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Vieillir au travail

 

L’allègement des durées de cotisation pour bénéficier de retraites pleines et entières créent une situation nouvelle sur les lieux de travail qu’il paraitrait à priori souhaitable de prendre en compte, quant à la gestion future des personnels.

 

Cette situation nouvelle a sans doute d’autant plus besoin d’être prise en compte que nombre de personnels d’un certain âge sont moralement en difficultés, quand il s’agit de poursuivre leur carrière. Cette réalité paraît plus spécifiquement variable, notamment en fonction de la place occupée en termes de hiérarchie et paraît aussi être pour certains, à l’image de la frustration d’un rêve d’une autre vie qui non seulement tarde à venir, mais s’éloigne au fur et à mesure des décisions gouvernementales.

L’allongement de la durée des carrières, aurait ses pendants positifs notamment en termes d’acquisition d’expérience professionnelle à mettre en pratique et peut-être à transmettre, pour peu que cette nouvelle donnée soit prise en compte. Cette nouvelle réalité pourrait aussi être une richesse pour le milieu professionnel si on voulait bien réaliser et admettre qu’on ne gère pas son énergie de vie personnelle , de la même manière en fonction de la tranche d’âge où nous nous situons. Le temps passant, l’être humain apprend la plupart du temps à se gérer pour garder une certaine efficacité, alors que plus jeunes, c’est un peu sans compter et en fonction des objectifs du moment, que nous usons de nos énergies. Les différences physiques et psychiques liées  à l’accès à la maturité, variable en termes d’âge chez chacun, ne sont sans doute pas suffisamment prises en compte pour rendre efficiente une complémentarité apaisée entre générations. Les uns règlent au travers d’une nouvelle autorité professionnelle acquise et en décalé, leurs comptes personnels avec leurs propres parents, tandis que les autres freinent des deux fers pour ne pas tomber dans l’espace de l’enfance, où on cherche peut-être inconsciemment, à les pousser. Les relations inter générationnelles sont variables d’un lieu d’exercice à l’autre et quelques chefs de service humanistes ont su prendre en compte à titre personnel cette nouvelle donne. On peut cependant constater que l’ensemble du problème n’est globalement pas géré et par ce fait, beaucoup des personnels « kinkas » sont, pour employer un terme édulcoré, psychiquement fatigués. La dernière ligne droite des oubliés paraît pour beaucoup infinie et certains se réfugient dans un travail nocturne pour ne plus avoir à affronter en plein jour et de plein fouet, une réalité qui ne leur correspond plus. D’autres choisissent de s’occuper de patients atteints de pathologies chroniques, un peu comme si, à leurs corps défendant et dans l’interrogation quant à leur devenir, déjà ils s’identifiaient au côté sombre du vieillissement. Presque malgré soi et poussé par les événements, un certain détachement émotionnel synonyme de moindre implication s’opère, un peu comme si déjà, nous n’appartenions plus complètement à ce monde.

On peut penser que cet état de fait est dans l’ordre des choses,  mais  la dernière ligne droite de l’entre deux est parfois et décidément très longue, trop sans doute pour éviter des dégâts psychiques conséquents. Pour peu qu’elle soit entretenue et au-delà de situations particulières, il n’y a aucune raison pour que l’implication personnelle dans le travail ne se prolonge pas autant que les durées nouvelles des carrières. Nous connaissons tous d’ailleurs des personnes poivre et sel continuant de s’impliquer dans un système mouvant qui au-delà des nouveautés, a un côté fâcheusement répétitifs que les courts esprits préfèrent ignorer. Pourtant, même pour ceux qui ont toujours l’envie de polir leur esprit à l’aune des confrontations de réflexions,  le découragement contre lequel il convient de lutter, est parfois envahissant. Il est là lorsque pointe entre les mots, telle ou telle forme d’irrespect dans un refus de prendre en compte au-delà de la fonction hiérarchique, l’être humain à part entière en face de soi. Il est là lorsqu’au-delà du sujet débattu, n’est pas prise en compte la connaissance que nous avons de l’autre qui dit aussi avec ce qu’il est. Il est là aussi, lorsqu’est demandé à une personne ayant trente ans de pratique professionnelle, sans tenir compte d’une rythmique de vie variable, la même et exacte implication qu’un jeune débutant. Il est là lorsqu’il y a refus de prendre en compte un point de vue poli et affiné par le temps.

