Retour à l'accueil

Retour à Histoire


- Henri BARUK ou quarante ans d'une vie inscrite dans l'histoire de CHARENTON :

La lecture des mémoires d'H. BARUK : " Des hommes comme nous " (1) est un document qui nous éclaire sur l'homme et sa carrière de " neuro-psychiatre ", carrière qui s'est déroulée presque entièrement à Charenton, et qui nous renseigne sur le mode de fonctionnement de l'asile, la pathologie qu'on y rencontre de l'asile, la pathologie qu'on y rencontre, et la façon dont s'y prend un médecin-chef, investi de la toute puissance médicale, pour imposer ses conceptions.

- L'homme et le neuro-psychiatre :

H. BARUK, est né le 15 août 1897 dans une famille vouée à la psychiatrie, puisqu'il a passé toute son enfance à Saintes-Gemmes-sur-Loire, près d'Angers, où son propre père Jacques BARUK, fut lui-même aliéniste pendant près de quarante ans.

- Ces détails biographiques ne sont pas purement anecdotiques car ils indiquent déjà que la fonction de médecin des hôpitaux psychiatriques, jusqu'à une période récente et toujours en province, impliquait une vie personnelle en prise directe avec l'asile comme l'avait d'ailleurs recommandé en son temps ESQUIROL. Le médecin-chef habitait à l'intérieur des murs, y élevait ses enfants il arrivait que des malades " tranquilles ", ne posant pas ou plus de problèmes d'agitation, s'occupent de travaux ménagers à domicile, situation par ailleurs vécue comme promotionnelle et enviée par les autres pensionnaires. " Il m'a donc été donné de passer mon enfance au milieu de ces hommes qui dérangent, effraient ou font honte " écrit-il à la première page de son livre et de cette presque cohabitation, de ce contact quotidien pouvait naître l'idée qu'il était possible de communiquer avec la folie :

" Des hommes comme les autres à qui il ne manque peut être que de contrôler et de mieux dissimuler leurs pensées, a écrit un grand aliéniste du XIXe siècle, Jean ESQUIROL. Mais que l'on ne s'y trompe pas : ils appartiennent au m^me monde que nous. Ma chance a été de m'en apercevoir très jeune, ayant en leur compagnie de longues conversations qui ne différaient pas tellement de celles qu'ont les enfants avec gens dits biens portants " (2)

Le personnel vivait lui aussi dans une proximité plus étroite encore avec les malades : il y avait des générations d'infirmiers, recrutés souvent dans la population rurale locale, parents, enfants et collatéraux qui travaillaient à l'asile, gardant parfois même une petite partie de leurs activités agricoles quand ils rentraient chez eux. Des liens quasi-familiaux se nouaient ainsi avec les malades, cette familiarité n'avant pas que des avantages thérapeutiques. Il n'est pas vain de dire qu'une société " à part ", close et repliée sur elle-même s'était recréée à l'intérieur des murs de l'asile, avec un système de relations très serrées entre soignants et soignés, la " différence " entre les deux n'étant pas pour autant abolie : les soignants étant les dépositaires hiérarchiques du pouvoir médical à défaut du savoir théorique, entretenant souvent des rapports de domination sur les soignés, complices parfois de leur pathologie, ainsi que le mentionne H. BARUK en citant sa première rencontre avec l'alcoolisme partagé des infirmiers et des malades quant il prit son poste à Charenton.

Quant au médecin-chef, ses attributions étaient bien souvent considérables. Evoquant les qualités humaines et professionnelles de père, H. BARUK, nous indique l'étendue de ses activités :

" Médecin dans l'âme, mon père faisait pratiquement tout à Saintes-Gemmes, cumulant l'administration de l'établissement et son animation médicale (…) Il ne limitait pas son action à la lutte psychiatrique. Dans le service de chirurgie qu'il avait fondé il pratiquait lui-même les opérations d'urgence. En outre, à cette époque, la région était ravagée l'été par deux fléaux, la fièvre typhoïde et la dysenterie bacillaire. En véritable hygiéniste, il prit de rigoureuses dispositions pour la purification des eaux et la défense contre les mouches. Enfin, mettant à profit les études de droit qu'il avait faites, il s'employa à réformer la Loi de 1838 sur les aliénés. Il obtint en particulier que les malades indigents ne soient plus placés d'office par la police, le placement volontaire était réservé aux malades payants. Il fit abroger cette disposition pour le département de Maine et Loire " (3)

Se tisse donc une image omnipotente, bienveillante et philanthropique du médecin-chef, à la fois administrateur et technicien régnant sur l'asile et ses occupants comme le " monarque éclairé " du modèle Pinélien.

