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- – VISAGE ACTUEL DE L’INSTITUTION A TRAVERS LA VIE DE L’UN DES SERVICES SECTORISES:



1972 – 1982, dix années de développement, dix années de sectorisation, dix années pour prendre un peu de recul et établir quelques bilans !

Ce dernier chapitre sera sans doute marqué du sceau de notre propre subjectivité, si tant est que nous ayons pu y échapper dans nos propos précédents, puisque ces dix ans nous les avons vécus nous-mêmes dans cette institution dont nous sommes arrogés le rôle de chroniqueur. Notre discours n’est donc pas innocent, gauchi qu’il est par l’importance de notre implication, de notre passé conceptuel, de nos choix professionnels, de notre éthique, en un mot de tout ce que nous pouvons véhiculer d’a priori sur la folie et l’asile.

 

Ces présupposés méthodologiques explicités, nous allons tenter d’effectuer des repérages dans ce qui peut être considéré comme facteurs d’évolution ou bien de régression, voire de blocage dans une telle institution dite soignante, en choisissant d’analyser quelques uns de ces paramètres à l’échelle d’un seul service. Le fonctionnement hospitalier, dans son ensemble, nous parait renvoyer à des données beaucoup trop complexes et multiples pour que nous ayons la prétention d’en maîtriser aucune. L’unité « service », non moins difficile à cerner, nous semble, en dépit de sa singularité et des particularités, offrir un champ de réflexions plus propices.

 

Le service que nous étudierons, au même titre que ses voisins, étant cependant en interactions constantes avec la globalité de l’institution, dans une sorte d’homéostasie, il est intéressant de recenser quelques aspects généraux de l’évolution de l’hôpital pouvant entraîner des répercussions à l’échelle de l’unité choisie.

III.1 – Redéfinition générale de l’institution dans le cadre de la sectorisation :



Ainsi, la mise en place du secteur dans un établissement au passé aussi riche et mouvementé de celui de l’hôpital ESQUIROL obligea l’institution tout entière à réintégrer un statut « normalisé ». C’est-à-dire qu’il s’ensuivit des mutations tant au niveau de la population des malades, que des soignants ou des locaux :

III.1.1 – Les malades :

Ils passèrent d’une clientèle choisie, comme nous l’avons vu, socialement relativement privilégiée, à une population souvent très défavorisée, ajoutant le handicap social à la maladie mentale, diminuant d’autant ses chances de réinsertion.

Il n’existe pas de carte sanitaire psychiatrique pour la région Ile-de-France, ce qui rend difficile les prévisions en matière d’hospitalisation. Mais actuellement l’évolution démographique des quatre secteurs de psychiatrie générale implantés à Paris, rattachés à l’hôpital (11ème et 12ème arrondissements), va plutôt dans le sens de la construction d’immeubles de standing ou de bureaux, chassant la population âgée ou ayant des revenus bas vers les banlieues. Ce mouvement de déracinement est générateur de perturbations psychologiques plus ou moins grandes auquel s’associe un afflux de malades dits « hors secteur » (qui n’habitent pas le secteur), pour la plupart marginalisés, sans emploi, sans attaches familiales, et qui représentaient 39% des patients hospitalisés en 1977, selon « un programme des besoins de l’établissement » rédigé cette année là par l’administration.

Vient se greffer sur cette institution, le problème du vieillissement de la population hospitalisée, double conséquence d’une meilleure thérapeutique gériatrique probablement, mais aussi de l’évolution de la démographie française, dont près de 15% atteint et dépasse le seuil de 65 ans. On peut considérer qu’environ un tiers de la population actuellement hospitalisée est constituée par des personnes âgées, souvent démentialisées, nécessitant de ce fait des techniques de soins appropriées et une présence infirmière importante.

Enfin, la sectorisation a entraîné une augmentation considérable d’hospitalisations de malades en « service libre » qui ne sont plus « internés » au sens juridico administratif du terme, ce qui implique des aménagements du règlement intérieur de l’ancien hôpital psychiatrique, toujours régi par la Loi de 1838 (liberté d’allées et venues, des visites, de la correspondance, etc…). La bi sexualisation des malades, qu’on appelle aussi la « mixité des services », s’est introduite dans des structures qui n’y étaient pas préparées, ni psychologiquement ni matériellement, alors que le but initial était de recréer à l’hôpital un milieu « naturel » au sens où hommes et femmes vivent ensemble dans la société.

 

III.1.2 – Les soignants :

 

Ils ont dû, eux aussi, se réorganiser tant au plan statutaire qu’au plan technique, comme nous l’évoquions ci-dessus.

