Notre
discours s’est ordonné jusqu’à présent autour d’un parti pris évolutionniste,
au sens double du terme « d’évolution (1) : à la fois, séries de
transformations progressives, développement des idées ; et à la fois série
de faits coordonnés constituant une époque historique. C’est ce que nous nous
sommes attachés à décrire et l’on nous en fera peut être le reproche, mais
c’est toujours dans cette même visée que nous indiquerons quelques repères
datés qui ont conduit à l’institution d’aujourd’hui.
-
Avec 1958 l’année où l’établissement de Charenton reprend
complètement sa vocation première d’assistance aux malades mentaux, se
précisent des signes avant-coureurs, quoi que modestes, d’un courant de
transformation dans la façon de vivre à l’asile.
Ce
sont par exemple, vers 1960, les portes, ces fameuses portes des services qu’il
fallait verrouiller conscieusement, qui vont commencer à s’ouvrir
progressivement. C’est encore l’extension croissante des « permissions de
parc », autorisations médicales accordées aux « bons malades » à
ceux qui se tiennent tranquilles, « qui ne font pas d’histoires »,
comme l’on a coutume de dire, pour se promener dans le parc de l’hôpital.
Piètres indices, pensera-t-on, mais qui n’en ont pas moins une importance
considérable aux yeux des usagers, les malades. Les idées nouvelles, qui
flottaient dans l’air du temps de la psychiatrie, propagées par des novateurs
comme CHANOIT et ses collaborateurs, cheminaient lentement.
En
1964, on construit une salle de spectacles, une bibliothèque et une cafétéria
pour les malades à l’ouest des services psychiatriques. Si cette cafétéria
n’est pas autogérée par les malades comme dans certains établissements plus
modernistes, elle n’en est pas moins très fréquentée, devenant un lieu
privilégié de rencontres souvent animées.
-
1968 et ses
évènement de mai, qui resteront en
mémoire de tout un pays n’épargnera pas non plus l’hôpital de ses tempêtes
contestataires : tous les personnels soignants décident à leur tour de
s’exprimer et de revendiquer leur prise en compte dans le fonctionnement global
de l’hôpital, en particulier dans celui des services et dans la conduite des
soins aux malades.
Les
infirmiers, qui étaient déjà en poste à cette époque, nous ont conté comment la
« cour d’honneur » de l’Etablissement National de Bienfaisance (ou
E.N.B.) de Saint-Maurice se transforma en forum de la contestation, où les
attaques personnelles fusaient de part et d’autre, manifestations de la
vindicte et du « ras-le-bol » de tout un personnel décidé au
« changement ».
Nous
avons eu le privilège d’accéder aux archives syndicales de l’établissement, où
l’on a eu l’extrême gentillesse de nous soumettre l’un des cahiers de doléance
tenu pendant ce mois de mai hors du commun, et qui peut nous fournir une source
de renseignements irremplaçables sur l’état d’esprit qui régnait alors.
L’essentiel
des revendications tournait autour du principe à la collégialité et de la
cogestion de l’hôpital, et surtout de l’amélioration des conditions de
travail : il était débattu de la question des salaires, des
titularisations, de l’augmentation des effectifs et de la réduction du temps de
travail, tous ces points constituant encore aujourd’hui le fondement des
combats syndicaux. Moment de lutte
difficile qui déboucha concrètement sur un « protocole d’accord des
réunions tenues les 28, 29, 30 et 31 mai 1968 au Ministère des Affaires
Sociales » : était acquis le principe de la semaine de 40 heures, ce
qui signifiait l’obtention de deux jours de repos par semaine pour tous les
personnels, et aussi l’adjonction d’une cinquième semaine de congés payés, à
l’E.N.B. de Saint-Maurice. Cette cinquième semaine fit beaucoup parler d’elle,
comme elle le fait aujourd’hui également, pour d’autres raisons : elle
n’était en effet pas applicable aux autres hôpitaux, mais comme l’E.N.B.
dépendait directement de la tutelle du Ministère de la Santé, il eût l’avantage
d’être alors le premier établissement hospitalier de France à l’obtenir.
Une
autre des préoccupations de la politique infirmière à l’ordre du jour
concernait le désir, partagé par les médecins, que soit assurée une approche
globale du malade par les infirmiers : c’est ce que l’on a appelé le
« cadre unique », renvoyant à l’unicité du rôle thérapeutique des
infirmiers, la thérapie au quotidien consistant aussi bien à parler au malade
qu’à lui donner à manger, à l’accompagner en promenade, ou lui prodiguer des
soins corporels.