- Un deuxième aspect de la biographie d'H. BARUK qui est d'importance, ce sont ses origines israélites dont il ne fera point mystère en un temps d'antisémitisme virulent. C'est de la Guerre 14-18 que date sa première expérience " désagréable " avec les étudiants affiliés à l' " Action Française ", mais c'est surtout à partir de 1940 que va s'épanouir la conscience de sa judaïcité et qu'il va intégrer de plus en plus ses conceptions philosophiques et religieuses à sa pratique. Le chapitre 8 de ses mémoires qu'il a intitulé : " Etoile jaune sous blouse blanche " est signifiant à cet égard ; il réussit donc à se maintenir dans ses fonctions de médecin-chef à Charenton tout en portant l'étoile :
" Sans doute en raison de mes services militaires 1914 - 1918, ai-je le droit de conserver mes fonctions à condition d'arborer l'étoile jaune, mais je ne me fais aucune illusion : un danger mortel rode au dessus de nos têtes " (4)

Il rend d'ailleurs hommage à l'ensemble du personnel de l'établissement qui lui a témoigné respect et sympathie dans ces circonstances éprouvantes, à l'exception d'un dénonciateur qui le mettra en grand péril presque à la fin de la guerre.

Cette période tragique l'incline à approfondir l'hébreu, la Bible hébraïque et les textes post-bibliques, en un mot à retrouver ses racines, selon une expression actuelle. C'est à ce niveau que s'opère le point de jonction entre sa " méthode de thérapeutique fondée sur la pacification, la justice, la confiance et certains psaumes de la Bible ". (5)

Cette réflexion de l'intérieur sur la pensée juive et le judaïsme considéré sous l'angle de la pratique religieuse au quotidien, va déboucher à la fois sur son action psychothérapeutique auprès des malades et sur l'élaboration d'une œuvre philosophique très prolifique. Il a ainsi publié un grand nombre d'ouvrages aux éditions Zikarone (Librairie Colbo) dont les titres sont évocateurs : " Essais sur la médecine hébraïque dans le cadre de l'histoire juive ", " La psychanalyse devant la médecine et l'Idolâtrie ", ou bien " Civilisation hébraïque et Science de l'homme ", essais où il tente d'établir la synthèse entre ses connaissances psychologiques et médicales d'une part, la moral héritée du judaïsme de l'autre. Il s'agit bien là d'une conception pour le moins originale sinon unique dans l'histoire de la médecine aliéniste, et qui, loin de desservir son auteur, a renforcé son prestige au-delà même de nos frontières, et lui a permis d'accéder aux plus hauts honneurs universitaires (agrégation, enseignement à Sainte-Anne, Académie de Médecine).

A y regarder de plus près, on peut dire que la pensée d'H. BARUK entre bien dans un cadre de références psychiatriques théoriques " classiques ", car elle se situe dans le fil du " traitement moral " inauguré par PINEL. De ce fait, elle a contribué au maintien de sa tradition à Charenton, et c'est peut-être aussi ce qui explique l'excellent accueil dont elle a bénéficié dans les milieux autorisés de l'époque.

- le troisième axe fondamental de la vie d'H. BARUK est celui de sa formation médicale neurologique et psychiatrique, qu'il débute à Bicêtre, lieu historique par excellence où s'origine la psychiatrie et la clinique modernes comme nous l'avons déjà vu. Il y étudie en 1922, dans le service de neuropsychiatrie infantile du Docteur ROUBINOVITCH et il a pour condisciple BARIETY et pour maîtres Charles FOIX et HARVIER. Il est ensuite l'interne de KLIPPEL à Tenon, d'Achille SOUQUES à la Salpétrière où il devient l'ami d'ALAJOUANINE.

