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Il était une fois un toit et moi


Les thérapeutes familiaux aiment les histoires ….Ils aiment en entendre, ils aiment en raconter. Mais qu'entendons nous par histoire. Est-ce l'histoire officielle érigeant ses fastes en de majuscules bien ordonnées au fronton de chaque récit de vie ? Est-ce donc cette entité sérieuse dont l'accent de vérité imprime en chacun de nous le secret désir d'en saisir chaque partie comme de précieux trésors. Ou est-ce encore le refrain traînant hérité de notre enfance , sans cesse remis au goût du jour, véritable histoire de l'histoire sans qui rien de serait légitime, rien ne serait possible. Cette représentation partagée par les membres du groupe, est comme le dit Robert Neuburger une représentation du groupe lui-même comme ensemble et contenant aussi ses relations au monde.
Ainsi l'histoire de l'histoire s'apparenterait au Mythe familial en ce sens qu'indicible, il ne pourrait advenir à notre réalité qu'au travers d'un récit . " La fonction véritable du Mythe n'est peut être pas tant d'apporter des réponses, des explications, aux questions vitales que se pose l'être humain que de donner forme perceptible à ce questionnement essentiel, faire écho à ces interrogations, trouver une sorte d'accord suffisamment bon entre l'aiguillon et l'angoisse des problèmes et certaines intuitions élémentaires et obscures que l'homme pourrait avoir de sa relation avec la nature, avec la vie ,avec autrui. Le Mythe s'ouvrant alors comme une boite de pandore : gerbe d'interrogations jaillissant en tout sens sans espoir de solution ". (occident contemporain, Mythe et réalité)

Au tout début était la horde.. en paraphrasant Sigmud Freud , j'écrirais donc au tout début était le lieu , le topos. Peut être même la domus … la demeure. Ainsi l'histoire familiale prend sa source en un lieu. Ce Toit prédestine à la rencontre, il la nourrit, l'habille, du logis au logos en quelque sorte. De la façon dont l'un se partage l'autre se construit et s'utilise, l'occupation de l'espace préoccupe l'Homme jusque dans sa définition. Ainsi l'occupation des lieux, du lieu, reconstitue en permanence la confiance inter-individuelle nécessaire à un minimum de coopération. Le lieu contient, identifie, désigne, assigne.

L'efficacité de l'épouillage chez nos lointain ancêtres comme moyen d'assurer la qualité d'un lien social satisfaisant n'est évidemment pas suffisant, la cohésion sociale d'un groupe ne peut se constituer qu'autour d'une définition primaire que le lieu fait vivre. Le lieu de résidence, l'habitat, l'espace confiné peut se définir comme contenu et contenant des émois individuels et groupals.

Pour illustrer mes hypothèses de départ, j'aimerais vous raconter la façon dont mes deux jeunes filles ont vécu leur premier déménagement, mon premier déménagement avec de jeunes enfants . Quitter cette maison qui les avait vu grandir durant trois et six années a été pour elles une vraie difficulté. Une sorte de déchirement, l'abandon de ce toit résonnait profondément chez elles et nous adultes, tout au désir d'investir notre nouveau lieu nous nous irritions d'une telle attitude que nous n'étions pas loin d'assimiler à de l'ingratitude. Pour bien nous faire comprendre à quel point cette séparation leur était difficile, notre nouvelle acquisition immobilière fut baptiser par nos chères têtes blondes " la maison des araignées ". Et tout à nos soucis du moment, bientôt j'oubliais l'anecdote. Ce n'est que beaucoup plus tard que ce souvenir de vie familiale me revient en mémoire. A l'occasion, je crois de la mutation d'une collègue pour un département lointain. Cette dernière en effet désirait m'emprunter mon camescope pour filmer sa maison, qui avait elle aussi vu grandir quatre de ses enfants, à mon étonnement de cette requête, elle me fit savoir que ses enfants lui avait demandé de filmer leur demeure pour garder des images de ce lieu, leur lieu. Véritable synonyme de sécurité et d'intimité et, que leur joie de partir n'avait d'égal que leur peine de quitter cette habitation .

