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Dans notre intervention, nous allons développer deux idées majeures :
. L'une qui reprend le thème de ce colloque " recommencer sa vie ",
. L'autre qui décrit le système maltraitant de la famille que nous avons choisie de présenter.
" Tout ce qui concerne la maltraitance est assez difficile à transmettre. "
Laissez-vous emmener par votre ressenti.
L'intérêt de notre intervention, dans un premier temps, n'est pas tant que vous compreniez la situation mais plutôt que vous ressentiez la confusion et l'absence de règles logiques dans laquelle nous plonge la famille maltraitante.
Nous vous invitons à reprendre les écrits dans un second temps.
Dans la vie de chacun, la perspective naturelle est d'organiser son avenir et non pas de réorganiser son passé, sauf quand un enfant de la famille dit " Stop ! Arrêtons d'aller vers l'avenir de cette façon là ! ".
L'enfant va commencer à développer des symptômes et pour forcer sa famille à changer, il doit les majorer pour que l'adulte n'ait plus le choix de continuer comme çà.
" Par ex, il peut montrer des perturbations sur le plan scolaire, ce qui va alerter l'école , ou développer des somatisations qui vont le mener à l'hôpital ". D'ailleurs, l'hospitalisation est souvent la seule possibilité de début de révélation des abus sexuels subis. L'attention doit être particulièrement attirée par les tableaux d'encoprésie, d'énurésie, d'anorexie, de boulimie, de rites obsessionnels (lavage du corps), de conduites de repli ou au contraire d'agitation, de tentatives de suicides, de maux de ventre, de malaises. A ce moment là, l'écoute doit contenir l'idée que peut-être quelque chose s'est passé dans la réalité.
Quand l'enfant va amener sa famille en consultation, celle-ci va commencer à regarder autrement son vécu émotionnel, relationnel et social, qui jusqu'à présent a organisé son rapport au monde. Les émotions deviennent plus exprimables, les façons de faire se modifient. Chacun des membres de la famille sort petit à petit du processus pré-existant qui figeait son fonctionnement.
Au départ de la consultation, le problème est attribué uniquement à l'enfant, à travers plaintes et souffrances familiales comme un signe de la folie ou de la méchanceté de l'enfant. Les thérapeutes sont donc chargés de régler ce problème, sans implication de la famille. Les parents imaginent qu'ils viennent nous confier l'enfant et que c'est lui-même qui doit opérer un changement, ce qui les maintient en dehors du système thérapeutique.
Un regard circulaire sur cet ensemble en crise à l'avantage de révéler le dysfonctionnement du système familial lui-même.
En ce qui concerne les systèmes maltraitants, la règle majeure est la soumission à l'autorité. Les familles maltraitantes sont dans leur ensemble des familles en crise avec la loi (morale et sociale). Les règles intrinsèques sont absurdes et dangereuses, elles viennent remplacer les lois élémentaires.
Pour l'enfant ces règles spécifiques au système intrinsèque auront fonction de loi, ce qui sera d'autant plus lourd pour lui qu'il s'agit soit d'un système familial de type dictatorial, soit d'un système chaotique, depuis plusieurs générations ou depuis la nuit des temps. Dans chaque situation d'abus sexuel, le travail thérapeutique avec le génogramme met le plus souvent en perspective, le fait que plusieurs générations sont directement concernées.
Dans le cas du père abuseur, celui-ci impose avec force ses propres croyances pour camoufler le caractère arbitraire de son pouvoir et ne pas être remis en cause. C'est une véritable relation d'imposture car pour obtenir une jouissance sexuelle, il fait croire à l'enfant que "çà se fait comme çà dans toutes les familles ". Cette banalisation est une stratégie supplémentaire pour rendre l'autre confus.
Dans ces familles maltraitantes les frontières stables entre les générations sont invalidées. A fortiori, dans les familles incestueuses, où les limites entre les générations sont spécifiquement ou enchevêtrées ou trop étanches, du fait de la mystification perverse mise en acte.
