquement à un mode d’écriture qui les libéreraient de cette contrainte.
Si les QNE n’ont pas ce genre de soucis, ce sont 17 % des TGE qui se préoccupent des aspects juridiques de leurs écrits. Cette préoccupation est particulièrement perceptible en Psy 3, où un certain nombre de plaintes défrayaient la chronique au moment où le questionnaire était distribué. Il est prégnant également en SG 1, où les mots “
é ”, “çabilité ” résonnent comme des leitmotiv chez les soignantes formées à la Transmission Ciblée. Pour la justice, seul l’écrit compte. Ce qui n’est pas écrit est considéré comme n’ayant pas été fait. La régulation orale est considérée comme non pertinente. C’est à une situation bien particulière que sont alors confrontés les soignants. Le recours à l’oral ne s’effectue qu’en cas de plainte, et le soignant est alors amené à justifier oralement de ce qu’il a fait. Nous sommes dans le registre du procès.
Un autre destinataire inhabituel se regroupe sous les mots  “ 
Administration ”, “ Hiérarchie ”, “ Direction ”, voire “ ”. Il s’agit là encore de destinataires non directement soignants. Si nous additionnons ces réponses, nous arrivons à 13 % et à 22 % si nous y incorporons les cadres. Ces termes sont peu précis. Pour les soignants les plus âgés, les moins diplômés, le médecin-chef fait partie de la hiérarchie, ce qui n’est pas le cas des plus jeunes. Pour les uns, le Directeur du Service de Soins Infirmiers fait partie de l’équipe de direction, pour d’autres non. Le cadre de l’unité peut faire partie ou non de la hiérarchie. Tout dépend de sa façon d’exercer sa fonction, de sa présence ou non dans l’unité. Le cadre-infirmier supérieur fait partie de la hiérarchie, de l’administration mais pas de la direction. Administration, hiérarchie, direction sont en dehors de l’équipe, et ne sont pas (ou plus) soignants.
Il s’agit là encore de destinataires auxquels il faut rendre des comptes. Certains de ces destinataires ne participent pas aux différentes réunions existantes, les soignants n’ont pas de liens directs avec eux, et donc pas ou peu d’échanges verbaux avec eux. L’écrit est ainsi, comme pour la justice, ramené à sa fonction de preuve, de trace. C’est à cette catégorie que s’adressent les rapports rédigés par les soignants liés à un accident quelconque (fugue, suicide, violence, etc.) qui vient perturber le quotidien hospitalier. Il s’agit dans tous les cas de lecteurs à l’écart du quotidien auxquels les soignants doivent rendre des comptes de ce qui se passe dans le quotidien et qui en ignorent toutes les règles dites et non-dites et la plupart des contraintes. Les infirmières ont souvent un vécu persécutif vis-à-vis de ces lecteurs. Cela vaut pour les infirmiers mais au fond pour la plupart des soignants, médecins compris. On retrouve la référence à la justice dans toutes les catégories;
D’autres destinataires non-soignants sont cités 
famille, patients. Il s’agit là de pratiques ponctuelles. Les écrits auxquels les familles et les patients ont accès ne sont pas des écrits cliniques : ce sont des “de soin ”, des programmes de réhabilitation, des livrets d’information, etc. Tout change avec la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Il est permis de penser que cette obligation devrait modifier l’écriture des soignants. Certaines professions avaient d’ailleurs largement anticipé cette obligation (les médecins, par exemple).
Le premier des destinataires soignants, le plus évident même devrait être
l’infirmière elle-même. Les enseignants écrivent pour préparer leurs cours, les destinataires sont donc eux-mêmes et les élèves. Rien de tel chez les soignants.
Seuls 4 % des infirmiers écrivent pour avoir leurs repères, pour garder en mémoire les renseignements fournis par le patient ou par sa famille. C’est le cas de 15 % des GE et de 33 % des TGE. Il est certes possible de se fier à sa propre mémoire, mais écrire implique une prise de distance avec le vécu que ne permet pas l’oral. Cette écriture là n’est considérée comme légitime que par ceux qui écrivent beaucoup. On la retrouve chez les utilisateurs d’Internet. Elle implique une conception globale du dossier de soin. Si l’on travaille à l’échelle de la feuille d’observation, on peut difficilement s’étaler. Trop d’écrit tue la lecture.
