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LES CHATS NE FONT PAS DES CHIENS
AMSELLEM Mazal
C'est en relisant les " séminaires de psychanalyse d'enfants " de Françoise DOLTO que j'ai eu envie de ré-interroger ces notions essentielles qui font le quotidien de nos pratiques quand des parents franchissant la porte du CMP, déposent auprès des professionnels ce qui fait souffrance pour eux et symptôme énigmatique pour leur enfant.
Françoise DOLTO avait répondu à une maman qui se plaignait longuement de la perversion de son enfant qui passait son temps à malmener son entourage : " Mais madame, les chats ne font pas des chiens, dites-moi plutôt à qui il vous fait penser dans votre entourage ". La maman surprise par cette réplique impromptue, a aussitôt fait le lien avec un membre de sa famille qui manifestait des comportements déviants et avec lequel l'enfant s'était, semble t-il, identifié dans sa construction de sujet appartenant à une famille singulière. Etre un garçon valeureux dans son sexe, c'était être à ce point insupportable. Il n'avait fait qu'occuper une place qui lui était assignée dans l'imaginaire maternel permettant à cette maman de perpétuer une plainte concernant la tyrannie, l'irresponsabilité, la non fiabilité d'un personnage clef de son histoire dont les troubles du comportement l'avaient affectée. Nous voyons ici se profiler l'ombre de la répétition qui surgit tout comme le symptôme à notre insu dans cet " entre-deux " où s'inscrit le désir, " Eros et Thanatos " ;
Les relations entre humains son essentiellement faites de projections, nous incorporons ce qui nous intéresse chez l'autre et que nous voulons posséder et nous lui attribuons tout ce que nous ne supportons pas en nous même et qui fait obstacle à notre désir. Le désir pour être humanisé devra passer par les rets du symbolique et la satisfaction pour être différée, devient structurante, et contient alors la promesse d'une " prime de plaisir ".
Reconnaître le désir de l'autre, sa place de sujet différencié, son altérité, son statut d'être semblable mais en même temps singulier est une tâche ardue, c'est l'œuvre d'une vie.
" Le temps d'apprendre à vivre, il est déjà trop tard " (Aragon). Le sujet autiste refuse à sa façon d'apprendre, la terreur de l'autre le pétrifie, son regard le glace et sa simple perception lui arrache des cris déchirants. Car à peine l'a t-on perçu qu'il faut s'en séparer. Rencontrer l'Autre c'est le perdre, mais c'est en même temps se perdre parce qu'on y laisse toujours quelque chose de soi.
Lorsque des thérapeutes en formation présentaient une situation d'enfant à DOLTO lors d'un travail de supervision, celle-ci posait le plus souvent la question suivante :
" Dites-moi ce qu'il en est de l'oedipe de ses parents ? ".
Ainsi énonçait-elle qu'il n'y a pas de sujet enfant qui ne soit inscrit dans une histoire familiale et que le symptôme de l'enfant ne peut prendre sens qu'à partir d'un désir des parents pour cet enfant, eux-mêmes affiliés à leurs propres parents. On pourrait même ajouter que si les parents ne sont pas responsables du symptôme de l'enfant, ils sont et se sentent mis en cause dans la mesure où il s'agit de leur propre enfant.
D.W. WINNICOTT énonçait : " un bébé, ça n'existe pas ". Il n'existe qu'en référence à sa mère, son père et tous ces autres qui font son environnement immédiat. Sans ces autres, il n'y a pas de sujet. Le sujet est un être de communication et le langage lui préexiste. Il est parlé avant de naître dans le désir de ses parents, lui-même inscrit dans un tissu affectif et social.
J.D NASIO considère dans un article récemment publié, que tout sujet a le désir communiquer et que c'est ce désir là qu'il faut savoir entendre, pas seulement dans les mots mais aussi à travers un échange subtil de sensations comme nous y invite les sujets autistes quand laissant au placard toutes nos références, nous nous abandonnons en un étrange voyage aux temps refoulés de nos premières perceptions.
