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BESOIN DE SE PARLER
Quel plaisir cela fait, quand se trouvant un peu seul par les hasards de la vie, on peut constater que dans ce SERPSY vit un groupe de gens qui ne se connaissent pas tous mais qui ont des interrogations en commun, apportent leurs cris, leurs plaintes, leurs sourires, leurs espoirs (mais que de colères tombent trop facilement sur un ennemi si facilement désigné ! c'est vite la langue de bois qui surgit…, et pourtant c'est dans ce chapitre " coups de gueule " que j'ai senti le plus humain de tous ces propos)
D'abord l'important c'est cette possibilité d'échange qu'apporte SERPSY, peu à peu nous pourrons construire.
Alors voilà quelques notes personnelles à mon tour : tout à l'heure ce dimanche à midi une amie m'appelle, proche d'un psychiatre de renom, aimé, disparu trop tôt, voici quelques années.
Elle m'appelle en raison de notre amitié et de cette Association Accueils ? qui continue à chercher, à promouvoir la disponibilité dans le soin. Sa mère est en maison de retraite dans Paris, à l'est, depuis quelques années, réalité qui n'est jamais facile à vivre ; brutalement depuis quelques jours elle est dans un état de souffrance psychique qui nécessite des soins (pour ceux qui n'entendent pas le terme de " souffrance psychique ", voir en effet le dernier n° de " rhyzome ", je peux préciser qu'elle est agitée, qu'il y a semble t il des signes de déshydratation, de sous alimentation, de tristesse, pardon de dépression, et qu'elle exprime depuis peu à nouveau un délire de persécution, parfois la souffrance psychique est la seule façon d'exprimer un trouble qui en est à son début et qui annonce ce que je viens de décrire, ce terme est donc lisible par tous, soignants ou pas, et ne saurait être rejeté par les soignants…en fait nous allons voir que quelque soit le terme employé…on n'obtient pas forcément la réponse espérée).
Elle m'appelle parce qu'elle même est en grande banlieue, et qu'aller auprès de sa mère en maison de retraite ne permet pas d'apaiser cette souffrance ni de diminuer les troubles : elle pense qu'il est nécessaire qu'un soin immédiat et compétent soit donné ; dans la maison de retraite il y a un généraliste, mais pas aujourd'hui dimanche, et il ne veut pas s'occuper de psychiatrie (je viens de montrer, si vous avez été attentif, que les aspects de cette 'souffrance psychique' sont complexes, et que même si elle délire 'maintenant' elle présente aussi des troubles physiques et que le climat relationnel n'est pas simple, avant d'être une malade, c'est une personne âgée qui souffre), donc puisque ce n'est pas 'son' problème à lui généraliste, c'est celui de la psychiatrie.
Elle m'appelle parce qu'elle ne sait plus à qui s'adresser à Paris. Fort de mon expérience récente je lui donne la même recette que celle que j'ai employée il y a un mois pour exactement la même situation, la mère d'une parente proche s'agitait et délirait dans une maison de retraite huppée de Suresnes voulant rendre cette maison luxueuse mais refusant d'avoir un psychiatre consultant ; j'ai appelé le CPOA qui m'a aussitôt donné les coordonnées de l'équipe de secteur et le nom de son chef, JC Pascal à Suresnes; l'infirmière que j'ai au téléphone me passe aussitôt une autre collègue, celle ci me dit que l'équipe connaissait cette maison et ses réticences par rapport à la psychiatrie (car la folie est encore mal vue même dans les lieux chics), et que dans l'équipe il y a un petit groupe de soignants qui avait l'habitude d'aller au domicile ou dans une des maisons de retraite du secteur) ; de fait ces soignants prennent contact avec ma parente, prennent contact avec la maison de retraite qui ne peut refuser leur venue, se donnent rendez vous au chevet de la dame âgée et installent un soin en relation avec le généraliste ; la dame s'est améliorée. Mon amie est aussitôt réconfortée par ce récit et s'engage à me rappeler après avoir fait utilisé le même 'réseau' (n'ayons pas peur de certains mots : on découvre un réseau, il suffit de le mettre en marche, comme nous allons voir).
Elle me rappelle assez vite : le CPOA a été une fois de plus charmant, compétent, précis, et lui a donné les coordonnées du secteur et, miracle, lui a précisé l'existence de son centre d'Accueil. Mais là elle s'est vue renvoyer un refus net et précis :… le Centre d'Accueil existe bien, mais " nous on ne se déplace pas. Il faut faire appel au médecin traitant de votre mère, ou sinon à SOS médecin ". Elle essaie d'expliquer la situation…peine perdue. Le refus est net (parfois en psychiatrie on sait être clair !) Que faire ?