Un peu plus tard encore c'est ma propre mère qui à l'occasion d'un voyage dans le sud, fait un détour par Lodève, charmante bourgade qui l'avait accueillie avec sa mère et ses sœurs durant la dernière guerre.

- " je voulais revoir la maison que nous habitions en ce temps là " me confia t-elle
- " nous y avions été si bien mais surtout cette nouvelle résidence avait réussi à me faire oublier, à nous faire oublier celle que nous avions quitté dans les Vosges, celle ou nous avions du laisser nos maigres jouets d'alors. "

Ces trois récit avait du déjà évoquer dans une partie de moi même un interêt singulier pour ce sujet quand au cours d'un entretien avec la maman d'un jeune patient celle-ci tout à coup me dit :
-" J'ai une maison bizarre "
-" ah oui lui fis-je, comment cela bizarre"
-" c'est un maison bizarre , tenez il y a pas de porte, aucune porte, vous avez déjà vu cela ? j'habite une maison dans lequel il n'y a aucune porte qui sépare les pièces, tout y est mélangé "

fallait-il entendre que sa maison sans porte ne pouvait qu'imparfaitement contenir les occupants, définir leurs relations, curieusement c'est ce que j'entendis et fis comme mien en observant l'enfant qui s'agitait en tous sens et que seul les murs semblaient pouvoir arrêter. Ainsi s'imposait à moi le rôle de témoin impuissant des patterns relationnels construits sur une absence de limites, de sas, cette profusion d'espace confus introduisait toutes sortes de confusions sur plusieurs niveaux logiques liés à minima par le mouvement et la mouvance. Ainsi le lieu procède de l'expression du groupe en fixant un contenant, des limites, des rituels qui s'organisent sur un mode auto-réferentiel, et assure la transmission du mythe dont la fonction est de renforcer le sentiment d'appartenance.

I) La maison un lieu clos mais ouvert

Dans ces trois petites histoires l'on perçoit aisément l'importance qu'attribuent ces personnes au toit, le toit comme contenant historique, affectif et enfin théâtre relationnel .
(1) " Anzieu a développé le terme de " moi-peau " pour décrire l'enveloppe qui protège le moi (Anzieu 85) Il montre que toute attaque violente, physique ou mentale est dirigée vers la coquille mentale qui protège l'être humain. Les attaques violentes et perverses brisent les frontières qui protégent l'hygiène mentale. L'auto-défense contre une peine aussi insupportable se manifeste très souvent par un désengagement et une encapsulation ou en d'autres mots, par une protection ou un bouclier. " Ainsi il m'est facile de penser qu'en analogie à la proposition d'Anzieu , je puisse en écho conceptualiser que le clos de l'habitat puisse avoir une fonction contenante pour le groupe et structurante pour la partie sociale de chacun des individus, composant le groupe. Lorsque nous décrivons les relations humaines dans une optique systémique nous avons à notre disposition plusieurs définitions qui comme chacun le sait va de la plus simple à la plus complexe.

Pour ma part, aujourd'hui je vous propose la définition suivante d'un système :

Un système est un ensemble d'éléments en intéraction telle qu'une modification quelconque de l'un deux entraîne une modification de tous les autres, c'est une structure composée d'une limite, d'éléments et d'un réseau de communication. Ainsi l'on considère que les familles sont des systèmes ouverts dans la mesure ou leurs capacités à communiquer constamment avec leur environnement semblent préserver. C'est à dire, dans l'exemple qui nous occupe lorsque la maison prise comme métaphore des limites d'un système est un lieu clos mais perméable, sachant s'ouvrir suffisamment à l'étranger et se fermer suffisamment pour assurer la sécurité de ses occupants. L'un des moyens dont nous disposons pour évaluer ce degré de souplesse du fonctionnement repose sur des questions adressés à chacun des membres autour des entrées et des sorties, ainsi est-ce que des amis sont reçus à la maison, de la famille, les copains de l'école, du quartier, des voisins, en bref quels sont les aptitudes de ce système à échanger .

