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CHRONIQUE D'UNE SEPARATION ANNONCEE


Pour que les enfants n'aient pas peur de grandir
Il faut que les parents n'aient pas peur de vieillir
Milton Erikson


Dans cette chronique d'une séparation annoncée, je vais vous parler du " leaving home ". Cette expression empruntée à Jay Haley (1) marque le moment où les jeunes adultes quittent la maison, donc leurs parents ; étape essentielle du cycle de vie d'une famille, chacun est alors amené à réaménager, à renégocier ses relations ; et c'est parce qu'elle génère pour chacun tant des changements intra psychiques que des changements inter-relationnels, initiés par les enfants que j'ai pensé qu'elle pouvait illustrer le thème de cette journée et confirmer l'hypothèse que " l'enfant force l'adulte à recommencer sa vie, du moins à la réorganiser.

L'adolescence qui précède le " leaving home " est une période tumultueuse propice à la création de nouvelles relations et à la restructuration du système familial. Ce moment particulier dans le parcours existentiel d'une famille est prévisible, dans l'ordre des choses ; pourtant il est autant attendu que redouté ; il suscite craintes, angoisses et parfois c'est à ce moment que peuvent se révéler des fragilités familiales.
Parce qu'il est établi que les enfants quittent leurs parents comme ceux-ci l'ont fait avant eux, on n'imagine pas combien l'enjeu de cette séparation est important ;
combien cette étape est difficile à franchir, peut être justement parce qu'elle marque un début et une fin ; les parents doivent accepter d'entrer dans un processus de déclin, alors qu'ils ne sont qu'au mitan de leur vie pour que les enfants poursuivent leur processus de croissance.
combien certaines familles résistent à ce passage du cycle de vie et tentent de le retarder voire de l'empêcher.

De multiples scénarios existent :
- séparation douloureuse mais préparée et acceptée
- séparation subie et non acceptée
- séparation impossible, intolérable et donc empêchée…

L'ambivalence se situe dans le conflit entre le fait de souhaiter le départ et la difficulté à en supporter les conséquences. Carole GAMMER et Marie Christine CABIE (2) estiment "que certains systèmes familiaux ne supportent pas la réorganisation familiale qui confirme et encourage ce départ. "

Finalement, il existe mille et une façons de se séparer (ou de ne pas se séparer). Toutefois, elles ne sont pas toutes des signes d'autonomie.
D'après Tony Lainé (3), les problèmes rencontrés dans les adolescences interminables sont parfois à mettre en lien avec des carences du narcissisme primaire.

Mon propos vise donc à définir ce que serait une séparation "suffisamment bonne " permettant autonomie assumée du jeune et acceptation du parent.
Pour parvenir à cette définition, la finalité de la fonction parentale est développée à travers les concepts d'attachement, d'individuation, de liens ;
la crise d'adolescence est analysée comme négociation de la séparation ;
un sens aux séparations problématiques et une fonction aux symptômes qu'elles génèrent sont supposés. Enfin, il me semble important d'établir une différence entre séparation, dernière étape du processus d'autonomisation et rupture et de préciser que la finalité de cette étape primordiale du cycle familial existentiel serait de parvenir à concilier autonomie et loyauté et autonomie et appartenance.

I. Il faut se séparer pour grandir mais il faut s'être attaché pour ensuite se séparer

Dans son ouvrage, la psychologie des femmes, Hélène DEUTSCH écrit que "les deux plus grandes tâches de la femme en tant que mère consistent à fonder d'une manière harmonieuse son unité avec l'enfant et à la dissoudre harmonieusement plus tard." (4)

Dès la naissance, l'enfant, être immature a besoin d'un adulte pour subvenir à ses besoins fondamentaux. Cet adulte, la mère en général, soutenue et aidée par le père, est chargé d'assurer les conditions de la survie de l'enfant. C'est ainsi que s'ébauchent les premières relations avec le monde extérieur.

En interaction, un lien de dépendance physique et affective se noue entre la mère et l'enfant, à la base duquel se construit l'attachement. BOWLBY a démontré que l'attachement est un besoin inné et recherché par l'enfant. et que l'enfant n'est pas passif face à cet enjeu de la construction de son identité.

L'attachement résulte donc de jeux interactionnels très forts. L'enfant a des réflexes biologiques que la mère interprète de manière affective. Leur relation est étayée à partir des ébauches réflexologiques.

La communication au sein de la dyade est donc circulaire.

La capacité de la mère à éprouver la "préoccupation maternelle primaire", concept développé par WINNICOTT, (5) lui permet d'exercer sa fonction maternante. Elle est contenante et structurante ; elle joue un rôle de pare excitations ; elle apporte des gratifications et des frustrations ; elle permet et interdit, dans le but de donner à l'enfant le désir d'accéder à l'autonomie.

Plaisir et déplaisir sont nécessaires au processus de séparation individuation ; ils sont équilibrés par l'empathie et l'homéostasie de la fonction maternelle.
C'est parce qu'au fur et à mesure de sa croissance, l'enfant aura pu éprouvé de l'insatisfaction à certains moments, qu'il aura ensuite la capacité à nouer des relations objectales et à chercher en dehors ce qui lui manque, donc à s'autonomiser.
Les interactions apportent une sécurité conjointe qui leur permet de réaliser le deuil de la relation fusionnelle et donc de se différencier, de s'individuer puis de se séparer.

