Souffrance Psychique
( Lire l'article : parcours d'une non prise en charge)
Pour réfléchir avec des amis je viens en parler à SERPSY
Je sais que si ces soignants lisent le n° 8 de la revue " rhyzome " (avril 2002), ils verront un débat qui ne va pas les aider pour affronter pareille situation. Ils vont y retrouver le spectacle de la psychiatrie actuelle où les psychiatres les meilleurs se déchirent l'espace de la psychiatrie en soulignant qu'ils ne veulent pas faire ce " qu'on " (qui 'on' ?) leur demande ; et les uns après les autres mettent en miettes la psychiatrie de secteur ; un de ces auteurs dit que l'on ne fait de bonne ( une recette existerait ?) psychiatrie que dans un service hospitalier ! car en plus c'est seulement là que l'on fait de la recherche, il termine en disant que pour lui le 'secteur' se faisait 'après' l'hospitalisation seulement, (hallucinant non !). Un autre auteur, un grand ami, excellent psychiatre, déchire à pleines dents le terme de " santé mentale " en s'en moquant et l'appelant " santé-mentaliâtrie ", déplaçant sur ce terme la colère qu'il a à l'égard de l'Etat, responsable de tout ce qui va mal à son avis ; il se dit convaincu du bien fondé de la prévention, mais ne fera de la prévention que si l'Etat lui en donne les moyens ; furieux que l'Etat découvre (enfin) la notion de 'santé mentale' car c'est vrai que cette découverte est récente, de ce fait il va jusqu'à parler de 'maltraitance faite à médecin', alors que dans nos professions les médecins sont les mieux traités ; surtout nous avons en tant que professionnels une liberté pour déployer notre travail de soin et de prévention que beaucoup de professions nous envient y compris dans le champ médical : d'ailleurs nous en avons une preuve dans ce que je viens de vous raconter : vous avez vu que dans une équipe on fait de l'accueil à Nanterre grâce à une disponibilité réelle de soignants qui se déplacent alors que son chef n'a pas décidé de créer un Centre d'Accueil, par contre dans l'autre le chef a reçu de son directeur (tous ne sont pas des mécréants) un tel Centre d'Accueil, mais lui il 'interdit' aux soignants de se déplacer…ceci à Paris où les distances sont si minimes !!!
Dans la même revue, un autre interprète la 'découverte' qui a été faite qu'il y a des patients de psychiatrie parmi les personnes en 'précarité sociale', cette découverte serait à interpréter comme si l'Etat donnait l'ordre de ne s'occuper que d'eux et plus des personnes classiquement étiquetées comme malades ; ce discours est résolument tendancieux dans le 'faisons comme si' l'Etat disait cela, et il en accuse les récents rapports faits sur la psychiatrie. Un autre auteur veut mettre à mort le concept " biopsychosocial " car il aurait donné à la politique de secteur une orientation œcuménique ( !), et il affirme clairement que le secteur n'a pas pour mission de s'occuper des 'populations' en précarité (il oublie que ce sont d'abord des " personnes " et qu'elles ne constituent pas le plus souvent des groupes, moins encore des 'populations').
La confusion de son propos n'a d'égale que celui d'une autre 'auteure' qui affirme que la prévention primaire ne regarde pas la psychiatrie de secteur (chacun se donne le droit de définir à sa façon !), comme le précédent s'était déchargé des SDF. D'où sont venus tous les enseignements concernant la petite enfance, le souci pour éviter les séparations précoces mère-enfant…comme les conditions permettant de diminuer les états confusionnels chez les personnes âgées pour ne citer qu'une infime part de prévention primaire (celle ci n'a jamais été de décider du 'traitement psychiatrique des populations dites à risques terme non pertinent et peu humain), cette prévention primaire ne se réalise pas par des diffusions d'écrits mais par un " compagnonnage " entre acteurs médicaux, acteurs psychiatriques et acteurs sociaux. C'est aider les personnes à prévenir les troubles et s'articuler avec le médecin de famille et les acteurs sociaux . C'est ce qu'a proposé dans les grandes lignes la psychiatrie de secteur. Mais notre grand psychiatre écrit ici que "se préoccuper de prévention c'est aller vers une logique 'assurantielle' et que la psychiatrie devenant santé mentale va changer 'complètement' de cap. Heureusement un autre et même un deuxième auteur de ce n°ont arrêté de se centrer sur le nombril du vécu des psychiatres et ont abordé le vécu des familles et le travail essentiel que la psychiatrie de secteur est en situation de développer avec les familles qui sont l'allié essentiel des patients. Enfin aucun n'a parlé des Associations de famille et surtout des Associations de patients (la FNAPSY vient de fêter son dixième anniversaire).
