Nos sources sont constituées essentiellement par :
- le " Mémoire historique et statistique sur la Maison Royale de Charenton " 1835 de la page 539 à 706.
- " Les Maladies mentales considérées sous le rapport médical, hygiénique et médico-légal " d'ESQUIROL (Paris, J.B. BAILLERE, 1838, Tome II)
- L'ouvrage de Charles STRAUSS : " la Maison Nationale de Charenton (Paris, Imprimerie Nationale, 1900).
Nous les avons reconsidérées à la lumière de deux ouvrages contemporains :
- la thèse de médecine d'Albert LEHALLE : " la maison de Charenton " Paris Université de Paris VI. 1972
- Le mémoire de fin d'assistanat de l'Ecole Nationale de Santé Publique de Jean Philippe GAUSSENS : " Histoire institutionnelle de la maison de Charenton " Rennes. Septembre 1978.
Elles font remonter à 1641 la création d'un établissement sur le site de Charenton par Sébastien LEBLANC, Sieur de Saint-Jean, conseiller du Roi et contrôleur provincial des guerres. Il en confia le service hospitalier aux religieux de la Charité de l'ordre de Saint-Jean de Dieu, ordre qui semble avoir occupé une place importante au long du XVIIe siècle dans les soins et les œuvres de bienfaisance destinés aux insensés.
I. 1 - Jusqu'à la révolution :
Jean Philippe GAUSSENS dans son mémoire rappelle que :
" L'ouverture de la maison de Charenton se situe donc dans le contexte général de " Grand Renfermement " de l'âge classique, tel que le définit Michel FOUCAULT, attitude de politique d'assainissement policier qui prend une forme institutionnelle avec le décret de fondation de l'hôpital général par Louis XIV en 1656 ".
On essaie de mettre de l'ordre dans le désordre qu'induit la misère par la création de dépôts où viennent aussi échouer quelques insensés. Toujours selon J.P. GAUSSENS :
" En septembre 1660, un arrêt du Parlement de Paris ordonna que les aliénés soient reçus o l'hôtel Dieu pour y être traités dans des locaux spécialisés. Or, selon certains auteurs, les insensés ainsi hospitalisés étaient rapidement transférés , les plus favorisés aux Petites Maisons de la rue de Sèvres et à Charenton, quant aux pauvres, ils étaient adressés pour les hommes à Bicêtre, et pour les femmes à la Salpétrière.
(…) cet arrêt du Parlement de Paris est la première trace législative visant à l'hospitalisation spécialisée des malades mentaux ".
La maison de Charenton recevait des insensés et des réclusionnaires envoyés par ordre du roi, même si en 1790 le nombre de ceux ci était assez restreint, les Frères de la Charité essayant, autant que faire se peut, de séparer ces deux catégories de pensionnaires. On suivait la procédure d'internement sur " ordre de justice " ou " sur ordre du roi ", c'est à dire par lettre de cachet. Les insensés prenaient rang parmi les différents types de déviants : " prodigues, libertins et mêmes espions ou jansénistes "(1) et devaient être réprimés et isolés. Ces institutions, lorsqu'elles étaient privées comme l'était Charenton à l'époque, possédaient des biens dûs aux revenus des terres à la campagne, des loyers en ville, de la circulation des dons et legs qu'elles recueillaient.
Ainsi à Charenton, le recrutement des malades provenait surtout de la bourgeoisie moyenne et de la petite aristocratie, le prix de la pension étant assez élevé. De ce fait, la vie à l'intérieur de l'établissement pouvait être relativement agréable : la bibliothèque de la Charité était bien pourvue, abonnée aux gazettes ; on pouvait jouer à divers jeux de société (échecs, dames, billards…) et se promener dans les jardins. Au niveau des soins, on utilisait la saignée, les lavements et toute la pharmacopée de l'époque, ainsi que les prières à des fins thérapeutiques dans la perspective de la rédemption des âmes malades. On répartissait les insensés en plusieurs catégories selon la gravité de leur maladie : la force, la demi-liberté et la liberté.