C'est là que le désir de domination et le désir sexuel d'un seul adulte peut faire la loi à tout un groupe : le "père de la horde primitive " décrit par Darwin et Freud n'est pas seulement une figure mythique des origines de l'humanité, mais concrètement une présence constante dans ces familles maltraitantes, la référence de base pour comprendre l'abus de pouvoir intra-familial, intra-institutionnel.
La règle majeure est : " la soumission à l'autorité ".
L'enfant aura cette habitude de fonctionnement dans tous les systèmes qu'il va rencontrer (scolaire, médico-psychologique, judiciaire et policier).
Le premier entretien va connaître un déroulement à la fois banale et complexe. Comme la plupart du temps, les informations majeures vont nous être données, et la charge émotive des sujets abordés nous rendra plus ou moins réceptifs.
C'est à ce titre, que la lecture et l'élaboration de ce qui est transmis dans le premier entretien et les suivants, est d'une nécessité absolue. Ce temps de réflexion qui permet de restaurer la chronologie, est indispensable et fondamental dans l'aide que nous apportons au patient, de même que la transmission d'un contenu clarifié aux différents intervenants qui vont faire partie du système thérapeutique.
Dans ces familles, le contenu amené, est relaté avec les difficultés psychiques de la famille, induites par le système maltraitant dont elle fait partie.
Ce contenu est :
Incohérent, sans trame,
Sans chronologie,
Masqué par la honte et la culpabilité,
Avec un accent mis sur les événements les moins chargés en affect.
" Il ne faut pas oublier que la mémoire de ces patients est en miettes, la transmission du contenu de l'histoire familiale va se faire sous forme de mosaïque. Le récit s'apparente la plupart du temps à des contes et légendes qui bercent les thérapeutes. Quand les thérapeutes se réveillent c'est avec l'idée de remettre les choses en ordre. Un des outils utilisé est le repérage chronologique des événements et le génogramme. L'aventure pour le thérapeute commence ".
Nous allons nous attarder plus particulièrement sur le premier entretien, afin de bien mettre l'accent :
. sur la somme des informations qui nous ont été données à cette occasion, et que nous n'avons pas immédiatement décryptées.
. sur la dynamique des entretiens qui va osciller entre le présent, le futur et le passé.
. sur le caractère décousu des éléments transmis par la mère.
Nous présenterons les trois autres entretiens plus succintement.
Nous allons vous donner un aperçu de la composition de la famille :
Madame L. a eu 7 enfants de 5 pères différents.
Les deux premiers, Noël et Odile sont du même père (Jules).
Le quatrième Pierre Noël et la petite dernière ont le même père (André).
Les trois autres enfants ont chacun un père différent.
L'aîné, Noël, habite à l'étranger.
Les autres enfants habitent actuellement chez leur mère.
" Embarquement immédiat pour le pays de la maltraitance ".
Premier entretien : 3 juillet 2001
Personnes présentes : La mère, Pierre Noël (6ans, 4ème enfant de la fratrie), Ysis (6ème enfant de la fratrie)..
Madame L. est venue consulter pour un de ses enfants pour un trouble articulatoire. Ce motif allégué se révélera être un symptôme mineur.
A propos de ces difficultés d'expression, elle nous dit qu'il est assez bébé et nous donne rapidement sa propre interprétation des faits.
" Il y a un manque du père ".
Elle ressent un manque d'autorité vis à vis de Pierre Noël.
Madame L. va tout de suite nous donner l'occasion de nous initier aux aller-retour entre la situation présente de son fils et son passé à elle. Cet accent qu'elle met sur l'absence du père de Pierre Noël est immédiatement transposée sur elle. A travers cette question du père, cet enfant lui fait revivre sa relation à son propre père : qui était maltraitant.
Elle décrit une maltraitance, à son égard, jusqu'à l'âge de ses huit ans. Elle nous parle d'un signalement aux services sociaux, qui a eu pour conséquence son placement. Ceci engendre une rupture avec son père, sa mère quant à elle, vient peu la voir.
Elle associe sur le suicide de son frère d'un an plus âgé qu'elle.
Puis, elle se rappelle la période de ses deux ans : sa mère est partie et son père a élevé les enfants.