Piéra AULAGNIER énonçait : la mère est le " porte-parole " de l'infans (celui qui n'a pas le langage). C'est elle qui va donner sens à ses perceptions, elle va les interpréter selon ses propres ressentis et lui impose d'une certaine façon, sa grille de lecture, son code, sa traduction en fonction de ce qu'elle est, elle dans son histoire reliée au père de l'enfant et à l'histoire de celui-ci. Cette violence irréductible est structurante pour l'enfant qui s'affilie à travers la mère, en buvant son lait, dans un corps à corps, corps à cœur, aux harmoniques et dissonances sensibles de la femme qu'il a rendu mère.
Un enfant est un objet narcissique pour chaque parent. Il est l'objet de toutes les projections. On attend de lui qu'il répare les blessures anciennes, qu'il soit source de valorisation, qu'il réalise nos désirs insatisfaits, qu'il nous ressemble et qu'il soit en même temps différent.
Lourde tâche pour cet enfant imaginaire qui devra, lui, s'affirmer dans sa réalité et se frayer un chemin dans les dédales des fantasmes parentaux. L'aventure oedipienne lui permettra de se fabriquer ses propres fantasmes tout en s'arrimant à la réalité à travers les épreuves successives qu'opposent à ses désirs originaires, l'éducation parentale, l'école et les contraintes de la vie en société.
FREUD énonce sous forme de message à ceux qui exercent ces métiers cette boutade : " c'est qu'éduquer, soigner et gouverner, comptent au nombre des " métiers impossibles ". Ce sont des métiers qui nous confrontent au désir de l'autre et nous savons par avance que l'effet est inassuré et pourtant nous nous obstinons faisant de cet impossible un moteur pour notre désir.
" Le petit Hans ou la phobie du cheval "
Contrairement à la thérapie familiale où il s'agit de partir des interactions familiales pour abréagir le symptôme, la psychanalyse part du sujet et découvre l'arrière-fond familial dans les dires du patient. Le symptôme devient un mal nécessaire qui fait partie de l'économie psychique du patient, au même titre que le rêve ou le fantasme, il est une énigme comme un rébus qui ne pourra être déchiffré et résolu qu'après un long travail de remaniement interne où sa disparition viendra de surcroît. Un symptôme est un dire de vérité. Il est une question posée à l'énigme de la vie, de la mort, de la sexualité, de la filiation. Il est une question en attente, en suspend. Cette question est posée aux proches de l'enfant, à ses parents, révélant leur vérité, non perçue par eux-mêmes, énigme sur laquelle l'enfant bute mais qui permet aussi de se construire à travers les réponses qu'il se donnera lui-même ou qu'il ira chercher ailleurs à défaut de les avoir reçues par ses proches.
Le cas clinique du " Petit Hans " développé par FREUD, dans les " cinq psychanalistes " nous permet de percevoir le symptôme de l'enfant comme venant révéler la vérité du couple et de leurs rapport intimes en même temps qu'il révèle le symptôme de Hans comme un cabrement face à l'énigme de la différence sexuelle et de la castration.
L'analyse de la phobie du " Petit Hans " alias Herbert GRAF relaté par FREUD date de 1905, elle relate " la phobie infantile "d'un enfant de 5 ans. Cette phobie fit l'objet de l'observation de son propre père, lui-même émule de la psychanalyse. FREUD n'est intervenu qu'une seule fois auprès de l'enfant et lui proposa une interprétation qui semble t-il fut décisive :
" Bien avant qu'il ne vint au monde, j'avais déjà su qu'un petit Hans naîtrait un jour qui aimerait tellement sa mère qu'il serait par suite forcé d'avoir peur de son père ". En sortant de cet entretien, le petit garçon ironise , se moquant de ce grand professeur : " le professeur parle t-il avec le bon Dieu pour qu'il puisse savoir tout ça d'avance ".