Il semble avoir été très influencé par le débat scientifique de ce temps, qui tournait autour de la distinction fondamentale entre les troubles mentaux d'un côté, et les troubles neurologiques de l'autre : sa thèse de 1926 porte d'ailleurs sur " Les troubles mentaux dans les tumeurs cérébrales " où il essaie de concilier ces deux tendances. Sa description très vivante du climat passionnel dans lequel baignaient toutes ces discussions scientifiques et tous ces chercheurs qui allaient laisser un nom dans l'histoire de la psychiatrie est d'un grand intérêt.

Les théories foisonnaient en ce début du XXe siècle, et l'on peut d'ailleurs se référer à cet égard à l'article de G. LANTERI LAURA et L. DEL PISTOIA dans l'E.S.C. : " Les principales théories dans la psychiatrie contemporaine " (6) qui y consacrent une étude approfondie. La question se centrait alors autour de l'articulation entre ce que répertorie la clinique des troubles mentaux, à savoir les différents signes et syndromes, et leur étiologie d'autre part, ce qui faisait coexister aussi bien des théories organicistes, neurophysiologiques, que psychanalytiques et même comportementales, FREUD et PAVLOV étant contemporains.

H. BARUK quitte la Saléptrière pour Sainte-Anne dans le service du Professeur CLAUDE où il est nommé chef de clinique, et ù il est confronté à propos d'une présentation de malade hystérique, dans le cadre d'une séance de la " Société médicale des Hôpitaux ", aux différences d'interprétations de CLAUDE et BABINSKI sur l'origine organique ou fonctionnelle du trouble : ainsi CLAUDE pense qu'il y a une atteinte du mésencéphale dans l'attitude rigide en arc de cercle de la malade, alors que BABINSKI, après examen neurologique poussé, n'y trouve aucun signe de perturbation et conclut dans le sens d'une absence totale de troubles neurologiques dans l'hystérie, confirmant ainsi la scission entre troubles dits organiques et troubles de la personnalité. Ce problème restera longtemps au centre des préoccupations scientifiques d'H. BARUK : il s'intéressera à la catatonie, qu'il provoquera expérimentalement chez le pigeon par injection de bulbocapnine, avec DE JONG (7), essayant ainsi d'objectiver " la nature toxique de cette maladie " (8). Dans son ouvrage sur la " psychiatrie française de PINEL à nos jours " de 1967, il écrit :

" On comprenait ainsi l'action de poisons léthargiques sur l'organisme, le rêve, et le cauchemar de la catatonie. On arrivait donc à une coaptation rigoureuse du plan biologique et du plan psychologique. La voie était ouverte aux causes toxiques de la schizophrénie pressenties par SERIEUX, JELGERSMA (en Hollande), par BUSCAINO en Italie, et attribués par cet auteur à des amines (…) Toutes ces recherches ouvraient la voie à une révision de la schizophrénie. En effet, non seulement la catatonie n'apparaissait plus comme une maladie mystérieuse et progressive mais comme une réaction symptomatique à des causes toxiques ". (9)

- Ses conceptions et ses combats :

Les conséquences de ces travaux seront multiples. Tout d'abord dès 1934, BARUK crée un laboratoire de psychiatrie et de neurochirurgie expérimentales animales, à Charenton, grâce aux dons de la Fondation ROCKFELLER. Il y développe également la bibliothèque médicale et fait venir dans l'établissement des étudiants de différentes nationalités. Et surtout, il s'attache à effectuer une révision de la nosographie psychiatrique, récusant l'idée de maladie mentale autonome, affirmant par exemple dans divers articles que :
" La schizophrénie n'est pas une entité pathologique " :
" … la tradition française s'est ressaisie et a entrepris une longue révision critique des entités nosographiques artificielles, qui a abouti à donner la primauté à des symptômes fondamentaux communs aux divers syndromes, qui, suivant leurs combinaisons et leur évolution, aboutissent à tel ou tel syndrome, mais dont le point de départ reste en liaison avec des causes médicales, plutôt qu'à des conceptions trop théoriques. Cette évolution a donc eu pour effet, non seulement d'assouplir, mais de revigorer l'esprit clinique, mais encore de faire entrer de nouveau la psychiatrie dans la médecine " (10)

