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Emogramme 7

Je ne sais pas si je vais bien vous le traduire, mais je suis de bonne humeur.

Après un semaine de relative pause j'ai repris le chemin du pavillon Lacan.

Avec le sourire j'ai enfilé mes trois premiers cafés. Tout en suivant les conversations je me suis plongé dans le classeur des observations, toujours en souriant.

Toujours avec le sourire j'ai appris que Mlle Bru au pavillon d'à côté avait détruit la chambre d'isolement, qu'elle se trouvait en lit chambre d'accueil dans un autre service, et qu'il était bien entendu envisagé son transfert en UMD.

Toujours souriant j'ai aimablement déclaré ce que je pensais de cette succession d'âneries. et le message est agréablement passé.

Une fois le reflux de l'équipe de matin accompli je me suis calmement trouvé confronté à quatre tâches simultanées. Mr Durrouy attendait après moi pour rédiger une lettre de soutien à sa demande d'augmentation d'argent de poche destinée a son tuteur, un collègue attendait pour discuter de la ligne de défense qu'il devait apporter à une équipe en grande difficulté reçue en audience par le directeur, une autre voulait des renseignements urgents sur un point particulier du droit à congé et enfin la pharmacie demandait tout aussi en urgence de régler un problème très spécialisé de dosage de médicaments.

Sans avoir encore quitté la salle de repos l'exigence me cernait.

Toujours zen, je feuilletais le statut de la fonction publique hospitalière en faisant le point sur la délégation. Assis avec nous le patient n'en perdait pas une miette, ancien syndicaliste dans le même champ que le notre, son intérêt pour notre conversation reléguait au second plan la pression obsédante de ses hallucinations auditives. Une fois sereinement traité les différentes sollicitations, d'autres s'étaient accumulées s'intriquant vicieusement avec les tâches du quotidien incontournables.

Heureusement, temps géologique oblige, aucune prise en charge nouvelle n'était intervenue au cours de mon absence. Les sorties avaient été compensées par le retour prévu ou prévisible de personnalités parfaitement connues.

Qu'a pu retenir notre élève de troisième année de son après midi, qu'il existait un hôpital où dans la salle de soins se trouvent des préservatifs à disposition des patients, que parfois en psychiatrie on pratiquait des techniques infirmières auxquelles elle n'avait encore jamais été confrontée, que Kant ou Nietzsche pouvait se croiser dans un entretien de couloir, qu'un cadre n'avait pas forcément raison, et que l'on pouvait être détendu en participant aux entretiens avec 'un chef de service. Ce qui est magnifique c'est que le soir venu, la plupart de ces questionnements ont été formulés.

"j'ai été …. , je veux pas dire choquée mais je cherche les mots …, il y a des préservatifs dans l'armoire à pharmacie."

Tout affairé aux préparatifs du repas du personnel, je lui racontait que c'était pour les veilleurs. Delphine, l'aide soignante, surenchérit en expliquant que les maternités affectant trop les effectifs, l'administration imposait des préservatifs aux équipes de nuit….

L'hypothèse absurde étant évacuée, ces foutus préservatifs ne pouvaient donc être là qu'a disposition des personnes soignées.

Mais comment cela pouvait il se faire étant donné que les rapports sexuels étaient interdits en ces lieux.

Si l'interdit et sa transgression nous renvoient à une lecture symbolique des évènements, le sida par contre est un danger de mort réel! Que donc dans une unité de soins continue, à fortiori un moyen et long séjours, cet interdit était transgressé et qu'il aurait été criminel que nous ne puissions anticiper sur ce risque.

"mais comment faites vous?"

je soupirais intérieurement, ça soulage de détecter chez une future diplômée des prédispositions à devenir un jour une collègue compétente.

Le fait qu'elle ait perçu cette contradiction fine dans un premier temps est déjà intéressant, le fait qu'elle en ait exprimé un questionnement en le différant à un moment propice est heureux. Mais si sa façon d'intégrer les réponses et de relancer sur les approfondissements nécessaires indique toutes les qualités chez elle pour faire un infirmière de secteur psychiatrique, elle n'a pas encore perçu la dimension militante.

Interdit ou non, la lutte contre le sida impose comme démarche de base de faire en sorte que le moyen de lutte principal soit accessible, à qui que ce soit et où que ce soit.

Qu'elle devienne infirmière c'est déjà bien, il ne faut pas être trop gourmand, le goût d'aller au delà du travail bien fait c'est aussi à nous de l'apporter.

Il est impossible d'être soignant en psychiatrie sans rencontrer sur le parcours d'une démarche de soins des impasses économiques et ou sociales. La confrontation a ces impasses amène ceux qui ne l'étaient pas encore à la conscience d'une critique sociale. Permet d'aller au delà du travail bien fait en devenant un acteur citoyen.

Signer une pétition pour inclure le revenu de l'allocation adulte handicapé sous le plafond de la couverture maladie universelle est un acte de soins autant qu'un acte militant. Améliorer, développer ou initier la formation est un acte de soin autant qu'un acte militant. Ecrire autre chose que des phrases stéréotypées en style télégraphique dans un dossier de soins est un acte de soins autant qu'un acte militant.

De toutes façon aujourd'hui l'évolution est à ce point critique que de revendiquer des moyens pour la psychiatrie est devenu un devoir de soignant autant qu'un acte militant.

Vous ne l'aviez pas vu venir celle là, j'en suis heureux.

Je suis de bonne humeur, parce qu'appelé en renfort pour une agitation au service admissions et urgences je n'ai rien a reprocher aux événements qui s'y sont déroulés. Pourtant quand je suis arrivé ça se présentait mal. Les hurlements d'une jeune femme me parvenait alors que j'étais encore sous la galerie d'accès. Sonorement guidé j'arrivais à la chambre d'isolement pour constater que ces cris émanaient d'une adolescente solidement maintenue sur le lit par quatre infirmiers tandis que d'autres préparaient les bracelets. Pendant ce temps l'infirmière de l'accueil essayait de rétablir le dialogue avec la demoiselle. Au fil rasoir de la relation verbale rétablie, lentement la contention s'est dissipée et nous avons reflués via le sas dans le couloir.

Le temps d'observer que le pacte de non agression fonctionnait de façon durable nous avons causé. Ça cause toujours les renforts, pendant qu'ils attendent de savoir s'ils seront ou non sollicités, et comment. Après, le temps d'être sûrs de laisser derrière eux une situation viable. Dans un cas comme celui là, où nous étions figurants actifs d'une scène qui se dirigeait vers une issue heureuse le ton était agréable, mesuré et détendu. De fait quand nous nous sommes quittés la patiente était en chambre d'isolement ouverte, un peu plus rassurées sur sa situation malgré la tension de l'entrée.

Et puis le goûter, le coucher, la vaisselle, les médicaments, la visite, les transcriptions, les constantes surveillances de constantes, un pansement, un lavement une injection. Des conversations qui reprennent un fil sans cesse interrompu mais toujours continué, l'entretien infirmier du coin de salle ou de l'entre deux portes. Celui qui accompagne le soin ou joue du hasard de la rencontre. L'ensemble de points qui finit par faire parfois un tableau cohérent.

Et ainsi jusqu'à 22h30, heure à laquelle j'ai quitté mes collègues de nuit en plaisantant bien sur, sur les aspects catastrophiques de notre condition.

Emogramme 8 : Dallas