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Faut-il brûler les diagnostics infirmiers ?
Et pourquoi pas Papillon ou libellule ?

Quand c'est trop c'est trophico
Un chiffon rouge
Et que vive le débat !



On l'a échappé belle !

Quand c'est trop c'est trophico !

En 1966, Myra Levine tentait de faciliter l'acceptation et l'utilisation du diagnostic infirmier en proposant de lui substituer le terme " trophicognostic ". Le trophicognostic désignait une approche scientifique aboutissant à la planification et à la prestation de soins infirmiers. Le mot trophicognostic, forgé du grec " trophikos techne " : " l'art des soins infirmiers " et du suffixe " gnostic " : " connaissance de " était défini comme un " jugement clinique porté sur les soins infirmiers à administrer, auquel on parvient par une méthode scientifique ".

Ce terme de trophicognostic ne fut malheureusement pas retenu. Et c'est dommage. On n'a pas si souvent l'occasion de rire.

Quand c'est trop, c'est trophico !

Il n'en reste pas moins qu'il faut bien employer un mot pour nommer le jugement clinique infirmier lorsqu'il ne se réfère pas au rôle délégué, lorsqu'il ne décrit pas les actes techniques prescrits par le médecin, lorsqu'il ne correspond pas à l'anatomie, à la physiologie, à la pathologie.

Ne pas le nommer, c'est considérer l'infirmier comme un simple exécutant des prescriptions médicales, c'est ignorer une part essentielle de la prise en charge du patient, c'est fournir des arguments imparables aux gestionnaires responsables des restrictions budgétaires.

Ce qui n'a pas de nom n'existe pas et ne peut donc se justifier en termes comptables.

Un chiffon rouge

Après bien des discussions, les infirmières anglo-saxonnes utilisèrent le terme de diagnostic infirmier. Il est évident que de tous les mots possibles, celui de " diagnostic " était le plus connoté, le plus sensible, le plus emblématique, celui qui provoquerait le plus de réactions. Revendiquer un " diagnostic " infirmier, c'est comme agiter un chiffon rouge sous les naseaux d'un taureau. L'image n'est pas innocente. Des esprits critiques que la psychanalyse sauvage n'effraie pas remarqueront que s'attribuer le mot " diagnostic " lorsqu'on est une femme c'est un peu comme s'emparer du phallus, comme tenter de castrer le taureau. Les réactions médicales ne se firent pas attendre. Ils en appelèrent aux cendres d'Hippocrate et de tous les aesclepios de l'Ile de Cos.

Il n'empêche que c'est un médecin, le Dr. Lester King, qui permit de faire sauter le verrou dans l'article " What is a diagnostic ? ". Le Dr. King y réfutait le raisonnement voulant que le diagnostic soit la chasse gardée des médecins : " Même si un diagnostic comporte généralement des connotations d'ordre médical, celles-ci ne sont pas essentielles à la formulation du diagnostic; les activités qui permettent de formuler un diagnostic ne sont pas uniques au domaine médical. "

Aujourd'hui, en France, la notion de " diagnostic " infirmier, importée des Etats-Unis, sans aucun travail d'élaboration, est toujours un sujet tabou pour l'ensemble des professionnels de santé. Il n'est pas de formation à la démarche de soins sans interpellation du formateur sur ce sujet.

Je réponds en général : " Appelez-le papillon ou libellule si çà vous chante, mais arrêtez-vous au sens clinique et professionnel de ce que le mot signifie. "

Ce n'est pas parce qu'il existe des infirmières " précieuses ridicules " que la démarche à laquelle se réfère le diagnostic infirmier doit être ignorée. Ce n'est pas parce qu'infirmiers et infirmières veulent jouer au docteur qu'il faut cesser de s'interroger sur la démarche de soins.

Les infirmières anglo-saxonnes ont eu le mérite de tenter de décrire leur pratique, de la conceptualiser. Il est possible d'être en désaccord avec le produit de cette réflexion, il n'est pas possible de l'ignorer. Nous le pouvons d'autant moins que le décret du 15 mars 1993 précise que relèvent du rôle propre infirmier les soins infirmiers liés aux fonctions d'entretien et de continuité de la vie et visant à compenser partiellement ou totalement un manque ou une diminution d'autonomie d'une personne ou d'un groupe de personnes.

Dans ce cadre l'infirmier a compétence pour prendre les initiatives qu'il juge nécessaire et accomplir les soins indispensables. Il identifie les besoins du patient, pose un diagnostic infirmier, formule des objectifs de soins, met en œuvre les actions appropriées et les évalue ... Il est responsable de l'élaboration, de l'utilisation et de la gestion du dossier de soins infirmiers.

Etre infirmier, c'est donc aussi poser des diagnostics infirmiers (que cela nous plaise ou non !).

Et vive le débat !



Que ces diagnostics infirmiers et les théories de soins qui en découlent soient essentiellement d'origine nord-américaine c'est-à-dire d'une culture d'origine protestante marquée par le rapport direct à Dieu, qu'ils soient peu adaptés à une culture latine caractérisée par un catholicisme qui met la confession au centre des pratiques religieuses n'a pas arrêté le législateur. C'est pourtant un lieu commun de rappeler que nos pratiques soignantes doivent beaucoup à une religion qui installe le prêtre comme intercesseur entre Dieu et les hommes, et qui repose sur le secret de la confession comme la médecine repose sur le secret médical. Pour de très nombreuses infirmières, la proximité relationnelle impliquée par la démarche de soins est tabou : elles ne peuvent " confesser " le patient.

Qui fréquente les unités de soins réelles, qui ne se contente pas de recueillir le témoignage des cadres-infirmiers supérieurs ou des infirmières générales se rendra compte que l'utilisation de la démarche de soins et des diagnostics infirmiers relève plus de l'exceptionnel que du quotidien. Si la démarche de soins était aussi fréquente, on ne compterait plus les articles, ni les livres publiés. Nous en sommes terriblement loin. Les infirmiers se taisent mais n'en pensent pas moins.

Les pets retenus finissant toujours par provoquer des abcès, il faut échanger, provoquer le débat, fourbir les arguments, polémiquer autour des diagnostics infirmiers. Tout argument peut-être recevable s'il est étayé sur des éléments cliniques. Disputer sur les diagnostics infirmiers (ou papillon, ou libellule) c'est élaborer, conceptualiser sur la pratique infirmière, sur la relation soignant-soigné, sur la place des soins infirmiers aujourd'hui dans le système de santé.

" Et pourquoi pas papillon ou libellule ? " se veut un espace d'échange, de réflexion, de formation, de débat, de polémique sur la démarche de soins et sur les diagnostics infirmiers.

Voir aussi "Faut-il vraiment brûler les diagnostiques infirmiers?"

P.S. J'invite les infirmières canadiennes et américaines à nous faire parvenir les rapports de validation des diagnostics infirmiers. Nous les publierons sur le site. Ainsi chaque infirmier internaute pourra se rendre compte par lui-même de leur validité.

 


nous contacter:serpsy@serpsy.org