* On peut dire, comme le montre P. BERCHERIE (11) que les travaux du groupe de CLAUDE dont a fait partie H. BARUK, ont abouti à une approche nosologique plus riche et plus variée que celle de l'école allemande, contemporaine, et probablement plus proche de la complexité des aspects diversifiés de la clinique. Mais H. BARUK, va se séparer parfois avec virulence du reste des élèves de l'école de CLAUDE : il s'oppose très fortement au courant organo-dynamique d'H. EY, à qui il reproche violemment d'être matérialiste, mécaniciste, " doctrinaire " en un mot, considérant " la maladie mentale comme une déchéance, une chute de niveaux " (12), ne parvenant jamais ni à entrer en communication par la " sympathie ", ni à " s'identifier " au malade. On trouve la trace dans les écrits d'H. BARUK, de cette profonde querelle entre deux personnalités radicalement différentes, BARUK moraliste ne voyant en EY que froideur, et EY s'en défendant vigoureusement, essayant de recentrer le débat sur un plan théorique et structural, et non plus affectif. Dans " La psychiatrie et la science de l'homme ", H. BARUK ne peut s'empêcher de citer les critiques qu'EY lui adresse :

" Il est regrettable ( je le regrette en tout cas pour mon compte - que BARUK n'ait pas compris qu'il est impossible de construire une psychiatrie doctrinale sans recourir aux concepts d'organisation, c'est-à-dire d'évolution et de structuration de la vie psychique et aux concepts symétriques de régression ou de dissolution (…) Notamment il aurait évité le gros reproche de confondre constamment le plan supérieur de la morale et de la liberté de l'être humain avec le niveau inférieur atteint par l'homme au cours de sa chute dans la maladie mentale, c'est-à-dire dans les profondeurs obscures de son être imaginaire " (13).

* L'autre doctrine que BARUK va s'acharner à réfuter, et à combattre avec énergie, c'est la doctrine freudienne, tandis que son maître CLAUDE favorisera lui, son introduction dans le haut-lieu de l'enseignement de la psychiatrie qu'était et demeure Sainte-Anne, acceptant la collaboration de LAFORGUE. Là encore, les raisons essentielles de l'opposition d'H. BARUK au courant psychanalytique sont d'ordre " moral " ; voici son point de vue quant à la finalité de la cure psychanalytique :

" Le malade est trop souvent vu dans une attitude policière, c'est-à-dire comme un homme qui cache des pensées inavouables. Par ailleurs, la doctrine psychanalytique qui met le point sur la jouissance individuelle, l'hédonisme, est contraire à l'altruisme. Par là même, elle détruit la morale et détermine une attitude d'agressivité de l'individu, ceci non seulement chez les malades, mais chez les psychanalystes eux-mêmes. Le processus du transfert comporte lui-même parfois des conséquences troubles et douteuses. La recherche de la responsabilité de la maladie risque d'aboutir à un développement excessif de la mentalité du " bouc émissaire " et à charger sans cesse la famille, ce qui détermine des conflits, des ruptures, des divorces et la guerre au lieu de la pacification. Enfin, la psychanalyse, si elle se poursuit trop longtemps entretient un relâchement de la volonté et une baise de l'énergie morale, le sujet étant sans cesse replié sur lui-même ". (14)

