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"Évolution de la fonction infirmière:
entre affirmation clinique et dérive gestionnaire"

 

Introduction

Le monde de la santé à évolué sur 3 axes principaux:

1/ Le développement constant d'informations mises à disposition des populations, elles-mêmes de plus en plus demandeuses.

2/ La rationalisation socio-économique des coûts en matière de santé.

3/ La participation des usagers.

Dans le même temps la médecine, en raison des progrès techniques, est devenue très spécialisée entraînant ainsi une médicalisation de tous les services de soins et un développement très important des modes opératoires. Tout ceci a des effets signifiants sur la psychiatrie.

Parallèlement nous assistons au développement d'un fort courant psychosocial qui atténue peu à peu les frontières entre le secteur sanitaire et le secteur social. Ainsi, la psychiatrie sort petit à petit de son champ exclusivement clinique.


Concernant les professionnels

Le parcours historique des infirmiers en psychiatrie les a amenés d'un statut de gardiens à une fonction de soignants. Cela est dû au développement progressif de leur travail clinique construit sur les formations, l'expérience et la conceptualisation de leurs pratiques.

Cela a eu 2 conséquences. D'une part, une identification plus importante de la profession et d'autre part la recherche d'une plus grande reconnaissance sociale par le statut, le salaire et la promotion. Cela a également permis un positionnement institutionnel plus fort. À titre d'exemple, depuis 1991 les infirmiers généraux sont membre de l'équipe de direction des hôpitaux.

Tout cela à modifié la place des soignants dans le système de soins en psychiatrie et a fait passer ceux-ci d'un statut d'exécutant à une capacité de décision, confirmée par la réglementation dont par exemple le décret de compétence du 17 juillet 1984 modifié en 1993. Mais cette évolution ne se constate pas encore partout malheureusement !

La place des infirmiers est malgré tout prépondérante pour 4 raisons:

- La qualité de leur travail clinique

- Le temps passé auprès des malades

- Leur nombre, car leur catégorie professionnelle est la plus représentée dans la discipline

- Leur rôle situé à l'articulation des différents professionnels du secteur.

Ils influencent ainsi considérablement les situations de soins. Leur évolution se caractérise donc par une affirmation de leur pratique clinique, par l'évolution de leur formation et par le développement de leur activité dans le champ social. On constatera également des difficultés de positionnement par rapport aux autres acteurs du champ de la santé mentale. Mais à ce propos ils ne sont pas les seuls et les problèmes de positionnement relatifs aux rôles, aux fonctions et aux missions deviennent fréquents et provoquent même des difficultés de repérage pour les malades.

Leur position s'est également modifiée par rapport à l'évolution socio-économique.

La réactivation des modèles biologiques influence les pratiques.

- Les modes opératoires sont privilégiés et l'organisation des soins est de plus en plus centrée sur la production d'actes. De plus, ces actes doivent être quantifiés, évalués, et bientôt accrédités.

- Les infirmiers sont soumis à cette pression et sont amenés à comptabiliser quotidiennement leur activité, à établir des études de charge de travail les plus exhaustives possibles, de nombreux protocoles, certes, destinés à préciser l'action entreprise mais souvent au détriment de la pensée et de l'appréciation globale et collective des situations.

Or ceci est fondamental pour la psychiatrie car à chaque soin correspond une situation de soin et à chaque situation de soin correspond une situation de vie. On constate donc:

Une évolution des pratiques que l'on peut résumer en 4 étapes:

1-Une fonction de gardien, d'exécutant à compétence limitée et dans une grande dépendance vis à vis du corps médical.

2-Une fonction de surveillance et d'observation introduisant progressivement un rôle de soignant avec une formation développée, une compétence élargie et une capacité de décision étendue dans les faits et dans la réglementation en vigueur.

3-Une position de thérapeute, de clinicien acquise par la formation continue, par des formations de 3ème cycle de plus en plus nombreuses, par un effort de conceptualisation des pratiques, par le développement de la recherche en soins infirmiers, par les apprentissages en matière de relation duelle et par la participation aux psychothérapies.

4-Un rôle de plus en plus situé en articulation avec le champ médico-social

Une évolution du positionnement social des infirmiers dans le dispositif de soins La volonté de reconnaissance sociale est légitimée par l'amélioration des formations et des compétences. Elle débute dans les années 70 et se développe jusqu'à la révolte de 1988 et son slogan célèbre "Ni bonnes, ni nonnes, ni connes" qui rappelait que les infirmières n'étaient pas les servantes du corps médical (ni bonnes), qu'elles ne faisaient pas toutes ce métier par vocation, donc désintéressées (ni nonnes) et que les infirmiers pensaient et réfléchissaient aussi (ni connes).

Mais cette volonté de reconnaissance s'est en partie construite par comparaison avec le corps médical où le souhait d'identification n'est pas à exclure.

