Mi-octobre 2000 Ecrire, taper sur un clavier en l'occurrence, me renvoie pour ce texte à quelque chose de l'ordre de la bascule qui s'opère dans la construction du discours sur les divans de la psychanalyse. Je souffre actuellement de schizophrénie caluminique, bref à force de devoir adapter mes écrits à leur adresse, tracts, observations infirmières, rapports divers, notes interne, edito, article, compte rendus, …, je ne sais plus comment exprimer ce que je ressens réellement.

D'abord une urgence, cette page blanche m'inspire une sensation d'urgence. Imaginez vous projetés dans le temps, dans un passé proche, dans la peau d'un étranger en centre de rétention qui vient d'apprendre qu'il sera expulsé demain matin via les états unis sur le Titanic. Comment et qui convaincre sans passer pour un fou. D'abord qui convaincre, je suis un sans papier, détenteur d'un diplôme caduque, ISP et tant pis pour ceux qui ne connaissent pas cet acronyme de toute façon ce n'est plus un diplôme c'est devenu un symbole. Il suffit d'ailleurs de retourner l'ISP pour en faire un PSI, pour "l'enflouir" dans la nébuleuse du psy. Je trouve vaines de sens les tentatives régulières qui visent à faire des infirmiers de psychiatrie des spécialisés. Cela me convient bien mieux de nous identifier experts. Ce n'est pas la référence à l'enseignement de base qui prime, c'est la façon de la restituer en soins, de métaboliser pour être. Le titre infirmier ne délimite qu'un champ, l'expertise renvoie à la façon dont on le cultive. Loin, bien loin d'en être à cette état c'est la survie du soin en psychiatrie qui me préoccupe le plus pour l'instant, et de ma position symbolique d'ISP j'ai envie de hurler que la qualité des soins empire, que c'est avant tout d'un manque de moyens, que de plus en plus de gens souffrent de cette dégradation des soins et que tous ceux qui le vivent au quotidien le savent. Que fait on au quotidien sinon parer au pire, esquisser des prises en charges impressionnistes, boucher les trous d'une digue qui ne demande qu'à rompre. Décidément les métaphores sont aquatiques mais les jeux d'eaux sont tellement intriqués à la culture intra hospitalière…

Vous êtes en train de noyer le poisson me susurre une voix qui se penche vers mon oreille droite.

Ben oui il y a urgence, combien sont balancés régulièrement en sortie définitive sans accompagnement de l'extra comme de l'intra alors qu'il sont toujours sur des problématiques hautement pathogènes. Des taux de remplissages autour de 90%, ça doit chanter ça aux oreilles de nos argentiers. Mais au fin du fin ce sont les stratégies de contention qui prennent le dessus.

Qu'importe le traumatisme infantile qui fait que ma personnalité est sensible à toute forme de contention, ce qui compte ici c'est la mesure du réel de la dégradation des soins. c'est d'en déterminer les causes et d'intervenir au plus prés de la source.

Fin octobre 2000

10 jours se sont écoulés et ma sourde colère s'enfle. Je sors de la lecture de ma copie disquette d'une sélection d'articles de SERPSY. Bête que j'ai été de vouloir décompresser de mon après midi de psy sur le site des confrères et sœurs. Con nous le sommes en préfixe quand il vient du "cum", et nous le restons dans ces individualités juxtaposées du site. Mais demain combien de visiteurs auront copiés de pages du site, qui pour diffuser une pétition sur sa boîte, qui pour alimenter un groupe de travail, qui pour faire connaître l'actualité à travers son réseau syndical ou associatif, qui tout seul avec son imprimante et la photocopieuse du service.

S'il y a bien une chose que j'ai retenu de l'histoire du collectif de mobilisation en psychiatrie, c'est la puissance mobilisatrice de l'écrit.

C'est inscrit même dans l'histoire des ISP. (ce qui va suivre répond en annexe à quelques interrogations perçues sur le site).

Il était une fois les coordinations infirmières et un monceaux d'insatisfactions enregistré à l'issue de ses luttes. Il était une fois des infirmiers psy habitués au sort que subissait leurs revendications spécifiques lors des luttes infirmières, à savoir l'enfouissement dans le trou noir de l'inconscient collectif, et qui pensèrent à s'organiser en réseau à l'issue de ces luttes. Ce réseau s'étoffa et finit par se condenser en une série de réunions dans le sein de l'école des cadres du centre hospitalier spécialisé de bordeaux. Ces "colloques de Bordeaux" donnèrent naissance aux "réquisits de formation en psychiatrie". Deuxième acte de la tragédie, unité de temps et de lieux, suite à l'appel de St Anne en 93, le collectif national de mobilisation en psychiatrie éclos à …..Bordeaux, donne rapidement naissance à une flopée de collectifs locaux et bouscule en moins d'un an les barrières politiques et syndicales pour finir par s'imposer dans le bureau de la ministre et obtenir en Octobre 94 par Arrêté ministériel l'exacte restitution de leur revendication initiale. Troisième acte, le réseau se déchire, la haute administration reprend le dessus commence par enterrer puis mettre en pièces l'Arrêté.

Même si la fin provisoire semble tragique, la mobilisation reste en substance une source de leçons extraordinaires et significatives de l'être soignant du secteur psychiatrique. Durant cette période nous nous sommes organisés malgré le désaveu et parfois même le frein des organisations syndicales conventionnelles. Nous avons fait prospérer et entretenu un réseau fluctuant de réflexion et d'action permanent sans jamais recourir à la nécessité de se figer dans un statut. Sans secrétaires ni présidents, juste avec des portes paroles et des mandats d'assemblés générale remis en délibération à chaque nouvelle assemblée. Autour de ces collectifs toutes les formes de compétences ont été sollicitées. L'écriture des textes et des argumentaires, leur diffusion a démontré l'étendue de ces ressources. Et toute cette complexité s'est montré efficace en bousculant le réel administratif de la profession d'une façon telle qu'aucune autre lutte n'y était arrivé.

Imaginez alors la puissance que les particules qui entourent les particules qui s'agrègent pour un temps à ce site peuvent développer en se polarisant en chœur sur les mêmes observations, comprenant qu'il ne sont pas isolés.

Et qu'ils comprennent que Nogent le Rotrou ça se passe prés de chez vous, qu'à quoi bon lire Dejours pour fermer les yeux sur la réalité, qu'à quoi bon savoir si c'est pour n'en rien faire. Que si toute la profession qu'elle soit déheu ou psi, quelle soit aussi A.S.H. ou psycho, A.S ou A.S., bref quelques soient les témoins direct de la mise en scène des soins, si tous commençaient à montrer de l'intransigeance, exiger comme à Nogent d'être des humains aux service du soulagement des souffrances d'autres êtres humains confiés à nos soins certains murs commenceraient à se fissurer.

Et voilà comment pour se reposer d'une aprème de travail on finit à 3h40 devant un moniteur.