Les parents doivent progressivement appréhender le caractère temporaire de la relation fusionnelle. Ce qui aidera ensuite à ne pas s'opposer à la lutte de l'enfant pour accéder à l'autonomie.

Tout l'art de la fonction parentale consiste donc à créer un "attachement sécure ", suffisamment fort, préalable incontournable au processus de séparation individuation. En effet, l'angoisse de séparation naît de la séparation de l'enfant d'avec sa mère lorsque cette séparation n'a pas pu s'élaborer de manière satisfaisante.

Grandir consiste à créer des liens d'attachement. En apprivoisant le renard, le petit prince comble ce besoin fondamental ; celui-ci est satisfait à travers des relations affectives et émotionnelles stables et durables. De la qualité de l'attachement dépend la qualité du narcissisme et l'attachement est " sécure " lorsqu'il y a concordance et continuité entre le vécu et le ressenti.

Lorsque j'étais accueillante dans un lieu d'accueil enfants parents, j'entendais fréquemment des mères demander de l'aide pour que l'enfant se sépare d'elle. Elles culpabilisent parce que leurs bébés de douze mois, dix huit mois, deux ans sont "collés " à elles ! Et pourtant, elles sont ambivalentes parce qu'il leur est difficile de voir l'enfant s'éloigner de quelques pas. "Les conflits nés de la friction entre appartenance et différenciation", (6) entre vouloir qu'ils soient pareils et accepter qu'ils soient différents s'amorcent déjà et se rejoueront à l'adolescence.

Dans nos sociétés, nous oublions souvent que s'il est vrai qu'il faut se séparer pour grandir, il est cependant primordial de s'être tout d'abord attaché pour ensuite se détacher et se séparer.

La séparation se prépare en douceur ; il s'agit de ne pas confondre détachement et arrachement. On a tous en tête des images d'enfants arrachés aux bras de leurs mères et de mères arrachées aux bras de leurs enfants, par exemple au moment de l'entrée à l'école maternelle. Si chacun emporte une partie de l'autre, il ne peut complètement être, devenir lui-même ; il est aliéné à l'autre puisqu'il ne s'appartient pas ou plus et qu'il appartient à un autre.

Finalement, ces étapes se déroulent de façon unique pour chaque individu, parce que dépendantes des liens transgénérationnels dont il est un maillon. Or, le lien contient un paradoxe puisque "ce qui unit est aussi ce qui empêche de se différencier, de s'autonomiser ". (7)
Ainsi, Carl Jung fait de l'individuation la tâche humaine principale, (8) tâche qui se décline tout au long de la vie. La période de l'adolescence notamment, marque de façon accrue les tentatives d'individuation et d'autonomisation. Et la distanciation et l'achèvement de la différenciation se fera sans heurts si ce processus s'inscrit dans la continuité d'une prise de distance progressive dès l'enfance.

II. Crise d'adolescence = négociation de la séparation

L'adolescence, située entre l'enfance et l'âge adulte se situe à un carrefour pour le cycle vital de la famille ; c'est une période de crise intense parce que préparatoire du "leaving home ".
Sa fonction principale est de négocier cette séparation.
Elle déséquilibre, déstabilise, menace les repères établis et le système résiste.
Les changements pressentis et présupposés s'opposent à une force de type homéostatique ; cette dernière maintient le système en tension et empêche toute tentative de changement ; cette tension génère ainsi des angoisses et des difficultés relationnelles.

Tous les éléments du système doivent se réaménager.
Mais c'est aussi parce qu'il y a crise, qu'il y a changement possible. La crise est synonyme d'opportunité, c'est pourquoi elle est structurante.
Les adolescents sont fragilisés et angoissés par l'ambivalence des sentiments qu'ils éprouvent.
" Je veux être dehors - Je veux rester dedans ", et les parents de répondre "vis ta vie mais ne nous quitte pas ".
Ceci résume les conflits intergénérationnels qui surviennent à cette période parce qu'il va falloir trouver comment passer d'une relation d'autorité à une relation de pairs et redistribuer les rôles. Les adolescents privilégient alors des appartenances extérieures à la famille. Ils remettent en cause les règles et valeurs familiales. Bien qu'ils semblent rejeter leur entourage, ils n'en sont pas moins sensibles et hyper réceptifs au moindre signal de leur entourage. Ils expérimentent les effets produits par leurs sorties à l'extérieur, poussent certains comportements à l'extrême pour mesurer le caractère inconditionnel de l'amour parental ; et cela peut être d'autant plus en l'absence dans nos sociétés de rites de passage institutionnalisés. " Si tu m'aimes malgré mes choix (amis, activités, tenues vestimentaires…) avec lesquels tu es en désaccord, tu acceptes que je devienne autonome. "
En fait, ils recherchent des garanties affectives, à savoir s'ils quittent le nid, y ont-ils encore leur place ?
En effet, le départ sera d'autant plus réel et assumé que la certitude de la place reste acquise.