Un infirmier sur quatre écrit pour ses
collègues, c’est-à-dire pour ses pairs. Pour le Petit Robert, le collègue, c’est celui exerce une fonction par rapport à ceux qui exercent une fonction analogue ”. Cette proportion d’un sur quatre se retrouve dans toutes les catégories d’écriveurs. On note une différence chez les infirmiers formés à la Transmission Ciblée qui citent peu leurs collègues comme destinataires de leurs écrits (10 %). Le tendance est la même en Psy 4 (16 %). Le cas de figure est inverse en Psy 3 où 39 % des infirmiers déclarent que les destinataires de leurs écrits sont leurs collègues.
Si nous nous intéressons aux différentes occurrences du mot “
ègue ” dans le questionnaire, nous verrons que les collègues (toujours employé au pluriel) sont ceux auxquels on transmet les informations (une occurrence sur deux), avec lesquels on échange et on discute. Il est question d’équipe de collègues qui lisent les écrits en opposition avec l’équipe pluridisciplinaire et les médecins qui ne les liraient pas. Les collègues sont ceux avec lesquels on a un lien direct. La seule critique qui leur est destinée est qu’ils écrivent peu, qu’ils ont des réticences à le faire.. Cette critique émane davantage des faibles et moyens écriveurs que des GE et des TGE. Nous voyons pointer là une première critique des récepteurs, très minoritaire il est vrai, émanant aussi bien de faibles ou moyens écriveurs que de grands. La difficulté est que dans ce cas de figure les destinateurs sont aussi les émetteurs et que critiquer leur écriture, c’est aussi critiquer la sienne..
Les écrits sont également destinés au
médecin. Ils le sont d’autant plus que les infirmiers sont âgés, et peu diplômés. Un infirmier sur deux chez les QNE et les FE leur destine ses écrits. La proportion tombe à un sur trois pour les autres catégories.
C’est en SG 1 et 2, là où les infirmiers ont été formés à la Transmission Ciblée que les infirmiers écrivent le moins pour le médecin (17 %). La même tendance existe pour les Internautes (25 %) et pour les infirmiers de Psy 1 (29 %) qui ont eux aussi suivi une formation à la démarche de soin. En Psy 2 et 3 près d’un infirmier sur deux destine ses écrits au médecin. Nous avons là une première remise en cause de ce qu’énonçait Jean-Louis Gérard. Si le médecin et notamment le psychiatre a longtemps été le premier destinataire des écrits infirmiers, cela est moins vrai pour ceux qui écrivent beaucoup et pour ceux qui sont formés à l’écriture clinique infirmière.
Qu’à l’hôpital général les infirmiers écrivent moins pour le médecin ne saurait être surprenant, à partir du moment où ils ont été formés à autre chose. Les écrits destinés au chirurgien ou au médecin somaticien concernent les aspects somatiques et peu les réactions du patient à sa pathologie, qui rentrent dans le cadre du rôle propre infirmier et dans les diagnostics infirmiers.
Il n’en va pas de même en psychiatrie où les réactions du patient à la maladie, les troubles du comportement qu’ils engendrent regardent tous, peu ou prou, le psychiatre. Il y a en psychiatrie, un aspect globalisant. Après tout, c’est bien le psychisme qui commande le comportement d’un individu, et donc rien de ce qui compose le comportement du patient, sa façon d’aborder le quotidien ne saurait être étranger au psychiatre.
Si nous examinons les différentes occurrences du mot “
édecin ” dans le questionnaire, nous observerons que lorsqu’il est question d’un médecin au singulier, il est en général mentionné en des termes positifs, le pluriel lui, s’associe à des éléments péjoratifs. Les infirmiers de secteur psy qui exercent en extra-hospitalier emploient plus souvent le mot au singulier et semblent se référer à une relation directe avec le médecin. Sur le plan de l’écriture, ils auraient tendance à moins écrire, mais cela pourrait être du à ce rapport direct qui rend inutile de nombreuses transmissions écrites.
