" En place "
Jacques Joimel
1. Introduction :
La place que nous pensons occuper dans notre famille, dans notre travail, parmi nos amis, vis à vis de nos parents, de notre fratrie, vis à vis de nos enfants est l'objet de toute notre attention et ceci toute notre vie. Cette place n'est pas la même car la référence change (soit par rapport à son père, sa mère, son ou ses enfants, frères, sœurs, grand pères, grand mères, collègues ou amis). Elle peut même rapidement changer en fonction des circonstances tel enfant se verra propulsé dans un rôle totalement inédit pour lui au décès brutal de ses parents. Cette place ou plutôt ces places varient donc au grès des références et du temps.
Ces places font aussi l'objet d'un questionnement quasi quotidien, est-ce que je suis à ma place, quelle place j'occupe dans la vie de l'autre ( conjoint, enfant, parent, frère, sœur). On peut même dire que ce questionnement absorbe à lui seul une énergie considérable.
Un des aspect est le regard que pose sur vous les autres, et le regard que vous posez sur eux, quelle place accordez vous aux autres et quelle place vous accordent-ils ? C'est à travers ces regards croisés que l'on peut trouver une hypothèse de place. Pour aller plus loin , prenons la métaphore du point ( dans ce cas de la place) que le marin doit faire pour connaître régulièrement sa position sur l'eau ou plutôt sur la carte marine. Ce navigateur va relever à l'aide de son compas au moins trois amers ( points remarquables sur la côte ) qui l'aideront à se situer ( plus ou moins précisément) en fonction de la taille du triangle sur la carte marine. Ce point ne bougera pas et sera relativement fiable en cas d'immobilité du navigateur. Or la vie comme le bateau sont l'objet de mouvements plus ou moins bien contrôlés ( dans le cas du navigateur, vitesse du bateau, vent et courant, dérive du bateau) dans la vie du sujet, circonstances de la vie ( naissance, décès, mariage, divorce, travail, chômage etc…), années qui passent, références qui bougent, ce point est fait constamment car le sujet a besoin comme le navigateur d'être rassuré sur sa position pour éviter les écueils et le naufrage.
Nous nous contenterons aujourd'hui de regarder de plus près un petit aspect de cette vaste problématique : quand l'enfant devenu parent essaie d'inventer un rapport nouveau, avec ses propres enfants qui soit en rupture avec ce qu'il a reçu comme modèle de ses propres parents.
2. Présentation de la problématique :
Nous allons voir comment au cours d'une prise en charge en thérapie familiale un couple de parents se trouve déstabilisé quand ils ont décidé d'inventer un nouveau rapport avec leurs enfants, essayer d'être parents différemment.
3. Présentation du contexte :
La mère se présente à la séance préalable à la thérapie familiale, seule, avec deux de ses enfants, il manque donc le père ( qui est de permanence à son travail ), et leur fille aînée. Le problème évoqué est une mésentente familiale importante du couple à propos de l'éducation des enfants. Amélie 13 ans présente des difficultés scolaires importantes, elle a été suivie en individuel par une psychologue du service, et celle ci à son départ a adressé la famille en thérapie familiale. La famille comporte donc 3 enfants : Cloé 17 ans, Amélie 13 ans et Martine 8 ans.
4. Déroulement des séances :
A la première séance le père est toujours absent , de permanence au travail, Madame relie le problème directement à la mésentente familiale et surtout les divergences dans le couple sur la manière d'élever les enfants, elle dit aussi qu'elle ne parle réellement avec son mari que lors des entretiens familiaux qu'avait organisé la psychologue durant la prise en charge d' Amélie.
Amélie va mieux, avec de meilleurs résultats scolaires, la mère le relie directement aux entretiens psychologiques, Cloé l'aînée veut d'ailleurs faire psychologue plus tard…Madame a l'air lasse, Martine dit ne rien comprendre à cette situation conflictuelle. Le couple a déménagé pour des raisons professionnelles ( chômage de Mr) et s'est rapproché de la famille de Mme, néanmoins des liens très fort sont maintenus avec leur ancien domicile, à tel point que la marraine d'Amélie reçoit plus souvent la visite de la famille que la fratrie de Mme. Nous notons que Mme est très au fait de l'outil systémique et que pour elle le symptôme est porté par l'un des enfants mais que c'est toute la famille qui est malade. Le thérapeute est étonné du niveau de verbalisation de la famille et a le sentiment que Mme est très entourée par ses deux filles, on ne peut que rester interrogatif sur la place qui est dédié au père et à la grande sœur. Pour pouvoir en juger le thérapeute exige la présence du père à la prochaine séance.