Ces
conceptions ont d’ailleurs été remises en cause ces dernières années de par
leur caractère paradoxal : d’un côté, les infirmiers revendiquaient la
prise en charge totale du malade, mais de l’autre leur spécificité de plus en
plus grande leur faisait négliger le nursing et les tâches ménagères qu’exige
aussi la vie intra hospitalière. C’est ainsi que l’on verra apparaître en 1973
les A.S.I. ou « agents auxiliaires des services intérieurs »,
personnels des services généraux d’entretien, puis par décret du 9 janvier 1979
se créera dans les hôpitaux psychiatriques le cadre des A.S.H. ou « agents
des services hospitaliers » appartenant, eux, aux services de soins. Les
A.S.H. peuvent accomplir les tâches ménagères en ayant des contacts avec les
malades, ce qui n’entre en aucun cas dans les attributions des A.S.I. D’où des
ambiguïtés, dans la limite des définitions des tâches à effectuer entre autres
ces catégories de personnels, et le souci constant des infirmiers de préserver
leur qualification professionnelle et leurs compétences.
Autre
versant revendicatif : la critique de la très forte hiérarchisation des
relations de travail bloquant toute communication et tout processus
thérapeutique. On dénonçait par exemple, telle surveillante qui
« terrorisait les infirmiers » de son unité de soins en publiant sur
elle un tract du style « Depuis trop longtemps, Mme X…. règne de façon
dictatoriale. Nous voulons qu’elle s’en aille… Nous ne voulons plus de sourires
ni de soi-disant bonté, de la justice » ou encore « Nous
désirons établir un contact permanent entre médecins et personnels ».
Il
nous a été confirmé qu’à partir de mai 1968, les rapports entre les diverses
catégories socioprofessionnelles prirent une tournure radicalement
différente : on osait alors aborder l’interne du service, même quand on
n’était pas la surveillante ; le médecin chef lui-même devenait
accessible : il se départait de l’isolement où il s’était maintenu si
longtemps, position que son personnel, probablement très inconsciemment,
l’avait encouragé à garder, afin de l’utiliser comme « mauvais
objet », bouc émissaire de bien des conflits. Les relations
professionnelles se firent donc plus chaleureuses, plus « humaines »,
nous a-t-on dit, non sans répercussions sur les malades eux-mêmes.
Car
ceux-ci prirent aussi l’habitude de s’exprimer et devinrent véritablement les
interlocuteurs des infirmiers comme des médecins. Il nous faut citer ici les
propos d’une infirmière qui nous expliquait sur quel mode de relation elle
fonctionnait avec les malades :
« Avant,
nous étions presque toutes leurs bonnes puisque nous faisions le ménage toute
la journée et il ne fallait surtout pas que la surveillante nous trouve assises
à discuter avec un malade. Mais en revanche, nous étions aussi très proche
d’eux, presque comme une famille… » Il y avait une sorte de complicité, de duplicité parfois même dans la
relation au malade, relation qui se transformera en essayant d’échapper à la
reproduction du modèle relationnel familial, en prenant des distances. Ceci
avec l’idée que le malade perdra en familiarité dans le contact ce qu’il
gagnera en tentative d’objectivation et d’élucidation de ses difficultés. Singe
de cette modification des relations dans le courant des années 1970, le
tutoiement : les internes et les infirmiers en useront fréquemment entre
eux, ce qui était absolument inconcevable précédemment, tandis qu’il cessera
petit à petit de se pratiquer entre infirmiers et malades (seuls sont encore
tutoyés de nos jours les vieux malades, qu’on surnomme aussi les
« chroniques » , dont le temps d’hospitalisation est presque égal à
l’ancienneté des plus âgés des infirmiers…)/
Ainsi
se comble lentement le fossé qui s’était creusé entre les différentes catégories
de personnels particulièrement entre médecins et infirmiers, au profit de la
structuration de « l’équipe soignante » orientée vers le malade,
sujet de sa folie. A l’asile, les rapports entre individus sont donc, après
1968, en plein mutation comme ils le sont dans l’ensemble de la Société, ce qui
indique l’illusoire du principe du ghetto asilaire, et démontre la perméabilité
des murs aux grands courants idéologiques.
-
1970, année
de grande évolution statutaire pour l’établissement (2) est aussi l’année qui marque l’ouverture de
l’asile sur le secteur. Déjà la Loi du 31 juillet 1968 érige l’E.N.B. de
Saint-Maurice en établissement public départemental dont les personnels
titulaires sont soumis aux dispositions du livre IX du Code de la Santé
Publique. Mais c’est à partir du 9 juin 1970 que la tutelle de l’E.N.B. est
confiée de façon effective au Préfet de Paris, au même titre que les hôpitaux
« Sainte Anne » à Paris, ou en banlieue « Perray Vaucluse »
et « Maison Blanche ». Le processus est d’ailleurs accéléré par
l’application de la Loi du 31 décembre 1970 qui porte réforme hospitalière (3).