FREUD, en dehors de cette unique intervention guidera le père de Hans qui assurera, sur les conseils du professeur le traitement de la maladie de l'enfant.
Le petit Hans n'osait sortir dehors : il avait peur qu'un cheval attaché à une carriole ne le morde et il craignait aussi que le cheval ne tombe. Cette peur était irraisonnée, devenait envahissante et générait des inhibitions telles que même la présence d'un adulte à ses côtés ne lui permettait pas de s'aventurer à l'extérieur sans en ressentir de l'effroi.
Hans était l'aîné et avait une petite sœur Anna de 2 ans dont il était très jaloux désirant qu'elle disparaisse, que la cigogne vienne la chercher et l'emporte avec elle, de la même façon qu'elle l'avait déposée dans la famille, selon l'explication fournie par ses parents et dont il n'était pas dupe, l'accouchement ayant eu lieu au domicile familial.
Les relations du couple des parents de Hans n'étaient pas harmonieuses, Hans et sa maman entretenaient une relation fusionnelle qui a été entamée par l'arrivée de la petite sœur. Hans a couché longtemps dans la chambre de ses parents, les rejoignant dans leur lit presuqe toutes les nuits. Il suivait sa maman partout même dans les toilettes et celle-ci prenait une certaine volupté à prendre soin du corps de son fils qu'elle lavait et poudrait tardivement jusque dans les parties intimes de son anatomie, sauf le pénis, qualifié de " cochonnerie ". Elle s'extasiait devant le corps dénudé de son enfant qu'elle trouvait beau.
Hans entretenait des relations ambivalentes avec son père qu'il aimait tendrement tout en souhaitant qu'il disparaisse pressentant inconsciemment qu'il était un obstacle dans la relation qui l'unissait à sa mère. Il est partagé entre des sentiments contradictoires, en proie à des désirs sexuels qui l'attiraient vers sa mère, une agressivité envers son père qui, de par ses prérogatives d'amant de sa mère, s'opposait à ce rapprochement incestueux et un amour pour son père qui représentait aussi un attrait pour lui dans la mesure ou visiblement, il avait les attributs pour séduire une femme contrairement à Hans qui se sentait impuissant à rivaliser avec lui.
C'est à cette époque du développement psychique du petit Hans qu'est apparue brutalement la névrose infantile sous la forme d'une phobie du cheval dont il craignait la morsure et la chute.
Hans avait découvert le plaisir qu'il pouvait se procurer en se masturbant et il s'y adonnait toutes les nuits dans son lit, excité semble t-il, aussi, par la proximité du corps de sa mère quand il partageait la même couche que celle-ci. Un jour, l'ayant surpris en train de se masturber, sa mère le menace d'un châtiment qu'il pourrait encourir avec de telles pratiques, il risquerait de se voir amputer de son " fait pipi ", petit nom attribué au membre pénien. Hans est un investigateur de la différence sexuelle, il observe sa sœur quand sa mère lui donne le bain, il observe qu'elle a un tout petit " fait pipi ", mais il se rassure en pensant qu'il va lui en pousser un quand elle va grandir.
Sa curiosité est aussi dirigée vers ses parents, il a presque quatre ans quand il demande : " Papa, as-tu aussi un fait pipi ? ". Le père lui répond : " Mais oui, naturellement ".
Par la suite, il posera la même question à sa mère tout en l'observant pendant qu'elle se déshabille. Celle-ci lui répond : " Naturellement. Ne le savais-tu donc pas ? ". Les parents de Hans sont pourtant très attentifs à lui assurer une bonne éducation qui le mettrait à l'abri d'éventuels troubles névrotiques. Soucieux qu'ils sont de répondre à ses questions, ils lui répondent pourtant à côté de la question qu'il a posé concernant la différence sexuelle et l'entraîne à leur insu dans une confusion qui fera le lit de sa névrose infantile. La maman lui répond qu'elle possède un " fait pipi ", ce qui l'induit en erreur et a pour effet de lui faire craindre pour son propre pénis qui pourrait ne pas être " enraciné " et qu'il pourrait donc perdre, sa mère ayant un petit " fait pipi ", alors qu'elle est grande " comme un cheval ". Son père à la question posée concernant son identité de garçon et d'homme en devenir rabat la réponse sur une histoire de sexe anatomique dont il est détenteur comme son fils mais n'ouvre pas sa question sur l'avenir où Hans serait promu à devenir un homme fier de ses génitoires et pouvant honorer la femme qu'il aura choisi à l'extérieur de la famille.