La deuxième séance se déroule sans Martine et Cloé mais le mari est présent, celui ci noie le thérapeute dans un flot de paroles pour se justifier, face aux accusations de Mme : " il ne s'occupe pas des enfants son action est plus théorique que pratique ". Mr plaide pour une autonomie des filles dans leur travail scolaire, tandis qu'Amélie teste les limites en chapardant des affaires, le père a très mal au dos et doit se reposer ce que reconnaît l'ensemble de la famille, Madame passe beaucoup de temps à justifier l'absence de Martine et de Cloé. Devant ce bavardage incessant le thérapeute décide de changer de support et demande à toute la famille de lister ses exigences minimales et maximales envers chacun des membres de la famille. Cette tâche se fera à la maison, car le thérapeute semble soupçonner les parents de vouloir mettre en scène leur conflit de couple et de le faire régler par un tiers. Dans cette configuration nous voyons que la place du thérapeute est l'objet d'une stratégie fine de la part de la famille en se dégageant de leur responsabilité en cas d'échec, le thérapeute est posé en tant que spécialiste du conflit, juge, et exécutant de la peine encourue. Quelle place a t-il à ce moment ? Grand père, grand mère ?
A la troisième séance toute la famille est là et Cloé a réussi à se libérer, la tâche demandée a été faite partiellement, tout le monde y a participé. La tâche révèle une grande frustration de tous les membres de la famille sur le temps consacré à l'autre, la quête d'attention, les revendications sur le respect de la part de tous et les divergences du couple sur l'éducation des enfants. Les enfants ne sont pas tendres ni avec leur mère ni avec leur père. Cloé demande expressément à sa mère de ne plus servir de déversoir des problèmes qu'elle a avec son mari.
Lors de la séance nous apprenons par Amélie que les parents ont eu une grosse discussion la veille, de manière que tous les enfants écoutent sans être dans la pièce, dispute par épisode, le père, voulant avoir raison, et la mère tenace sur ses revendications, le père note des changements de comportements chez Amélie et Martine mais en attribuent la cause à l'extérieur de la famille.
Le thérapeute s'interroge sur la place de chacun dans la famille et note qu'Amélie a une fonction de sentinelle, révélateur du niveau d'exigence de la mère et de la famille envers tous les ressortissants. Mais devant le faible niveau d'informations et la volonté toujours linéaire d'explication de chacun d'entre eux, le thérapeute entreprend la confection du génogramme familial. Il s'agit de pouvoir faire des liens dynamiques de fonctionnement familial à partir de la place de chacun dans la constellation familiale. Cet exercice est abrégé faute de temps à cette séance. Alors que l'on note une très grande participation de la famille à tous les exercices, le thérapeute ne peut que s'interroger sur la place que chacun des membres de la famille occupe, dès que l'on ajoute aux présents les absents ( parents, grands parents, sœur, frère, oncle, tante). Comme si ce qui se vivait dans la famille nucléaire était très différent de la place qu'ils se donnaient ou qu'on leur donnait dans la famille élargie. D'oû vient cet écart, qui l'a conçu, initialisé ? Le thérapeute perçoit une sorte de malaise chez chacun des membres, quelle place prend-il dans cette constellation ?
A la quatrième séance la famille triste, exprime cette impossibilité de faire des choses ensemble, sauf en présence de la marraine d'Amélie ou la marraine de Mme, la famille évoque aussi l'attitude du beau père de Mr qui a essayé à plusieurs reprises de faire divorcer le couple parental.
Lors de cette séance Martine dessine une maison du bonheur qu'elle appelle prison. Les thérapeutes constatent l'exiguïté de la place de Mr dans la famille et la fonction du symptôme pour mettre cette place en valeur.