On conçoit aisément qu'une position aussi réductrice ait contribué à éloigner bon nombre de jeunes psychiatres de la pensée d'H. BARUK au fur et à mesure que les concepts opératoires de la psychanalyse commençaient à s'intégrer dans le champ de la psychiatrie traditionnelle, réélaborant la nosographie des névroses, s'interrogeant sur la production des signes, proposant de nouvelles voies thérapeutiques.
* Troisième cheval de bataille de l'action contestatrice d'H. BARUK : les abus thérapeutiques agressives pour le malade, au nombre desquelles il range aussi bien la lobotomie que l'électrochoc, le coma insulinique de la cure de SAKEL, où les excès chimiothérapeutiques. A propos de lobotomie, il dit :

" Mais la guerre la plus acharnée que j'ai menée concerne la lobotomie. Mon hostilité date même d'une époque où cette méthode n'était pas inventée (…) La bataille des électrochocs et de la lobotomie s'est étendue sur de nombreuses années et j'ai eu le bonheur de voir les thèses que je soutenais avec d'autres l'emporter enfin à peu près partout dans le monde (…) je me suis toujours rangé parmi les adversaires de cette technique que je considère comme barbare et dangereuse. J'ai été ainsi fidèle à la ligne de conduite qui a toujours été la mienne : joindre les données scientifiques aux sentiments d'humanité " (15)

Même mise en garde au sujet des méthodes psychopharmacologiques :

" Mais dans ce domaine aussi des abus ont été commis. C'est le cas pour l'association d'hypnotiques variés qui se " potentialisent ". Mélange auquel on a donné l'appellation publicitaire de cocktails médicamenteux et qui sont à la fois dangereux et assez inefficaces. Ils peuvent même être plus nocifs que les méthodes de choc puisqu'ils conduisent dans certains cas au coma et à la mort ". (16)

Là toujours, le ressort de ce combat, la motivation princeps réside dans le respect de la " conscience morale " du malade qui passe aussi par le respect de l'intégrité de son corps. Il conclut d'ailleurs en ces termes sur cet arsenal de techniques :
" Méthodes de choc, méthodes où l'on veut brusquer la nature, faire violence à l'être humain sans avoir pu mesurer les ondes qui naissent et se développent dans un coprs et un esprit dont nous ne connaissons pas tous les mystères. Elles témoignent d'un grand orgueil alors que la position du psychiatre notamment doit être faite d'humilité et de scrupules ". (17)

L'ardeur mise au service de ce combat ne laisse pas de place aux nuances : que la technique de l'électrochoc par exemple se soit de plus en plus affinée et entourée de précautions d'utilisation rigoureuses, qu'elle ait des indications très précises où son efficacité a été démontrée, qu'actuellement encore des services dits " de pointe ", à orientation psychothérapique d'inspiration analytique, l'utilisent, tout cela n'a jamais entamé de brèche dans les convictions d'H. BARUK. Et plus étonnant encore, il a si bien réussi à mobiliser l'opinion et particulièrement celle de son personnel, qu'après son départ et jusqu'à maintenant à notre connaissance, aucun électrochoc n'a jamais pu être pratiqué dans son ancien service, le halo de barbarie qui entoure cette technique déclenchant une opposition ferme à son application.

Bien que préconisant la plus grande circonspection dans le maniement de la chimiothérapie, dénonçant les effets secondaires invalidants de certains produits, préférant bien souvent l'emploi de substances " naturelles " comme le crataegus, les tisanes, les bains de son, d'aubier, de tilleul ou d'autres plantes, ainsi que l'attestent des infirmiers qui ont collaboré avec lui, H. BARUK s'est cependant longuement penché sur la psychopharmacologie.

Il s'était interrogé dès le début de sa pratique, sur les rapports entre la production de la catatonie expérimentale et l'injection de substances chimiques, étendant la question à la schizophrénie et à d'autres troubles de la personnalité, comme nous l'avons déjà mentionné. Il s'était également beaucoup intéressé à l'œuvre de MOREAU DE TOURS, élève d'Esquirol dans ce même Charenton, et qui avait étudié les effets du hachisch lors d'un voyage au Moyen-Orient, inaugurant les premières recherches sur l'action des toxiques en psychiatrie. Il va se passionner tout autant pour les travaux de DELAY et DENIKER en 1952 sur les neuroleptiques, qu'avaient précédé les recherches CHARPENTIER sur la chlorpromazine et celles de LABORIT. De toutes questions sur ces drogues nouvelles lancées sur le marché de la psychopharmacologie moderne naîtra la " Société MOREAU DE TOURS " en 1958 avec J. LAUNAY dans le but initial de faire le point sur la psychologie, la sociologie, l'histoire dela médecine.