Comme
l’E.N.B. est situé dans le département du Val de Marne, il bénéficie également
du contrôle du Préfet du Val de Marne : il en résulte une tutelle
bicéphale qui n’est pas sans poser problèmes puisque, par exemple, le budget de
l’établissement est approuvé par le Préfet de Paris et les prix de journée des
hospitalisations sont fixé par le Préfet du Val de Marne. Véritables casse
têtes qui n’ont toujours pas trouvé de solution en 1982, et qui provoquent des
situations aberrantes et paradoxales quand il est question de faire de la
gestion et de la prospective pour l’hôpital et le secteur.
Nous
avions déjà évoqué, à propos des conceptions de G. DESHAIES et P. CHANOIT sur
l’institution psychiatrique comment s’était opéré le glissement vers un système
de rechange à celui de l’asile et de l’internement après la Deuxième Guerre
Mondiale. C’est en 1960 qu’apparaissait la circulaire, non publiée au Journal
Officiel, du 15 mars du Ministre de la Santé Publique, Bernard CHENOT,
« relative au programme d’organisation et d’équipement des départements en
matière de lutte contre les maladies mentales », et qui va donner le coup
d’envoi administratif à la politique de secteur psychiatrique.
Nul,
mieux qu’H. MIGNOT n’a su parler de « l’esprit de secteur » :
« L’esprit
de secteur, c’est d’abord le refus de la ségrégation du malade mental, le refus
de son exclusion ; nous sommes bien là dans la défense de la
liberté ; l’objectif, c’est d’aider le malade mental à garder s a place
dans la communauté des hommes et lui permettre, dans toute la mesure du
possible d’y restaurer son autonomie…
L’esprit
du secteur, c’est encore de ne pas isoler artificiellement le malade du
contexte dans lequel il vit et considérer que le trouble observé est la
résultante des interactions qui se jouent entre le malade et son environnement
…
L’esprit
du secteur tend à privilégier les prises en charge qui restaurent la
personnalité du sujet et non celles qui les écrasent ; c’est la lutte
contre la passivité et par conséquence la méfiance à l’égard des institutions
les plus tutélaires. La doctrine de secteur, ne l’oublions pas, est née de la
prise de conscience par les médecins que l’asile (même évolué en néo société si
tolérable que le malade ne demande qu’à y rester) demeure un instrument de
chronicisation.
L’esprit
du secteur enfin, c’est la méfiance à l’égard d’attitudes personnelles
impérialistes que favorise le travail solitaire, sans la nécessaire remise en
question qui s’impose à tout psychiatre. C’est pourquoi il prône un travail
d’équipe où, de par les rôles dévolus à chacun, personne ne risque de devenir
le petit mandarin d’une institution où il fait la loi hors de la critique des
autres… » (4)
A
cet « esprit du secteur » correspond dans la pratique la mise en
place d’un « dispositif », selon les termes de la circulaire de 1960,
« qui consiste à diviser le département en un certain nombre de
secteurs géographiques, à l’intérieur de chacun desquels la même équipe
médico-sociale devra assurer pour tous les malades, hommes et femmes, la
continuité indispensable entre le dépistage, le traitement sans hospitalisation
quand il est possible, les soins avec hospitalisation et, enfin, la
surveillance de post-cure ». Il est mentionné de surcroît qu’il
faut : « transformer corrélativement le rôle joué par
l’établissement psychiatrique, qui de plus en plus, devient un hôpital
spécialisé pour maladies mentales et non plus un « asile » où étaient
placées les personnes considérées comme dangereuses pour la société ».
En données chiffrées, le territoire géographique constitutif d’un secteur sera
organisé sur la base de 67 000 habitants.