Lors de la cinquième séance la mère évoque la longue discussion qu'elle a eu avec sa fille aînée, sur la présence de son copain à la maison, à qui l'on reproche de ne pas être intelligent, ne pas savoir parler, ce à quoi Cloé répond qu'il sait écouter lui. Le père ne sait pas parler à sa fille et la mère intervient en tant que médiatrice. Dans les 2 familles des parents les femmes sont les pivots , des battantes libérées, entreprenantes, dont Mr et Mme ont le même modèle : des femmes dominatrices, ce que refuse d'exercer Mme, en tout cas refuse de l'admettre. Mme se plaint que tout repose sur elle, et que le père ne fait rien à la maison, elle est victime, slogan que reprennent volontiers ses filles.
Mr dit se sentir à l'aise dans la position de père /copain c'est plus facile pour lui, alors que Mme lui demande d'être autoritaire, alors il " gueule ", comme son père, qualifié de faible.
Les thérapeutes devant ce déroulement " classique " de revendications mutuelles demandent à la famille d'écrire leurs exigences mutuelles.
A la sixième séance, Cloé est absente, elle est rentrée en internat, la famille n'a pas exécuté la tâche, faute de compréhension de Mme.
Mr et Mme découvrent en séance qu'ils sont d'accord sur l'éducation de leur fille en théorie, mais ils se disputent tous les soirs sur ce sujet. Mr dort en attendant que sa femme rentre du travail, Mr pense que tout le monde est contre lui, il se sent isolé. Nous observons que les filles savent parfaitement faire démarrer une dispute à la maison chaque soir comme une sorte de rituel. Toute la famille est acquise à l'observation du thérapeute, tout le monde souffre dans cette famille mais personne ne veut que ça change.
Le thérapeute demande à la famille de réfléchir à quels petits changements les parents peuvent décider et faire respecter dans la durée. Les thérapeutes s'interrogent sur l'absence de Cloé, se retirerait-elle du jeu familial ?
A la séance 7 tout le monde est là sauf Cloé, c'est une séance règlement de compte. Mme accuse son mari d'avoir fait empirer la situation, il s'éloigne de ses enfants et de sa famille, il est violent avec sa fille aînée, il recherche la solitude, elle pense qu'il est dépressif et s'auto détruit. Le reste de la famille se rassemble autour de la mère, or nous apprenons que la mère de Mr est à la maison ce que ne supporte pas Mme. Elle accuse celle ci d'avoir rendu son mari incapable d'être père, le père s'effondre à cette évocation.
Les thérapeutes pourraient envisager de travailler la séparation du couple, mais on pourrait renforcer le symptôme.
A la séance 8 devant l'évolution dramatique de la situation les thérapeutes veulent faire changer la famille de niveau conversationnel. Pour ce faire ils vont utiliser la technique des objets flottants en l'occurrence la baguette magique.
Cloé s'arrange pour ne plus être dans la famille, elle fuit la conversation, elle manque beaucoup à ses sœurs, ceci rajoute à la situation douloureuse de la famille.
En travaillant le départ des parents de leur propre famille, ceux ci, s'aperçoivent que l'essentiel de leurs disputes tiennent à leur relation avec leurs propres parents.
Nous demandons à chacun des parents présents de transformer l'autre en animal et de lui attribuer de fait une compétence. Ainsi Mme se retrouve changée en chienne, symbole de patience, ce que Mme ressent comme quelqu'un qui écoute se tait et sent les choses, Amélie en poney qui a un mauvais caractère mais doux, Martine en oiseau insouciant et le père en aigle attentif. Cette technique permet à chacun de trouver des compétences aux autres membres et d'ajouter à la décrispation ambiante.
A la séance 9 la famille se présente comme une famille qui va bien, le père accompagne ses enfants au cinéma, et fait de la pâtisserie avec eux. Le frère aîné de Mme est venu se réinstaller chez sa mère après 20 ans d'absence, et un divorce ce qui inquiète beaucoup toutes les sœurs de Mme. Mme ne sait rien de sa famille et mène l'enquête. Elle évoque néanmoins le mariage de ses parents , lui juif, s'est marié avec une " Goy " contre l'avis de sa famille. Le thérapeute constate que le déplacement des inquiétudes vers la génération au dessus calme les problèmes dans la famille nucléaire.