Terrifiant .
Le désastre que décrivent naïvement les auteurs convoqués par " rhyzome " est des plus affligeants : nous sommes l'un des pays les plus riches en soignants encore pour quelques années en Europe et dans le monde. Nous avons inventé une forme de travail passionnante, voire éblouissante, la psychiatrie de secteur. Certes celle ci est d'une inégalité impressionnante, voire insupportable d'un bout à l'autre de la France. Nous savons pourquoi : elle n'a pas été planifiée au départ et s'est développée sur des inégalités considérables qui se sont accrues du fait de nos options théoriques et de nos façons de créer ou non un vrai travail d'équipe (chose qui ne nous avait pas été enseigné et que nous n'aimons pas tous également ; s'y est ajoutée notre goût ou notre refus à nouer des liens avec l'entourage social et politique ce qui avait comme objectif de " forcer " l'accueil de la folie et de la psychiatrie dans la Cité ; et là nous rejoignons la prévention et la santé mentale comme obligation incontournable, seule façon de diminuer la stigmatisation dont la psychiatrie et la folie sont l'objet). Donc nous sommes les plus riches, et nous avons l'outil le plus performant et le plus humain surtout. Comment ne pouvons nous trouver les moyens de mettre tout cela ensemble, comment reconnaître toutes ces capacités, ces adresses accumulées par toutes les équipes, comment tirer de ces expériences ce qui nous paraît le plus fort ? nous avons une énorme responsabilité à montrer ce que peut faire la psychiatrie de secteur. Montrons le avec suffisamment de conviction et la nation saura défendre les moyens qui nous sont nécessaires.
Deux petits exemples personnels encore ramassés ces jours ci :
A Marseille, qui comme Paris, a un maximum de SDF, j'ai eu à m'inquiéter cet été, de l'insertion et du soin d'une jeune parente proche. Elle était sans domicile, l'équipe de secteur contactée nous a donné la marche à suivre pour le long chemin qui permet d'avoir un logement dans la ville comme handicapée, tout en commençant sans délai à mettre en place les liens thérapeutiques…et là encore il n'y avait pas de Centre d'Accueil. Voilà une équipe moins riche que les équipes parisiennes (qui sont celles qui se plaignent le plus, c'est utile de le souligner fortement) qui élabore une stratégie de soin générale, ne s'embarrasse pas des noms qu'elle a mis sur ses structures de soin et qui arrive comme elle peut mais réellement à apporter les soins et l'accompagnement social adéquat aux patients.