Cependant il ne faut pas nous leurrer, notre pratique professionnelle se confronte le plus souvent à des systèmes en souffrance, en difficulté donc rigidifié. Les échanges d'informations se raréfient le système tout entier se déconnecte (1) cette déconnexion ainsi que le retranchement du système et de ses membres " entravent aussi l'enrichissement , le développement et l'apport que le psychisme gagne au contact du monde extérieur. En adoptant une position de désengagement et en érigeant des murs d'apathie, on peut continuer à accuser les coups, tout en blessant et détruisant , cette souffrance n'étant pas pour autant à même de faire évoluer le système et de réduire l'expérience traumatique relationnel du " souffrant " La maison devient un enfer pour tous et chacun en fonction de ses rôles et places se heurte a l'impossible échange.

II) La maison un lieu de règles

- Ne sort pas dehors en chaussons.
- On ne boit pas en mangeant sa soupe.
- Finis ton assiètte.
- Te promène pas pieds nus.
- On ne joue pas dans la chambre des parents
- Ne saute pas sur ton lit

Voici autant de petite phrases qui ont peut être accompagné votre enfance et qui à votre insu ont en partie façonné votre rapport au groupe à l'autre. Pour D.D. Jackson ces expressions sont autant de codes contenants désignant ainsi un certain nombres de règles qui dirigent la vie familiales. Ainsi toutes les règles ne sont pas aussi clairement énoncées et bon nombre d'entre elles demeurent quasiment occultes car implicites. Mais il est clair que le plus souvent dans son fonctionnement c'est à ce système de règles que le groupe familial se réfère, il implique des attentes mutuelles dans les relations qui se vivent dans l'unité d'habitation partagées.

Ce système de référence résonne sur fond de mythe familial et défini en partie les rôles à tenir dans le groupe, pour exemple la règle " c'est maman qui tient le budget " règle à la fois consciente et inconsciente concours dans ce groupe donné à faire de la mère la responsable de la gestion de l'argent dans cette famille.

Clarisse est un belle jeune fille de 16 ans qui vient nous rencontrer avec toute sa famille à la suite d'une soirée agitée qui l'avais conduite au service des urgences. Dès les premiers instants de cette première séance le système thérapeutique est submergé d'informations qui lui permet d'esquisser, d'entre voir, qu'une des règles opérante du fonctionnement de ce groupe familial présent pourrait ce nommer ainsi :

- Une de nos règles familiales est de ne pas avoir de règles

Pourrions nous dire alors que c'est peut être la vibration même de cette proposition qui dans ce moment de recherche identitaire et dans le besoin d'un certain conformisme rassurant freine l'adolescente et l'ensemble de son groupe dans leur évolution. Nous décidons alors de travailler cette question dans les séances suivantes. Notre curiosité pour cette question fut largement récompensée lorsque que chacun des membres de cette famille nous fit part de ses difficultés.

Maman se plaignait de remplir sans cesse frigo et placards ou chacun des cinq occupants venaient se servir à toutes heures et tout instants, Papa n'avait plus jamais accès à l'intimité de la chambre à coucher, la porte avait été enlevée et une grande partie de la famille regardait la télé installée dans le lit conjugal. Les grands volaient les petits. Les petits chipaient aux grands, sans limite, sans frontière, l'intimité et la propriété étaient mis à mal. Les relations chaotiques bousculaient chacun des participants comme dans une porte tournante, chacun était poussé et poussait chacun. La maison elle même ne résistait pas à la tourmente du moment, l'on pouvait entrer ou sortir par les fenêtres, les portes ne fermaient plus à clé, et chacun se sentait malmené et mal aimé. Pour ma part il m'est difficile de ne pas avoir une certaine admiration pour Clarisse et son abnégation qui dans un dernier et sublime effort pour amener ce groupe en souffrance à se redéfinir avait par un soir de printemps sacrifiée un instant son dernier rempart, scarifiée son corps, attaquée sa " maison ", pour permettre au système de trouver de la ressource et d'évoluer sans crainte.