Les jeunes adultes ont paradoxalement besoin d'être soutenus, portés, accompagnés justement au moment du départ. L'adolescent doit faire le deuil de l'enfance et le parent de la fonction parentale, qui lui donnait parfois le sentiment d'exister. Les jeunes perçoivent le danger de leur départ pour le couple parental qui doit apprendre à s'organiser sans lui et non plus autour de lui. L'enfant est en effet parfois le dernier rempart contre l'éclatement de la famille.
Les parents sont confrontés à une crise de maturité, de milieu de vie au moment même où leurs adolescents partent explorer le monde extérieur, mettent à l'épreuve leur autonomie. Ils reviennent ensuite chercher refuge et protection auprès de leurs parents qui doivent alors être suffisamment forts pour protéger l'adolescent des atteintes extérieures et le préparer aux réalités de sa vie d'adulte. Fragilisés par le bouleversement psychique qu'ils traversent, la tendance naturelle des parents tendrait à éviter les difficultés du jeune en le gardant.

C'est autour de ces oscillations, dépendance, indépendance et de l'insécurité éprouvée par tous, que se consolide l'identité du jeune.

Les étapes précédentes du cycle familial existentiel constituent les fondations que l'adolescence ébranle. De leur solidité dépendra la façon dont se déroulera ce passage de l'enfance à l'âge adulte.

On peut penser que lorsqu'un jeune commence à aller mal à ce moment-là, l'hypothèse que cette étape du "leaving home" est dysfonctionnelle s'impose.

Parce que la séparation peut réveiller des angoisses archaïques, elle peut mettre en danger la permanence du lien ; parce qu'elle peut réactiver un vécu traumatique de la séparation dans l'histoire de la famille, qui a pu être nié ou refoulé (ex : familles confrontées à la déportation), elle devient parfois une menace partagée si terrifiante que le système dépense toute son énergie à la retarder, à l'entraver, à l'empêcher voire à l'interdire, comme pour "figer le temps de la famille dans une phase spécifique du cycle de vie " (9) et rassurante.

III. Séparation entravée, retardée, empêchée

Il arrive d'ailleurs qu'un événement brutal et imprévisible du cycle de vie bouleverse l'ordre établi et arrête l'évolution.

Jérôme est le dernier d'une fratrie de sept enfants.
A 32 ans, il vit toujours avec sa mère, ne s'est pas inséré professionnellement.
Il explique que son départ fut empêché par le décès brutal de son père.
A l'époque, il avait 19 ans ; tous ses frères et sœurs avaient déjà quitté le domicile parental ; lui-même revenait du service militaire et envisageait de prendre son autonomie. Le père meurt ; il se sent investi du devoir de s'occuper de sa mère qu'il ne peut se résoudre à laisser seule. Celle-ci devenue invalide, il se met alors entre parenthèses et remet ses projets à plus tard, notamment après son décès.
Il est évident que la tâche d'autonomisation fut rendue particulièrement difficile par d'une part le fait qu'il soit le dernier et d'autre part par le décès du père. Toutefois, on peut se demander si sans cet événement, le système aurait permis le départ de Jérôme. Dans cette situation, Jérôme est le gardien de l'équilibre à l'intèrieur du système ; ce qui permet au reste de la fratrie d'investir des relations sociales à l'extérieur sans culpabilité.

En effet, le prétexte qui prend la forme d'un événement, d'un symptôme permet de justifier aux yeux des autres -famille, entourage- l'impossibilité de ce départ.
Ainsi, certains jeunes se donnent un objectif inaccessible comme condition à leur départ. Ils restent par sacrifice, pour protéger, par loyauté, par manque de garanties affectives, tout en entretenant la famille dans l'attente du moment fatidique. Ils en parlent en permanence mais personne n'est dupe. Chacun dépense alors une énergie intense à favoriser l'improbabilité de l'atteinte de l'objectif pour tenter de faire l'économie de la progression dans le cycle de vie.

Ainsi, Julien, 24 ans, musicien, a prévenu qu'il quitterait la maison lorsqu'il serait devenu célèbre. Il s'isole dans sa chambre et écoute de la musique toute la journée.

Ainsi pour chacun est épargné l'étape de réaménagement complet des relations puisque les parents ne se retrouvent jamais seuls. Ce qui participe à la déculpabilisation des autres et le plus jeune ne parvient pas à assumer la responsabilité de laisser seul le couple parental ; il endosse alors le rôle du "bâton de vieillesse " de ses parents.

Simon a 44 ans, dernier d'une grande fratrie et lui aussi vit toujours avec sa mère. Il n'a jamais quitté la maison où il est né et a cessé de travailler quelques temps après le décès de son père et à partir du moment où sa mère elle aussi est devenue dépendante.

Petit, si l'enfant perçoit que son éloignement fragilise trop sa mère, il est en permanence partagé entre le plaisir qu'il éprouve à être à l'extérieur et la culpabilité vis à vis de la dépression maternelle. Le sentiment de culpabilité contrôle alors la distance que peut prendre l'enfant. Il développe alors des symptômes pour la rassurer quant à sa non prise d'autonomie, quant à son besoin d'elle, par crainte également de détruire la relation vitale pour lui.

