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PSYCHIATRIE...LEVONS LE VOILE




III. URGENCES ET PSYCHIATRIE DE LIAISON

Il y a bien des manières de concevoir et de pratiquer la psychiatrie de liaison et le traitement des urgences psychiatriques à l'hôpital général. Ces diverses manières dépendent étroitement du type de rapport entre équipe de psychiatrie et équipes MCO. Nous citerons ici Michel Minard (33) : " Les conditions mêmes de la création des nouveaux secteurs au sein des hôpitaux généraux auront une influence notable sur l'évolution culturelle des équipes en jeu dans ces créations. Ce n'est pas la même chose de quitter l'asile avec armes et bagages (psychiatres, infirmiers, lits et malades) pour intégrer l'hôpital général, que de s'y installer sans moyens aucuns. Dans le premier cas, l'équipe psychiatrie aura tendance à recréer sur place un mini-asile, mal greffé sur l'hôpital général, souvent en marge, quelque fois en conflit avec les équipes médico-chirurgicales. Au contraire, l'implantation préalable, comme l'avait baptisée Lucien Bonnafé, contraindra des équipes psychiatriques étiques à utiliser les ressources des équipes médico-chirurgicales et du réseau sanitaire et social local, favorisant ainsi une bonne intégration de la psychiatrie à l'hôpital général. Dans certains cas, l'implantation préalable entraînera au contraire un repli frileux et une position défensive, voire agressive, vis-à-vis des équipes somaticiennes, sensées avoir tous les moyens, mépriser les équipes psychiatriques et quelquefois vouloir s'emparer de leurs pauvres moyens. Dans les premier et troisième cas de figure, un fantasme réciproque est toujours à l'œuvre, de tonalité éminemment phobique : les psychiatres pensent les somaticiens plus savants et plus efficaces qu'eux, les somaticiens estiment que les psychiatres savent des choses qu'ils ne savent pas, peuvent faire des choses qu'ils ne peuvent pas faire, tout en mettant quelque fois en doute leur efficacité. Cette double incompréhension entraîne concrètement bien des malentendus, pouvant avoir des conséquences fâcheuses pour les équipes comme pour les patients. On voit bien au contraire que dans le deuxième cas de figure, une possibilité est donnée à chacun, à travers un mouvement volontariste de rencontre, de vaincre cette phobie et d'entamer sur le terrain une collaboration fructueuse.

Cette phobie, on l'aura compris, est en partie d'origine culturelle, dans la mesure où la psychiatrie et les disciplines médico-chirugico-obstréticales ont évolué chacune de leur côté pendant un siècle et demi, situation dont tous se sont parfaitement satisfaits. D'un côté on soignait l'âme, de l'autre le corps. C'est cette phobie qui est à l'œuvre chaque fois que les équipes psychiatriques redoutent de voir réduire leur spécificité au rang des autres spécialités médicales, de perdre un spécificité dont elles se gargarisent souvent sans être toujours capables de la définir, mais aussi chaque fois que des psychiatres décrivent de manière caricaturale la pratique des hôpitaux généraux, le système de pensée et les objectifs des somaticiens ; comme s'il n'y avait que les équipes de psychiatrie qui soient capables de prendre en charge l'homme dans toutes ses dimensions humaines. Mais c'est aussi une phobie de nature proche qui soutend les pratiques de rejet ou de mépris des équipes psychiatriques et des malades mentaux par certains somaticiens, les constructions de nouvelles unités psychiatriques par les autres services des hôpitaux généraux auxquels ils ont été rattachés. Vaincre ces phobies en miroir, tel devrait être l'objectif prioritaire de toute équipe psychiatrique qui s'installe à l'hôpital général. C'est un travail de longue haleine, qui demande de la part des personnels psychiatriques une patience, une ténacité et une présence réelle sur tous les terrains de l'hôpital général. C'est un travail qui nécessite que ces personnels aient de solides connaissances théoriques diversifiées et un personnel puissent montrer aux somaticiens une efficacité concrète dans leur champ de compétence. "

Comme nous l'avons déjà expliqué plus avant, notre pratique d'une psychiatrie à l'hôpital général ne se résume pas à la conception décrite par R. Zumbrennen (34) : " La psychiatrie de consultation de liaison peut-être définie comme une partie de la psychiatrie qui s'occupe des troubles psychiatriques se manifestant chez les patients des autres disciplines médicales. En fait, dans la majorité des cas, il s'agit plus de difficultés psychologiques secondaires à une affectation physique que de véritables troubles psychiatriques ". Cette psychiatrie-là fait bien partie de notre pratique, mais elle n'en est qu'un élément.

La psychiatrie que nous avons effectuée depuis la création du secteur dans les services somatiques du C. H. de Dax était en effet de deux types :
- une psychiatrie de liaison, telle que la décrit Zumbrennen,
- une psychiatrie d'hospitalisation de nos patients psychiatriques dans des lits MCO
- et une psychiatrie d'urgence.