En quelques mois de rencontre avec les thérapeutes les parents de Clarisse trouvèrent l'énergie de restaurer leur autorité, les espaces furent clos, avec l'ensemble des participants des règles furent débattues, inventés, créer. Clarisse quant à elle, profita de cette atmosphère en redéfinition pour prendre un peu plus de distance avec sa famille en s'essayant au jeu amoureux. Et petit à petit chacun repris sa place sous son toit.

III) La maison comme lieu de transmission.

Chacun a pu consciemment garder des images de tous ceux qui ont accompagné son enfance, les sensations qui y sont liées et engrammées au fil des ans, interviennent quotidiennement dans notre rapport a l'autre, au monde. En partie transmis, en partie appris, ces sortes de modèles agissent un peu comme les miroirs de l'âge de l'éducation chevaleresque du moyen âge. L'habitat dans son intimité place les différents participant dans une position d'observe-acteur, position qui permet a chacun d'être acteur dans un certains nombres de relations mais aussi d'observer les relations qui unissent les différentes personnes composant les différents systèmes et sous systèmes. Cette position d'observe-acteur colore sensiblement la tonalité émotionnelle des différents systèmes. Le fonctionnement, les usages, les coutumes, les croyances ainsi co-partagés font de chacun un élément de valeurs ajoutés. Le bon, le beau, le juste autant de valeurs disponibles dans les maisons, mais dont chacun se saisira et décidera de faire vivre et résonner en fonction de ce qu'il lui a été possible de prendre, de s'approprier, en conformité au mythe familial, aux places et rôles de chacun. Si l'on dit communément des places au sein d'un groupe constitués qu'elles sont autant acceptées qu'assignées, il est évident que le partage des rôles permet une dynamique d'échange conjuguant loyauté et appartenance, il suffit pour nous convaincre de repenser un cour instant au rôle que nous tenions dans notre famille d'origine, de repenser à celui que nous tenions à notre adolescence et enfin à celui que nous tenons dans notre rôle professionnel actuel.
La demeure préside ainsi aux transmissions valorielles possibles dans la mesure ou elle reste et peut se définir comme le creuset d'une alchimie complexe liant l'histoire et le devenir possible.

IV) La Maison un lieu que l'on quitte

Tous les systèmes vivant sont soumis à un flux d'informations entrant et sortant . L'on considère que le niveau et le volume d'échanges de ces informations peut servir d'indicateur pour apprécier le niveau de rigidité ou de souplesse du système observé. C'est à dire que lorsque l'on appréhende la famille comme un système , l'on va s'intéresser non seulement aux capacités d'échange de ce système mais aussi aux informations contenues dans les informations transitant dans le système et relayer par ses éléments. Je considère que le toit commun est un lieu de mise en scène de ces boucles d'informations, de rétroactions . Munis de frontières, le système familial s'organise sans cesse sous la pression d'informations entrantes ou sortantes. Il est aussi globalement régulé par les événements qui traversent son cycle vital et enfin il possède la capacité de mettre en oeuvre des solutions possibles.

Ainsi la maison devient le lieu d'ou l'on peut entrer et sortir de façon factuelle, cyclique, ou définitive. L'organisation et la vie dans cet espace commun et co- créé s'en trouve de fait et à chaque fois bouleversé à des niveaux différents. Les fonctionnements et les relations qui définissent le système sont ainsi parfois enrichis , des fois menaçés, tantôt détruits.

Les réaménagements liées à ces cycles de vie familiales sont souvent des moments de crise, l'arrivée d'un enfant, d'un frère ou d'une soeur, le départ d'un ainé, le décès d'un parent sont autant d'événements qui vont être relayer dans la maisonnée par la mise en œuvre de nouvelles règles de vie mais aussi par une nouvelle définition de l'espace à vivre. Cette réorganisation spatiale est à l'image du réaménagement psychique et des nouvelles modalités communicationnelles. Le départ du foyer de l'adolescent est tout aussi un moment de rééquilibrage, donc de fragilité du système. Si l'arrivée d'un enfant résonne sur fond de division de l'espace disponible, le départ d'un des membres accroît l'espace personnel des différents membres du système, questionne le devenir de l'espace libéré, pose la question de la proprièté de cet même espace, voire des modalités de transmission possible. A ce moment le risque est important pour chacun des membres du système de confondre la personne avec l'espace de vie de cette personne. Les conflits qui émaillent les tentatives d'autonomisations des adolescents résonnent souvent sur les modalités d'utilisation de son espace privé et sur les mouvements perçus par son entourage sur les tentatives qu'initie l'adolescent pour entrer et sortir de la demeure familiale.