Là aussi, ce comportement est un sacrifice qui pourra se rejouer à toutes les étapes où les séparations se négocient et notamment au moment de l'étape ultime du "leaving home ".
La proximité du départ met le système en crise.
Lorsque le système n'est pas prêt à supporter le changement, Jay Haley a observé que "le jeune peut développer un problème invalidant pour stabiliser la famille. Ainsi, il continue d'avoir besoin de ses parents qui aussi continuent d'échanger à travers le jeune et à son propos, si bien que la structure ne se modifie pas ; une fois que le jeune et ses parents échouent, dans le processus de séparation, un triangle stable peut continuer à fonctionner " (10) ad vitam æternam.

Les conflits conjugaux sont parfois masqués aux enfants. Pourtant ceux-ci ne sont pas dupes et craignent que leur départ provoque l'éclatement du couple parental.
Ainsi, ils attirent l'attention du système sur eux en allant mal ; ce qui a pour effet de mettre en sourdine le conflit conjugal.
Lorsqu'ils vont mieux, le conflit rejaillit et à nouveau le jeune dysfonctionne.

Dans ces situations, l'enfant devient le faire valoir du couple. Il est triangulé, pris dans un jeu d'alliance et de coalition et se sent responsable du couple parental. Il porte le conflit ; Cette fonction de régulation amène de l'angoisse. Cependant, si le couple parental dysfonctionne, il ne peut se résigner à laisser ses parents seuls.
Inscrit dans un cycle interactionnel, finalement le jeune a le pouvoir d'empêcher ses parents de se séparer mais au prix de sa propre prise d'autonomie.
Il s'agit alors de redonner une autorité soudée aux parents, c'est à dire de rétablir la hiérarchie générationnelle pour libérer le jeune et lui permettre de sortir de ce cercle vicieux.

Les symptômes développés par les jeunes ont parfois des fonctions paradoxales.
En effet, ils visent à éviter les changements, à maintenir l'homéostasie familiale tout en tirant une sonnette d'alarme.

IV. Fonctions supposées du symptôme dans le processus de séparation : garante des liens, créatrice de liens

Guy Ausloos définit le symptôme comme le "compromis paradoxal résultant d'une incompatibilité entre les finalités individuelles et les finalités familiales " (11). Ainsi, le symptôme devient une réponse à une attente implicite ou inconsciente de l'autre.

Etymologiquement autonomie signifie suivre ses propres règles. Or, les parents projettent sur leurs enfants des règles qu'ils estiment bonnes pour eux et allant dans le sens de leur autonomie. Ce qui paradoxalement peut entraver la prise d'autonomie.
Le symptôme signifie alors le refus d'adopter les règles imposées tout en refusant de désobéir à l'injonction qui équivaudrait à une marque de désamour.

Tout en étant des tentatives de prise d'indépendance, le symptôme devient le garant du lien. Il organise le lien et la relation tout en la maintenant identique; être dehors tout en restant dedans. La toxicomanie en est un exemple. La solution trouvée pour résoudre un problème devient le problème. Le jeune est dans un processus d' "acting out ". Il joue au dehors ce qui ne peut l'être au-dedans. Or, il devient dépendant d'un produit alors que ce qu'il fuit est la dépendance à sa famille.

On peut relier les conduites addictives à la perte d'un objet primaire très investi, l'objet n'a pas été intériorisé, le deuil de la perte de cet objet ne peut s'élaborer. Le dilemme entre dépendance et liberté devient insoluble et le compromis impossible.

La cellule familiale préexiste à l'enfant. Chacun des membres du système entretient des liens multilatéraux qui influencent les générations futures et les placent parfois devant un conflit de loyauté.

Les enfants, "obser-acteurs " font alors preuve d'une grande créativité pour maintenir les liens et assurer la survie du système.
Le symptôme apparaît pour signaler le danger et préparer le terrain du changement possible.
La souplesse de la structure en croissance de l'enfant lui permet d'être prudent quant à ce qu'il agite et perturbe dans le système par son symptôme.
Le compromis adopté pourrait alors ne pas être vu comme un sacrifice, un renoncement mais tendrait plutôt vers une adaptation.

Spontanément, les enfants aident leurs parents et il ne serait pas judicieux de vouloir les en empêcher. En revanche, parce que "leurs symptômes nous présentent une voie royale pour lire le fonctionnement du système ", (12) les thérapeutes se doivent d'aider les enfants à aider leurs parents.

Les thérapeutes contextuels pensent que par leurs échecs et difficultés, les enfants offrent à leurs parents de multiples occasions de reprendre leur rôle parental. C'est une idée intéressante parce qu'ainsi les parents ont la possibilité, de mettre en œuvre ou de reconfirmer leurs compétences dont ils possèdent les savoirs essentiels, de devenir ou redevenir de " suffisamment bons parents ".

En outre, si on adopte le postulat de la compétence défini par Guy AUSLOOS à savoir qu' "une famille ne peut se poser que des problèmes qu'elle est capable de résoudre " (13) en tant que thérapeutes, nous devons encourager l'enfant dans ses tentatives pour réactualiser ces compétences, les réactiver ; plutôt que de culpabiliser et dévaloriser les parents dans leurs fonctions parentales.
Ce qui aurait pour effet de renforcer les résistances au changement du système notamment par l'intermédiaire du patient désigné, sorte d'éclaireur du système.
Il se met en avant, évalue les risques d'un éventuel changement, en mesure les bénéfices supposés mais se replie dès qu'il sent la présence d'un danger que la famille ne pourra ou n'est pas prête à surmonter. Ce repli aura pour conséquence d'empêcher l'aide d'aboutir.