Le pluriel est plus souvent employé et correspond au regret d’infirmiers qui font le constat que les médecins ne lisent pas leurs écrits. Ainsi lorsque le destinataire est le groupe des médecins, les émetteurs ont la sensation que le message n’est pas reçu parce que non lu. Ainsi, les moins écriveurs des infirmiers semblent pris dans une situation folle, ils écrivent pour des médecins qui ne lisent pas leurs écrits, d’où la diminution de l’écriture 
Lorsque les infirmiers mentionnent les médecins c’est également en référence à la visite des médecins dont il faut transmettre le contenu aux collègues ou à l’équipe. Si le but est de transmettre le contenu de la visite médicale, on comprend bien que les médecins ne se bousculent pas pour lire ce qu’ils ont eux-mêmes dit.
Les deux mots semblent souvent s’opposer  collègues versus médecins ou équipe versus médecins sauf s’il s’agit de l’équipe pluridisciplinaire.
Les écrits infirmiers s’adressent donc d’abord à l’
équipe, c’est-à-dire à un groupe. La question est la même que pour les “ègues ”, c’est d’une certaine façon le collectif qui écrit pour le collectif.
A l’exception des QNE, c’est à ce groupe que les infirmiers adressent majoritairement leurs écrits. Les soignants de SG 1 et 2 sont ceux qui s’adressent le plus à l’équipe (79 %). Cela est particulièrement vrai pour l’équipe de chirurgie formée collectivement à la transmission ciblée Cela peut se comprendre. La formation ouverte aux infirmières du service de chirurgie a fait exister l’équipe qui partage un vécu, des valeurs, une façon de penser.. Le lecteur qui analyse leurs réponses a souvent l’impression qu’une seule et même personne parle. Il semble en tout cas exister un ciment. Dans ce cas l’équipe se limite aux différentes infirmières de l’unité.
Les soignants de Psy 3 se réfèrent également beaucoup à l’équipe (65 %), il s’agit là d’une équipe élargie à d’autres professionnels souvent cités.
Nous ne retrouvons pas cet éventail en Psy 2, où la notion d’équipe semble moins ouverte aux autres catégories.
Lorsqu’il s’agit de décrire la composition du groupe “ Équipe ”, la tâche du chercheur s’avère complexe.. Rappelons que cette question était ouverte et que rien ne pré programmait les réponses infirmières.
Qu’est-ce que l’équipe ?
Pour certains, nous l’avons vu l’équipe se limite aux infirmières, pour d’autres elle inclut les aides-soignantes, pour d’autres, plus rares, elle est composée également d’ASH. Elle n’est parfois composée que de collègues donc d’infirmiers. Nous aurions ainsi parfaitement pu intégrer les réponses “
ègues ” dans cette catégorie. Les collègues font naturellement partie de l’équipe. On peut noter que les infirmiers emploient le mot “ègue ” et que les quelques médecins qui ont répondu utilisent, eux, le mot “ère ”.
Elle implique parfois une référence temporelle, ainsi certains infirmiers de nuit parlent d’équipe de jour, d’autres évoquent l’équipe du matin et l’équipe de garde. Elle implique parfois une référence spatiale, l’équipe dans certains CMP est composée des soignants responsables d’un même secteur géographique, à l’exclusion des autres, y compris ceux qui exercent dans la même structure de soin. Elle est souvent rapportée au pavillon, à l’unité fonctionnelle mais pas uniquement. Dans ce sens, le mot “ équipe ” semble avoir une acception restreinte qui vaut surtout par l’opposition à ce qui n’en est pas. Elle semble poser un écart entre un “
 ” qui n’en est pas et un “ ” auquel celui qui répond appartient. Cela dépend également de la façon dont le chercheur est identifié, de son réseau d’appartenance supposé. L’équipe apparaît comme le groupe d’appartenance identifié par celui qui répond au questionnaire ce que traduisent certaines réponses qui parlent de “ mon équipe ”, voire “ mes chers collègues ”.
Elle est souvent qualifiée de pluridisciplinaire ce qui impliquerait l’existence de professionnels d’autres disciplines scientifiques le plus souvent absents des équipes. On s’entend en général à reconnaître que tous les professionnels d’un secteur en font partie c’est-à-dire (selon les secteurs, les lieux d’exercice)  ergothérapeutes, psychologues, aides-soignantes, assistantes sociales, médecins. Éducateurs spécialisés, musicothérapeutes, art-thérapeutes, animateurs ne sont jamais cités dans l’enquête.
Les médecins en sont, mais cela n’est pas sûr et n’est parfois pas le cas. Ainsi une part importante des soignantes précise-t-elle  “ équipe pluridisciplinaire, médecins ”, ce qui serait inutile si ces infirmières incluaient spontanément les médecins dans l’équipe pluridisciplinaire.