Je suis aussi stupéfait que mon amie et très ennuyé de l'avoir si mal guidée (je me méfiais du terme réseau, toujours trop vague, mais là j'étais sûr de moi, je croyais savoir ce que c'est qu'un Centre d'Accueil !, on y est disponible) Je lui dis que tout cela vaut la peine que l'on fasse le point ; elle même a 20 ans d'expérience de psychiatrie ; à mon avis ses interlocuteurs n'ont pas bien compris la situation : nous savons tous la rapidité avec laquelle se constitue un tableau inquiétant en psychiatrie après 60 ans, associant les questions physiques et les évènements ; à tel point que la notion de prévention est une donnée utile à travailler, autant la prévention primaire dans nos contacts collectifs avec les maisons de retraite pour les soutenir dans leurs efforts d'adaptation aux troubles 'prévisibles' du grand âge, que secondaires et tertiaires pour dépister ou empêcher le retour des troubles ; on peut aussi parler ici de " santé mentale " et entrer en dialogue avec les acteurs du tissu social par exemple les maisons de retraite, pour prévenir et dépister les troubles…cela permet d'éviter un maximum d'urgences ; dans cette situation, qui oserait dire que ne sont pas associées les notions de -souffrance psychique, de psychiatrie et de soins, de prévention et d'urgence (on voit ici qu'aucun mot n'est définitivement efficace puisque aucun ne fait ouvrir la porte d'un soin ni d'un acte de prévention) ? Nous savons très bien que l'hydratation, l'alimentation, un neuroleptique léger sont ensemble nécessaires avec une continuité de surveillance, de proximité, de continuité des liens ; on sait que faire comme l'a suggéré le soignant de l'Accueil au téléphone, cad faire venir SOS psy aboutira à une hospitalisation, pour se couvrir ce médecin l'enverra à l'hôpital général aux urgences, on en connaît les attentes actuellement, puis de là au mieux au CPOA, enfin peut être de là au service hospitalier de son secteur (et selon l'hôpital en question si celui ci est en mal de lits, elle passera dans le centre de tri de l'hôpital, pompeusement encore appelé Accueil intersectoriel, et s'il n'y a pas un lit libre dans son secteur, elle ira d'abord dans un autre secteur, alors peut être… !)…avec l'âge on ne sourit plus de ces situations car certains de nos proches s'y sont affrontés et d'autres y ont vraiment perdu la santé (et pas seulement la santé mentale). Ce Centre d'Accueil, n'étant pas intervenu pour aider cette dame, va voir son propre service d'hospitalisation augmenté d'une personne dont les troubles confusionnels psychiques et physiques se sont considérablement aggravés. L'état de santé de cette personne s'est aggravé car les nouveaux troubles temporaux-spatiaux seront venus détruire des liens fragiles qui existaient encore : un si grand nombre de soignants inconnus et qu'elle ne reverra pas, des espaces, des ambiances parfois calmes et trop silencieuses..., car il n'y a personne autour d'elle, et parfois terrorisantes, (chaque soignant devrait faire un stage comme malade aux urgences les plus proches, d'autant que ce pourrait être un exercice préparatoire à la guerre comme le font les suisses, ah ! jusqu'où pourrait aller la prévention s'il y avait un ministre psychiatre ! Dieu nous en préserve !). Je me permet de prononcer encore le mot de 'souffrance psychique' : vous ne pensez pas que la souffrance de cette personne s'est singulièrement accentuée,…qu'elle laisse ou non des traces en termes de symptômes psychiatriques homologués.
Après cette longue mise au point clinique, nous étions convaincus que les soignants auxquels mon amie allait s'adresser à nouveau ne pourraient plus rester désintéressés et iraient voir cette dame âgée dans sa maison de retraite…qui se trouvait à quelques minutes à peine du Centre d'Accueil. Vous connaissez la facilité qu'ont les parisiens pour faire leur travail par rapport à la province, ils peuvent souvent tout faire à pied, d'un lieu de soin à un autre et au domicile, tellement leur secteur est géographiquement ramassé. Au besoin, disais je, en cas de difficulté il serait possible d'en appeler au chef de service, il saurait résoudre…
Une heure plus tard, elle m'appelle pour me raconter qu'elle s'est faite " engueuler " par tout le monde, ceci pour bien lui faire comprendre " qu'il ne fallait pas insister, car sa demande était inadmissible ! Les soignants de ce Centre d'Accueil ne sont pas autorisés à se déplacer. Si elle connaissait si bien la psychiatrie, elle n'avait qu'à se déplacer et amener un psychiatre. Connaître le chef de service serait inutile car de toute façon il y en avait deux et que c'est lui qui donnait ces ordres. Il n'y avait pas de médecins de garde pour s'occuper de problèmes extérieurs au Centre d'Accueil !!Elle devait appeler SOS psychiatrie. ". Elle l'appelle aussitôt, ce médecin lui répond vivement que cela ne sert à rien, il ne peut se permettre de donner des prescriptions à une institution telle qu'une maison de retraite, elles ne seront pas suivies et cela engage pourtant sa responsabilité, la seule chose qu'il pourrait peut être faire ce serait de la faire hospitaliser, mais il ne pouvait garantir où il y aurait de la place ! Alors il n'avait pas envie d'intervenir.