Les témoignages et les archives qui ont pu être conservés sur cette époque sont assez peu nombreux et sont essentiellement constitués par les " actes capitulaires " ou procès verbaux des réunions du chapitre de la communauté médico-religieuse de l'établissement. S'y ajoute le " mémoire historique et statistique de la Maison de Charenton " d'ESQUIROL en 1835 (2). Tous ces documents semblent concourir à montrer qu'en cette fin du XVIIIe siècle, la Maison de Charenton était considérée comme un exemple de réussite dans les soins aux aliénés. Dans un article de " l'information psychiatrique ", P. SEVESTRE (3) cite un rapport de TENON et mentionne que :
" Louis XVI qui savait exister à la Maison de Charenton des conditions très favorables aux malades, fit rédiger par COLOMBIER, Médecin de la Maison, Inspecteur Général des Hôpitaux et des Prisons du Royaume, une instruction publiée en 1785 par l'Imprimerie Royale à Paris, sur " la manière de gouverner les insensés et de travailler à leur guérison dans les asiles qui leur sont destinés. "
I. 2 - La révolution :
1789 marque le commencement de la tourmente révolutionnaire et avec elle, la condamnation de l'arbitraire qui est supposé régner en maître dans les asiles. On abolit les lettres de cachet par décrêt du 27 mars 1790, le Comité d'enquête des lettres de cachet visite Charenton et conclue en faveur de l'établissement. Mais le 18 avril 1792, les ordres religieux sont supprimés et la Maison est fermée le 12 Messidor, an III ( 30 juillet 1795). Ses biens sont alors réunis aux Domaines Nationaux. On disperse les aliénés, certains vont à l'hôtel Dieu, et comme il apparaît que cet établissement n'est pas équipé pour traiter les insensés en si grand nombre et que leurs conditions de vie sont particulièrement épouvantables, on rouvre la " Maison Nationale de Charenton " par arrêté du 27 Prairial, an V du Directoire (15 juin 1797). Elle est soumise dès lors à la tutelle directe du Ministère de l'intérieur.
Il faut ici parler du remarquable travail de Gladys SWAIN et de Marcel GAUCHET (11) qui se sont penchés d'une façon très rigoureuse sur ce moment-clé de la réouverture de Charenton, moment où existe l'idée de la curabilité de la folie, donc existe consécutivement l'idée de son traitement et de son traitement médical. Les méthodes de soins alors appliqués à l'hôtel Dieu sont exclusivement physiques : contention, saignées, bains, et c'est ce que va récuser Philippe PINEL (4) qui, dans le traitement des insensés, se démarque de la pratique médicale de ses contemporains.
Il dit qu'il bien plus appris de ceux qui s'occupent des fous, comme son surveillant PUSSIN à Bicêtre, que de tous ses confrères. Il introduit de ce fait la notion d'un savoir pratique sur l'aliénation mentale aussi important que le savoir théorique. SWAIN et GAUCHET avancent l'hypothèse que les projets de PINEL de reconvertir l'hospice de la Salpétrière en endroit " consacré à la guérison des aliénés " ainsi que la création de l'établissement privé de la rue Buffon (vis à vis de la Salpétrière) où il placera son élève ESQUIROL, que ces projets sont destinés à concurrencer " le monopole relatif dont a joui un temps Charenton ". Pour ces deux auteurs, alors que la réouverture de Charenton, qui correspond cependant au désir d'en terminer avec l'enfermement des aliénés dans des lieux comme l'Hôtel Dieu, procède " d'une intention d'adapter pour conserver ", la Salpétrière sera au contraire l'expression " d'une volonté radicale d'innover ".
Effectivement à partir de 1797, on commence la reconstruction de la Maison Nationale de Charenton avec l'adjonction de plusieurs bâtiments, due à l'extension del a population internée. Mais alors qu'un arrêté du Ministère de l'Intérieur, daté du 17 juin 1802, prévoit l'accueil d'aliénés indigents (hommes et femmes), ces décisions se trouvent modifiés en 1806 en dirigeant comme auparavant les indigents hommes à Bicêtre et les femmes à la Salpétrière. Se trouve alors reproduit le recrutement sélectif de la clientèle hospitalisée.
Cette période va être marquée aussi et surtout par l'absence totale de règlement intérieur à l'établissement, ce qui va permettre au directeur, Monsieur l'Abbé de COULMIERS d'exercer un pouvoir despotique tant au plan de la gestion qu'au plan médical (5) , alors que déjà à l'époque le pouvoir médical est mis en place dans le territoire de la folie et qu'il est reconnu comme légitime par les autorités.
