Penser à voix haute
Le penser à voix haute synonyme de libre association se devrait
d’être un outil régulièrement utilisé dans les métiers de la psychiatrie, mais
ce n’est pas forcément le cas, parce qu’il nécessite certaines conditions.
Il semble que pour partager cette
pratique, il faille dans un groupe que chacun l’ait régulièrement expérimenté
pour son propre compte, sinon ce type de comportement est incompris, voir
condamné. Il convient aussi de pouvoir se sentir en confiance pour se laisser aller
à se questionner à voix haute, et éprouver au moins l’impression d’être quelque
peu compris dans la démarche.
Cet outil fabuleux est professionnellement
trop peu utilisé alors qu’il permet des approfondissements avérés, dans la
compréhension des pathologies et des situations rencontrées. Mais il faut pour
cela aussi, accepter de s’égarer, se permettre parfois des interprétations
hasardeuses qui ne sont quelquefois que des élucubrations, sans s’éloigner d’un
regard orienté, en direction de la subjectivité.
C’est une gymnastique de l’esprit
nécessitant une présence de qualité à soi, difficilement partageable, non
évidente à traduire, sauf à se laisser à dire comme ça vient et à voix haute.
Pour qui fait la démarche d’un travail sur
soi, analytique ou autre, le penser à voix haute devient une nécessité
permettant de mettre en lumière les incertitudes, les incompréhensions. Ce peut
être un outil tranchant qui coupe le brouillard de la confusion lorsque pris
dans les entrelas d’une situation relationnelle compliquée, nous ne parvenons
plus à distinguer les limites du champ thérapeutique.
L’outil du penser à voix haute acquiert
une plus grande puissance encore, lorsqu’il est pratiqué en équipe : les
pensées au-dessus des têtes se croisent, flottent ensemble dans l’espace
immatériel, se nourrissent les unes les autres, s’accouplent parfois avec
bonheur ou s’évanouissent dans le silence.
Tout un chacun qui a envie de pratiquer, a
besoin de se sentir respecté dans son libre cheminement, sans être jugé dans ses
égarements. Il est souvent bénéfique de ne plus rien comprendre à rien parce
que réside là, la plupart du temps, les prémices d’un début de solution, aux
situations qui paraissent inextricables.
La libre pensée ne peut dérouler sa trame
en équipe, que s’il règne un consensus autour, même et surtout de la part de
ceux qui ne partagent pas la démarche.
Pratiquer la réflexion à voix haute, c’est
dans une certaine mesure, accepter de se mettre en danger face au regard
d’autrui et ce n’est pas chose facile. La crainte d’une récupération, parfois
réelle, plane la plupart du temps et nul n’est à l’abri de ce genre de fâcheux
événement. Le contexte professionnel ne procure pas souvent, l’envie de se
laisser aller à dire, sans forcément aller jusqu’à se confier, ce qui est
encore une autre démarche.
Un certain détachement au regard de
l’image de soi est assurément un ingrédient indispensable, mais il ne fait pas
tout ! Il convient aussi de se risquer un peu, en s’accrochant à
l’aléatoire espoir d’être compris. L’écueil qui fait peut-être le plus peur est
la crainte d’éprouver ce qu’on appelle : « un grand moment de
solitude », que chaque personne qui expérimente la pensée à voix haute,
aura connu. Le risque existe de vivre cela comme un traumatisme qui paraît ensuite
devenir insurmontable, une épreuve. Ces moments si particuliers, ne doivent
pourtant pas venir signifier l’abandon totale de la démarche du penser à voix
haute, parce que c’est s’interdire d’ouvrir une malle aux trésors !
Il est naturel et peut-être même salvateur
et instinctif pour un temps, de renfermer en soi les idées, pour ne pas
craindre encore une fois, de dire n’importe quoi ! Le retour d’une
relation plus intense de soi à soi est quelquefois le seul recours protecteur
possible. Mais le risque existe de demeurer en cet état comme on descend au
fond d’un puits, en craignant de remonter à
Nous ne devrions jamais accepter de ne pas
pouvoir penser à voix haute, parce qu’il y va de équilibre psychique et plus
largement de la bonne santé.