Découragée, elle se voit obligée d'essayer de venir à Paris demain, et comme elle même a des difficultés elle n'en est pas sûre ; elle va appeler le généraliste demain, elle et moi savons que d'ici là l'état de sa mère va s'aggraver, sans savoir dans quelles proportions. Je m'excuse et me sens vraiment nul…
PS :
SUITE lundi 30 septembre 2002
Mon amie me rappelle hier soir, j'avais déjà adressé le texte précédent en e'mail à SERPSY.
A 16 h loin de Paris; le personnel de cette maison, dont on aura compris qu'il est très modeste, rappelle mon amie parce qu'ils ne savaient comment réagir avec une dame agitée qui les frappait ; le médecin traitant était absente de Paris ; le psychiatre consultant de l'établissement ne se dérange pas le week-end. La maison de retraite annonce qu'il décide une " évacuation ", elle se fera par la Croix Rouge qui décidera une hospitalisation à l'Hôpital de l'AP le plus proche (Y). La Croix Rouge se déplace et pense que l'état de sa maman n'est pas assez grave pour entraîner une hospitalisation, d'autant que le frère de mon amie étant à Paris était venu voir sa mère et avait compris qu'elle était déshydratée, il lui donne à boire (ce que le personnel n'avait pas eu le temps de faire) ; ce frère obtient du directeur qu'il accepte de garder leur maman avec la compagnie de la famille présente. Pendant que le frère téléphone à sa sœur le directeur appelle la SAMU ! celui ci au téléphone apprécie que le pronostic vital n'est pas en jeu, mais demande à un cardiologue de passer. Le cardiologue ne constate rien de cardiaque et se déclare incompétent pour le reste. Le directeur appelle alors SOS psychiatrie. Celui ci est là à 18 h., il décide aussitôt une hospitalisation en psychiatrie, ce que refuse la maman …les ambulanciers aussi, alors il fait signer une demande d'Hospitalisation à la Demande d'un Tiers et elle part vers le grand hôpital général de l'AP le plus proche ; la famille pense que la maman va être vite soignée…Elle arrive aux urgences, mais là quand les soignants constatent qu'elle est en HDT ils refusent de la faire hospitaliser dans les service de psychiatrie car celui ci ne reçoit pas les patients sous contrainte !!! c'est ce que les soignants confirment à la famille à 2 h. du matin dans les couloirs du service d'urgence…où la dame de 85 ans va rester jusqu'à la relève des décideurs à 9 h.
Nouvelle discussion au téléphone entre mon amie et la sous directrice qui réagit avec des paroles violentes pour dire qu'elle ne remettra plus les pieds dans la maison car elle n'y est pas supportée depuis longtemps, étonnement de mon amie à qui il avait été dit souvent auparavant que leur mère était un bon élément. Le médecin traitant revenue de son week-end reprend les affaires en mains. Il lui est confirmé que l'HDT empêche toute hospitalisation en psychiatrie dans ce grand hôpital général. Alors elle pense que le centre d'Accueil va pouvoir se remettre au travail et elle y fait venir la vieille dame. Les soignants du Centre voyant que la dame a au bras une perfusion (de sérum glucosé !) et sans s'interroger sur la simplicité des gestes à avoir à l'égard d'une dame âgée déshydratée après une absence d'alimentation et de boisson depuis 36 h., déshabillée avec des draps 'humides' car elle a été par la force des choses et de la nature incontinente…donc devant cette simple vision de ce mince tuyau les soignants renvoient la dame …à la maison de retraite !!! car un tel problème n'est pas de leur ressort. De là le médecin l'envoie au CPOA de Ste Anne où elle arrive à 15 h 30 et quitte enfin le brancard où elle séjournait depuis dimanche soir. L'équipe du CPOA fait preuve enfin de professionnalisme et entame toute une suite de négociations : demande à la maison de retraite une promesse de 'reprise' après l'évaluation de 3 jours ; elle fait le point de ses problèmes physiques et confusionnels en même temps que de son délire ; un séjour court en gériatrie est envisagé… ;en réalité ces négociations vont durer pendant la semaine ; l'HDT est arrêtée pour permettre un éventuel soin en médecine, d'ailleurs la dame âgée se calme très vite car elle trouve qu'on s'occupe bien d'elle en psychiatrie, cependant il est aussi évident qu'elle souffre beaucoup de ces déplacements successifs difficilement compréhensibles. Après une semaine de mieux le retour à la maison de retraite est décidé, et… entraîne aussitôt une reprise de…l'agitation et du délire dès que la dame âgée l'apprend : l'équipe du CPOA revient sur sa décision, et toujours attentive, réfléchit avec la famille à l'éventualité d'un passage dans une structure 'intermédiaire' entre psychiatrie et gériatrie, au moins comme transition…