Il est difficile de dire si nous sommes plus guerriers à vingt qu’à cinquante ans, mais c’est une réalité de dire que nos préoccupations sont différentes. Il me semble personnellement qu’à l’automne de la vie, nous aspirons peut-être à plus de douceur dans les relations humaines. Il semble aussi que l’application de systèmes gestionnaires et protocolaires mise actuellement en œuvre et qui tend à rendre les relations hiérarchiquement froides, heurtent les esprits humanistes préformés à une autre époque. Nous avons beau nous dire que l’efficacité professionnelle peut aussi passer par des relations respectueuses des différences, une réalité gestionnaire imposée comme véhicule prioritaire qui en heurtent d’autres, s’impose à nous. Sans mesurer les conséquences en termes de dégâts humains, l’individualisme rampant assoit des petits pouvoirs personnels qui refusent de prendre en compte les particularités de l’individu. Dans le concret du quotidien, des patrons de service hospitaliers essaient encore de tenir compte de l’expérience des gens quand ils leur confient des missions. Ils tentent aussi tant bien que mal, de privilégier des conditions de travail moins exigeantes, notamment en termes de réserve d’énergie physique. Pourtant et même dans ces lieux privilégiés, de jeunes louves et loups aux pouvoirs microscopiques au regard du monde, avancent au bulldozer et sans subtilité à des fins personnelles, sans que soit  poser des limites pour éviter les dégâts dits collatéraux. Plus on en parle et moins elle est présente, la régulation est un mot très à la mode. Plus on en parle et moins il est présent, le contre pouvoir tend à disparaître dans des instances qui sont déjà trop souvent caduques au moment de leur création. La commission de soins infirmiers a par exemple un titre ronflant au sein de l’organisation hospitalière, cependant que malgré des temps de réunion pris sur des temps en poste, son influence est dans le concret, quasi nulle. Il va de soit que les jeunes ont du plus en plus de difficultés à mettre le pied à l’étrier, pour enfourcher le canasson de la réussite sociale. Il va de soit que toute entreprise a besoin d’énergie nouvelle à qui il convient de faire une place de choix. Comment cependant, pourrait-on de ne pas générer des luttes inter générationnelles minables et interminables qui ne pourront, tant la mémoire est parfois courte, que se reproduire, au grand dam d’un bien être à partager au bénéfice d’une vraie qualité des soins. Comment pourrait-on éviter que le moindre petit pouvoir ne grise, au point de créer un tourbillon psychique qui éloigne de soi la première notion que nous nous devrions de partager, à savoir que nous sommes des êtres transitoirement vivants et seulement de passage. Un jeune crâne peut être synonyme de savoir mais pas forcément d’intelligence et les cheveux blancs ne signifient pas forcément la sagesse. Nous avons toujours à apprendre les uns des autres, à partager et échanger et c’est peut-être au-delà des cadres protocolaires de nos professions, que les « anciens », ont à dire le recul nécessaire que nous avons d’abord à avoir, vis-à-vis de nous-mêmes. Est-ce à dire qu’au-delà des soucis contemporains de gestion pointilleuse, une dimension philosophique trop oubliée est indispensable : il semble que çà coule de source si nous n’avons pas envie de vivre une fade vie professionnelle. La réalité telle qu’elle se présente aujourd’hui fait que de plus en plus, le poids de la hiérarchie devient pesante, et ce poids à trainer en décourage plus d’un. En vieillissant, et c’est là un terme qui se devrait d’être noble, l’aspiration va  de plus en plus vers des tentatives de se soustraire au système ou vers le souhait d’être entendus dans nos envies de souffler en marchant. Parce que les motivations de chacun appartiennent à chacun, parce qu’on a choisit de demeurer dans un statut de soignant tout au long de sa carrière, on se retrouve toujours à l’automne de sa vie, à être dirigé. On aimerait l’être avec intelligence et respect, à l’image de celui que nous pensons mériter, peut-être pour rester encore debout. Parce que nous demeurons infirmiers ou aide soignantes de base  en ayant aimé ces métiers, nous demeurons dans un corps professionnel où même si nous ne sommes jamais suffisamment nombreux, nous représentons une masse de gens. Cet effet de troupe à gérer ne rend certes pas aisé non plus, la place vieillissante de chacun dans le système, pour peu que cette donnée serait prise en compte. Peut-être ne disons nous pas assez combien nous sommes nous aussi, une réalité ? Peut-être ne disons-nous pas assez combien les espaces de travail auraient besoin d’être constamment réaménagés en fonction de la mouvance kaléidoscopique d’une réalité en évolution continue ? Peut-être qu’au-delà même de la notion d’âge, ne disons-nous pas assez combien nous avons aussi besoin que le sentiment d’appartenance soit entretenu ! Dans cet espace de travail dont la valeur est soit disant, remise au goût du jour, l’individu ne peut accepter de se voir dans des yeux gestionnaires sous influences et conditionnées, que comme une denrée périssable.

 

J.Héno

 

 

 


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