A la séance 10 la famille assouplit ses relations, Mr accumule les bons points délivrés par Mme, par contre les enfants sont insolents avec leur père ce qui préoccupe Mme. Elle évoque un épisode douloureux de la mort de son grand père en camp de concentration, elle dit qu'il faut se consacrer à l'essentiel , et surtout ne pas se séparer sur un reproche, ( être en paix avec les morts). Le thérapeute ne peut que s'interroger sur l'absence constante de Cloé aux séances.
A la 11ème séance, le père montre sa grande difficulté à être père , il dit devoir être obligé d'improviser vis à vis de ses enfants, car le modèle qu'il a vécu ne lui convenait pas, il se cantonne dans le rôle de papa/copain, alors que Martine est particulièrement insolente avec lui. Or Mme ne sait pas aider son mari dans cette tâche, elle préfère avoir comme objectif d'être à la fois une mère et une épouse idéale. Or la confusion s'installe quand Mr déclare qu'il aurait aimé avoir une mère comme son épouse. Le thérapeute observe que les enfants ne supportent pas d'avoir à partager leur mère avec leur père.
A la séance 12 nous apprenons qu'il est impossible d'être petit dans cette famille, les 2 derniers enfants ayant des conversations et une attitude d'adolescent alors que la dernière a 7 ans, le besoin d'affection existe surtout pour Cloé qui s'est éloignée de la famille et ne participe plus aux séances. Nous nous proposons de travailler à la prochaine séance de travailler sur la différenciation de membres de la famille.
A la séance 13 nous apprenons que les sœurs de Mme ont pu trouver leur place dans leur famille d'origine qu'en quittant la maison. Cloé est dans la même problématique, les sœurs de Mme étaient toutes habillées de la même manière par leur mère, Amélie aussi porte les vêtements de sa sœur aînée. Nous constatons à notre grand étonnement que le père durant cette séance va faire diversion, aidé en cela par tous les enfants.
A la séance 14 Madame est triste, ses parents lui reprochent la manière dont elle a élevée ses enfants : ils sont mal élevés, répondent et sont insolents. Les enfants sont en guerre permanente avec leur parents, Mme est fatiguée, ce qui ne l'empêche pas de discréditer son mari dans son autorité, par des mimiques de la bouche.
Pour la première fois les 2 parents sont en séance l'un à coté de l'autre, aussi devant l'avalanche d'informations, les thérapeutes donnent 2 tâches séparés aux enfants et aux parents afin d'accentuer la différenciation. Aux enfants, et spécifiquement à Amélie de dessiner sa famille où chacun doit négocier sa place. Aux parents, de lister leurs accords et désaccords sur l'autorité dans la famille, seuls et en dehors de la présence des enfants.
A la 15ème séance, nous ne travaillerons que sur le dessin, alors que les 2 tâches ont été faites.
Le dessin a été fait en une heure et Cloé était présente et a participé à son élaboration.
Le dessin est en fait une planisphère, et les parents qui semblent éloignés sont en fait très proches, les membres sont dessinés en rectangle, et au centre, Amélie au dessus du zéro, sa sœur Martine collée à elle, au dessus d'elle plus proche de maman, Cloé s'éloigne mais reste proche de maman, plus éloignée du papa.
Cloé en s'éloignant se rapproche et met son autonomie sous contrôle ( bicyclette, voiture) tout est bon pour que les parents soient au courant, où elle est, et ce qu'elle y fait.
Cloé voulait une structure complexe et mesurable avec abscisse et ordonné (elle est matheuse).
Les parents refusent sténiquement de faire figurer Grégoire dans leur sphère familiale et Martine aussi, Amélie serait d'accord.
Le thérapeute renvoie à la famille leur besoin de complexifier une situation simple, ils ont besoin d'intellectualiser leur rapports pour les rendre moins bruts, moins douloureux.
Devant la richesse de cette exercice nous percevons le départ de Cloé comme central dans le préoccupation familiale, aussi nous allons travailler ce départ à la prochaine séance et donc la présence de Cloé est indispensable.