Certaines familles sont centrées sur elles-mêmes, fonctionnent de façon rigide ; l'extérieur est très peu investi, vécu comme potentiellement dangereux et menaçant l'équilibre familial. Le système s'autosuffit.

La priorité est de garder la cohésion au détriment de l'individuation, la différenciation.
L'apparition d'un symptôme est alors paradoxale. En effet, il peut renforcer le caractère autocentré tout en alertant l'extérieur du type de transactions familiales par le déclenchement de processus de soins.

Juliette, 16 ans, seconde dans une fratrie de trois enfants est hospitalisée pour anorexie au moment où le pronostic vital est en jeu. Cette famille vit en milieu rural, est très isolée tant géographiquement que relationnellement. Autocentrée, elle fait peu appel à l'extérieur ; les sorties hors du système sont liées aux contraintes professionnelles, sociales et scolaires ; les entrées de personnes extérieures à l'intérieur du système sont quasi inexistantes.
Juliette se trouve face à un dilemme, à savoir le désir du changement et la volonté du non-changement.

Elle participe au système de façon paradoxale puisque d'une part elle fait disparaître les liens extérieurs dont elle est à l'origine (rupture de la scolarité) et qui vont dans le sens de la conquête de l'autonomie par la conquête du savoir.
D'autre part, elle crée de nouveaux liens par l'hospitalisation ; cependant, l'hôpital est un monde clos au sein duquel l'externalisation est peu possible ; ainsi, elle peut rester loyale au système tout en proposant une possibilité de modifier les cycles interactionnels familiaux.

La mère s'est arrêtée de travailler à la naissance de Juliette et ne s'est investie depuis que dans son rôle de mère. Le départ futur des enfants lui ferait perdre son unique statut.
Ainsi, peut être Juliette a t'elle endossé le rôle salvateur de celle qui va préparer le terrain pour elle-même, pour sa grande sœur de 18 ans, son petit frère de 10 ans mais aussi pour ses parents qui devront également s'émanciper, s'autonomiser par rapport à leurs rôles parentaux. Juliette s'y prend suffisamment tôt pour donner le temps au système d'anticiper, de se réorganiser, d'accepter le changement de cap qu'impose le cycle de vie.

Les thérapeutes prennent ce type de conflits d'appartenance à bras le corps et travaillent avec en veillant à ne pas refermer l'opportunité offerte de changement.

Celui qui ouvre est je crois, particulièrement sensible au vécu des autres ; il est protecteur et assez fort pour supporter de tomber malade afin d'aider les autres.
C'est pourquoi il est important de s'appuyer sur les ressources de chacun des membres du système.

Si la fonction du symptôme est indispensable pour le système, voire vitale, il s'agit d'aider le système à autoriser le porteur de symptôme à abandonner celui-ci tout en lui permettant de continuer à occuper cette fonction de manière positive par un déplacement.
Il est possible aussi d'essayer de répartir la charge sur plusieurs ou la totalité des membres du système puisque selon le principe d'équifinalité, "un même but peut être atteint à partir de conditions initiales différentes ou par des chemins différents " (BERTALANFFI 1980) (14).

V. Séparation ne signifie pas rupture

Certaines familles considèrent que le "leaving home " marque une fin, une rupture et ne perçoivent pas qu'il s'agit en fait d'une continuité.

L'autonomisation implique le changement de la forme de la relation ; s'il y a rupture brutale et soudaine, le lien reste fusionnel, ne peut être élaboré et la séparation psychologique n'a pas lieu même si une grande distance géographique sépare le jeune de sa famille d'origine.

C'est pourquoi, il est indispensable de pouvoir partir sans rompre. BOWEN a démontré que "nul ne peut tout à fait rompre les liens familiaux qui l'attachent de façon foncière à ses racines " en raison d'une dépendance quasi biologique. (15)

Finalement, être autonome ne signifie pas seulement de se débrouiller seul mais de "choisir ses contraintes " et d'assumer ses dépendances. L'autonomie est composée de multiples appartenances dont certaines sont construites pour la famille et d'autres contre.
L'autonomie est la capacité de pouvoir demander sans se sentir prisonnier ou abusé dans la relation. Ce sont les enfants dont l'attachement est sécure qui savent demander de l'aide à leur mère en cas de détresse et cela dès leur plus jeune âge.

L'absence totale de dépendance équivaudrait à une mort relationnelle et affective.
L'individuation est donc le rapport entre l'autonomie et l'appartenance. Il n'y a pas d'autonomie sans appartenance ni d'appartenance sans autonomie.

Des ruptures familiales, professionnelles, sociales mettent certaines personnes en situation de "désappartenance ". Elles ont perdu la plupart des liens d'appartenance de façon successive (une rupture en appelant une autre face à l'impossibilité d'élaborer des deuils) et du même coup leur autonomie. J'ai travaillé dans un service d'accompagnement social de personnes allocataires du RMI. J'y ai rencontré de nombreuses personnes dans ce type de situation et j'ai mesuré combien cette absence de liens est invalidante et génératrice de détresse, voire de désespoir.

