Retour à l'accueil

Retour à Histoire


INTRODUCTION


Notre propos consiste à organiser une réflexion autour de la chronique de la vie d'un hôpital psychiatrique public, dont le renon a traversé les siècles et les imaginations, indissociablement liés à ce que tout un chacun peut véhiculer en lui de fantasmes et d'angoisses sur la folie et son traitement : Charenton.

L'établissement, adossé à la partie du bois de Vincennes qu'on appelle le plateau de Gravelle, est exposé en plein midi et s'étage vers la Marne, le long d'un coteau dont la pente est suffisamment forte pour que les bâtiments aient toujours été disposés en niveaux successifs pour bénéficier d'une vue dégagée et d'un bon ensoleillement.

Ses multiples dénominations nous introduisent directement au cœur de son histoire, qui s'inscrit dans celle des remaniements politiques et sociaux du pays : à l'origine Hôpital de la Charité de Charenton, l'établissement est devenu hospice de Charenton-Saint-Maurice, Maison Royale de Charenton, Maison Impériale de Charenton, Maison Maternelle de Saint-Maurice, Etablissement National de bienfaisance de Saint-Maurice et enfin aujourd'hui Hôpital National de Saint-Maurice. (1983)

Nous employant à établir " la chronique " (du grec chronos : le temps) de la vie de l'établissement, nous allons tenter de relater les faits non pas annalitiquement c'est à dire années par années, mais en mettant en exergue les mutations qui s'y sont produites, comme dans le champ de la psychiatrie en général, des pères fondateurs à la sectorisation contemporaine.

Au plan méthodologique, il ne sera donc pas question de faire un recensement exhaustif des évènements qu ont traversé l'histoire de l'hôpital de sa fondation à nos jours. D'autant que cette recherche est tributaire, entre autres, des documents d'archives que l'on nous a soumis et qu ont subi des dommages au fil des ans, des témoignages par essence subjectifs que nous avons pu collecter, enfin des défaillances dans notre propre mémoire et du caractère personnel et relatif de nos observations. Car nous avons nous-même participé à l'histoire de l'hôpital, de par notre pratique professionnelle en qualité de psychologue, et c'est de ce lieu privilégié " d'observateur participant ", comme le définit Pierre Bourdieu(1), dans " l'esquisse d'une théorie de la pratique "

" La connaissance ne dépend pas seulement, comme l'enseigne un relativisme élémentaire du point de vue particulier d'un observateur " situé et daté " prend sur l'objet, mais du fait même qu'en tant que spectateur qu prend un point de vue sur l'action, qui s'en retire pour l'observer, pour la regarder de loin et de haut, il constitue l'activité pratique en objet d'observation et d'analyse ".

que sont nées les interrogations à propos de cette institution où nous sentons si profondément impliqué. Cela explique pourquoi nous avons arbitrairement choisi d'illustrer l'histoire contemporaine de l'hôpital, à travers l'exemple du service où nous avions travaillé nous-même, en dépit du manque d'objectivité que cela entraîne.

Si nous avons pris le parti de la démarche historique, c'est que nous nous sentions placé, dans le présent, devant d'éventuelles mutations institutionnelles : projets de réforme hospitalière, de réforme des études médicales, recherche pour une " psychiatrie différente " (tel le rapport dit " Demay ", établi à la demande de Jacques RALITE, actuel Ministre de la Santé), etc… C'est aussi parce que l'institution psychiatrique dans son ensemble et l'entreprise thérapeutique étaient mises en cause régulièrement en termes manichéens du type : " il faut raser l'asile " versus " on ne peut le supprimer "…

Ces ambigüité, ces contradictions dans l'exercice de la pratique psychiatrique, la multiplicité des théories qui ont traversé le champ même de cette pratique sont liées aux contradictions auxquelles nous confronte la folie elle-même comme par essence toute production humaine. Il faut donc distinguer dans l'activité psychiatrique, " un savoir théorique " et " un savoir faire " ce qui renvoie à l'ouvrage du sociologue P. BOURDIEU, déjà cité.
G. LANTERI LAURA et L. DEL PISTOIA (2) l'énoncent d'ailleurs très clairement :

" Chaque psychiatre, mais aussi chaque institution psychiatrique réalise une certaine pratique, que l'on peut décrire, et qui, pour si originale qu'elle se prétend, renvoie toujours à des connaissances antérieures, à une réflexion sur elle-même, à des repérages médiats, qui constituent certains aspects de savoir du savoir-faire qu'est cette pratique ".

Le but principal de notre présente et très modeste étude est de montrer au travers des contradictions apparentes qui semblent régir inéluctablement la vie d'un hôpital psychiatrique, d'un " asile ", (au sens noble du terme), ce qui, au bout du compte s'inscrivant dans une perspective évolutive, constitue les rapports du savoir et du savoir-faire. En d'autres termes comment une telle institution, métabolise les apports extérieurs qu'ils soient socio-politiques, théoriques ou autres, se transforme et enfin remplie difficilement le plus souvent sa fonction soignante telle que sa vocation l'exigerait.

Notre discours ne se veut ni pamphlétaire, ni révolutionnaire, il est probablement teinté de plus grand empirisme et surtout ne peut prétendre apporter de brillantes solutions aux problèmes soulevés par le type d'institution étudiée, d'autres plus compétents se penchant sur la question depuis de nombreuses années. Insistons sur notre désir premier de ne pas tomber dans le piège du dogmatisme, qui nous ferait trancher entre soit-disant bons et soit-disant mauvais effets de l'institution sur la maladie mentale et son traitement. Notons enfin, qu 'il ne s'agit pas de porter un regard critique sur cette entité abstraite que serait " l 'institution " mais de reconsidérer le vécu des individus soignants et surtout soignés qui y évoluent, en essayant de repérer dans le temps quelques facteurs de changement et leurs répercussions dans la dynamique thérapeutique.

Citons G. SWAIN (3) qui s'inspire elle-même de Claude LEFORT (4) et qui nous conforte dans notre visée " restitutive " :

" Faire de l'histoire, ce n'est pas seulement exercer une suspicion systématique à l'encontre des témoignages du passé et particulièrement des opinions d'une époque sur elle-même, c'est parfois aussi aboutir à leur donner raison, à leur restituer une signification qui était venue à se perdre. "




Notes :

1) Esquisse d'une théorie à la pratique : page 160
" la connaissance ne dépend pas seulement, comme l'enseigne un relativisme élémentaire du point de vue particulier d'un observateur " situé et daté " prend sur l'objet , mais du fait même qu'en tant que spectateur qui prend un point de vue sur l'action, qui s'en retire pour l'observer, pour la regarder de loin et de haut, il constitue l'activité pratique en objet d'observation et d'analyse " (soulignés par l'auteur)

2) G. LANTERI LAURA et L. DEL PISTOIA : " les principales théories dans la psychiatrie contemporaine " Annales E.S.C. Paris 1981 Psychiatrie, 37006, A, 10.

3) G. SWAIN : " le sujet de la folie ", p.32. Coll. Rhadamanthe Privat, 1977 .

2 - L'institution