Certains parlent d’équipe directe et d’équipe indirecte.
L’équipe serait composée des partenaires, soignants ou non, en contact quotidien, direct avec le patient, c’est-à-dire infirmiers et aides-soignants..
Nous pouvons là encore percevoir l’écart avec les infirmiers de SG 1 et 2. Quand ceux-ci évoquent l’équipe, ils évoquent un groupe composé d’infirmières, d’aides-soignantes, d’un cadre, éventuellement d’ASH. Les kinés, et les ergothérapeutes ne font pas partie de cette équipe. L’expression pluridisciplinaire n’apparaît pas dans leurs réponses.
Il en va tout autrement en psychiatrie. L’équipe pluridisciplinaire comprend les psychologues, les ergothérapeutes, c’est-à-dire des soignants vécus comme relativement indépendants en terme de hiérarchie.
Les occurrences du mot “ équipe ” sont extrêmement nombreuses (deux fois plus que pour “
ègues ” et “édecins ”).
’équipe ” comme les “ègues ” est donc le récepteur principal des écrits, elle apparaît évidemment liée à la notion de transmission. L’équipe c’est le groupe auquel on transmet les informations, avec lequel on communique et au sein duquel on travaille, et notamment en Psy 3 ce qui est en travail. L’équipe apparaît ainsi comme constamment à travailler, jamais acquise mais en devenir.
L’équipe n’est jamais critiquée contrairement au médecin, à tel point que l’on pourrait presque définir l’équipe de cette façon  “
des personnes qui lit les écrits infirmiers et y réagit ”.
L’écrit infirmier, s’il émane d’un écriveur identifié ne s’adresse pas clairement à un destinataire désigné.
Mais est-il si sûr que cet écriveur, cet émetteur soit identifié. Il est “
ègue ” des autres, membre de “’équipe ”. En ce sens lorsqu’il écrit, est-ce en son nom propre qu’il le fait ou au nom de l’équipe  Si la transmission s’adresse à l’équipe, n’est-ce pas aussi l’équipe qui rédige le message 

2.13. Des écrits perçus comme non systématiquement lus par les médecins



Jamais

Parfois Souvent Toujours
QNE 0 22 % 44 % 33 %
FE 2 % 36 % 41 % 21 %
ME 3 % 21 % 59 % 17 %
GE 0 28,50 % 43 % 28,50 %
TGE 0 0 83 % 17 %
Total 2 % 26 % 51 % 21 %


En moyenne, trois infirmiers sur quatre ont la sensation d’être lus souvent ou toujours.. Nous pourrions considérer le constat comme satisfaisant, s’il ne fallait là encore nuancer en regardant les différentes catégories de récepteurs. Nombre d’infirmiers (près de 25 %) répondent “ ” ou “ ” en ce qui concerne l’équipe, les collègues et “ ” pour les médecins. Il semble bien y avoir un problème lorsque les destinataires du message sont médecins. Rien ne nous permet d’affirmer si les médecins lisent ou non les écrits infirmiers, nous pouvons simplement énoncer qu’il s’agit là de la perception des infirmiers.
Il ne semble pas y avoir de rapport évident entre volume d’écrits et sensation d’être lus ou non  77 % des QNE estiment être lu souvent ou toujours, 41 % des infirmiers de psy 1 ont la sensation de n’être que “ parfois ” lus. Le lien est parfois vérifié, ainsi la majorité des infirmiers de Psy 2 ne s’estiment que parfois lus, tout comme un infirmier du Psy 4 sur trois.
Les plus à l’aise vis-à-vis de leur écriture, une fois encore sont les infirmiers de soins généraux. Mais ils ne s’adressent pas essentiellement aux médecins.
Si les infirmiers sont émetteurs, ils sont également récepteurs. Lorsque nous demandons aux infirmiers s’ils lisent les écrits de leurs collègues  59 % le font toujours et 38 % le font souvent.
Les enseignants lisent peu les écrits de leur collègues tout comme les cadres, il est vrai que ces écrits ne s’adressent en général pas à eux.
Lorsque nous avons demandé aux infirmiers quels éléments leur permettaient de dire qu’ils étaient lus, nous avons eu comme première surprise que ceux qui se déclaraient comme écrivant peu (QNE ou FE) ont souvent particulièrement développé leur réponse à cet item.