Elle évoque les violences sexuelles faites par son père sur ses deux sœurs aînées, et les violences du père sur ses différentes compagnes.
A ce moment de l'entretien, nous ne nous attendions pas à entendre parler d'inceste, étant donné que le motif de consultation était un trouble articulatoire. Nous voilà plongées tout à coup dans un autre univers.
Nous l'interrogeons sur un éventuel dépôt de plainte : pas de plainte donc pas de procès.
La violence pouvait donc continuer.
Elle associe sur le dépôt de plainte qu'elle aurait fait, concernant les abus sexuels dont sa fille aînée Odile a été victime de la part de son fils aîné Noël. Le fils ne se serait pas présenté au procès.
Nous nous rendrons compte plus tard qu'à ce moment là, elle a occulté une partie des informations . Nous pouvons faire l'hypothèse que ce qui s'est réellement passé est trop douloureux pour être dit ou même simplement pensé.
Elle nous transmet des informations larvées, sur les abus sexuels subits par Odile. Selon elle, les abus sexuels ont commencé lorsqu'elle avait douze ans. Odile les a révélés en 1998, alors qu'elle avait quinze ans.
Madame L. mentionne que Pierre Noël avait deux ans.
Pendant le travail de relecture, cette mention de l'âge de Pierre Noël, nous amène à nous interroger sur le sens de cette donnée. Notre hypothèse est qu'en précisant l'âge de Pierre Noël, elle se représente peut-être qu'il était né au moment des abus sexuels et elle s'interroge sur un éventuel abus que cet enfant aurait pu subir ou voir lui aussi.
L'évocation des abus fait par Noël l'amène à parler de son ex-mari (c'est à dire le père de Noël). Son ex-mari vit actuellement avec Jeanne l'une des sœurs aînées de madame. Elle est la tante maternelle d'Odile.
Madame a le sentiment de ne pas avoir été soutenue par cette sœur et elle lui en veut beaucoup.
Cette association libre montre :
. le manque de lien tangible et décryptable,
. la succession sans chronologie des informations
. la difficulté de madame L. à avoir des repères temporels.
Elle se décrit comme quelqu'un d'assez renfermé à cette époque, mais actuellement plus à l'aise. Pierre Noël serait comme elle.
Madame L. évoque ensuite, l'époque de la naissance de Pierre Noël.
Le père de Pierre Noël, marié par ailleurs, n'est pas venu à la maternité, par contre il était content d'avoir un fils et il lui a fait croire qu'il allait divorcer. Elle, tout en sachant qu'il ne quitterait pas sa femme, nous dit qu'elle est encore amoureuse de lui.
La somme et la disparité des informations, nous submergent et nous enlèvent nos repères. Nous essayons alors de nous recentrer sur le cadre habituel du premier entretien.
La suite logique nous semble être de revenir aux symptômes et à l'environnement familial. Nous recueillons quelques informations sur les pères des autres enfants.
Nous commençons par les enfants présents.
Le père d'Alizée.
Madame L. en avait peur, il était violent verbalement. Elle avait peur de ses fréquentations, il était recherché par la police. Actuellement, elle n'a plus de nouvelle de lui. Il avait menacé de venir chercher la petite et de l'emmener.
Cette peur est encore très actuelle, au point d'envahir la famille, et madame L. en parle encore au présent. On fait l'hypothèse que les maltraitances que madame a subies, la maintiennent dans un état de soumission identique à celui qu'elle a connu dans son enfance. Du coup, les réactions de protection qu'on pourrait attendre dans une telle situation de la part d'une mère n'arrivent pas.
Le remaniement psychique nécessaire pour réfléchir autrement n'existe pas.
C'est comme si la violence qu'elle a subie, était tout à coup réactualisée à l'état brut, pendant l'entretien.
Pierre Noël, d'ailleurs, nous fait part de la peur qu'il a vis à vis de cet homme. Il mentionne sa violence et le fait qu'il possède des armes. Ce qui nous montre bien le climat émotionnel, propagé par la peur, existant toujours dans la famille.