J'ai eu ces jours ci à co-animer un stage de formation permanente sur Accueil-Urgence-Crise, avec des infirmiers de différentes régions. Certains d'entre vous aiment voire chérissent le Périgord, savent ils comment on est traité quand on a des troubles psychiatriques ? une de mes tantes a failli en connaître et aller à l'HP, heureusement nous avons pu éviter cela grâce à l'appui d'un généraliste de son village. L'un des infirmiers du stage a pu me confirmer que le désastre continue dans cet HP: la psychiatrie de ce département est " SINISTREE ", chacun tirant ses billes, les psychiatres encore dynamiques viennent de quitter l'hôpital de Vauclaire à Montpon. Pour 5 services il n'y a plus que deux chefs de secteur, le directeur qui ne sait que faire vient de fermer l'unité dite d'Accueil et de répartir patients et soignants dans divers espaces plus ou moins 'intersectoriels'( on voit leur utilité à cacher la réalité) ; pour y rajouter on concentre les patients sous contrainte dans un pavillon à part, car, par exemple à Périgueux, nos collègues qui ont un service à l'hôpital général ne veulent pas se compliquer le travail et refusent bien sûr d'accueillir des patients sous contrainte (HDT, HO), ils vont donc à 40 km ; on voit ce que la suite du soin devient dans ce département ; la détérioration est forte et progressive dans cet hôpital ; tout le monde est découragé ; il n'y a aucune logique de soin dans aucun service ; tout le monde a peur, vit comme une autruche ou fuit. Cette situation est connue depuis 10 ans. La " mission ", l'équipe déléguée par le ministère y est passée il y a deux ans. Rien ne se passe, foi de " régionalisation ". Les infirmiers sont passés à la moulinette, les médecins sont écartés, le directeur ne peut avoir la compétence pour faire face seul. Là, oui, je ne comprends pas ce que fait le ministère, si ce n'est qu'il n'a plus depuis longtemps de moyen d'agir !!!hélas ce SINISTRE n'est pas le seul en France il faut les dépister (prévention absolument nécessaire…
Pourquoi le SERPSY ne participerait pas à ce dépistage des lieux psychiatriques sinistrés? ) car les conséquences sont désastreuses, et c'est d'autant plus regrettable que la psychiatrie de secteur a fait des réalisations formidables dans de nombreux endroits en France (
une autre tâche serait de savoir là où ça marche et pourquoi ? il serait aussi utile de le faire connaître grâce au SERPSY quelles sont les équipes qu'il faut visiter pour se redonner du cœur au ventre entre soignants)
Ainsi nous pourrions faire la preuve que nous pouvons abandonner la langue de bois pour défendre et promouvoir une psychiatrie dont nous serions fiers
C'est quoi la psychiatrie ? nous pourrions ne plus être si souvent démoralisés. Nous pourrions recommencer à parler d'abord du patient, et en parler dans sa globalité, comme une personne totale, et parler de ses proches qui sont sa ressource essentielle, nous pourrions alors appliquer pleinement l'esprit de la psychiatrie de secteur, c'est à dire tout en commençant un soin en psychiatrie établir des liens avec les autres acteurs médicaux et les acteurs sociaux pour qu'à chaque étape les apports complémentaires de ces trois types d'acteurs aident le patient dans son parcours de souffrance , car lui dans sa vie ne sépare pas ce qui est psychique, physique, social ; moi non plus, et vous ?
A bientôt chers amis
Guy baillon
Suite du " rhyzome " : ( téléchargeable sur le Web :www.ch-le-vinatier.fr/orspere)
Je reviens à " rhyzome " pour souligner que le débat qui s'est ouvert dans cette revue, est bien venu de l'incitation à parler ensemble (cela s'appelle une belle 'pro-vocation') posée par son animateur Furtos. Et c'est déjà un grand progrès, car actuellement la psychiatrie avance en rangs nettement séparés n'aimant pas parler ni frayer ensemble.
Je voudrais relever le fait que la question posée par Furtos facilite, il faut en convenir des mouvements de 'défense' chez les professionnels de la psychiatrie, ce que nos collègues ont amplifié allègrement sans s'en rendre compte.
Certes la préoccupation de Furtos est tout à fait justifiée : c'est la démarche lancée par un certain nombre de personnes depuis une dizaine d'années, elle invite à prendre en compte une zone d'ombre de l'activité psychiatrique : il s'agit des troubles psychiques et des souffrances de personnes " en perte de liens " avec la société (ce sont surtout grâce aux efforts d'un côté de l'équipe de Furtos et ses amis lyonnais ayant constitué l'orspere, puis de la mission précarité-santé mentale avec Emmanuelli, Minard et Piel, et aussi des travaux de A Lazarus, mais aussi de R Castel).