Or,
l’implantation de cette politique réformiste sera des plus lentes et des plus
disparates, en fonction des départements, des établissements, des secteurs. On
pourrait parler, à l’instar de Marcel JAEGER d’un véritable « désordre
psychiatrique » (5), car tous les paradoxes sont cultivés : à propos
de la sectorisation on dénoncera caricaturalement la
« fliciatrisation », le « quadrillage » policier de toute
la population, quand d’autres y verront la fin de l’exclusion sociale du malade
mental, sa réadaptation et sa resocialisation. Au plan de la gestion, on
observera encore la double administration hospitalière et extra hospitalière
entrer en concurrence ; comme l’indique M. AUDISIO :
« On
demande en quelque sorte au secteur de compenser le manque à gagner des
hôpitaux… En d’autres termes, l’administration hospitalière qui gère le plus
souvent de fait la sectorisation tend à appliquer ses schémas de gestion
hospitalière dans le domaine extra hospitalier reprenant par là de l’autre main
l’économie financière du fait de la non hospitalisation. Ou encore elle tend à
confondre la rentabilité financière avec la rentabilité thérapeutique » (6)
Le
secteur se construit donc sur un terrain très conflictuel, au milieu des
contradictions, dans un climat aggravé par la crise économique qui se développe
avec insistance dans le courant de la décennie 1970 – 1980, les budgets ayant,
dans ces périodes de stagnation, de fâcheuses tendances à la restriction. Il se
construit aussi à partir d’une simple circulaire, non publiée au Journal
Officiel répétons-le, qui se double d’une autre émise à la même date publiée
elle, au Journal Officiel, « relative au plan directeur des hôpitaux
psychiatriques anciens », ce qui n’est pas sans ambiguïté car il s’agit tout en même temps d’en
terminer avec l’asile d’antan et à la fois de le moderniser !
« L’hospitalo-centrisme », selon le terme en usage, n’est pas mort.
D’autant que les préjugés sur la dangerosité et l’incurabilité de la maladie
mentale sont, eux bien vivaces, renforcés dans l’opinion publique par des faits
divers sporadiques. Les textes les plus importants concernant la sectorisation
seront rédigés en 1972, mais ce ne seront toujours que des circulaires, non des
Lois, dont les instructions ont surtout valeur de recommandation, d’où un cadre
juridique pratiquement inexistant. Ainsi : la circulaire N° 431 du 14 mars
1972 « relative au règlement départemental de lutte contre les maladies
mentales, l’alcoolisme et la toxicomanie » ; celle N° 443 du 16 mars
1972 « relative au programme d’organisation et d’équipement des
départements en matière de lutte contre les maladies et les déficiences
mentales des enfants et des adolescents », enfin la circulaire du 12
décembre 1972 « relative à la lutte contre les maladies mentales,
l’alcoolisme et les toxicomanies » qui recommande la création, à titre
consultatif, de « conseils de santé mentale de secteur » destinés à
l’estimation des besoins de la population, à l’évaluation des ressources en
personnels et en institutions afin d’en étudier l’utilisation optimale.
Il
n’est donc pas surprenant qu’au milieu de tous ces obstacles, l’E.N.B., qui
avait conservé si longtemps un statut dérogatoire tant au niveau administratif
qu’au niveau de sa clientèle de fondation, ait dû s’adapter à la politique
nouvelle, se restructurer totalement, non sans quelque mal.
Déjà
en décembre 1969, un service pour enfants arriérés profonds avait été ouvert,
construit au nord-est de l’établissement grâce au soutien de la Fondation Anne
De Gaulle, affecté ensuite en service d’hospitalisation de psychiatrie infanto
juvénile d’une capacité réelle de 45 lits.
Puis
à partir de 1972, dans le cadre de la sectorisation, s’opère une redistribution
des secteurs de psychiatrie générale de Paris. Sont de ce fait rattachés à
l’hôpital, et dotés d’un dispensaire sur chacun de leurs territoires
géographiques respectifs :
-
un
inter-secteur (7) de psychiatrie infanto juvénile sur le 11ème
arrondissement.
-
deux secteurs
de psychiatrie adulte sur le 11ème arrondissement,
-
deux secteurs
de psychiatrie adulte sur le 12ème arrondissement,
-
un secteur de
psychiatrie adule desservant Alfortville, Charenton et Saint-Maurice,
-
un
inter-secteur de psychiatrie infanto juvénile desservant Maisons Alfort,
Alfortville, Charenton et Saint Maurice.
Fonctionnent
donc à l’intérieur de l’établissement, depuis dix ans, cinq services de
psychiatrie adulte, un service de psychiatrie infanto juvénile, sans oublier le
service de gynécologie obstétrique (de 45 lits).