La réponse la plus simple et la plus évidente aurait été que l’on sait que l’on est lu parce que l’on voit le destinataire lire le message, c’est-à-dire qu’on le voit ouvrir le dossier de soin du patient (par exemple avant un entretien avec ce patient), et parcourir des yeux les notes qu’il contient. Aucun infirmier n’a fait cette réponse. De la même façon qu’il existe une différence entre
marquer et écrire, il en existe une entre parcourir des yeux et intégrer le message. On estime classiquement que le message est passé lorsque le comportement du destinataire est modifié. C’est à l’effet produit par leur message que les soignants évaluent qu’ils ont été lus ou non, c’est-à-dire entendus, compris.
L’écrit n’est pas une fin en soi. Il apparaît comme un outil de transmission qui modifie la décision, nourrit ou provoque la discussion orale.
Les infirmiers formés à la transmission ciblée, écrivent essentiellement pour l’équipe. C’est au cours des réunions d’équipe qu’ils évaluent si l’information est passée ou non. Proches de leur formation, marqués par son contenu, ils estiment que l’information passe la plupart du temps. Il en va ainsi à un degré moindre pour les soignants de SG 1 et 2.
Tout devient plus complexe lorsque les infirmiers écrivent pour le médecin. Certains infirmiers, recrutées dans les faibles écriveurs donnent “
informations oralement car il est très rare que les dossiers soient lus ”. “ Je rencontre systématiquement les personnes pour lesquelles j’écris ce qui me permet de vérifier que les informations ont été lues ”. Dans ce cas de figure, la redondance est telle que l’on se demande même à quoi ça sert d’écrire. “lors de ma carrière d’infirmier psy, il me semble que mes écrits n’étaient lus que par mes collègues de travail, rarement par les médecins. ”, “des réunions cliniques, les médecins nous disent carrément qu’ils n’ont pas lu le dossier de soin ”, “les médecins ne sont pas informés d’événements importants (signalés) et lorsque les observations médicales et les synthèses ne sont pas lues. ” Les infirmiers regrettent que leurs écrits soient “morte ”. Ils ne voient “amélioration ”, éprouvent “sentiment de solitude face aux difficultés rencontrées ”. Faute de lecture des écrits quotidiens, les réunions se ressemblent, et sont considérées comme une perte de temps. “s’interroge alors que tous les éléments sont rapportés dans le rapport. ” “mises en action ne suivent pas. Il n’y a pas de réponse aux questions posées, aux situations et aux problèmes posés. ” La qualité des soins s’en ressent  “médecins ignorent parfois des faits alors qu’ils avaient été rédigés. Il y a des consultations annulées du fait de l’absence du patient alors qu’elles avaient été prévues et annoncées à l’avance. ” C’est la prise en charge du patient qui devient incohérente.
Pour les soignants, il ne s’agit pas d’oubli ou de manque de temps. Ils évoquent “
volonté évidente des médicaux du secteur de se situer au niveau de la parole et non dans l’écrit ”. “médecins ne lisent ni le rapport, ni les feuilles d’observations infirmières. Lorsqu’ils ont besoin, ils demandent. ”
Dans la plupart des questionnaires, il est question à un moment ou à un autre de cette non-lecture médicale et de ses effets.
Certaines infirmiers se sentent ainsi méprisés par les médecins, et décident de moins écrire, voire de ne plus participer aux réunions.. Ils boycottent les écrits médicaux. Ces infirmiers se retrouvent dans la catégorie des faibles écriveurs qui estiment que l’écriture devrait avoir une place plus importante.