Coralie a 17 ans, son père, sa belle-mère, n'ont de cesse de l'accabler. Sa chambre n'est jamais rangée, son linge traîne hors de la corbeille prévus à cet effet, elle peut s'absenter sans dire ou elle va, réapparaître de façon toute aussi inattendue, en bref chacun s'offusque de son manque évident de respect des règles communes et de la bonne organisation de la maisonnée. A ce moment de l'entretien la désignation est telle que Coralie s'enfonce de plus en plus dans son siège et il m'est difficile de lui venir en aide. Le refrain est connu de tous, et il se joue sans le thérapeute.
A ce moment de l'entretien, le collègue qui assure la supervision de la séance me suggère de demander à tous de noter en secret sur un bout de papier, un chiffre de 0 à 5, ce dernier symbolisant ainsi le degré d'autonomie que chacun était prêt, d'une part à accorder, d'autre part à utiliser, pour que chacun soit dans une situation acceptable voire confortable. A ma demande chacun pose sur la table son petit bout de papier et lit le chiffre qu'il vient d'y inscrire.

-" trois " dit le père
-" trois " enchaîne la belle-mère
-" trois " finit par lâcher Coralie

Aussi surpris que moi, chacun faisait silence à la suite de cette séquence. Le passage du digital à l'analogique au travers de cette petite mise en scène avait permis en changeant de niveau de compréhension de réassurer le groupe sur ce qui faisait intrinsèquement son unité. En posant cette définition unanime il s'auto-prouvait sa cohésion, son identité. Dès lors le problème pouvait se définir en terme organisationnel car chacun avait reçu l'assurance d'une certaine loyauté, gage d'une appartenance que le toit commun symbolisait. La maison et ses occupants n'étaient plus en danger de dissolution, entrer, sortir, n'était plus qu'une modalité d'expression d'une personne en devenir qu'il suffisait de réguler. Ainsi le système thérapeutique en permettant un discernement conscient entre la personne, l'expression de ses difficultés et la scène ou s'exprimait les difficultés, autorisait par-là même une redéfinition interne du système et offrait la possibilité à ce dernier de se réamenager en fonction des événements de son cycle de vie.