Michel Minard raconte ainsi (33) ses premiers contacts avec ses confrères somaticiens : " Le plus pressé de voir partir les malades mentaux à l'hôpital psychiatrique était le chef de service de cardiologie. Petit homme affable et facilement effrayé, il me conduisit au bout de son service, pour me faire admirer, sous un escalier, une cellule capitonnée. " Vous reconnaissez ? " me dit-il. Je n'osais pas lui rétorquer que je n'en avais vu jusque-là qu'au cinéma et dans les bandes dessinées. " J'avais fait construire ça, continua-t-il, il y a quelques années, pour y mettre les urgences psychiatriques de mon service, afin qu'ils ne fassent pas mourir de peur mes patients infarcis. Mais, malheureusement, on m'avait fait le fenestron trop grand. Alors, une nuit, un fou a voulu en sortir. Il a passé un pied et la tête en même temps par ce fenestron. Et on l'a retrouvé mort, étranglé, au petit matin. Depuis on ne l'utilise plus que pour ranger les balais ". Cette ultime phrase ne laissa pas de m'inquiéter : la place qui me serait donnée à l'hôpital de Dax pour soigner les malades mentaux ne serait-elle donc, comme le prophétisaient mes collègues de CHS arguant d'expériences antérieures, que l'espace d'un placard à balais ? L'avenir allait nous le dire "

Au discours d'accueil des somaticiens qui l'invitaient fermement à les débarrasser des malades mentaux dans les plus brefs délais, il répondit très favorablement, en bon politique, sans jamais leur dire que son intention était précisément inverse. Il a donc, pendant un an de solitude, répondu aux vœux de ses confrères : expédier au plus vite à l'asile les fous qui franchissaient le seuil du service d'urgence, sans avoir l'air de trop se poser de questions.
Puis petit à petit, en commençant par les plus paisibles, nous avons hospitalisé nos patient dans les lits de médecine, jusqu'à pouvoir hospitaliser des schizophrènes ou des patients porteurs de troubles thymiques, avec une certaine facilité, et un grand appui des équipes somaticiennes.

Pour bien illustrer le fait que la psychiatrie, avec tout ce qu'elle représente de dérangement possible d'un ordre médico-chirugical apparemment strict, fait véritablement partie de la culture de notre hôpital et de son histoire, voici deux historiettes.

- Michel, jeune schizophrène de trente ans, que nous traitons depuis bientôt quinze ans, quand il se sent trop envahi par ses voix, trop menacé par une dissociation ravageuse, demande à passer une semaine dans un des services de médecine de l'hôpital, celui où l'on traite les maladies infectieuses, les sidéens et les toxicomanes. Il se sent chez lui. Il n'y a pas lieu de modifier sa thérapeutique chimique : le service lui-même, ses murs, son personnel qui connaît bien Michel et l'aime bien, ont un rôle anxiolytique, restructurant et anti-hallucinatoire très efficace. Lors d'une de ces hospitalisations, Michel, qui veut se rendre utile, s'installe dans le hall d'entré de l'hôpital, au pied des ascenseurs et indique les étages des différents services aux utilisateurs des ascenseurs, patients ou familles des patients. Les ascenseurs sont tous proches de l'entrée des locaux de la direction. On s'inquiète de la présence de ce schizophrène entreprenant, on téléphone au service de médecine, puis au secteur de psychiatrie générale. Les réponses se veulent rassurantes. Le directeur du personnel va discuter avec Michel. En quelques jours toute l'équipe de direction connaît son nom et son prénom ; on le salue, on lui offre éventuellement un café à la cafétéria toute proche ; et plus personne ne s'inquiète de la présence de ce grand escogriffe au pied des ascenseurs.

- Renée, grande schizophrène devant l'Eternel, avec un long passé asilaire dont elle a bien du mal à se défaire, alors qu'elle est hospitalisée en gastro-entérologie pour une rechute très anxiogène, met le feu à son lit. Il faut évacuer entièrement le service. Nous sommes consternés. Depuis si longtemps que nos hospitalisations de psychotiques se passaient bien, voilà le pépin tant redouté ! Faisant profil bas, nous expédions Renée à l'hôpital psychiatrique voisin, sans demander notre reste. Le lendemain, l'équipe de gastro-entérologie, chef de service en tête, nous convoque. Elle s'étonne. " Pourquoi avez-vous expédié Renée à l'asile sans nous demander notre avis ? Après tout, ce n'est votre malade, c'est aussi la nôtre. Si elle a mis le feu ce n'est pas seulement de votre faute. Nous y sommes peut-être aussi pour quelque chose ". Quelques jours après, à la demande impérative de cette équipe, Renée réintègre, penaude, le service de gastro-entérologie, où elle est entourée, consolée, déculpabilisée et choyée.

Ces deux petites histoires montrent bien, à notre avis, le caractère extrêmement positif pour les patients de l'intrication de ceux qui sont censés s'occuper du corps et de ceux qui sont censés s'occuper de l'esprit, lorsqu'ils travaillent dans le même hôpital général.
Cela demande simplement, de part et d'autre, un peu d'ouverture d'esprit, pas trop de peur, une certaine application et, bien sûr, du travail.

Suite....


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