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L’EXEMPLE PARTICULIER DE LA VIE D’UN SERVICE SECTORISE :
Si
nous prenons l’option délibérée de terminer ce long exposé de l’histoire de
l’établissement de Charenton par un essai, sans doute trop sommaire, « d’analyse
institutionnelle » d’un service particulier, c’est parce qu’il nous
semblait fondamental de relier passé et présent, tant l’un et l’autre
s’interpénètrent au quotidien.
Nous
nous efforcerons, dans un premier temps, d’examiner la structure de ce service
sectorisé puis ensuite nous repèrerons ce que peut en faciliter ou bien en
freiner l’évolution sur une période de dix ans. Il est entendu que, compte tenu
des particularités de ce service, nos analyses n’auront rien d’exhaustif.
III.2.1
– Origines historiques de ce secteur :
C’est
en avril 1968 qu’un nouveau médecin chef du cadre vient remplacer le Professeur
H. BARUK à la tête de ce service de femmes. Il s’agit justement d’une femme
médecin, beaucoup plus jeune que son illustre prédécesseur, et ce trait ne sera
pas sans conséquences sur sa prise de fonction : il lui faut en effet se
faire admettre par toute une population de patients attirés par le prestige
d’H. BARUK, qui avait quarante années de carrière derrière lui ; il lui
faut aussi se faire reconnaître par le personnel soignant en tant que chef de
service, investi du pouvoir médical et apportant avec lui de nouvelles façons
de travailler ; enfin il lui faut être acceptée par ses autres collègues
masculins et par le pouvoir administratif, ce qui est peut être l’opération la
moins facile en ces temps de « sexisme » later.
C’est
aussi une ancienne élève de P. SIVADON, essentiellement soucieuse de respecter
le malade mental dans son humanité, sensibilisée à l’amélioration des
conditions de vie intra hospitalières (1) à la pratique institutionnelle, et à
l’ouverture du monde asilaire vers la cité. De plus, lorsqu’elle arrive à
Charenton, elle a déjà une longue expérience psychiatrique acquise en province.
Elle
arrive dans l’établissement dans un moment d’effervescence revendicatrice et
contestataire, comme nous l’avons montré, où les mentalités sont en train
d’évoluer, où finalement les gens se sentent mobilisés pour accueillir de
nouvelles orientations, de nouvelles conceptions. C’est aussi, cela qui
facilitera son intégration à l’E.N.B. de Charenton, contrairement à ce qu’on
aurait pu redouter.
Elle
trouve un personnel exclusivement féminin (puisqu’il s’agit d’un service de
malades femmes), provenant pour la plupart de la Maison Maternelle, qui n’a
donc de formation psychiatrique que celle reçue de l’enseignement d’ H. BARUK.
Ces infirmières sont très attentives au malade, mais par contre, elles ne se
sentent pas valorisées dans leur travail et elles vivent des relations très
hiérarchisées : on ne leur demande pas de prendre des responsabilités,
mais d’assurer l’intendance, et si, officiellement, elles ne doivent pas
participer aux traitements, elles travaillent avec leur interne et connaissent
parfaitement leurs malades. La liberté du malade est respectée, très peu sont
en « placement d’office ».
Elle
est, au total, bien accueillie par son personnel infirmier et par ses proches
collaborateurs : le médecin assistant et les internes. Son premier
sentiment est qu’elle est l’objet d’une très forte demande de soutien qui émane
autant des malades que du personnel.
C’est
donc dans ce contexte et avec ces paramètres, que ce nouveau médecin chef de
service va évaluer, les transformations à effectuer et préparer la
sectorisation de son service. Ses principes directeurs tournaient autour des
points suivants :
-
améliorer le
confort du malade et donc repenser les locaux, leur architecture, leur
aménagement intérieur dans la mesure des contingences historiques imposées par
l’établissement. Par exemple, elle accordait une grande importance aux couleurs
des diverses pièces des pavillons, essayant de leur redonner un aspect plus
agréable, moins « hôpital ».
-
réduire les
temps d’hospitalisation en traitant activement les troubles et en aménageant
des sorties rapides considérant qu’un service doit être traitant d’emblée, mais
aussi qu’on ne peut traiter tous les malades de la même manière, ni dans les
mêmes lieux.
-
développer les
ateliers d’ergothérapie et l’animation des pavillons en proposant aux malades
des centres d’intérêt plus adaptés et plus créatifs.