Les émotions qui sont à l'œuvre nous contaminent. Peut-être pour éviter cette contamination, nous nous recentrons sur les informations de base, qui concernent la demande de consultation pour Pierre Noël.
Après 45 minutes, nous reprenons des informations sur l'entrée à l'école de Pierre Noël. Les premiers jours ont été difficiles, il a beaucoup pleuré, puis rien de particulier. Elle fait le lien avec le fait que Pierre Noël ne veut pas partir en colonie de vacances. Elle sous-entend, qu'il a du mal à se séparer d'elle.
Les propos qu'elle tient ensuite, nous semblent sans lien : elle nous dit qu'elle n'a pas son permis, qu'elle est venue à pied de la commune où habite sa mère., que sa mère est plus proche d'elle actuellement, qu'elle est aussi assez proche de son beau père et qu'elle en accepte l'aide.
Nous constaterons dans l'après-coup, qu'à travers ces données, madame aborde le thème de la séparation mère-enfant. Une partie d'elle parle de rapprochement en même temps que l'autre partie parle de séparation. Nous constaterons aussi qu'elle change rapidement de sujet à chaque fois que nous nous recentrons sur les enfants.
A l'idée d'être replongées dans cet océan d'informations floues, discontinues et très fortement chargées émotionnellement, nous essayons de revenir à notre fil conducteur par rapport au déroulement du premier entretien.
Voilà ce que nous dit madame L. : " en deuxième année de maternelle, Pierre Noël a commencé à parler. Avant il utilisait des mots courts. Il essaie de compter comme son frère aîné Matthieu. Il est sage. Il peut se bagarrer avec ses frères et sœurs, il s'entend bien avec Alizée ".
Madame L. vient sur les conseils de l'école, elle ne pensait pas à de l'orthophonie, elle espérait que çà vienne de lui-même.
Elle pense que son fils à besoin d'aide.
Matthieu le frère plus âgé de quelques années se moque des difficultés de Pierre Noël.
Pierre Noël a un bon contact avec les autres enfants, il n'est pas agressif. Il est assez indépendant, il aime bien jouer dans son coin.
Il ne peut pas mettre le bon nombre de couverts à table.
Toutes ces informations nous arrivent par bribes, sans que nous puissions reprendre quoi que ce soit. Les informations sur le quotidien sont données de façon paradoxales et décousues. Nous éprouvons des difficultés grandissantes à prendre des notes.
Nous terminons le premier entretien.
Après cette description, vous comprendrez la nécessité pour nous de retravailler sur tout ce contenu pour essayer de trouver des repères et une cohérence dans l'histoire de cette mère. Ceci, afin que nous l'accompagnions dans la transmission de son histoire de maltraitance à ses enfants.
2ème entretien :
Madame L. revient sur un des propos abordés au premier entretien : le suicide de son frère. Elle le décrit comme gentil, renfermé et sans caractère.
Nous lui demandons si certains de ses enfants lui ressembleraient : elle répond par la négative. Par contre, Matthieu est décrit comme le dictateur de la famille et elle a fait une demande d'aide à la parentalité auprès de l'Aide sociale à l'enfance.
Nous serons certainement amenés à être partenaires avec ce service au cours de cette thérapie.
Nous apprenons que le parrain de Pierre Noël et sa femme sont des amis de longue date, rencontrés pendant la période où elle a habité en foyer (jeune adulte). Les rapports avec cette femme se sont à un moment dégradés au point que d'amie elle est devenue ennemie.
Nous sommes de nouveau plongées dans l'ambiance familiale qui est là centrée sur un sentiment de grand danger pour madame et sa famille.
Madame L. reste persuadée que le père d'Alizée va mettre sa menace à exécution : " venir chercher sa fille en étant armé ". Cette menace a été émise pour la première fois il y a trois ans mais l'emprise reste forte. Du coup elle -même s'est armée.
Nous pouvons faire l'hypothèse que l'emprise exercée sur elle par cette menace, réactualise le climat de violence familiale qui a été le sien pendant son enfance. Dès que la violence est évoquée, l'adulte est replongé dans un état psychique semblable à celui de son enfance, dans lequel le système dictatorial empêche toute tentative de penser la situation autrement.