Deux
hôpitaux de jour ont été ensuite créés en 1977 : le centre Saint-Eloi sur
le 12ème arrondissement et le Centre Paul GUIRAUD sur le 11ème
arrondissement, disposant chacun de 40 places environ : le but étant ou
d’assurer une post-cure après la sortie des malades de l’hôpital, ou bien de
leur permettre de bénéficier d’une prise en charge intermédiaire, à l’occasion
d’une rechute pour éviter une hospitalisation à plein temps et une rupture
complète avec leur milieu habituel. Ces hôpitaux de jour, sans lits, sont
censés avoir des impératifs techniques d’équipement et une ambiance
institutionnelle, différents des services intra hospitaliers, encore faut-il
pour respecter leur vocation particulière que ce mode d’hospitalisation partiel
corresponde à une indication et à un projet thérapeutique vis-à-vis du malade.
Les
hôpitaux psychiatriques devenus par le décret du 6 décembre 1972 des
« Centres Hospitaliers Spécialisés » ont, comme nous venons de le
voir, des missions multiples et difficiles qui vont du diagnostic, du
traitement, de l’hébergement éventuel des malades mentaux, à l’enseignement, la
formation des personnels médicaux et para médicaux, ou encore à la prévention,
à l’éducation sanitaire et à la recherche médicale et pharmaceutique, comme le
préconisent les textes administratifs. L’E.N.B. de Saint-Maurice ayant perdu
son statut d’établissement national en 1970 et rebaptisé « Hôpital
ESQUIROL de Saint-Maurice » en 1974 comme nous l’avions précédemment
mentionné, n’échappe pas à ces objectifs parfois contradictoires, qui
augmentent la pesanteur d’une telle structure de soins.
C’est
pourquoi nous ne nous étonnerons pas que les services administratifs d’une
telle institution aient pris une extension certaine au long de ces vingt
dernières années, au risque d’être l’objet de critiques nombreuses : au 31
décembre 1958, 19 agents y étaient employés, alors qu’au 31 décembre 1981, 75
personnes y étaient en fonction, soit quatre fois plus.
Cela
indique, en tout cas, le gonflement énorme des affaires et dossiers
administratifs à traiter, qui a peut être à voir avec une bureaucratisation
galopante du service public, mais qui est sans doute en relation avec le
développement extra muros de l’hôpital, entraînant la gestion d’institutions
parallèles d’importance. L’asile n’est donc pas seulement un lieu de soins,
c’est aussi un lieu où se gèrent des biens, où se manipulent des matériaux (des
denrées alimentaires, au linge ou aux sacs de ciment…) où s’administrent des
affaires publiques par l’intermédiaire de fonctionnaires de plus en plus
nombreux, de techniques de plus en plus complexes jusqu’à l’introduction de
l’ordinateur.
Que
l’on mesure le chemin parcouru lorsque l’on nous a parlé du cheval qui, vers
1950, desservait en lait frais quotidien et en linge les pavillons ; ou
bien quand nous apprenons que le directeur en exercice à l’époque, Monsieur
MARAVAL (en fonction de 1945 à 1958) hésitait à doter le service des admissions
et des frais de séjour, d’une petite calculatrice mécanique dont il ne voyait
point l’utilité, y préférant les bienfaits du calcul mental ! (8)
NOTES :
1.
Du moins si
l’on s’en réfère à la définition qu’en donne le « Grand Larousse
Encyclopédique » en dix volumes (1961)
2.
Voir J.P.
GAUSSENS : « Histoire institutionnelle de la Maison de
Charenton » p. 141 à 146
4.
H.
MIGNOT : « Présentation de la psychiatrie de secteur ». Colloque
sur « Psychiatrie, droit et libertés » - Paris, 1972 in
« Psychiatries », 4, 1972, 50-54 Rapporté par Michel AUDISIO :
« La Psychiatrie de secteur » Privat -1980
5.
Marcel
JAEGER : « Le désordre psychiatrique. Des politiques de la santé
mentale en France »... Payot – Paris 1981 qui aborde avec pertinence les
contradictions qui gèrent historiquement la psychiatrie.
6.
Michel
AUDISIO : « La psychiatrie de secteur. Une psychiatrie militante pour
la santé mentale »... Privat – Toulouse 1980 p. 31
7.
« L’inter-secteur
enfants » doit correspondre à trois secteurs de psychiatrie générale pour
répondre aux besoins d’une population d’environ 200 000 habitants selon la
circulaire N° 148 du 18 janvier 1971.
8.
Remercions
Monsieur DUSSOURS, toujours à la tête des admissions, qui nous a donné des
informations sur la population et l’administration de la période que nous
venons d’étudier au cours de ce chapitre, nous précisant que « Monsieur
MARAVAL gérait d’une façon très stricte l’établissement, comme une petite
entreprise privée », ce qui lui permettait d’avoir le prix de journée
le plus bas de France, peut être aussi au détriment de certains postes et
d’améliorations.