Il semble bien exister une difficulté entre émetteurs et récepteurs, surtout lorsque le récepteur est médecin. Cette plainte quasi unanime des infirmiers, quel que soit le volume de leurs écrits ne peut que nous interroger. Nous ne considérons pas qu’il y a d’un côté les “
 ” infirmiers ” qui écrivent et de l’autre les “médecins ” qui ne lisent pas. S’il était avéré que les médecins ne lisent pas les écrits infirmiers ou n’en tiennent pas compte, il y aurait nécessairement une série de bonnes raisons qui reposent autant sur un corps professionnel que sur un autre. Il apparaît évident que si les écrits infirmiers se cantonnaient à reprendre le contenu de la visite médicale, leur lecture ne présenterait aucun intérêt pour les médecins. Il apparaît tout aussi évident que si les écrits infirmiers se bornaient à reprendre d’une manière mal digérée les théories de soin anglo-saxonnes, les médecins ne les liraient pas. Conditionnée à la lecture et à l’approbation médicale, l’écriture infirmière apparaîtrait bien fragile. Pour tenter de cerner cette possible désaffection des médecins, il faut nécessairement s’intéresser d’un peu plus près au contenu des messages. Un des groupes de travail (ALEDS 3) a comparé le contenu des écrits infirmiers et médicaux relatifs aux patients qui souffrent de troubles additifs, il a mis en évidence que pour un grand nombre de dossiers observations infirmières et médicales sont décalées, comme si les uns et les autres signoraient. Les membres du groupe ont observé des décisions médicales qui ne tenaient aucun compte des écrits infirmiers.. L’organisation de réunion de synthèse a souvent pour effet de diminuer cet écart. Il semble que plus un patient pose de problèmes de comportement à l’équipe soignante, plus on observera d’écarts entre perceptions infirmières et médicales jusqu’au moment où ce « » peut être travaillé et dépassé.
L’autre point acquis est que c’est en réunion que les soignants mesurent s’ils ont été lus ou non. L’écrit apparaît ainsi comme n’étant pas une fin en soi, mais le support à des échanges verbaux qui fabriqueront d’une certaine façon et l’écriture et la prise en charge.

2.14. Des écrits supports d’une réflexion collective

Lorsque l’on demande aux infirmiers si leurs écrits sont supports d’une réflexion collective et de quelle façon ils le sont, on obtient un taux de non-réponse de 16 %. Ces non-réponses sont particulièrement nombreuses en Psy 2 et 4, deux établissements où les réunions de synthèse sont rares.
Un peu moins d’un infirmier sur deux (46 %) déclare que ses écrits sont supports d’une réflexion collective. Le mode de réflexion collective le plus fréquemment cité est le temps de transmission infirmière (une réponse positive sur deux, 21 % de l
échantillon total). Les écrits sont commentés entre pairs. C’est à partir de ces échanges que l’on organise la prise en charge.. Ce rôle de pivot des relèves est particulièrement prégnant à l’hôpital général. C’est pendant ce temps que s’élaborent les démarches de soins, que se posent les diagnostics infirmiers. Les fers de lance de cette organisation sont évidemment les infirmiers formés à la transmission ciblée. On retrouve ce temps de transmission/élaboration sous une forme ou sous une autre dans tous les lieux de soin. Nous pouvons noter que 8 % de la population interrogée nomme explicitement le temps d’élaboration de la démarche de soin et de diagnostic infirmier comme temps de réflexion collective. Le même pourcentage d’infirmiers cite les temps d’analyse de pratique ou de régulation comme des temps nourris par l’écrit, bien que ceux-ci n’y soient pas utilisés.
Le tiers des soignants (15 % de l’échantillon total) qui ont répondu d’une façon positive à la question posée mettent en avant les réunions de synthèse consacrées à un patient et à un seul. Ces réunions sont décrites comme préparées à partir d’un écrit qui synthétise les différentes informations contenues dans le dossier. Il s’agit d’un partage d’information dans l’équipe pluridisciplinaire.. Les infirmiers insistent et précisent que ces réunions ne doivent pas être confondues avec des réunions qu’ils nomment «
 » ou « » dans lesquelles sont abordés les parcours de plusieurs patients. La sensation de ne pas être lu semble être davantage lié à l’ambiance de ces réunions catalogues qu’aux réunions de synthèse où chacun trouverait sa place. L’aspect organisateur du soin de ces réunions de synthèse est essentiellement mis en évidence par les GE et les TGE, comme s’il y avait une corrélation entre pratiques d’écritures et réunions de synthèse préparées par les soignants. QNE, FE, ME se rejoignent dans la critique des réunions catalogues.
Enfin, pour 32 % des infirmiers, les écrits ne sont supports d’aucune élaboration.. Réduits à n’être que des traces déposés dans un dossier, les écrits s’étioleraient et perdraient toute valeur de communication. Les déçus de l’écriture se retrouvent majoritairement dans cette catégorie. Tout se passe comme si l’écrit et l’oral se nourrissaient l’un l’autre et que de la qualité de l’un dépendait la qualité de l’autre.

