Thé ou café
En 78 quand je suis entré dans cette putain (au sens propre, et dans tous les sens) d'institution on côtoyait sans surprises la mort.
Asilaire, aliéniste et concentrationnaire pouvait la définir (l'institution).
Asilaire parce qu'accueillant comme en dépôt tout ce que la société rejetait de différend psychologiquement, socialement, biologiquement même.
Aliéniste parce seule régnait la contention, qu'elle soit physique ou chimique.
Concentrationnaire parce que concentration il y avait de plus de quatre vingt malades sur certaines unités pour commencer et que l'organisation de certaines de ces structures avec brimades et patients servant de Kapo pour des clopes ou le droit de cantiner évoquait une triste mémoire.
Autant dire que la mort était toujours proche, sénilité, infection, suicide, effets iatrogènes, violence …
Je sais de toutes mes tripes et de toutes mes cicatrices, je sais de mémoire ce que l'institution psychiatrique peut susciter de perversions. Je sais qu'on ne confronte jamais impunément un sujet à la violence et pire à la banalisation de la violence. Qu'elle soit banalisé par les mœurs comme à l'époque ou ritualisée par les protocoles, quand le collectif est atteint, c'est la même déshumanisation qui est à l'œuvre.
Pourtant ça avait fini par entrer dans la caboche de la plupart des ISP, l'autre est un autre. Le sujet soigné est tout autant sujet que le soignant.
Je ne veux pas enjoliver, certes les malades ne sont plus des "bêtes", des "tarés", mais il y a toujours quand même de bon ou de mauvais sujets. Et derrière bon et mauvais sont toujours tapis moralisme et racisme passeports de l'expression des perversions.
L'imprégnation par la psychanalyse du corps des ISP avait tout au moins permis de prendre conscience et de déjouer ces mécanismes.
L'irruption soudaine d'un pourcentage important d'impétrants issus d'une autre culture confronte les ISP à un défi philosophique formidable. Qu'ils s'effondrent et ce sera des années d'histoire à recommencer.
Nous avons quand même des atouts.
Combien d'entres nous ont appris leur art en formation initiale. On a au mieux appris à apprendre. Tous le reste s'est appris ailleurs. Pourquoi ceux et celles qui arrivent n'en pourrait faire autant. Certes selon l'origine et les formations suivies l'apprentissage nécessite parfois la déprogrammation d'idées reçues. Des plus loufoques comme soigner des clients, aux plus dangereuses comme se croire investi de toute puissance maternelle.
A leur meilleur temps, les centres de formations des CHS ont formé des infirmières et des infirmiers préparés a travailler en milieu psychiatrique. Le problème de notre relève c'est qu'elle goûte abruptement les délices de notre profession entraînant une non moins abrupte sélection. Leur premier problème étant souvent la précarité de l'emploi.
Toutes celles et ceux qui restent ne sont ni plus ni moins que ce qu'on était en leur temps. Moins l'expérience plus notre histoire si nous savons la faire vivre.
On a foiré de peu la reconnaissance "de jure" de notre profession, on a du pain sur la planche pour ne pas foirer l'accueil des nouvelles et nouveaux collègues. Surtout qu'on a si peu de temps devant nous.
Tant à faire et une profession passionnante.
Les pauses cafés sont bien remplies ces temps ci, il va falloir que je me mette au thé, ça rajeuni!
Emogramme 6 :"Pourquoi aimez vous travailler en psy?"