Le symptôme de Hans révèle ce contre quoi il bute et c'est en cela qu'il est un cabrement , il demande un éclairage pour échapper à un point de fixation dans lequel il se piège et ne peut progresser en un " allant-devenant " dans le génie de son sexe, pour reprendre les expressions chères à DOLTO. Hans cherche une résolution à son complexe d'oedipe, il interroge sur sa place dans le triangle oedipien, dans la filiation et sur son identité sexuelle. Le père de Hans s'évertue à recommander à sa femme de cesser les privautés qu'elle a avec son fils mais celle-ci ne veut rien entendre, le père lui-même n'arrive pas à imposer son autorité et à faire entendre la loi au couple mère-fils, laissant Hans dans un grand désarroi face à des conflits internes qui le paralysent et éveille son angoisse. C'est cette angoisse envahissante qui est à l'origine de sa phobie par une effet de déplacement, de condensation et de projection. LE cheval de terreur est né par une série d'associations qui vont se cristalliser sur l'animal afin que Hans puisse trouver la paix auprès de ses parents. Mais Hans ne peut plus sortir, il est traqué par l'animal qui peut surgir à tout moment et menace de la mordre. Le cheval c'est son père, qui pour n'avoir pas été suffisamment mordant en signifiant la castration symbolique afin de séparer la mère du fils, a laissé celui-ci dans l'effroi d'une castration dans le réel qui pourrait surgir de l'extérieur sous la forme d'un cheval mordeur.
C'est l'intervention de FREUD qui permettra à Hans de résoudre son oedipe et de guérir de son symptôme, l'enfant ayant noué le transfert avec le professeur, bon Dieu providentiel qui est venu prêter main forte au père qui en cette circonstance se trouvait démuni pour porter secours à son fils.
Le symptôme de Hans est aussi le symptôme du couple en ce qu'il vient révéler d'un dysfonctionnement dans la relation des parents. Hans est mis en place de celui pouvant combler la mère (position d'être son phallus), le père n'étant plus perçu comme étant celui qui est désiré par la mère et de ce fait il occupe une place que l'enfant peut non seulement convoiter, ce qui en soi n'est pas inquiétant, mais dont il peut aussi le déloger, et là l'enfant est en danger, d'où le cabrement du symptôme. Si on va jusqu'au bout de notre raisonnement, le symptôme qui est une formation de l'inconscient nous amène encore à une dualité, l'attrait et la répulsion par rapport à la transgression de l'inceste. L'enfant se défend comme un beau diable pour échapper à ses propres penchants ou pulsions que ses parents favorisent ou alimentent à leur insu, en ce sens le symptôme a une valeur thérapeutique, mais fait aussi le lit de la névrose en faisant barrage au refoulement.
Cet exemple développé par FREUD du " Petit Hans " est emblématique de la formation du symptôme chez l'enfant, nous y trouvons la diversité des mécanismes à l'œuvre, qu'ils proviennent des désirs propres de l'enfant (non encore discriminés de ses besoins) ou de ceux de ses parents, tout en sachant que l'enfant se construit dans l'intrication de cet ensemble, de ce cocktail explosif d'où émerge du singulier, en un mot le sujet.