Nous essayons de nous recentrer sur les enfants et nous proposons un bilan orthophonique pour Pierre Noël, qui amène à une prise en charge individuelle.
3ème entretien :
Même constat à propos de Pierre Noël, les choses sont stationnaires.
Nous lui demandons de préciser quelques éléments du dépôt de plainte concernant Odile, dont elle nous a parlé au premier entretien.
Elle évoque plusieurs confrontations, les informations nous semblent floues.
Nous l'incitons de nouveau à donner des précisions pour tenter de mieux nous repérer.
Elle nous parle, alors, pour la première fois des abus sexuels subits par Odile de la part de son grand-père maternel.
Elle parle d'abord de la plainte déposée contre Noël puis des difficultés d' Odile avec son père : son discours est décousu.
Elle emploie le mot rejet et à cette évocation, elle associe avec son passé : elle aussi a été rejetée.
Elle décrit toutes les maltraitances qu'elle a vécues et nous apprend que ce sont ses deux sœurs aînées, alors qu'elles avaient douze ans, qui en cachette, réfugiées au fond d'un champ éloigné de la maison, ont alerté par un courrier les services sociaux.
Elle continue en décrivant l'histoire des enfants de sa sœur Jeanne. Elle profite de ce retour en arrière pour dénoncer les incompétences maternelles de cette sœur.
Jeanne a abandonné le premier, laissé le deuxième à son père et gardé le troisième qui se drogue. Elle associe sur le fait, que c'est justement cette sœur dont elle décrit les incompétences qui a porté plainte à propose de son incompétence à elle.
Elle nous donne une information majeure, noyée dans cette description.
C'est-à-dire, que madame L. était peu présente à la maison, elle recevait des hommes chez elle et était souvent au café. A cette époque, elle avait Odile. Matthieu venait de naître. Elle dit qu'elle était perdue, qu'elle n'avait jamais eu la force de se défendre.
Quand elle décrit cette période de sa défaillance psychique, elle devient confuse. Les dates et les événements se mélangent.
Elle nous amène sur un terrain d'où elle est absente et sans responsabilité.
Elle projette sur sa sœur tout ce qu'elle ne peut pas se reprocher à elle-même.
Elle accuse sa sœur de ne pas avoir pu empêcher les abus sexuels de Noël sur Odile et d'avoir rendu son fils Noël violent et homosexuel.
L'accusation est centrée sur Jeanne excluant totalement son ex-mari qui est décrit comme renfermé mais placide et gentil.
4ème entretien.
Neuf mois après le premier entretien, les éléments donnés par madame L. concernant le dépôt de plainte, sont plus clairs.
Nous commençons à recoller les morceaux et à entrevoir une chronologie des événements pour chacun.
Pierre- Noël a un déclic par rapport à l'école, il a des copains, il commence à se socialiser.
Tout le travail fait autour et avec cette famille a sans doute eu comme effet que chacun puisse sortir du chaos familial et puisse commencer à exister pour soi.
Ce travail comprend :
. le soutien apporté à Odile pour qu'elle puisse porter plainte en son nom,
. le fait que la mère a pu évoquer devant les enfants les maltraitances qu'elle a subies,
. la réflexion qu'elle a commencée sur elle-même.
CONCLUSION
Après ces quatre entretiens, nous prenons conscience de notre difficulté à rester maître du contexte thérapeutique, c'est-à-dire à tenir le cadre.
Par exemple, lorsque nous abordons un des volets essentiels de la thérapie : le juridique. Nous demandons à madame L. d'apporter le récépissé de dépôt de plainte, elle nous amène le document concernant la mesure A.E.MO.
Ce récépissé de dépôt de plainte est important car il permet à notre collègue et partenaire, l'assistante sociale d'avoir le numéro du procès verbal, qu'il faudra mentionner pour obtenir des informations auprès du bureau d'ordre au tribunal.