2.15. Les écrits des collègues

Les infirmiers interrogés tendent à lire systématiquement les écrits de leurs collègues. Ils sont 78 % à le faire systématiquement, et 21 % à le faire souvent. Nous n’avons observé aucun écart selon le type d’écriveurs, ou selon les établissements.
Dans les écrits de leurs collègues, les infirmiers recherchent essentiellement des renseignements, des informations concernant les patients hospitalisés (77 % des réponses), notamment lorsqu’il s’agit d’entrants qui sont arrivés pendant leur repos ou leurs vacances. Le maître-mot utilisé par des soignants souvent prolixes, qui utilisent le «
 » pour décrire ce qu’ils attendent de ces écrits, est celui de continuité des soins. Le mot apparaît plus souvent chez les infirmiers de SG 1 et 2 (il est systématiquement employé par les soignants formés à la transmission ciblée) mais on le retrouve chez un infirmier sur trois en psychiatrie. Quelles que soient leurs réticences à écrire, les soignants, tous types d’écriveurs confondus, sont bien convaincus que l’écrit permet d’assurer la continuité de la prise en charge. (Les infirmiers qui exercent en psychiatrie utilisent davantage le mot «en charge » que celui de démarche de soin que l’on ne retrouve qu’à l’hôpital général ou chez les plus jeunes diplômés. )
On retrouve dans les réponses les étapes de la démarche de soins : recueil des données (motif d
hospitalisation, évolution dans le service, histoire de vie, problèmes posés, etc.), analyse de ces données, élaboration de la prise en charge et évaluation de l’évolution du patient. Évidemment seul un petit nombre de soignants (13 %) utilise ces termes, mais les étapes sont présentes dans le discours.
D’une façon a priori surprenante, près d’un infirmier sur trois (29 %) cherche dans les écrits de ses collègues une confrontation de points de vue, un regard différent du sien qui le renvoie à une certaine relativité de ses perceptions. On retrouve essentiellement cette dimension chez les infirmiers qui exercent en psychiatrie.
Enfin, un petit nombre de soignants (7 %) cherche une description de l’ambiance du service, de son atmosphère.
Si l’écrit permet d’assurer la continuité des soins. Il est aussi un outil de cohésion et de cohérence au sein de l’équipe (17 % des soignants l
évoquent). Cette cohérence n’est pas donnée, elle se travaille par la réflexion collective, par la remise en cause, en réunion et surtout lors des transmissions infirmières (13 % des soignants s’y réfèrent) ..
Lorsque l’on demande aux infirmiers si les écrits de leurs collègues sont satisfaisants, on obtient des réponses plus contrastées. Si 55 % des soignants répondent par l’affirmative, c’est souvent sous la forme d’un «
mais » (un quart des réponses affirmatives essentiellement en Psy 1 et 4, plutôt des ME et des GE). Notons que le taux de non-réponse est de 23 % (En psy 3 et les QNE et FE).
Les soignants de SG 1 et 2 considèrent que les écrits de leurs collègues sont satisfaisants (75 %). Cette satisfaction est particulièrement évidente chez ceux qui ont été formés à la transmission ciblée (88 %).
Un cinquième des infirmiers (22 %) estime donc que les écrits de leurs collègues ne sont pas satisfaisants. Les soignants reprochent à ces écrits d’être insuffisamment précis (15 %), de ne pas laisser assez de place à la réflexion clinique (13 %), d’être trop axés sur les troubles du comportement (11 %), de manquer d
engagement (7 %). D’autres soignants estiment par contre que ces écrits sont trop détaillés, qu’ils devraient être davantage synthétiques (7 %). On retrouve la position des cadres qui font la même réponse à cette question. Les critiques émanent des TGE et de GE mais également des ME.

2.16. Synthèse des réponses au questionnaire

L’analyse des questionnaires fait apparaître cinq types d’écriveurs infirmiers, à partir du temps consacré à l’écriture. De ceux qui écrivent moins de 10 minutes par jour à ceux qui mobilisent près de deux heures à rédiger leurs observations et leur plan de soins, nous avons pu décrire des pratiques, des manières d’appréhender, de penser l’écriture très différentes. Nous avons vu qu’il existait un type spécifique d’écriture infirmière en soins généraux et un autre en psychiatrie.