Freud introduit avec la psychanalyse un discours et un mode de pensée subversifs. Il dévoile l'existence de la sexualité infantile et démontre que la sexualité de l'adulte s'élabore et se construit dès la petite enfance. Ainsi Hans, notre petit amoureux éconduit souffre t-il d'émotions aussi intenses et aussi dramatiques que celles que peut vivre un adulte pour des maux identiques : l'amour, la rivalité, le désir, la jalousie, le pouvoir la culpabilité, la haine, l'agressivité etc…
A l'impossible, nul n'est tenu.
A partir de 2 petites vignettes cliniques, je vous propose d'entrapercevoir l'effet siderant du symptôme.. Il est là comme un écran entre la famille et le thérapeute, comme si de ce côté là il ne fallait pas toucher alors que de toute part nous sommes sommés d'agir. L'espace de consultation est encombré de multiples désirs, c'est parfois une cacophonie. Outre le désir des thérapeutes, il y a les diverses demandes des institutions, des intervenants sociaux, mais aussi et surtout de la famille qui amène l'enfant.
Victor ou l'interdit de savoir
Les parents de Victor ont 2 enfants préadolescents, Victor a un an de moins que son frère aîné, Bastien. Les enfants ont été repérés très tôt dès l'entrée à l'école pour leurs troubles du comportement : violence, instabilité, difficultés d'apprentissage , vols, conduite d'opposition. Mais très vite c'est Victor qui deviendra la bête noire dont personne ne peut venir à bout volant la vedette à son frère, lui damant le pion en accaparant l'attention des adultes par ses frasques à répétitions. Les services sociaux sont interpellés et il s'ensuivra une série de mesures de prises en charge qui toutes, bien armées de bonnes intentions n'auront pas l'effet escomptés : la sédation des symptômes des enfants, mais plus particulièrement de Victor qui focalise sur lui le plus grand nombre de plaintes.
A la maison, si l'on se rapporte au discours des parents, mais surtout de la mère, le père restant très discret, la vie est un enfer. C'est une joute sans fin entre la maman et ses garçons, qui se déchirent aussi entre eux en une lutte mortifère, le papa assiste médusé à un spectacle terrifiant dont les enjeux le dépassent. Pour échapper à cette montée en puissance quotidienne de la tension et à ses conséquences (sa vie privée lui échappe, elle devient du domaine publique, il a honte d'être exhibé ainsi), il se noie dans le travail et se maintient à grand peine au bord de la dépression.
L'exhibition est un avatar dont sa femme a souffert, elle est une enfant de la DDASS, et à ce titre elle était objectivée tout comme son histoire, connue et véhiculée de façon péjorative dans son village dont la particularité était d'accueillir de nombreux enfants de la DDASS. Aucune vie privée ne lui était reconnue, aucune intimité, tout devait demeurer visible chez cette enfant à qui on a confisqué son histoire en la dénaturant.
Qu'est ce que Victor vient signifier là de l'histoire ou de la blessure de sa mère, en s'exhibant ainsi par ses symptômes ? Tout est chez lui ouvert, il est de surcroît encoprétique. Sa famille ne peut rien lui dissimuler, il veut posséder les clefs, pour qu'il n'y ait plus aucun mystère. Victor est devenu porteur du signifiant de l'impossible de sa mère de s'octroyer une intimité, dans une implacable répétition ou la castration symbolique ne peut s'inscrire, mettant un point d'arrêt à l'hémorragie narcissique dont est porteuse la mère et dont l'enfant se fait le messager.