VI. Concilier loyauté, autonomie et appartenance

Je crois que prendre et gagner son autonomie est une conquête qui en quelque sorte résulte d'une tension entre les ailes et les racines. Les enfants s'efforcent de rester loyaux envers leurs parents qui eux-mêmes luttent de la même manière vis à vis de la génération antérieure.
Pourtant, être loyal ne signifie pas forcément de faire pareil, de reproduire à l'identique, d'obéir. La loyauté se négocie, s'aménage. Il est possible de choisir des actes de loyauté et de déloyauté qui ne soient pas dommageables pour le système.

Le film de François DUPEYRON, "C'est quoi la vie " illustre bien à mon avis cette conquête de l'autonomie d'un jeune à travers l'oscillation entre les choix qui s'imposent et les contraintes qui se choisissent, empreints de nécessité de loyauté aux valeurs, mythes familiaux et de besoin impérieux de s'en émanciper pour mieux les accepter. " J'accepte de faire pareil mais à ma manière " ; c'est le compromis possible et acceptable pour l'atteinte d'une autonomie réelle et assumée, permettant au jeune de s'accomplir.

Parfois, une personne va orienter ses choix de vie (conjoint, profession…) en opposition au modèle familial et finalement se rendre compte (ou pas) qu'elle retrouve ce qu'elle a cherché à fuir ; Deux personnes "ont construit leur couple sur une idée qu'ils partagent, mais qui est en contradiction avec celles issues des croyances familiales imposées avec tellement de force, de conviction et depuis si longtemps qu'elles les reprennent à la première erreur alors qu'ils pensaient y avoir échappé. " (16)

Lorsque le "leaving home " est considéré comme un acte de trahison, que l'individuation et la différenciation sont intolérables, le système risque d'être paralysé dans son évolution. Les jeunes adultes ne peuvent pas partir et cherchent à concilier loyauté et autonomie ; ils se trouvent pris dans un conflit d'appartenance.

Laura est la dernière d'une fratrie de cinq enfants ; une sixième grossesse a été interrompue. Elle interrompt ses études en seconde et travaille comme préparatrice de commandes. Elle quitte son emploi en raison de graves problèmes de dos.
Dernière à rester au domicile parental, à 19 ans, elle fait une grave tentative de suicide la veille de son déménagement dans un appartement autonome.
Hospitalisée plusieurs semaines en psychiatrie, la condition de sa sortie est qu'elle rentre chez ses parents dont la mission sera de la surveiller.
Après une seconde tentative, , seule solution pour pouvoir partir tout en restant, elle est à nouveau hospitalisée.
Elle rencontre alors un jeune homme auquel elle s'accroche et avec lequel elle souhaite avoir un enfant, seule solution pour elle de rester en vie et de s'inscrire dans une continuité existentielle par devoir et non par désir.
Elle devient mère à 23 ans, ne vit pas avec le père de son enfant mais avec sa mère. Son père est décédé et sa mère vit avec un nouveau conjoint.
Lorsque Lucie sa fille a 2 ans et demi, elle déménage dans un logement autonome à quelques kilomètres de sa mère ; elle se sentait en rivalité sur le plan de la maternité avec sa mère et ne se sentait plus à sa place au milieu du couple formé par sa mère et son conjoint.

Lorsque je la rencontre en mai 1999, elle a 26 ans, et Lucie 3 ans ; elle n'a pas d'activité professionnelle, pas de vie sociale, peu d'amis et est très dépressive ; elle vient de commencer une thérapie ; elle est très angoissée par l'entrée prochaine à l'école de sa fille, qu'elle n'a jamais quitté plus de quelques heures et qu'elle n'accepte de confier qu'à sa mère, sa belle-sœur et au père de l'enfant.

Au récit de son histoire, je suis touchée par les difficultés de séparation dans cette famille ; celles-ci semblent vécues comme des arrachements.

La mère de Laura s'est mariée pour fuir une mère maltraitante ; avec ses enfants, affectivement, elle reste à distance, peut être pour que l'attachement mutuel ne soit pas trop fort.
Le grand-père paternel et le père de Laura étaient alcooliques.
Le frère aîné s'engage dans la marine à 16 ans ; ( le père était marin.)
Les deux filles suivantes quittent la maison très jeunes ; l'une d'entre elles part en claquant la porte après un conflit avec le père qui la met dehors.
Laura se souvient qu'elle fut aussi la dernière à entrer à l'école ; à l'époque, sa mère ne travaille pas ; elle a beaucoup pleuré la première année et par conséquent sa mère l'a souvent gardée à la maison avec elle. Elles ont ainsi reculé l'échéance de cette séparation inéluctable.

Aujourd'hui, elle occupe les deux rôles, mère et fille et se trouve face à l'ambivalence de vouloir que sa fille prenne son autonomie afin qu'elle ne rencontre pas les mêmes difficultés qu'elle ; et de la garder avec elle et pour elle afin de justifier son existence.
Elle tente de réparer pour elle et de préparer sa fille à se séparer. Elle lutte avec beaucoup d'énergie contre sa tendance à entretenir une relation fusionnelle avec Lucie. Celle-ci a d'ailleurs mis beaucoup de temps pour accéder à la marche, à la propreté et ne parvient pas encore à s'endormir sans sa mère à ses côtés.