Les moins écriveurs des infirmiers se positionnent davantage comme des «
éçus de l’écriture » que comme des opposants à toute forme de transmissions écrites. Les écrits infirmiers consistent en transmissions d’informations et en observations quotidiennes rédigés soit en fin de poste en préparation de la relève, soit tout au long de la journée chaque fois qu’un événement vient perturber le quotidien, soit à l’issue d’un soin. Les écrits infirmiers représenteraient un volume de 5 à 10 lignes par sujet traité. Les infirmiers signent des écrits rédigés soit individuellement, soit collectivement par l’intermédiaire d’un infirmier scribe qui synthétise les échanges entre soignants d’un même poste.
Si le principal support des écrits infirmiers est le dossier de soin, il existe une double écriture pour un infirmier sur quatre. Le dossier de soin apparaît davantage comme un lieu morcelé, composé de feuilles plus ou moins remplies que comme un tout.
Les infirmiers pratiquent une forme de réticence scripturaire. Ils sont vigilants pour tout ce qui concerne les aspects médico-légaux du soin. Ils préfèrent alors transmettre oralement plutôt que par écrit. Tout ce qui renvoie à des conflits inter-équipes ou institutionnels est tu. Les infirmiers éprouvent des difficultés à décrire l’aspect banal, répétitif d’un quotidien soumis à la chronicité de patients dont l’évolution se perçoit à moyen ou à long terme. Ils tendent à une écriture objective qui ne prend en compte ni leur subjectivité, ni leur ressenti. Enfin, ils taisent les confidences des patients. Tout ce qui est du registre de l’intimité (vie affective et sexuelle mais également trajectoire de vie) sera éventuellement travaillé en réunion mais ne donnera lieu à aucune note. Les écrits infirmiers sont destinés à l’équipe et ensuite aux médecins qui ne les liraient pas suffisamment au gré des soignants.. L’écrit n’apparaît pas pour les infirmiers comme une fin en soi, il est un outil de transmission et de réflexion qui modifie ou légitime la décision, nourrit ou provoque la discussion orale.. C’est en réunion et non pas sur le dossier que les uns et les autres se rencontrent, dans le cadre de réunions collectives où se détermine la prise en charge du patient. C’est dans ces réunions que les infirmiers apprécient s’ils sont lus ou non, si leurs écrits sont reconnus ou non. Un tiers des infirmiers énonce que leurs écrits ne sont supports d’aucune élaboration..
Les infirmiers qui exercent en soins généraux, qui se décrivent comme moins dépendants des médecins en ce qui concerne leur rôle propre ne semblent pas éprouver de difficultés de ce type.
Le mode de réflexion collective le plus cité par les soignants est le temps de relève ou de transmission infirmière, posé comme un véritable temps d’élaboration et de mise en commun des démarches de soin. Il s’agit d’un temps de réflexion entre pairs auquel ne participe pas l’équipe pluridisciplinaire, particulièrement présente en psychiatrie. Si les réunions de synthèse longitudinale consacrées à un patient et à un seul semblent porter, susciter l’écriture infirmière, le désir d’échange il n’en va pas de même des réunions catalogues pluridisciplinaires où sont abordés les parcours de plusieurs patients. D’une façon assez curieuse, les réunions de régulation ou d’analyse des pratiques où il n’est fait aucune allusion aux écrits infirmiers semblent également susciter de l’écriture. Les écrits infirmiers semblent ne pouvoir se développer que s’ils sont lus, que s’ils sont supports d’une réflexion collective.. Sans feed back pas d’écrits infirmiers.
Les écrits infirmiers renverraient ainsi à la qualité de l’animation clinique institutionnelle, à l’ambiance du lieu de soin ce qui expliquerait les écarts entre secteurs d’un même établissement, voire même entre unités d’un même secteur.
Les infirmiers lisent systématiquement les écrits de leurs collègues. Ces écrits sont perçus comme un outil au service de la continuité des prises en charge et comme un facteur de cohérence et de cohésion dans l’équipe. Les infirmiers sont cependant critiques vis à vis des écrits de leurs collègues auxquels ils reprochent d’être insuffisamment précis, de ne pas laisser assez de place à la réflexion clinique, d’être trop axés sur les troubles du comportement, de manquer d’engagement.