Véronique ou la surdétermination du symptôme
Véronique est une adolescente. Elle est fille unique et vit avec ses parents. Véronique semble suivre une voie toute tracée par la marque du destin qui façonne l'histoire familiale. Dans sa famille, la psychose fait des ravages et les dépressions sont fréquentes. La maladie se concentre dans la branche maternelle. Le grand-père de Véronique était maniaco-dépressif. Il pouvait donner à certaines périodes l'apparence d'un certain équilibre et à d'autres il perdait l'entendement, délirait et avait des comportements tout à fait aberrants qui avait de quoi déstabiliser l'ensemble de la famille. La mère de Véronique a vécu dans ce climat où rien ne venait faire bord pour protéger les enfants d'un trop plein d'excitations où le normal et le pathologique ne pouvait plus être discriminé. Pour cette femme, point d'oedipe structurant mais un bombardement de sensations et de perceptions brutes, violentes, crues où tout peut se voir, se montrer, se dire et se vivre sans le barrage de l'interdit, des valeurs symboliques et des règles de la société. L'enfant se retrouve esseulé face aux déchaînements des pulsions où les siens et ceux du milieu ambiant se confondent. La maman de Véronique a sauvé sa peau en développant une hypermâturité. Mais ce que la mère a tenté de refouler ou encore de dénier, tant l'impact lui colle encore à la peau, lui revient de l'extérieur, c'est sa fille qui s'en fait le messager, révélant la souffrance faite à sa mère qui ne peut encore s'autoriser de la regarder en face de crainte d'éveiller les démons qui sommeillent en elle, figures du destin qui marque la famille.
CONCLUSION
Françoise DOLTO qui n'approuvait pas les techniques de la thérapie familiale, pratiquait des entretiens préliminaires avec les parents et l'enfant, avec les parents seuls ou avec chacun d'entre eux, avant de démarrer une thérapie d'enfant. Il arrivait qu'à l'issue de ces quelques entretiens, le symptôme de l'enfant, messager d'une souffrance dans le couple ou de l'un des parents, cède, lui permettant ainsi de retrouver une dynamique de vie et des capacités d'investissement qu'une inhibition rendait stérile. Les parents ne pouvant consulter pour eux, le faisaient à travers le trouble de leur enfant qui indirectement devenait le thérapeute des parents. DOLTO disait d'un enfant instable qu'il était " l'électrochoc du pauvre " d'une maman le plus souvent dépressive et que dans un tel cas de figure, c'était la maman qu'il fallait soigner pour permettre à l'enfant d'aller mieux. Elle reprochait à la thérapie familiale de désavouer le père en se substituant à lui devant les enfants, faisant des thérapeutes des supers éducateurs alors que les enfants avaient besoin de ces parents là pour se construire. Il me semble que lorsque nous sommes amenés à intervenir à la demande des parents mais aussi des institutions souvent le père est déjà en mauvaise posture, il n'a pas besoin de nous pour le désavouer, c'est déjà fait. J'aimerai plutôt concevoir la thérapie familiale comme étant à la fois une possibilité de favoriser l'émergence d'un ordre symbolique (ce que fit FREUD avec le père de Hans), mais aussi d'élaborer comment cet ordre peut s'inscrire d'une façon originale dans cette famille, qui tienne compte de l'histoire des parents, des besoins des enfants, et de l'inscription de la famille dans une communauté élargie, une société qui est aussi en pleine évolution.
FREUD entrevoyait déjà le déclin du " pater familias " et les mythes dont il s'est servi pour élaborer les concepts psychanalytiques cherchaient à élucider le tragique de la condition humaine qui met l'homme dans une grande solitude face à lui-même, à ses désirs et aux renoncements que lui imposent les interdits fondements et les valeurs de la cité. Les mythes mettent en scène des héros aux prises avec leurs passions. Mais ce père là, celui de la fonction symbolique, " le pater familias " vers qui l'on se tourne sans arrêt, lui demandant de tenir sa place et de remettre à une juste place sa femme et ses enfants, existe t-il encore ? Si oui, il est rudement fort et est certainement au bord de l'épuisement ou de la dépression nerveuse ! Pour preuve, cette montée en puissance de toutes les mesures gouvernementales tendant à pallier les défaillances du père et de la famille : actions répressives, contrats de bonne conduite, sanctions et réparations en cas d'incivilité ou d 'actes de rébellion à l'ordre établi etc…D'un côté, il s'agit de faire assumer le manque alors que la société engendre de pas son fonctionnement, une revendication du droit, droit à consommer notamment, mais aussi droit à recevoir sans contre-partie du devoir, de la dette qui, elle nous engage dans un rapport de réciprocité et d' ?
