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"Pourquoi aimez vous travailler en psy?"

"Qu'est ce que le travail d'une infirmière de secteur psy?"

Ces questions résonnent encore dans le souvenir que je garde du bureau de la directrice des ressources humaines. Les inflexions circonflexes de l'IG continuent d'y assaillir Marie.

Qu'importe le contenu, mais Marie tient le coup, esquisse une réponse…

J'interviens, ces questions sont inadaptées aux circonstances. Nous ne sommes pas là pour ça, et puis quoi répondre

"Aider, accompagner, soigner, quoi…", explique à plusieurs reprises Marie.

Et moi qu'est ce que je dirais?

Et l'IG qu'est ce qu'elle répondrai.

J'aime travailler en psychiatrie parce que ça me stimule, et puis parce que j'ai les clefs, au cas où …, je pourrais toujours m'évader.

Je ne sais pas si ça plairait à l'IG comme réponse. J'aimerais pas lui plaire de toute façon.

Travailler en unité de soins intra hospitalière en psychiatrie c'est se retrouver ici et maintenant. Ce n'est pas oublier qui on est ailleurs, mais ne plus être réellement disponible pour enclencher une projection externe. Une fois immergé dans l'espace de soins, même s'il y a eu trois heures de séjour dans la salle de repos sur huit heures, ce courrier ou ce coup de fil qui paraissait si urgent avant la prise de service n'arrive plus à s'imposer et sera sans cesse différé. les soucis, les sentiments sont toujours là mais décalés.

Ici et maintenant c'est aussi une histoire d'histoires. c'est là et maintenant que j'entre en interaction avec l'histoire en cours dans l'unité de soins et que ma présence va interagir aussi avec les histoires personnelles des gens qui hantent ces murs.

Interagir consciemment!

Pour interagir consciemment, ou tendre à le faire, il faut maintenir une concentration dense et permanente sur la sémiologie spécifique de cet espace social. Activité, odeurs, bruits, positionnement de chacun, paroles, sourires, cris, conversation, l'intégration de l'ensemble des stimulis raconte l'histoire de la structure, la réimplante dans le présent et permet à la complexité des histoires singulières d'exister à portée dans une mémoire sans cesse rafraîchie. Comme les cathédrales servant de support mnémotechniques aux étudiants du moyen âge. Mais là il ne s'agit pas de ressortir du par cœur, il s'agit de vivre dans un espace hautement socialisé.

Pourquoi comme question n'a t'elle n'a pas demandée des précisions sur la très moderne "distance soignante".

Cela aurait au moins permis de répondre comme Fernand Raynaud, une certaine distance, ou alors façon Guiness la plus grande est de trois cent milles kilomètres et reliait Neil Armstrong sur la lune et son toubib en Floride, la plus courte est le massage, à moins que l'on considère qu'une aiguille IM aille plus loin.

La distance soignante est celle à laquelle tout soignant se place pour s'observer soigner. Acteur et observateur simultanément.

Quant elle est nulle, vous êtes en plein contre transfert, quant elle est immense on peut encore se demander si vous êtes vraiment là.

Entre les deux il y a des équilibres. On peut s'observer debout ou assis, juché sur un tabouret ou vautré dans un fauteuil. Le mobilier et le confort dépendent beaucoup en l'espèce du travail sur soi accumulé dans une carrière. Vieux comme je suis, il m'arrive même de m'observer en écoute flottante. Mes collègues appellent ça la sieste.

Ça serait marrant de lui causer sieste et sémiologie à l'IG.

Marie consulte maintenant son dossier administratif posé à la vue de tous sur la table ronde autour de laquelle nous sommes réunis. Les trois représentant syndicaux, dont je, en profitent pour défendre la stagiaire.

Voilà autre chose, pour compenser le vide du dossier l'IG s'en prend maintenant à moi, je l'aurait insulté. Quand et où elle ne dit pas, peut être récemment dans un tract ou j'ai expliqué qu'elle devrait elle même se convaincre de démissionner, rien de bien méchant. Une fois elle m'a menacé de poursuite en diffamation, elle ne doit pas s'aimer.

Sous prétexte que l'ordre économique rend la tâche des soignants de psy plus dure elle considère que seule une élite peut encore accomplir ces fonctions et elle s'est affublé de la tâche de juger la dignité ou non de chacun d'appartenir à cette élite.

Elite, mérite.

L'élite moderne c'est la nonne bonne conne symbolique, que l'on refusait de devenir en 88. Taillable, corvéable et instrumentalisable à souhait. Etre méritant dans une fonction publique déclinante c'est être zélé dans ces trois dimensions.

Autant dire qu'être sensibilisé au questionnement philosophique, de s'ouvrir à la pensée sociologique ne sont pas des atouts positifs pour faire carrière. Pourtant une démarche de soins n'existe qu'à travers la capacité collective des soignants d'analyser un ensemble de problématiques et donc de posséder un savoir autre que technique. Le rôle propre n'existe qu'à ce prix.

Qu'importerait qu'il existe une distance soignante qui permette de s'observer si aucun contenu n'en alimente l'analyse.

Contre transfert sadique l'appellent les psychiatres éclairés. Qu'est ce d'autre que l'incapacité d'une personnalité a analyser les implications d'une relation de soins. et quand cela commence t'il.? En traitant différemment victimes et bourreaux, en jugeant que certains sont victimes et d'autres bourreaux, en devenant bourreaux, et comment l'éviter sans recours philosophique.

Et vous, vous savez pourquoi vous aimez travailler en psychiatrie et ce que veut dire soigner en psychiatrie. Moi je doute et je marche.

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