Au total : après 10 jours on a noté
personnel insuffisant de la maison de retraite
pas de généraliste ni de psy passant le week-end
absence de coordination régulière et à la demande entre généraliste et psy
mais surtout " sidération " de l'équipe 'd'Accueil' bloquée dans son Centre, ayant l'ordre de ne pas se déplacer, même à quelques centaines de mètres, et ensuite 'paralysée' à la seule vue d'une perfusion de sérum glucosé (chez une dame âgée)
résultat : devant un événement 'classique' de l'âge, nous avons constaté la panique de la maison de retraite devant des faits simples, et 'inclassables', inclassables car il s'agit d'une 'personne dans sa globalité', (son corps, sa vie psychique, ses relations aux autres)
se succèdent et s'associent : souffrance psychique, isolement, déshydratation, délire, agitation
et donc nécessité
- de prévention primaire dans l'organisation de la maison de retraite
- de psychiatrie et soin (associés)
- de soins médicaux de base
- d'une suite à donner et à prévoir, car il y aura d'autres évènements qui vont survenir (alors prévention ? santé mentale ?)
- tout cela devant être coordonné
le grand danger est, on le voit, une organisation où chaque " spécialiste " pense que ce n'est pas son travail que d'intervenir, au lieu de se dire que de toute façon c'est d'une intervention collective, de plusieurs intervenants, dont chaque patient a besoin.
Je vois sourire de satisfaction les tenants du " réseau " ! la réponse c'est le réseau ! oui, le réseau semble là convoqué, mais qu'ils ne sourient pas trop vite : le réseau qui a été effectivement convoqué là est un des plus riches de France, et …au bout du compte il n'a apporté aucune solution, au contraire, bien que la plupart des intervenants aient bien fait leur travail 'respectif'(sauf une structure tout de même : le centre d'Accueil) ce qui manque surtout c'est une conception globale de la personne qui souffre, et c'est l'aménagement concret et à chaque fois différent du tissu humain médical, psychiatrique et social qui compte. Il ne manque pas un 'grand organisateur' qui commanderait tout et superviserait, il manque chez chaque soignant, chaque intervenant la certitude que: 1 - son travail seul est utile, 2 - mais est insuffisant et doit être complété par d'autres interventions complémentaires, 3 - et que cette complémentarité doit être assurée par une articulation où chacun s'implique.
Cependant en dernière analyse, il semble bien qu'une attention suffisamment disponible et ouverte de l'équipe de ce centre d'Accueil aurait permis d'éviter au prix de peu d'efforts une suite en cascade de souffrances supplémentaires, et une aggravation réelle des troubles de cette dame âgée. Nous ne pouvons pas croire que c'est dû à un manque de compétences des soignants de cette équipe, mais il y avait certainement en arrière plan une situation conflictuelle dans ce groupe de soignants (par exemple fréquente actuellement avec la tension sur l'application des 35 heures) qui aurait pu être 'dépassée' par le maintien d'une réflexion clinique approfondie sur les pièges et les réussites de ce que nous appelons le " travail d'accueil ". Là il s'agissait de prendre son temps et d'aller voir à deux soignants une personne âgée dans son propre environnement, de rassurer les soignants de la maison de retraite, de commencer un traitement neuroleptique léger associé à quelques soins physiques de base, et de proposer quelques visites avec l'appui du généraliste et du psychiatre deux jours plus tard.
Par contre nous remarquons comme Daumezon dans les années 75 que le CPOA grâce à un travail d'une grande qualité répare les " bavures " des équipes de secteur ;cette remarque m'avait beaucoup irrité à l'époque ; je répondais à Daumezon dans les débats du moment que la seule existence du CPOA permettait aux équipes de secteur de se reposer sur lui et ne les incitait pas à construire des structures de soin nouvelles et modernes). Aujourd'hui les équipes parisiennes sont les plus riches de France, elles ont acquis ces structures nouvelles…mais n'ont pas encore acquis le sens clinique de la psychiatrie de secteur. Enfin 'certaines équipes'…De toute façon heureusement pour les patients et les familles que le CPOA est toujours là et fait un travail d'une telle qualité.
GUY BAILLON
Lire aussi : Souffrance psychique - Réponse au numéro 8 de la revue rhyzome