A la suite de cette mobilisation très stimulante est née chez eux et même dans l'Etat, une volonté de reconnaître une réalité méconnue concernant des personnes sans liens, n'ayant aucune appétence à constituer un groupe, mais en marge, plus ou moins abandonnées, non prises en compte par le reste de la société, exclus ou non inclus,… en fait aucun terme ne cerne leur réalité. Le souci est né de la volonté de reconnaître leurs qualités et leurs besoins, reconnaître la réalité de leurs souffrances, tenter de s'interroger sur les réponses possibles…C'est ainsi que les mots de 'désaffiliés', puis de 'souffrance psychique' ont pris corps pour désigner cette découverte. Et c'est là que commence un quiproquo. En effet pour définir ce qui est perçu ici si on intègre comme nouveau le terme de 'désaffilié', il n'en est pas de même de celui de " souffrance psychique " ; quelle que soit la qualité du travail réalisé par le groupe d'A Lazarus, ils ont choisi un terme que l'opinion utilise depuis un certain temps à sa façon, et qui est donc dans le patrimoine commun, l'opinion n'en démordra pas ; l'opinion continuera à parler de souffrance psychique sans se focaliser seulement sur des personnes ciblées par les qualificatifs variés que nous avons évoqués. La souffrance d'un côté, la vie psychique de l'autre, sont reconnues pour tous ; la part de la souffrance qui a une résonance psychique pourra être désignée par ce double terme, sans concerner obligatoirement un groupe particulier de personnes. La souffrance psychique est d'abord existentielle partagée par absolument tout le monde ; ensuite elle peut accompagner un certain nombre de troubles mentaux ou généraux ; mais elle ne saurait être " réquisitionnée " pour s'appliquer à un groupe de personnes précises ; ce que le terme de " désaffiliés " réussit parfaitement à faire.
Je continuerai pour ma part à utiliser, comme tout le monde, le terme de " souffrance psychique " pour désigner la couleur de certains moments de notre existence ; et de plus je sais par expérience que ce terme est très bien choisi pour entrer en dialogue avec les patients, au plus fort de leur délire comme dans leurs moments d'apaisement, avec les familles pour leur permettre de parler de ce qu'elles vivent, et à ces différents moments pour parler sans être obligés de mettre une étiquette diagnostique sur un malaise (dont la réalité peut être dramatique), enfin pour réunir différents acteurs sociaux dans une commune ou un secteur et faire avec eux grâce à ce terme un solide travail de prévention (primaire).
Peu importe, la langue suit son chemin contre vents et marées, et contre tout effort de captation. Mais ce terme introduit dans le débat de " rhyzome " une confusion qui a accentué le vertige d'un certain nombre de psychiatres qui y voient le signe d'un " déluge " annoncé, un déluge de 'missions' qui les attendraient au coin de leurs émois. La question de Furtos invitait à connaître l'attitude des psychiatres devant l'inconnue clinique et existentielle des personnes dites désaffiliées. C'était une question justifiée. Une partie des psychiatres s'est aussitôt défendue derrière le caractère sans limite de la souffrance psychique (qui est le lot de toute personne du début de la vie à la fin, la souffrance existentielle), d'autres psychiatres ont essayé d'écarter les SDF, puis la prévention, voire le secteur, dont ils ne voulaient pas avoir la charge, ce qui leur permettaient de se débarrasser au passage de ces personnes (ci dessus évoquées) qui sont d'autant plus encombrantes qu'elles n'entrent dans aucune classification clinique classique.
La conclusion est que l'on ne peut se satisfaire de ces différentes réponses en forme de pirouette.
Mais surtout nous comprenons en conclusion qu'il y aurait tout intérêt à reformuler le travail de la psychiatrie, des soins et de la prévention dans ce nouvel état d'esprit créé par la psychiatrie de secteur : une psychiatrie de la personne et son groupe, en liens avec son environnement (donc définitivement en dehors d'une situation d'enfermement), et une psychiatrie en liens avec médecine et société pour, non pas se recroqueviller sur le champ limité d'une prétendue spécialité, mais pour rencontrer une personne globale.
Une médecine de l'homme.
Guy Baillon