V) la maison qu'il faut construire

Nous avons pour habitude de dire que lorsqu'un couple connaît des difficultés, il a toujours la possibilité de faire soit un enfant, soit de construire une maison. J'ai bien conscience que cette proposition est un peu provocatrice, toutefois elle tire son existence d'une certaine observation et validation clinique. Ainsi après cette période idylique décrite par de nombreux auteurs spécialistes du couple ( Willy, Satir v, R.Peronne) le couple s'organise sur le choix d'un objet commun qui est censé lui permettre d'assurer sa pérénité et d'accroitre son autonomie. Ce projet assure ainsi à tous une dimension sociale et affective contenante et valorisante.
Ainsi chacun pense que l'autre est à même de lui construire ou de lui aménager un espace conforme à ses désirs de vie. Chacun attend de l'autre qu'il mette en avant les compétences qui lui font défaut. Chacun assigne l'autre à la réalisation concrète d'un véritable scénario imaginaire. Cette mise en demeure de chacun doit de façon idéale autoriser une redéfinition sur fond d'un compromis possible. Mais parfois, il arrive que le système se rigidifie sous la pression d'un processus de loyauté et d'appartenance. Les modèles ancrés refont surface et contaminent l'espace relationnel du couple. Le ce que je suis et Le d'où je viens devient plus fort que Le ce que nous sommes et Le ce que nous allons devenir. Ce moment de fragilité peut aisément être dépassé, mais il se peut aussi que l'impression de malaise qu'il laisse conduise les participants dans une fuite en avant destructrice. Le changement que représente alors l'arrivée d'un enfant ou la découverte d'un nouveau lieu de vie peut avoir une certaine fonction apaisante. Mais très vite se pose la question du partage du territoire, de l'occupation des lieux et de sa légitimité. Si la chambre est conjugale le reste de l'espace va être l'enjeu d'un partage occulte qui a défaut d'être souvent équitable doit être identitaire. Ce jeu commun oscille en permanence entre complémentarité et symétrie. C'est dans cet aller et retour, cette sorte de balancement, que va s'établir un équilibre possible.
Antonia est une jeune et belle femme, entreprenante, elle affirme haut et clair son désir d'autonomie dans sa vie et dans son couple. Avec elle les choses doivent aller vite et surtout être conforme à ce qu'elle en attend. Michel lui est posé et plus jeune qu'Antonia, d'ailleurs il garde un souvenir vivace et ému de leur romance. Antonia maintenant mère de deux enfants a maintenant le sentiment qu'elle a assez construit, deux jeunes et beaux enfants, un mari presque élevé, elle attend en retour qu'il construise à son tour la demeure familiale. Michel est pourrait-on dire un cérébral, cent fois sur le métier il repose l'ouvrage, Antonia impatiente le somme de s'exécuter. Michel tout à son désir de bien faire est lent et maladroit. Antonia n'a de cesse que de le solliciter et lors de notre première rencontre son impatience est à son comble, car une fois de plus Michel a refusé l'aide de son beau-père maçon pour finir l'étage. Michel se focalise sur les détails de sa tâche, Antonia globalement conçoit et visualise les améliorations possibles.
Les thérapeutes assistent trop souvent à ces joutes incessantes jusqu'au moment ou ils ont l'idée d'en appeler aux bons souvenirs du couple, à ceux qui ont été partagés, les moments tendrement vécus, tous ces instants de plénitude et de bonheur qui ont été depuis oubliés, ils les invitent à retrouver comme les enfants qu'ils ont été les souvenirs rangés dans le coffre a jouets communs, a rechercher avec la même fantaisie, la même frénésie ces trésors oubliés, et c'est dans cette résonance émotionnelle aux accents quasi mythiques, véritable fondation du couple qu'ils vont entraîner Antonia et michel. Ces derniers peu à peu rassurés par le ciment du souvenir de leur romance acceptent enfin une définition commune et se permettent d'oublier pour un temps de chérir leurs différences pour courtiser leurs ressemblances. Si la maison reste a construire, chacun est sur que maintenant au-delà de la façon, ils sauront à nouveau être les artisans de cette construction

VI) un outil possible : l'appartogramme

Comme nous l'avons vu, l'habitat pourrait remplir un certain nombre de fonctions et je pourrais aisément reprendre l'inventaire qu'en fait Alberto EIGUER.(1999) (2)

-" 1) Une fonction de contenance et en conséquence, de différenciation entre l'extérieur et l'intérieur de la maison, afin de protéger la famille et de développer une certaine intimité réconfortante.

2) Une fonction identifiante, par laquelle la famille laisse ses marques, bien qu'à l'intérieur de la famille chacun ait son territoire, qui traduit ses goûts, ses préférences personnelles, ainsi que les alliances entre les membres de la famille. En conséquence l'habitat révèle aussi bien la maison commune, que la maison à soi, à chacun de ses habitants.

3) Une fonction de continuité historique, ou la mémoire joue son rôle liant.

4) Une fonction créatrice car la distribution des lieux, le choix des tentures des pièces, par exemple, impliquent une nouveauté par rapport aux représentations dont ils s'inspirent.