Laissons ESQUIROL nous faire part de son sentiment à ce propos dans son " Mémoire historique et statistique sur la Maison Royale de Charenton " :
" Le Ministre de l'Intérieur en rétablissant la Maison de Charenton fit une faute grave en se contentant de nommer les principaux chefs de l'Etablissement (…) sans donner de règlement ni de mode de comptabilité, sans déterminer les attributions des divers fonctionnaires enfin sans établir une surveillance régulière. Il en résulte de là que Monsieur de COULMIERS fut administrateur absolu ".
Monsieur de COULMIERS traite : il préconise par exemple le régime de la douche, celui du " bain-surprise', l'utilisation de moyen de contention comme les gilets de force, les mannequins d'osiers, etc… pour calmer les agités. Il ne tient aucun registre officiel des malades parce que la folie a mauvaise presse, que son discrédit peut rejaillir sur les parents des aliénés et que par voie de conséquence existe le risque que ces mêmes familles retirent les pensionnaires de l'établissement, source principale de revenus. Il va aussi utiliser toute la gamme des comportements pathologiques des malades pour des représentations théâtrales pseudo-thérapeutiques qui attireront le tout-Paris des années 1800. Il accueillera Monsieur de Sade jusqu'au 2 décembre 1814, date du décès du " Divin Marquis " et en fera l'organisateur de ces fêtes. La " détention " de Sade est bien la preuve du caractère abusif des internements pratiqués durant cette période, relevant tout autant de sanctions politiques, morales ou familiales que de l'aliénation mentale. Enfin Monsieur de COULMIERS vivra d'innombrables conflits avec ROYER COLLARD, nommé médecin chef en 1806 et imposé par l'Académie de Médecine.
Notes :
1) Robert CASTEL : L'ordre psychiatrique. Editions de Minuit, Paris, 1976
2) ESQUIROL : Des maladies mentales. Tome 2, p. 539 et suivantes
3) P. SEVESTRE : Eloges de la maison de Charenton in l'Information Psychiatrique, 52-3, 1976, p. 361 à 369.
4) Voir Glady SWAIN qui situe dans " le sujet de la folie " p.40, le geste devenu mythique de PINEL faisant enlever les fers aux aliénés de Bicêtre : " avant de devenir pour la mémoire collective l'homme d'un geste, PINEL a été pour ses contemporains l'homme d'un livre, de l'œuvre clé où s'est comme cristallisée l'invention diffuse dans l'air du temps. Dans le traité Médico-Philosophique toute une époque du savoir s'est reconnue et a reconnu le lieu de sa rupture avec le passé.
5) Il faut lire à ce sujet le mémoire de maîtrise présenté par Dominique GIRAUD à l'université de Paris IV sur " la maison de Charenton de Louis XIV à Louis XVIII : de la prison à l'hôpital " juin 1980 où à l'aide de documents des Archives Nationales, elle analyse le conflit de COULMIERS-ROYER COLLARD.
6) G. LANTERI-LAURA : " Savoir et pouvoir dans l'œuvre de Ph. PINEL" in " Perspectives Psychiatriques", 1978 - I, N°65, p.77 à 85, où l'auteur analyse sur quels principes philosophiques et politiques PINEL a fondé la légitimité de sa pratique asilaire.
7) Cf G. SWAIN et M. GAUCHET : " La pratique de l'esprit humain" op. Cité
8) G. LANTERI LAURA : " Savoirs et pouvoirs dans l'œuvre de Ph. PINEL " article cité. Où l'auteur explique à propos des conceptions de PINEL sur son personnel :
" Au dessous de lui, ne se dispose aucun corps intermédiaire et, à la différence d'Esquirol qui organise toute une pyramide de médecins subordonnés et d'infirmiers divers, PINEL entend que l'autorité s'exerce sur une classe uniforme de gens de service dont la fonction essentielle se résume à exécuter ponctuellement les ordres reçus avec beaucoup de patience à l'endroit des aliénés, mais sauf exception, sans la moindre initiative. "
9) P. SEVESTRE : " Eloge de la maison de Charenton. Article déjà cité
La mise en place du réglement intérieur de 1814