Pour clore ce chapitre consacré au cheminement intellectuel d'H. BARUK et à sa carrière de psychiatre, nous nous devions de citer quelques uns de ses propos qui résument le sens philosophique de sa démarche :
" Par une espèce de paradoxe, je commençai à entrevoir ce qui plus tard devint une évidence : l'unité profonde de l'homme. Paradoxe puisque je parvenais à cette conception du monde en observant les êtres qui paraissaient soumis au contraire aux plus violentes de ruptures non seulement par rapport à autrui, mais à l'intérieur d'eux-mêmes. C'est pourtant par l'étude des grandes maladies mentales que je parvins à ce qu'aujourd'hui je crois être la vérité profonde de l'être humain " (18)

Si nous nous sommes arrêté longuement sur le portrait de ce personnage original que fut H. BARUK dans le contexte de la psychiatrie française, c'est parce qu'il a dominé pendant près de quarante ans l'histoire de l'établissement, comme nous l'annoncions en préambule, lu insufflant une notoriété nouvelle durant la " traversée du désert " que fut la période de coexistence avec la Maison Maternelle. Il ne faudrait pas pour autant mésestimer l'important travail qu'accomplirent à ses côtés ses collègues, particulièrement après la Seconde Guerre Mondiale, comme ce fut le cas du Docteur DESHAIES dont les talents de clinicien et l'humanité maintinrent Charenton dans sa fonction de lieu d'enseignement de la psychiatrie. En abordant maintenant l'analyse du fonctionnement de l'institution à cette époque, nous aurons l'occasion d'évoquer l'impact d'une autre grande figure de la psychiatrie contemporaine : P. CHANOIT.



Suite de la thèse : le fonctionnement intérieur de l'asile




NOTES :

1 - H. BARUK : " Des hommes comme nous ". Robert LAFFONT. Collection " Vécue ". Paris, 1976.

2 - H. BARUK : " Des hommes comme nous ". Robert LAFFONT, p. 11-12 op. cité.

3 - H. BARUK : " Des hommes comme nous ". Robert LAFFONT, p. 14-15, op. cité

4 - H. BARUK : " Des hommes comme nous ". Robert LAFFONT, p. 169, op. cité

5 - H. BARUK : idem, p. 171

6 - Annales de l'E.S.C. , 1981, déjà cité où les deux auteurs effectuent une distinction nouvelle entre les théories, par rapport à la classique dichotomie " origine organique " versus " origine psychologique " des troubles : il existe selon eux, des théories " intrinsèques " où " la pathologie part de l'étude même des patients et des théories " extrinsèques " où " le troubles peut ne pas concerner le sujet lui-même ".

7 - BARUK et DE JONG : " La Catatonie expérimentale ", MASSON, Paris 1930

8 - BARUK : " La psychiatrie Française de PINEL à nos jours ", P.U.F. , Paris, 1967 : p. 63.

9 - H. BARUK : idem, p. 64

10 - H. BARUK : idem, p.68

11 - P. BERCHERIE : " les fondements de la Clinique ", op. cité. p. 263 à 270.

12 - H. BARUK : " La psychiatrie et la science de l'homme ". Ed. du Levain, Paris 1964 : p. 95

13 - H. BARUK : idem, p. 96

14 - H. BARUK : " La psychiatrie française de PINEL à nos jours ", op. cité : p. 29

15 - H. BARUK : " Des hommes comme nous " op. cité : voir le chapitre 10 : " Le crime et la lobotomie " p. 221 à 248

16 - H. BARUK : idem

17 - H. BARUK : " Des hommes comme nous " op. cité : voir le chapitre 10 : " Le crime et la lobotomie " p. 221 à 228

18 - H. BARUK : " Des hommes comme nous ", p. 77, op.cité.