Tout le monde est présent à la séance 16, pour Mme rien n'a changé depuis un an, Cloé n'a pas assisté aux changements de la famille, ce qui induit un gros conflit au sujet de Grégoire, sur le thème de la confiance ( elle refuse de donner procuration sur son compte à sa mère).. Toute la famille a peur du départ de Cloé et surtout qu'elle ne revienne pas. Mme et Cloé s'éloignent de plus en plus. Mr et Mme se rapprochent sur cette situation même si Mme reproche à son mari de ne pas faire part de ses sentiments ( spécifique aux hommes ) tout en faisant le lien avec sa propre mère protestante et alsacienne. Les thérapeutes sont stupéfaits par l'attitude de Cloé qui parle comme une petite fille alors qu'elle a 18 ans, celle ci réclame de l'amour à sa mère en pleurant, dit que sa mère s'éloigne. Les thérapeutes observent que ce départ tant redouté soude les parents, est un gage au non éclatement de la famille, il peut servir également à protéger les 2 autres enfants d'un départ douloureux en habituant les parents à vivre seuls.
5. Analyse :
Les places qui sont attribués de manière fixe à chacun des membres de la famille sont dessinées et écrites dans le génogramme, sorte d'arbre généalogique, ces places ne peuvent être négociées et à part un changement dans l'état civil ou un événement volontaire ou involontaire ( naissance, décès, divorce) ces places resteront là où les parents nous y ont placé.
L'exercice a le mérite de se situer dans la famille et de montrer son savoir au thérapeute, celui ci se retrouvant de fait en position basse d' apprenant .
Cet exercice peut être complété en séance par le dessin des relations familiales, ou chacun des participants évoque ce qu'il connaît des relations entre tous les membres de la constellation familiale, c'est la carte familiale. Cet exercice est intéressant car sur une image fixe et non négociable les participants vont pouvoir faire part de leur vision et leur ressenti des choses, l'histoire et le vécu de la famille reviennent dans le dessin pour animer cette image fixe, à laquelle on ne peut rien. Et là les participants peuvent montrer la place qu'ils attribuent ou qu'on leur attribue dans les relations familiales, où leur choix mais aussi les choix des autres, ont une importance cruciale.
Ces deux exercices permettent de mieux renseigner le thérapeute sur ce qui se joue dans la famille et nous insistons beaucoup en séance pour afficher ce génogramme avec la carte familiale à chaque séance dès sa confection comme pour convoquer les aïeux et toute la famille élargie aux séances de thérapie. Nous avons même constaté à de multiples reprises que la présence ou l'absence du génogramme dans la séance, modifie le contenu de celle ci.
L'exercice de la baguette magique sert à montrer à chacun de la famille à travers un imaginaire, ce que l'autre attend de lui, cet exercice est linéaire et n'est pas négociable, par contre celui qui donne un adjectif, une qualité, doit expliquer pourquoi il le fait. En présence d'enfants nous avons l'obligation de ne parler que de qualités, de compétences.
Cet exercice est la plupart du temps apaisant pour la famille qui découvre ce qu'apprécie l'autre chez lui, et ce regard, cette appréciation permettent de décrisper une ambiance et aussi d'accélérer le changement.
Dans l'exercice du dessin familial, aucune place assignée n'existe, tout est l'objet de négociation, nous prenons souvent le parti pris de faire dessiner la famille par le patient désigné.
Cet exercice s'appuie sur 2 constats : la place que nous pensons avoir n'est pas nécessairement celle que les autres nous attribuent, et celle que nous attribuons aux autres. C 'est dans cet exercice émotionnellement fort que va s'élaborer la négociation de la place.
Car être près de quelqu'un, peut éloigner les autres, la place qu'occupe un membre, c'est bien un exercice d'inventivité et qui peut mesurer la souplesse ou la rigidité d'une famille.
Dans le dessin fait par Amélie le père et la mère sont en apparence très éloignés, or, la famille a dessiné un planisphère dont les deux extrêmes se rejoignent, la famille a dessiné une ligne de partage avec un point 0, Amélie est juste au dessus, et Martine au dessus d'Amélie, et plus proche d'un demi carreau Maman et à son niveau , Papa est légèrement en dessous d'Amélie d'un carreau quand à Cloé elle est franchement en bas mais du coté de la mère.