 

 

A Charenton, les nouveaux médecins chefs qui arrivent à partir des années 1968-70 pour mettre en place le secteur, sont tous des psychiatres du « cadre » (2), c’est-à-dire qui font une carrière dans les hôpitaux psychiatriques publics. Ils collaborent avec des internes provenant de la filière normale de l’internat en psychiatrie, dont le nombre est préalablement fixé à quatre par service, qui ne sont donc plus choisis par le chef de service, mais qui eux choisissent, en fonction de leurs affinités et de leurs conceptions, l’orientation théorique de tel ou tel service. C’est là une formule nouvelle pour l’établissement, non sans intérêt au niveau thérapeutique.

 

D’autres difficultés surgissent pour appliquer la politique sectorielle qui préconise «la nécessité de confier à la même équipe médico-sociale la charge du malade en cure hospitalière et en pré et post-cure. Il est, en effet, indispensable que le malade sorti de l’hôpital psychiatrique retrouve au dispensaire, au foyer de post-cure, le médecin qui l’a traité à l’hôpital psychiatrique. C’est la condition même pour qu’il accepte cette post-cure. Par ailleurs, nul plus que le médecin de l’hôpital psychiatrique n’est intéressé au but poursuivi qui est d’éviter des hospitalisations inutiles » (chapitre III, intitulé : « Organisation du dispositif de lutte contre les maladies mentales » de la circulaire du 15.03.1960).

Comment la même équipe infirmière pourrait-elle assurer la continuité de ces soins sur le secteur, quand les effectifs sont déjà considérablement réduits et ne permettent souvent que de pallier au plus urgent à l’intérieur des services ?

 

Un nouveau personnel d’encadrement infirmier a d’ailleurs été créé par décret du 11 avril 1975 : les « infirmiers ou infirmiers généraux » et les « infirmiers ou infirmières généraux adjoints » qui ont pour mission de contribuer à une meilleure gestion et à une meilleure répartition des effectifs infirmiers au niveau global de l’hôpital. Ceci afin « d’améliorer la qualité des soins, assurer une meilleure utilisation des personnels infirmiers et des personnels secondaires des services médicaux, garantir une meilleur formation de ces mêmes personnels, créer un organisme de liaison permanente entre l’administration de l’hôpital et le corps infirmier, donner au personnel infirmier par l’intermédiaire de ses représentants hiérarchiques une place élargie dans l’établissement en le faisant participer aux décisions au plus haut niveau » (3)

C’est en 1979, que prend ses fonctions l’infirmière générale adjointe à l’hôpital ESQUIROL, essayant de sensibiliser l’administration aux problèmes techniques des infirmiers dans un souci de coordination des informations et de réflexion sur l’avenir de la profession. (4)

 

III.1.3 – Les locaux : ils obéissent au même principe de réorganisation que les individus qu’ils abritent, soignés comme soignants : on ne peut plus effectivement concevoir d’être hospitalisé dans les conditions hôtelières du siècle dernier, ni d’y travailler de la même façon non plus.

 

Suivant les directives de la circulaire du 15 mars 1960 concernant la rénovation des hôpitaux psychiatriques anciens, un « plan directeur » est élaboré pour la décennie 1978-1988, à l’hôpital ESQUIROL. Il doit cependant tenir compte de l’architecture esquirolienne, ainsi que l’explicite clairement le « programme des besoins de l’établissement » adopté par le Conseil d’Administration du 16 février 1978 :

 

« La structure actuelle des bâtiments correspond, à quelques légères modifications près, à l’agencement architectural établi en 1838. Ce monument unique est si remarquable que les façades et les toitures de l’établissement, ainsi que la chapelle en son entier, ont été inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques par arrêté du 22 décembre 1975 de M. Le Secrétaire d’Etat à la culture, publié au J.O. du 9 avril 1976. Le respect de ce site exceptionnel, s’il rassure l’esthète, impose malgré tout une contingence particulièrement rigide au programmiste : toute modification des volumes extérieurs à prévoir, devra recevoir l’agrément des services des Bâtiments de France. Il n’est pas sur qu’en toute occasion, la préoccupation de protection du bâtiment soit compatible avec l’intérêt du malade, de son bien être et de sa sécurité. Il n’en demeure pas moins que l’un des impératifs du présent programme est de ne recourir à la construction nouvelle que si les solutions de rénovation interne des bâtiments historiques sont reconnues inadéquates ».

 

 

Ainsi tout en respectant l’architecture de 1838, outre la nécessité de redistribuer les locaux en fonction des nouveaux services sectorisés, l’établissement a dû rénover ceux-ci.