Chez ces familles mal traitantes, vous voyez, que le paradoxe est constant dans l'échange.
Les informations données par cette famille de manière floue, sans logique, sans chronologie, masquées par la honte et la culpabilité, vont nous maintenir dans un état semblable à l'hypnose, ce qui nous empêche de travailler et montre la résistance au changement.
La famille nous met sous emprise et continue à garder le pouvoir.
Cette mère reproduit un mode de fonctionnement, du système familial dans lequel elle a grandi : c'est-à-dire un système dictatorial. L'enfant en amenant sa mère en consultation au CMP, va peut-être lui donner une chance de modifier son futur.
Nous pouvons rappeler que les familles maltraitantes, dans leur ensemble, sont en crise avec la loi.
Nous avons pris conscience de cette règle de fonctionnement, grâce à un travail de supervision, fait à partir de la bande vidéo d'un des entretiens (bien évidemment ce film a été réalisé avec l'autorisation de la famille).
Notre projet thérapeutique va donc s'orienter vers des pistes plus concrètes :
. état actuel de la procédure concernant Odile,
. observation plus minutieuse des enfants (jeux, comportements, verbalisation…),
. vigilance accrue pour maintenir le cadre thérapeutique et ne plus être sous l'emprise de madame L.
Nous nous apercevons que si l'enfant amène sa famille à changer, la famille amène aussi les thérapeutes à modifier et à faire évoluer leur pratique.
Voilà comment Pierre Noël, grâce à son problème de langage a amené toute la famille à réactualiser son passé, pour un avenir différent.
Nous allons maintenant préciser des techniques de travail qui se réfèrent à celles expérimentées par l'équipe des Buttes Chaumont, depuis une quinzaine d'années. Cette équipe est d'ailleurs à l'instigation des lois relativement récentes, entre autre la loi de 1998, qui reconnaît à l'enfant un statut de victime et qui permet la poursuite au pénal des agresseurs.
A propos de ce travail clinique, il faut rappeler que ces situations de maltraitance physique ou sexuelle, arrivent dans nos services, à des moments très différents de l'histoire familiale.
Bien sûr le projet thérapeutique ne sera pas le même, selon que la famille arrive avant ou après le procès, de même avant ou après la révélation.
1er exemple,
Un enfant en cours de thérapie individuelle fait des révélations d'abus sexuel, donc le dépôt de plainte n'est pas fait.
v Si les abus sont extra-familiaux, notre travail sera d'accompagner la famille dans les démarches qui entourent le dépôt de plainte. En général, les familles ont peu de repères et de connaissances du milieu de la police et de la justice. Les moments difficiles accentuent cette méconnaissance. Les professionnels doivent, eux , être formés et avoir une bonne connaissance du fonctionnement de la justice, pour accompagner la famille dans ce périple.
v Si les abus sexuels sont intra-familiaux, ou ont lieu dans les institutions ou familles d'accueil il n'est pas question d'aller vérifier auprès des parents ou institutions, si les dires des enfants sont véridiques. Le risque en révélant les propos de l'enfant, est que la famille ou les institutions renforcent la loi du silence par des menaces. L'enfant aura alors plus de difficultés à réévoquer les maltraitances, il risque de s'enfermer dans le silence qui lui est imposé.
Nous devrons commencer par rédiger un signalement. Nous vous rappelons que la loi nous relève du secret professionnel et prévoit qu'un signalement doit être fait dès qu'il y a suspicion de maltraitance et que la personne qui pose cet acte, n'a en aucune façon à faire la preuve de la maltraitance. Faire la preuve est du ressort de la justice.
Dans le signalement, il s'agit de noter mot à mot les dires de l'enfant et d'ajouter toutes les perturbations psychologiques que nous avons constatées, qui pourront donner un éclairage supplémentaire au magistrat.
Il est important que les professionnels aient une connaissance précise des perturbations liées aux abus.
Le non signalement, peut amener le thérapeute à encourir des poursuites judiciaires.
