Un samedi férié dont l'ambiance ne rappelle ni celle d'un samedi, ni celle d'un férié. L'attention, la tension, la fébrilité sont aussi palpables que n'importe quel jour de semaine.
Quoi de neuf depuis six jours, sûrement pas grand chose côté chambre d'isolement. En effet le dossier spécifique consacré à ce soin spécifique gît sur la table devant mon premier verre de caféine et l'étiquette Dymo sur sa tranche indique en lettre blanches sur fond rouge le même nom que le Week-End précédent. Pas grand chose non plus côté effectif, c'est plein. Trois sorties, deux entrées, un retour, le temps semble s'être écoulé à vitesse géologique.
Cinq permissionnaires, trois jusqu'à demain, deux pour la journée, c'était pour les bonnes nouvelles. Un autre clop et un deuxième verre de café va accompagner les mauvaises. Ça va plus mal pour certains, c'est toujours aussi pire pour d'autres, quant à la grande majorité ils sont dans le non dit, le rituel non évènementiel . Pendant ces échanges je feuillète le dossier de la chambre de force.
Aujourd'hui je me serai en toute bonne foi insurgé contre un fait et j'aurai en toute bonne foi contribué à le perpétuer. Elle a encore bouffé un matelas, la mesure de contention venait d'être levée peu de temps avant et elle a encore clashée. Il a fallu appeler des renforts, il y a eu violence. Elle a été remise en isolement, sans matelas, juste une couverture sur le plateau en fer galvanisé du lit scellé. Ça me révolte, je me révolte, pas de matelas, mais qui peut se reposer, récupérer, se soigner sur un lit de fer. Qu'espère t'on, qu'attend t'on.
L'équipe du matin prolonge, il s'agit aussi d'évoquer les problèmes des collègues, le deuxième pot à café en viendra à bout. Ou en sont la pétition et les démarches pour soutenir la stagiarisée que la hiérarchie essaye de virer, comment va une autre qu'on menace de sanctions si elle ne prend pas sa retraite. Au deux bouts de la carrière les menaces et les sanctions tombent. Ça élague, ça épure. Dire qu'autrefois les anciens prenaient six mois de maladie pour gérer le deuil de leur activité. D'aucuns évoquent une récente émission télé sur le harcèlement moral en établissement des similitudes avec les situations qui nous touchent. Seule différence, pour l'instant les victimes sont entourées soutenues par leur équipe, mais tout le monde craint d'affronter ce jusqu'ou faudra t'il aller pour que la situation redevienne plus saine. Tout le monde craint de perdre sachant ce que cela impliquerait.
Et puis c'est l'avalanche des demandes, en pénétrant enfin de plein pied dans l'univers du quotidien, du bas de l'escalier qui dessert la salle de repos du personnel à la salle de soins le puzzle à fini de s'assembler. le temps géologique s'est mué en un présent perpétuel de sollicitations urgentes et sans cesses différées. L'art premier des intervenants en unité psychiatrique est devenu essentiellement celui de convaincre l'autre d'attendre calmement de renoncer paisiblement aux soins qu'il nécessité, pendant qu'il essaye de parer à l'urgence. Mais que faire quand à force de différer tout devient urgent et d'une impérieuse nécessité, que faire quand tout le monde prend conscience que seul le fait de perturber l'entourage permet d'attirer son attention.
Peu de gens ont conscience du Maëlstrom psychique engendré dans une collectivité psychiatrique. Chacun en subit les effets. Addiction, névrose, psychothérapie, activisme, somatisation, avec ce cocktail de cinq éléments différemment dosés selon l'époque, vous pouvez faire le portrait de chacun des soignants. L'indifférence affective est un élément plus récent à ranger plus du côté de la psychose et qui frappe plus particulièrement certains cadres déjà pétris de rationalisation.
3h45 du matin, ça va mieux, maintenant je vais dormir, a bientôt.
Demain, tout à l'heure je règlerais ce foutu problème de matelas!