Tels
étaient donc ses projets, à son arrivée, projets qui se situaient dans le fil
de la psychothérapie institutionnelle, sans support psychanalytique, appliquée
à une structure psychiatrique « traditionnelle », au sens où R.
CASTEL définit ce traditionalisme dans « Le psychanalysme » :
« Le
traditionalisme psychiatrique pourrait se caractériser par la conjonction de
trois traits : adhésion sans réserve à un schéma médical directement
transposé de la médecine somatique ; défense sous couvert de quelques
aménagements, de la structure institutionnelle asilaire et de son fondement
législatif, la loi de 1838 ; fidélité au rôle social du psychiatre
classique, gardien et ambassadeur des normes sociales dominantes ». (2)
Ce
médecin chef ne milite pas en faveur d’une idéologie psychiatrique très
précise, si ce n’est que ses principes humanitaires le conduisent à régir la
vie institutionnelle dans le sens de l’ouverture vers l’extérieur, et de la
facilitation des échanges entre soignants et soignés. Sa grande souplesse lui
permet de laisser à ses internes et à son assistant une importante liberté
d’action dans le fonctionnement de l’institution et dans les choix
thérapeutiques. Mais cela entraîne, réciproquement, que tous ses collaborateurs
aient suffisamment le sens des responsabilités et de conscience professionnelle
pour impulser leur dynamisme à l’institution.
C’est
à partir de 1971-72 que s’organise véritablement la mise en place de la
sectorisation avec la prise en charge des malades en pré ou post-cure au niveau
d’un dispensaire situé dans le 11ème arrondissement. Cependant, dès
1968 et donc en trois ans, il faut très rapidement restructurer le
service :
-
scinder
l’ancien service de femmes, beaucoup trop étendu et peuplé pour être
thérapeutique et réaliser un service d’une capacité de 180 lits, ce qui est
encore énorme..
-
introduire la
mixité des malades comme du personnel soignant, ce qui signifie modifier
complètement la composition des équipes infirmières, et réaménager les locaux
d’une manière plus fonctionnelle et plus adaptée à ce nouvel impératif.
-
organiser des
petites unités de soins (ou « pavillons ») d’une vingtaine de lits
environ, où pourraient se généraliser les admissions, introduisant ainsi l’idée
de service « actif » : cela bénéficierait à la fois aux malades
anciens qui se ne seraient plus parqués dans les pavillons dits de
« défectologie », comme au personnel qui y verrait un regain
d’intérêt thérapeutique.
-
constituer une
équipe soignante sur le dispensaire de secteur en y démarrant des
consultations, un suivi à domicile, également, des patients sur leur
quartier ; en prévoir les équipements et le développement.
A
partir de 1978, s’ajoutera le souci d’humaniser le service en réduisant sa
capacité hôtelière et en y effectuant d’importants travaux d’architecture
intérieur. Le but étant de faire totalement disparaître les anciens dortoirs et
de créer des aires de réunions (salle à manger ou salles de télévision par
exemple) pour faciliter la vie communautaire. Ces travaux amèneront à déplacer
des malades dans d’autres institutions ou à repenser de façon positive, des
sorties qui n’avaient jamais été envisagées. Mais ils obligeront aussi à
ventiler certains malades, pour lesquels des solutions de rechange ne pouvaient
être trouvées, dans d’autres unités, provoquant par là un surencombrement
nuisant à la qualité des soins prodigués par un personnel parfois submergé.
Quelques
données quantitatives sur le nombre des malades : (cf. tableau N°5 donné
en annexe) :
-
1970 (au 1er.01) :
214 malades femmes uniquement
-
1978 (au 1er.01) :
182 malades, dont 62 hommes et 120 femmes.
-
1982 (au 1er.01) :
159 malades, dont 51 hommes et 108 femmes.
Ce
qui indique l’effort de réduction de la concentration hospitalière dû à la
conjugaison du travail de secteur et de l’humanisation de l’institution.
NOTES :
1.
Elle avait,
elle-même, participé au courant qui avait essayé de penser l’architecture
psychiatrique dans les années 1950, (cf. les travaux de J. BOUQUEREL sur les
« Problèmes architecturaux de l’hôpital psychiatrique ». PARIS –
Masson 1956)
2.
R.
CASTEL : « Le psychanalysme » note N°15, p. 199 op. cité