 

On augmente en conséquence le nombre des unités de soins pour réduire le nombre des dortoirs de plusieurs lits, où les conditions de vie étaient fort difficiles. Pour ce faire, la direction met sur pied un « plan d’humanisation » en 1975, plan dont la finalité est de supprimer totalement les anciennes salles communes, ainsi que les dortoirs et les chambres de plus de 4 lits.

 

De deux grands services de psychiatrie dirigés par deux médecins chefs, comportant 20 unités de soins, au début du siècle, on passe, à partir de 1970, à 5 services totalisant 30 unités de soins, plus un service d’enfants, la maternité cantonale, un service de médecin générale de 12 lits, ouvert en 1978, et enfin deux hôpitaux de jour.

 

Le mouvement de rénovation et d’humanisation de l’institution asilaire se double d’une réduction du nombre des lits d’hospitalisation, préconisée par la circulaire du 9 mai 1974 relative « à la mise en place de la sectorisation psychiatrique » :

 

« Aucune augmentation du nombre de lits des hôpitaux psychiatriques existants ne saurait plus être tolérée. La modernisation nécessaire de ces établissements, a, au contraire, pour corollaire, une réduction de leur capacité, ce dont on ne peut que se féliciter.

Il convient de rappeler en effet que le service d’hospitalisation doit être organisé par unités de soins de 25 lits, comportant un nombre suffisant de chambres individuelles et entraînant en tout cas la suppression des grands dortoirs.

L’unité d’hospitalisation doit, rappelons-le, avoir libéralisé son fonctionnement, ouvert ses portes. Un même bâtiment peut recevoir des malades des deux sexes sous certaines précautions » (extrait de la deuxième partie de la circulaire consacrée aux « problèmes d’équipements » et aux « services d’hospitalisation psychiatrique à pleine journée »).

 

Le Ministère et ses conseillers techniques s’appuient sur l’évolution obligatoire des méthodes de la psychiatrie institutionnelle, partant du constat que la concentration des malades dans l’asile interdit toute efficacité thérapeutique réelle et durable : il s’agit donc de façon concomitante d’accélérer la réduction du taux des hospitalisations en raccourcissant les temps d’hospitalisations, en évitant les rechutes et en portant l’effort sur la prévention et la post-cure extra hospitalière. La « désaliénation » étant à ce prix, mais le pari étant bien difficile à tenir.

 

A l’échelle de l’hôpital ESQUIROL, l’objectif à atteindre pour l’année 1987 est l’affectation de 140 lits par service (prévision adopté par le Conseil d’Administration de l’établissement en 1977), compte tenu de la présence de nombreux malades chroniques qui finiront certainement leurs jours à l’hôpital et de la clientèle de fondation (militaires du Val de Grâce ou enfants de fonctionnaires).

 

Concrètement la capacité réelle de l’établissement pour la psychiatrie adulte est déjà descendue de 954 lits en 1977 à 762 lits en 1981. Mais le taux d’occupation des lits à l’hôpital ESQUIROL est supérieur à la moyenne des hôpitaux de la région parisienne soit 92% au 1er septembre 1981 et l’encombrement des services est toujours source de difficultés thérapeutiques, même si le taux de rotation des lits dits « actifs » (c’est-à-dire des hospitalisations de malades aigus dont le temps de séjour est relativement court) est important.

 

Ce tour d’horizon rapide de la situation de l’instrument hospitalier, au long de ces dix dernières années, nous montre la complexité des facteurs qu’il faudra mettre en jeu pour engager l’établissement dans la voie du renouveau. Nous allons nous pencher à présent sur l’exemple particulier d’un service, où nous tenterons de mettre en évidence, plus précisément, comment à ce niveau « unitaire », l’institution métabolise les divers courants d’influences intérieures et extérieures à des fins thérapeutiques.

 

NOTES :

 

1.     Statut réformé par le décret du 11 mars 1970, modifiant le décret du 24 août 1961.

2.     Le cadre des hôpitaux psychiatriques est l’organisation administrative des médecins psychiatres des services publics en France régis par la Loi de 1838 ; ils sont recrutés par un concours national (psychiatricat), affectés à la direction médicale d’un service psychiatrique public par le Ministère et ils dépendent de l’autorité du Préfet.

3.     Extrait de la circulaire du 31.07.1975, relative « au recrutement et à l’avancement des infirmiers (es) généraux et des infirmiers (es) généraux adjoints dans les établissements d’hospitalisation publics » signée par Madame Simone VEIL.

4.     Voir le mémoire de fin de cycle de formation des infirmiers généraux adjoints présenté par Jacqueline DORION : « L’infirmière générale, point de convergence des relations, entre les groupes professionnels exerçant dans l’institution psychiatrique ». Ecole Nationale de la Santé Publique. RENNES. Juillet 1979

 




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