Ainsi, les médecins avaient un dossier médical, les infirmiers ont un dossier de soins infirmiers. Les médecins avaient un diagnostic, les infirmiers ont un diagnostic. Les médecins avaient la prescription, les infirmiers vont bientôt l'obtenir en partie, en France comme l'a indiqué récemment le Ministre de la Santé.

Les formes que prennent cette volonté de reconnaissance représentent, pour moi, un certain nombre de dangers:

- La recherche du pouvoir sous la forme décrite plus haut risque de nous faire abandonner notre fonction clinique, au sens de la pratique des soins qui représente l'aspect fondamental de notre exercice professionnel.

- Nous assistons à l'émergence de dérives corporatistes car si cette reconnaissance se situe en regard du corps médical elle se situe également dans la revendication de différences au sein même de la profession. A titre d'exemple il existe actuellement plus de 170 associations infirmières en France. Alors qu'il serait souhaitable de rechercher le plus grand dénominateur commun qui servirait de base, de plate-forme pour la promotion de nos pratiques. Il s'agit là d'un manque de maturité encore très fort, d'une sorte de crise d'adolescence qui d'un point de vue historique se comprend très bien mais qu'il va falloir dépasser.

A ce titre l'exemple suivant est assez frappant : les deux possibilités de promotions ultimes pour les infirmiers français sont soit de devenir directeur d'établissement de soins par voie directe, soit d'intégrer directement la 2ème année de médecine. Autrement dit de quitter la profession !

La priorité donnée aux modes opératoires et la situation de rationalisation socio-économique de la santé poussent les institutions à installer les infirmiers dans des logiques de gestion dans lesquelles une partie non négligeable des soignants trouve une satisfaction, voire une source de motivation à la reconnaissance sociale et à la recherche d'une forme de pouvoir. Mais ceci ne peut se faire que par substitution aux pratiques cliniques.

Cela est particulièrement vrai pour l'encadrement dont la formation et les missions sont de plus en plus axées sur les procédures de gestion. L'explication en est simple. Pour s'assurer d'une mise en place efficace de ses décisions en matière de gestion, les institutions doivent le faire au plus près du terrain. Alors quoi de plus simple pour y parvenir que d'orienter la fonction et les missions des cadres infirmiers dans ce sens.

Les cadres infirmiers, certes pas tous fort heureusement, tendent à se transformer en managers tout terrain, centrés sur l'opératoire.

Mais alors, si l'essentiel de l'activité d'encadrement est consacré à la gestion, comment rester garant de la qualité des soins, qui plus est dans un domaine comme le notre où la compréhension des situations de soins est, doit être déterminante pour chaque membre de l'équipe.

Cette compréhension clinique devant être facilitée, soutenue par l'encadrement. L'aide à penser serait alors en régression, au bénéfice de l'aide à faire, à produire.

À ce propos il faut d'ailleurs souligner un nombre d'études et de rapports de plus en plus important attestant de l'épuisement de l'encadrement dû à la pression institutionnelle qu'ils subissent.

Il faut enfin insister sur le fait que cette évolution professionnelle est très dépendante de l'influence anglo-saxonne perceptible dans les pratiques mais aussi dans les différents courants et concepts théoriques.

L'avenir :

L'avenir peut se présenter sous deux formes. Soit les infirmiers qui travaillent en psychiatrie demeurent avec les psychiatres, le pivot du dispositif de soins et facilitent l'articulation des différents acteurs autour des projets collectifs. Soit d'autres intervenants prennent progressivement leur place en raison d'un coût salarial plus faible.

La psychiatrie est politique. C'est donc des choix politiques de chaque intervenant et des pouvoirs publics que dépendra l'avenir des soins.

En conclusion

1- Il y a une réelle nécessité de réaffirmation de la fonction clinique sur des références culturelles communes. A ce titre une spécialisation pour les soins infirmiers en psychiatrie me semble être incontournable.

2- Il faut désinstitutionnaliser l'activité et les pratiques infirmières d'une part et les pratiques médicales d'autre part.

3- Il devient indispensable que chaque infirmier travaillant en psychiatrie se positionne comme acteur du champ social dans une dimension de santé publique et en articulation (comprise, admise et non subie) avec les autres catégories professionnelles. Pour cela il est nécessaire de clarifier les logiques de pratiques de réseaux et qu'il y ait une identification précise des rôles, fonctions et missions de chaque intervenant.

4- Il serait souhaitable, voire urgent de déterminer une plate-forme commune à minima européenne sur ces différents points tout en identifiant précisément les niveaux de difficultés rencontrés.

Voir aussi: Congrès ACISM 2000

Ce n'est qu'à ce prix qu'un malade pourra être reconnu d'une part comme un sujet souffrant, d'autre part comme un sujet citoyen.

Marc Livet
Cadre infirmier
Président de l'ACISM
Trieste le 22 février 98

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