La permission n’est jamais donnée. Ce
genre de démarche, se prend, ne serait-ce que pour témoigner de son
existence ! Chaque personne qui témoigne nourrit de manière totalement
altruiste, son prochain. Nous ne devinons pas celui qui en a besoin, celui qui
pourrait éprouver un plaisir assuré à la libre pensée, celui qui s’épaterait en
empruntant cette porte, en découvrant l’espace infini de son monde intérieur.
Pratiquer la pensée à voix haute et sans
crainte consiste à répandre dans l’atmosphère un vaccin, contre l’enfermement
synonyme de mal de vivre.
D’autres écueils sont toujours
envisageables qui ne peuvent être vérifiés qu’en expérimentant. Accepter d’être
spectateur de ses propres pensées, ne serait-ce que par curiosité, c’est
accepter de leur laisser une certaine autonomie et ce faisant pour un temps au
moins, de ne plus être maître en sa propre demeure.
On dit parfois que les paroles dépassent
les pensées, mais l’inverse est tout aussi réel : les pensées vont parfois
vite, très vite et prennent à notre place la parole, lorsque la censure
intérieure s’est positionnée en retrait. La seule excuse possible mais pas
toujours crédible est d’annoncer comme une certitude avérée, que nos paroles
ont dépassé nos pensées : est-ce si vrai ?
Nous étant placés en spectateur plutôt
qu’étant acteur, Il arrive que nous puissions nous retrouver dépassés par des
pensées dont nous ne savons d’où elles viennent. On dit alors qu’elles viennent
de l’inconscient, comme si elles sortaient de la nuit d’où nous ne l’avons pas
vu venir !
La rencontre entre le réel d’un
interlocuteur et le processus de libres pensées mis en pratique, est toujours
susceptible de mettre en situation difficile, comme si deux mondes totalement
différents se rencontraient. Il va de soi que des frictions et des étincelles
relationnelles ont alors lieu et il devient impossible de s’expliquer, de se
justifier ou de ravaler sa salive : c’est trop tard !
Pratiquer la réflexion à voix haute, c’est
pour une part accepter par avance de devoir assumer ensuite, ce que j’aurais
aimé ne pas dire, mais que j’ai tout de même, sans le faire exprès, lâché.
Il peut bien sûr arriver que les
conséquences soient fâcheuses et il n’est de toute façon jamais anodin, de
laisser libre cours aux forces intérieures. J’ai envie de dire que c’est un
risque à courir pour vivre pleinement, pour partager la culture des jardins
intérieurs.
Bien sûr, la culpabilité et les regrets ne
sont jamais complètement exclus, sauf à regarder à nouveau en soi, qui est
acteur de ce qui n’aurait pas du être dit.
Il ne peut pas y avoir de demie censure
dans ce genre de domaine : ou bien la porte est totalement ouverte ou
complètement fermée au libre cours des pensées, avec des conséquences pour
chaque positionnement, cependant de mon point de vue, qu’il est grandement
salvateur de laisser le champ dégagé à la libre circulation en soi. Il y va
comme je l’ai dit, de notre santé globale mais il y a surtout, qu’il y a là une
mine de pépites sur le chemin de la découverte de soi et plus largement, celle
de l’humanité.
Il y a toujours et encore des trésors à
partager qui se cachent dans la nuit sombre de nos inconscients mais nous avons
peur de ce que nous ne voyons pas, de ce qui nous déstabilise et nous surprend
jusqu’à la sidération parfois.
La prolongation de la vie est elle-même soumise
en permanence à des risques majeurs et la vie ne peut pourtant être pleinement
vécue, que si nous acceptons d’en prendre. Nous sommes face à ce paradoxe et à
tant d’autres qui font peut-être partie de la condition humaine, mais ne
doivent pas nous arrêter en bon chemin.
… Il se peut que la pensée à voix haute
qui a besoin de se libérer des enjeux relationnels même et surtout dans le
cadre institutionnel, soit une cause qui mérite de s’y attarder ?
J.Héno (I.S.P) – Le 11/12/2011