Lors de notre deuxième rencontre, elle me dit :
" Moi, je ne veux pas aller à l'école ; qu'est ce qu'elle va faire ma maman quand je ne serai pas là ? "
Au cours de nos entretiens, nous préparons cette transition, imaginons comment le temps peut progressivement s'organiser sans que les yeux de Laura restent rivés à la pendule dans l'attente du retour de Lucie ; comment Laura peut faire sans sa fille et sa fille sans sa mère ; ce que l'entrée à l'école va changer mais aussi ce que ça ne va pas changer ; L'idée que le lien reste permanent même pendant l'absence est peu à peu élaborée. Lucie force peu à peu sa mère à réorganiser sa vie, peut être à la commencer…

L'effort pour maintenir une relation fusionnelle dans laquelle aucun extérieur ne pénètre signale sans doute la fragilité du lien. Il me semble important d'y être sensible et de la nommer en disant par exemple : " Comment pouvez vous imaginer que quelques instants à l'extérieur vont détruire toutes les bases que vous avez construites ? "

Finalement, l'entrée à l'école de Lucie se passe plutôt bien. L'adaptation est progressive et rassurante.

Laura essaie progressivement de diminuer les liens émotionnels, financiers et fonctionnels qui l'unissent à sa mère tout en cherchant absolument à éviter le conflit. Elle envisage de s'éloigner géographiquement, seule manière pour elle pour le moment de se séparer davantage. Elle espère pouvoir vivre avec le père de Lucie auquel elle est très attachée.

Jeune femme responsable, elle estime devoir reprendre une activité professionnelle et fait des démarches constructives dans ce sens.

En fait, plus on donne de l'autonomie, plus on donne à l'adolescent la possibilité de partir. C'est ce qui est difficile à accepter pour les parents. Ils voient leur enfant échapper à leur contrôle, ne plus participer autant à la vie familiale ; certains parents éprouvent alors un sentiment de vide d'inutilité, de trahison au moment même où le jeune a à gérer l'angoisse de la perte de la sécurité du monde de l'enfance. La famille peut alors faire appel à la loyauté et à la culpabilité parce qu'elle trouve contradictoire de laisser partir son investissement. La créature échappe à son créateur. Pinocchio et Frankenstein sont deux histoires qui symbolisent bien l'âpreté des relations qui unissent ceux qui reçoivent et ceux qui donnent.

"Non seulement, l'enfant doit traverser la rivière mais également assumer de laisser derrière lui sur l'autre rive ceux qui l'ont mené jusque là ; car une fois, la rivière traversée, pourquoi s'encombrer de son bateau pour continuer son chemin." (17) Cette métaphore du philosophe Comte Sponville illustre bien ce propos.
Or, si le jeune parvient à partir sans trop de culpabilité, il pourra d'autant mieux renouer avec ses parents, sans revenir en outre dans une position infantile. Dans les relations enfants parents, il n'y a pas forcément de réciprocité, notamment dans l'immédiat. La transmission du don est plutôt générationnelle. Ce que les parents ont reçu de leurs parents, ils le donnent ou le rendent à leurs enfants qui eux-mêmes le rendront à leurs enfants…

Catherine DUCOMMUN NAGY préconise qu'il faut aider les parents à comprendre qu'ils gagnent à être généreux, et les enfants qu'ils donnent à leurs parents en prenant de l'autonomie. Ce qui permet d'évacuer l'éventuelle culpabilité liée au "leaving home ".
Laisser partir ses enfants est un acte de générosité dont la reconnaissance viendra par la suite.

Permettre l'autonomie suppose d'accepter de perdre un peu ;
Si on accepte de perdre, on finit par garder, alors qu'à vouloir garder à tout prix, on finit par perdre.
Si les enfants se sentent en dette vis à vis des dons reçus, ils ne peuvent pas bien se séparer.
Dans les rêveries d'un thérapeute familial, Carl WHITAKER écrit d'ailleurs que "plus une personne est libre de s'individuer, plus elle est libre de se réunir de façon plus coopérative, plus interactionnelle et plus satisfaisante avec sa famille d'origine. " (18)

A chaque étape, la générosité et le sacrifice de l'enfant sont remises en cause. Les termes de la loyauté sont renégociés et redéfinis en permanence de la naissance à la mort.

Conclusion

Les crises de croissance familiales structurent, modifient, menacent les liens. Les membres d'un système familial sont entraînés dans un processus permanent de co-évolution et apprennent progressivement à adopter une culture de la séparation et des retrouvailles. Le changement à une génération est relatif à la capacité des autres générations à elles mêmes se transformer puisque le changement d'une personne implique une modification de son milieu d'appartenance. (19) C'est comme si on comparait une famille à un engrenage et chaque personne en serait un des rouages ; lorsque l'un des rouages tourne, il entraîne tous les autres avec lui ; lorsqu'un grain de sable bloque un rouage, tous sont bloqués.

Les liens d'attachement sont alors soumis à rude épreuve. Dès la naissance, les systèmes humains sont en effet confrontés à la séparation.
Le "leaving home ", phase ultime du processus d'autonomisation est sans doute le passage le plus difficile et le plus complexe. Tout un cheminement lui a précédé et influe sur son déroulement. C'est pourquoi il est parfois nécessaire d'aider, d'accompagner, de guider les familles en changement à assurer une fonction de contenance et de transmission.