Le signalement sera lu à l'enfant de façon à ce qu'il soit informé du fait que nous avons pris ses révélations en considération et que nous le transmettons aux autorités compétentes. Nous envoyons le signalement au procureur, un double sera envoyé aux services chargés de la protection de l'enfance (qui deviendront nos partenaires). Ces deux instances peuvent elles-mêmes interpeller le juge pour enfant en cas de maltraitance grave.
Dans certaines circonstances, la loi prévoit que l'enfant pourra être aidé en son nom, par un avocat qui va défendre les droits de l'enfant.
Les services de protection de l'enfance, eux, vont défendre les intérêts de l'enfant (placement éventuel, organisation du droit de visite, continuité de la scolarité, nomination d'un administrateur ad-hoc etc…).
2ème exemple :
Une mère vient consulter pour son enfant après qu'elle ait déposé plainte.
Notre travail va consister à accompagner cette mère et son enfant dans la procédure qui va suivre.
Il faudra expliquer comment va se dérouler la procédure et le but des différentes convocations de la gendarmerie, police et justice.
La lenteur du système judiciaire amène à des découragements, et notre travail consistera à faire comprendre à cette mère et à l'enfant que le temps d'enquête et d'investigation est nécessaire pour ne pas passer à côté de l'essentiel.
D'une façon générale, ce qui est fondamental pour l'enfant quelque soit le contexte :
c'est de lui transmettre les actes et les démarches qui sont faites par les différents partenaires.
Selon Martine Nisse et Pierre Sabourin (co-fondateur depuis 15 ans du Centre des Buttes Chaumont ) :
" pour faire évoluer ces situations de crise, la potentialité du réseau secondaire, c'est-à-dire la disponibilité et la mobilisation des membres de la protection de l'enfance sera déterminante. C'est l'enjeu de ces thérapies pour l'avenir. Dans un domaine si sensible, nous nous sommes vite aperçus, qu'une thérapie individuelle mise en place pour un tel enfant victime d'un pédophile extra familial ou victime d'un système incestueux, ne pouvait en aucun cas être un facteur de changement suffisant, étant donné les forces en présence. Il est apparu nécessaire de réunir d'abord le plus grand nombre de personnes possible pour que puisse se gérer cette crise familiale extrêmement grave.
De plus, la maltraitance familiale est un tissu de base sur lequel vient se greffer une succession de maltraitances institutionnelles (pédiatrique, sociale, policière et judiciaire), d'où la nécessité d'un travail en réseau qui aidera aussi à lutter contre cette répétition ".
Voici quelques aperçus du contexte législatif (notamment la loi n°89-487 du 10 juillet 1989 qui organise la prévention des mauvais traitements, à l'égard des mineurs et la protection de l'enfance).
Le système de protection de l'enfance repose en France sur une législation contenue dans trois codes :
- le code de la famille et de l'aide sociale,
- le code civil et de procédure civile,
- le code pénal et de procédure pénale.
Le code pénal concerne la révélation du secret professionnel. Des modifications importantes ont amené à élargir la liste des professionnels astreints au secret professionnel et ont étendu considérablement le champ des obligations de révélations.
La responsabilité pénale des professionnels est beaucoup mieux définie.
La révélation des mauvais traitements par un signalement, peut être faite aux autorités administratives (services sociaux) mais également directement aux autorités judiciaires (procureur). Le professionnel est tenu de signaler dès qu'il a un suspicion de mauvais traitements et en aucun cas il ne doit en faire la preuve.
Au pénal, en cas de non signalement, il n'y a pas de responsabilité collective, la responsabilité est individuelle.
Adresse :
Centre des Buttes Chaumont
20 rue du Rhin
75019 Paris.
Tél : 01.42.40.03.39.
Fax : 01.42.49.12.05
e-mail : therapies.buttes-chaumont@wanadoo.fr
Livres :
" la violence impensable "
de F. GRUYER, M. FADIER-NISSE, Dr P. SABOURIN
édition NATHAN 1991.
" l'enfance victime "
de M. NISSE
édition l'Atelier de l'Archer 1999.
" Ferenczi , Paladin et grand vizir secret "
de Pierre SABOURIN.
Editions Universitaires 1985.