Si les pères ne tiennent plus la route, les mères sont aussi mal loties. Il leur est renvoyé leur trop grande tolérance ou leurs réponses inadaptées aux besoins des enfants. Leur pouvoir devient illimité, outre celui de donner la vie et la mort par le libre choix de la procréation, elles peuvent décider de nommer celui qu'elles ont choisi, pour être le père de leur enfant. Nous assistons dans certaines familles à une valse des papas, un chat n'y retrouverait pas ses petits, l'enfant n'y retrouve pas son père. Nous sommes de plus en plus souvent confrontés à la constitution de familles multi-recomposées avec des séjours pour l'enfant en famille d'accueil. Ces conditions extrêmes, auxquelles peuvent s'ajouter des éléments incestueux, sont de plus en plus fréquentes. Il s'agit certainement d'une crise de la famille, mais pas de n'importe qu'elles familles, les familles les plus touchées sont celles qui accumulent des problèmes socio-économiques, des problèmes identitaires et d'échec dans l'intégration scolaire et sociale. Mais ces familles là ont beaucoup à nous apprendre, entre une société marchande, ultra libéraliste, une société de consommation donnant l'illusion de la jouissance immédiate et la recherche d'un père figure de Dieu qui régnerai par la tyrannie pour mettre de l'ordre à la démesure, il reste la famille, seule îlot de protection " lieu de résistance " mais il faut réinventer en un ordre nouveau où puisse se concilier l'ancien, l'histoire et l'évolution de la société et des valeurs, tout en sauvegardant l'identité de sujets qui la composent..
Elizabeth ROUDINESCO écrit dans son ouvrage " la famille en désordre : enfin au pessimistes qui pensent la civilisation risque d'être engloutie par des clones, des barbares bi-sexuels ou des délinquants de banlieue conçus par des pères hagards et des mères en errance, on fera remarquer que ces désordres ne sont pas nouveaux - même s'ils se manifestent de façon inédite -, et surtout qu'ils n'empêchent pas la famille d'être revendiquée comme la seule valeur sûre à laquelle personne ne peut, ni ne veut renoncer. Elle est armée, rêvée et désirée par les hommes, les femmes et les enfants de tous âges, de toutes orientations sexuelles et de toutes conditions. ".
Si la porte des thérapeutes doit rester ouverte aux parents, tout ne peut se dire devant les enfants, l'ordre symbolique ne peut émerger du chaos. Les thérapeutes doivent veiller à ce que chacun soit à sa place, en sauvegardant les secrets de l'intimité du couple auquel les enfants ne doivent pas avoir accès, ainsi que la vie fantasmatique de l'enfant qui doit aussi pouvoir rester opaque pour que l'enfant puisse avoir ses propres secrets. E. ROUDINESCO nous met en garde contre une société et des modèles scientifiques, commerciaux ou d'appréhension. Des organisations humaines qui tendraient vers une uniformisation, ou le sujet disparaîtrait, " l'un serait dissous au profit du multiple ". Les " chapelles " peuvent parfois devenir " résistance " face à une société qui évolue et tend à recouvrir les découvertes ou les acquis du passé. Mais le sujet, à tout comme la famille, la vie rude, il a toujours triompher même s'il lui faut composer avec des approches " innovantes " qui lui donne à réfléchir, l'oblige à ce redéfinir et à se réinvestir sans cesse.
Au terme de cette intervention, s'il paraît évident que si l'enfant doit bouger, doit changer, il est nécessaire que la porte comme la parole des thérapeutes ne soit pas fermée aux parents. A défaut de recevoir les parents, la thérapie demeurera bancale, inachevée, et l'autonomie de l'enfant ne sera pas assurée si les parents demeurent dépendant de fixations pathogènes dans leurs relations à l'enfant.