Dans nos sociétés modernes, les transitions, les passages d'un état à un autre sont subits et subis plutôt que progressifs et préparés.
Parce que les conflits malmènent les liens, parce que pour certaines familles, le changement de stade met en danger l'existence et la continuité du groupe constitué, il est nécessaire de ré-unir avant de séparer.
Pour les familles les plus sensibles, les plus fragilisées du fait parfois de leur histoire, une thérapie familiale peut peut-être occuper une fonction de rite de passage, d'initiation symbolique autour de laquelle parents et enfants mutualisent leurs expériences. Ainsi, elle participe et à l'individuation et au maintien des rapports au groupe originel d'appartenance.
Les familles sont alors guidées et accompagnées dans leur évolution, leur croissance, leur processus de maturation par la thérapie sous la forme d'un deutéro- apprentissage, concept Batesonien. Soutenir, comprendre permet que l'anxiété, la souffrance suscitées par le changement de rôle diminuent et aide à recréer des liens là où la peur pourrait pousser à les rompre.

Par ailleurs, puisqu'il est établi que les pathologies du lien trouvent leur origine dans les troubles précoces de l'attachement, puisqu'elles se transmettent parfois de génération en génération, il me semble utile de trouver des lieux de prévention tels que par exemple des lieux d'accueil parents enfants (0-4 ans) type maison verte.
L'accueil collectif de parents, de leurs jeunes enfants et de la relation qui les lie permet que s'échangent, se partagent les expériences, favorise l'expression des vécus et ressentis liés à cette relation, et l'acceptation des étapes de croissance auxquelles les familles doivent faire face.

Parce que ce type de lieux agit au moment même où se construit l'attachement, où se préparent les premières séparations, ils peuvent sans doute prévenir des difficultés futures liées au "leaving home " et permettre à certains jeunes parents de questionner leurs propres conquêtes d'autonomie, prises d'indépendance, leurs liens d'appartenance.

Actuellement, les familles sont souvent isolées pour franchir ces étapes du cycle familial existentiel et manquent de repère.

Dans ce même objectif de prévention, et afin d'aider parents, adolescents, jeunes adultes à se préparer à prendre de la distance, il serait donc, à mon avis pertinent de développer des groupes de paroles multifamiliaux autour des liens familiaux.

Je pense qu'il est bénéfique de confronter et partager ses points de vue, ses angoisses, ses difficultés ;
mais aussi ses solutions imaginées, ses bénéfices trouvés face à la première séparation qu'est la naissance ;
face aux premières socialisations liées à la reprise de l'activité professionnelle parentale et à l'entrée à l'école ;
face à la crise d'adolescence au moment où il est difficile de faire la part des choses entre ce qui relève d'une structure pathologique de ce qui n'est que manifestation des réaménagements relationnels et émotionnels propre à l'adolescence ;
au moment où les jeunes adultes quittent leurs parents les laissant seuls pour entrer dans le vieillissement.

Pour conclure, j'insisterai sur l'idée que les familles changent par sauts. La crise et le stress que génèrent le nécessaire renoncement et la séparation permettent de faire le bond vers un nouvel état. Une famille s'inscrit dans un cycle familial existentiel qui la fait évoluer en accord avec les autres générations ; celles-ci doivent accepter et négocier les changements de position dans les rapports qu'ils entretiennent les uns avec les autres. Cette négociation tend à aboutir à un compromis acceptable pour les différentes parties.

Catherine Rideau

Bibliographie (1) Jay Haley Leaving home, quand le jeune adulte quitte sa famille : psychopathologie et abord psychothérapique - ESF 1991

(2) Carole Gammer, Marie Christine Cabié L'adolescence, crise familiale. ERES

(3) Tony Lainé Droit et accession. Nervure tome IV n°5 page 26

(4) Hélène Deutsch La psychologie des femmes tome II Maternité

(5) D.W. Winnicott Processus de maturation chez l'enfant Payot 1978

(6) Elida Romano, Didier Destal Le groupe systémique d'adolescents Génération n°18 page 15

(7) Dictionnaire Clinique des Thérapies familiales systémiques page 298

(8) Idem page 259

(9) Mony Elkaïm si tu m'aimes, ne m'aime pas approche systémique et psychothérapie La couleur des idées seuil 1989

(10) Jay Haley Leaving Home

(11) Guy Ausloos La compétence des familles ERES

(12) Guy Ausloos Finalités individuelles, finalités familiales Thérapie Familiale vol 4 page 215

(13) Guy Ausloos La compétence des familles ERES

(14) Dictionnaire clinique des thérapies familiales systémiques page 165

(15) Dictionnaire clinique des thérapies familiales systémiques page 298

(16) Julie Aussenberg, Bernard Geberowicz, Suzanne Czernichow Heurs et malheurs de la vie familiale

(17) Comte Sponville Traité du désespoir et de la béatitude T1 Le mythe d'Icare Puf 1984

(18) Carl Whitaker Les rêveries d'un thérapeute familial

(19) C. Compernol, A.Courtois, V.Pauss Rite de passage, cycle de vie et changement discontinu Thérapie familiale 1996 vol XVII n°4