5) Une fonction esthétique qui vise à rechercher la beauté dans l'harmonie des formes pour le plaisir de tous. "

Ainsi toutes ces fonctions peuvent co-exister en un même lieu, en un même groupe, elles peuvent s'affronter ou se renforcer et il peut être utile pour notre clinique de proposer à la famille que nous accompagnons de prendre conscience des enjeux, et des fonctionnements subtils dont ils sont les héritiers et les artisans. En systémie nous avons l'habitude de sérier les processus communicationnels en deux grandes catégories. L'une concerne ce qui est dit, ce qui est de l'ordre de la parole, on l'appel : mode digital, l'autre regroupant tout ce qui est des attitudes, des mimiques, du non verbal que l'on nomme analogique. Le passage d'une mode à l'autre est bien évidemment notre lot quotidien, toutefois à l'image de monsieur Jourdain le mode analogique est pour nous tellement implicite qu'on tend à oublier son impact communicationnel et relationnel. Mais selon les théoriciens de la communication 60 % de la communication est non verbale donc analogique.

Proposer à la famille en souffrance de rédiger ensemble une représentation graphique de son lieu d'habitat puis de repérer ensemble qu'elles sont les zones communes, partagées ou celles qui sont individuelles nous revoie aux notions de frontière (claires, floues, rigides) développés par MINUCHIN, Ainsi nous pourrons explorer, travailler les places et les rôles de chacun, tenter de modéliser le fonctionnement de système familial. C'est un mode ou chacun est mis à contribution, les renseignements recueillis sont multiples et riches, chacun est amené à s'exprimer, chacun fait l'expérience d'être écouté, chacun est amené à écouter l 'autre. Le ce que l'on voit au travers de la trace, du dessin, de la carte de la maisonnée, prend le pas sur ce qui est dit et tend à distancier la plainte des plaignants.

(3) A. CHEVRIER-" Etabli par le patient ( et sa famille), L'appartogramme ne se réduit pas à un schéma informatif et à une géométrie abstraite : comme le dessin de la famille, il a aussi une dimention projective. " Toutefois il nous faut garder à l'esprit que cette représentation dans l'ici et le maintenant, que ce tracé, n'est qu'une carte et pour être conforme au paradigme systèmique la carte n'est pas le territoire et la carte ne représente pas tout le territoire, à savoir que bien que notre perception du monde nous apparaît comme la seule réalité, nous n'opérons pas directement sur cette réalité. Chacun de nous construit sa vision du monde et celle ci diffère d'un individu à l'autre. Ainsi sur la base de cette représentation graphique peu à peu se lie une dimention fonctionnelle et affective commune. L'appartogramme permet aussi de rencontrer l'autre dans son modèle du monde, ce qui nous permet d'établir et de maintenir notre rapport avec cette famille en la rencontrant sur l'image de son terrain. Enfin c'est un mode interactionnel bien investi par tous, ludique, qui permet de tenir compte de l'ensemble des messages émis par les personnes présentes et qui souvent met en oeuvre des stratégies ressources imprévisibles. L'appartogramme appartient donc à un ensemble de moyens d'expression graphiques permettant de prendre en compte les multiples facettes du fonctionnement familial. Comme le génogramme il constitue une source riche d'hypothèses sur la manière dont un problème clinique peut être relié au contexte familial ainsi que sur l'évolution possible du problème et de son contexte.

Pour conclure mon propos, je vous citerais Larry Watson qui dans son roman Montana 1948 fait dire à David Hayden son jeune héros les phrases suivantes :

" - Attendez ! "
J'ouvris la portière arrière et je sautais de la voiture, je courus vers la maison et grimpais sur un tas de neige pour jeter un oeil par la fenêtre sur notre salle de séjour. Je voulais avoir une dernière impression, avoir une idée de ce à quoi ressemblait notre maison sans nous. J'avais une réponse toute prête, au cas ou mes parents m'auraient demandé ce que je regardais : " des fantômes "

(1) L'autre clinique,cultures et sociètés, 2002, Vol 3,N°1,P132
(2) L'autre clinique, culture et sociète 2001, vol 3, N°3 P 512
(3) Un exemple d'appartogramme A. Chevrier Neuropsychiatrie de l'enfance 1992,
(4) Montana 1948 Larry Watson 1996
Boudeau Patrick
Président du CADEF
Boupat@infonie.fr