Nous apprenons que ce dessin a été réalisé en une heure, ce qui sous entend que chacun des membres de la famille a négocié âprement sa place. Les parents et Martine n'ont pu admettre la présence de Grégoire sur le dessin. On peut faire l'hypothèse que son absence éloigne Cloé du reste de la famille.
Dans ce dessin nous comprenons combien il est douloureux, tant pour Cloé de s'éloigner de sa famille, que de la famille de la voir s'éloigner, ce que nous rappelle la 16ème séance qui fait écho à la séance 7 et surtout à la séance 10 où toute dispute peut être dramatique dans la rupture si l'un des belligérants ne revenait pas ( comme dans le cas des camps de concentrations).
Nous voyons à ce moment que les parents qui ont mal vécu le départ de leur propre famille, ne souhaitent pas revivre en tant que parents ce qu'ils ont vécu enfants.
On peut même faire l'hypothèse que cette séparation est déjà présente dès la naissance de Cloé et que chacun des parents se sont appliqués à ne pas faire ce qu'ils ont reçu, ce qui fait dire à la mère de Madame, que ses enfants sont mal élevés ( ce qui la blesse profondément).
Mme et Mr proclament haut et fort qu'ils ont essayé de transmettre des valeurs en laquelles ils croyaient, mais que Cloé en sortant avec Grégoire vient fouler, comme si les parents désobéissants à leurs propres parents dans la transmission de la manière d'élever les enfants, se retrouvaient dans la position qu'ont été leur parents à leur égard.
Le mythe familial serait alors : " tu ne peux exister, t'affirmer qu'en quittant ta famille dans la désobéissance, mais tu ne peux pas rompre en te fâchant, si d'aventure tu ne revenais pas ".
Sommes nous devant une injonction paradoxale ? Je ne le pense pas, car les 2 choses sont compatibles : tu dois partir pour t'affirmer et exister, mais attention tu ne peux rompre si d'aventure tu ne revenais pas, et là, le dessin familial le montre bien, tous les membres de la familles sont dans le cercle même si Cloé décroche.
Sommes nous dans une situation boumrang. Je le pense, comme si le cercle se refermait, les parents sont partis en désobéissant à leurs parents, et ont mis en pratique cette désobéissance dans l'éducation de leurs enfants, or les enfants en désobéissant à leur tour à leur parents sont à nouveau loyaux à leur grands parents.
Il est très étonnant que la famille ait dessiné un cercle avec l'ensemble des membres de la famille nucléaire dedans, alors planisphère ou frontière ? Dans le cas d'une frontière, qui va fuir en clandestin ou importer un clandestin. ?
Lors de la confection du génogramme Madame nous apprend que son père s'est marié avec sa mère contre l'avis de sa famille : " un juif n'épouse pas une Goÿ " .
Nous sommes bien dans une transmission de la tradition de désobéissance pour exister et s'affirmer.
Au début de la thérapie, la famille s'est présentée comme inventant une nouvelle manière d'éduquer les enfants, or nous voyons même que si cela avait été l'intention initiale des parents, les enfants se sont chargés de les remettre dans le bon chemin, celui de la désobéissance institutionnalisée, alors qu'ils croyaient inventer. Ce qui certainement les a fait souffrir pensant être déloyaux à leur lignée, obligés de regagner leurs places après avoir exploré le cercle familial.
6 . Conclusion
Ce qui m' a intéressé dans ce travail c'est l'utilisation d'outils (appelés objets flottants) pour permettre à la famille de travailler ses relations, à partir des places désignées et les construites chaque jour. Cette appropriation par la famille des concepts et des outils pour la mettre, en cas de difficulté, dans une position de méta communication, après avoir expérimenté dans sa sphère toutes les places.
Ce travail a mis aussi en évidence me semble t-il que l'enfant en devenant à son tour parent est obligé de modifier sa position, qu'il s'était bien juré de tenir, nous sommes bien dans cette situation où les enfants obligent les parents à refaire leur vie en les accompagnant.